Œuvres de Saint François De Sales

 

TOME XII. LETTRES – VOLUME II

 

 

 

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Quatrième édition pour la concordance: seulement les écrits de saint François de Sales

 

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Lettres de Saint François de Sales - Année 1599. 13

CXXI. A Monseigneur Claude de Granier, Eveque de Geneve. Réponses faites par le Saint-Siège à diverses requêtes présentées au nom de l'Evêque de Genève. — Bel ordre de la Cour romaine. — Eloge de plusieurs Cardinaux. — L'Evêque de Modène nommé nonce en France. — Accident survenu au P. Chérubin. — Dévouement du prieur de Contamine et du seigneur Bonesio. — Prochain retour en Savoie. 13

CXXII. Au chanoine Louis de Sales, son cousin. Succès du Prévôt dans l'examen public qu'il yient de subir devant le Pape. 15

CXXIII. Au Père Juvénal Ancina de la Congrégation de l'Oratoire. Bienveillant accueil reçu de l'Evê105que de Lorette et de l'Archevêque de Bologne sur la recommandation du P. Ancina ; estime que professe pour ce dernier le duc de Savoie. — Oppositions faites par les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare à l'exécution du Bref pontifical concernant les biens ecclésiastiques du Chablais. — Voyage projeté de Charles-Emmanuel en France, — Divers messages. 15

CXXIV. Au chevalier Joseph de Ruffia. Invitation à se rendre en Chablais. 18

CXXV. A M. Antoine D'avully. Réclamation d'une somme due à M. de Boisy. 19

CXXVI. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique A Turin. Retard que les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare apportent à l'exécution du Bref apostolique. — Activité des Genevois pour entraver les conversions. — Persévérance des convertis ; grâces qu'ils reçoivent de Dieu.— Demande de diverses faveurs  20

CXXVII. Au même. Réception de deux lettres du Nonce. — Eloge de Mgr de Vienne. — Largesses du duc de Savoie ; son projet d'établir un collège de Jésuites à Thonon. — Prochaine arrivée de ces Religieux. — Détails matériels  23

CXXVIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Bonne harmonie qui règne entre l'Archevêque de Vienne et l'Evêque de Genève. — Espérances que fait concevoir le collège des Pères Jésuites. 25

CXXIX. A M. Philippe de Quoex. Lettre reçue de M. de Quoex. — Recommandation en faveur de trois jeunes gentilshommes. 26

CXXX. A Monseigneur Jules-César Riccardi Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Rupture des communications entre Annecy et Chambéry. — Libéralités du duc de Savoie pour le Chablais. — Arrivée d'un Père Jésuite à Thonon, où cinq autres sont encore attendus. — Les intérêts de la mission activement poursuivis à Rome.— Aumône faite par le duc à une protestante convertie. — Prochain départ de Son Altesse pour la France   27

CXXXI. Au même (Minute inédite). Ordres donnés par le duc de Savoie en faveur de la maison de refuge projetée à Thonon. — Il est urgent que les pouvoirs spéciaux concédés aux missionnaires ne soient pas suspendus pendant l'année du Jubilé. — Procès relatif à la cure du Petit-Bornand. 30

Année 1600. 33

CXXXII. Au Cardinal César Baronius (Minute inédite). Bienveillance du Saint-Siège pour la mission du Chablais. — Joie de savoir le Cardinal nommé protecteur de cette œuvre. 33

CXXXIII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute). Réception de plusieurs lettres. — Eloge de quelques ecclésiastiques. — Les bonnes intentions du duc de Savoie en faveur du chanoine Nouvellet restent sans effet. 34

CXXXIV. A M. Aaron Pothon (Inédite). Demande de pièces nécessaires à la poursuite d'un procès. 37

CXXXV. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Dangers que courent les Catholiques du Chablais ; leur constance en face du péril. — Indisposition de Mgr de Genève. — L'Archevêque de Vienne expulsé par les Valaisans. 38

Année 1601. 40

CXXXVI. A Monseigneur Claude de Granier, Évêque de Genève. Envoi de deux lettres. — Aggravation de la maladie de M. de Boisy. 40

CXXXVII. Au Père Juvénal Ancina, de la Congrégation de l'Oratoire (Inédite). Remerciements pour l'intérêt qu'il porte au Chablais. — Tribulations qui ont fondu sur cette province. — Espoir d'une prochaine paix. — Les poursuites entreprises au sujet de la coadjutorerie de Genève restent stationnaires. 41

CXXXVIII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Constance des Catholiques de Thonon et de Ternier opprimés par les Genevois. — Prière de solliciter les prébendes d'Abondance promises à M. Nouvellet. 42

CXXXIX. A M. Antoine d'Avully. Le Saint rend compte de son intervention auprès du duc de Nemours pour le règlement d'une affaire d'intérêt. 43

CXL. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Regret d'apprendre le rappel du Nonce. — Nouvelles conversions en Chablais. — Mauvais vouloir de ceux qui devraient les favoriser. — Succès de la mission entreprise dans le bailliage de Gaillard. — Espoir de ramener à la vraie foi le pays de Gex. — Demande de quelques faveurs. — Travaux apostoliques de l'Archevêque de Vienne et de l'Evêque de Genève   44

CXLI. A des amis (Minute inédite). Départ précipité pour traiter des intérêts de la religion dans le pays de Gex. 48

CXLII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute inédite). Le pays de Gex soumis à la France ; intention du roi d'y rétablir la religion catholique ; opposition des Genevois ; démarches faites pour en triompher. — Reprise des poursuites commencées au sujet de la coadjutorerie. 48

CXLIII. A Monseigneur Conrad Tartarini, Évêque de Forli. Prière de s'intéresser à la restitution des biens ecclésiastiques du pays de Gex. 51

CXLIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). Obstination de quelques hérétiques de Thonon. — Mesures à prendre pour en triompher. 53

CXLV. Au Baron de Lux. Mgr de Granier est prêt à évangéliser le pays de Gex. 54

CXLVI. Au Cardinal Pierre Aldobrandino (Minute inédite). Henri IV demande l'évangélisation du pays de Gex. — Son désir de restituer au clergé les biens ecclésiastiques usurpés par les Genevois. — Démarches à faire pour obtenir cette restitution. 55

CXLVII. A M. Claude de Quoex. Bonnes intentions du roi de France en faveur des Catholiques. — Formalités à remplir pour en obtenir la mise à exécution. 57

Memoire sur un'objection que font ceux de Geneve delaquelle il sera bien a propos d'instruire le Cardinal et de la response a icelle. 57

CXLVIII. A un inconnu (Minute inédite). Le Saint s'estime heureux d'entrer en relation avec ce personnage et lui promet des documents historiques. 58

CXLIX. A Monseigneur Conrad Tartarini Évêque de Forli, Nonce Apostolique a Turin. Evangélisation des bailliages de Gex et de Gaillard. — Prochain voyage du Saint à Paris pour négocier la restitution des biens ecclésiastiques. — Avantages qu'apportera l'établissement de la Sainte-Maison ; moyens de lui assurer des ressources. — Renseignements sur Jules-César Paschali et sa famille. 59

CL. A M. Louis de Sales, son frere (Inédite). Voies de conciliation à prendre au sujet d'un procès. — Ne pas refuser les avances du procureur Chappaz. 62

Année 1602. 63

CLI. A M. Claude de Quoex. Départ du Saint pour Dijon et Paris afin de solliciter le rétablissement de la religion dans le pays de Gex. — Nécessité d'obtenir la médiation du Saint-Siège auprès du roi de France. — Influence du Cardinal d'Ossat sur le monarque. — Nouvelles de Mme de Quoex. — Divers messages. — Bon vouloir du baron de Lux ; oppositions de Lesdiguières. 63

CLII. A Monseigneur Claude de Granier, Évêque de Genève (Inédite). Compte-rendu de sa négociation à la cour de France. — Envoi d'une lettre du Nonce de Paris. 65

CLIII. A M. Claude de Quoex. Réponse à deux lettres précédemment reçues. — Affaire d'intérêt. — Lenteur des négociations poursuivies à la cour. — Un mot sur les dépenses à faire au sujet de la coadjutorerie. — Le Saint est invité à prêcher le Carême à la chapelle de la reine. — Le P. Juvénal Ancina désire se rendre à Thonon. — Différends soulevés au sujet d'un prieuré. 66

CLIV. A Monseigneur Claude de Granier, Évêque de Genève (Inédite). Difficulté et lenteur des poursuites faites à Paris ; espérance de les voir aboutir. 68

CLV. Au même (Inédite). Annonce de la visite de M. de Mallians. — Crainte d'échouer dans sa négociation auprès du roi de France. 69

CLVI. Au même (Inédite). Nouvelles espérances. — Le Saint a prêché devant le roi ; il est invité à prononcer l'oraison funèbre du duc de Mercœur. 70

CLVII. A la Duchesse de Mercœur. Il condescend à laisser imprimer l'oraison funèbre du duc de Mercœur, et demande qu'elle soit dédiée à la fille de ce prince. 71

CLVIII. A M. Claude de Quoex. Démarches faites auprès de la duchesse de Nemours pour obtenir à M. de Quoex l'autorisation de quitter Rome. — Cause du mécontentement du président Favre. — Affaire de la coadjutorerie. — Faveur dont le Saint jouit à la cour de France. — Divers messages. 72

CLIX. A M. de Soulfour. Remerciements des avances affectueuses qui lui sont faites. — Intérêt pour le monastère des Filles-Dieu. — Eloge de M. Gallemand. — Regret de n'avoir pu se rendre à Pontoise. — Le P. Vicaire de la Chartreuse envoyé à Cahors. 74

CLX. A une dame inconnue (Fragment). Recommandation en faveur d'un ecclésiastique pauvre. 75

CLXI. A M. du Chemin (Inédite). Impossibilité de se rendre à Chancenay. — Prière de l'excuser auprès de MM. d'Acy et de Maneuvre. — Témoignages d'affection. 75

CLXII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Retour de Paris. — Protestations de soumission et de dévouement. — Demande de la protection de Son Altesse. 76

CLXIII. A M. Claude Marin (Fragments inédits). Douleur de la mort de Mgr de Granier. — Indifférence relativement à la dignité episcopale. 77

CLXIV. A M. Claude de Blonay. Achat de la terre de Thorens par la famille de Sales. — Nécessité de contracter un emprunt pour payer ce domaine. — Prière d'intervenir à cet effet auprès de M. de Prangins. 78

CLXV. A sa Sainteté Clément VIII (Minute). Compte-rendu des négociations faites à la cour de France. — Eloge de Mgr de Granier : son zèle apostolique, sa piété. — Remerciements pour la remise des droits d'annates. — Soumission au Saint-Siège. 79

CLXVI. Au même (Minute). Combien l'établissement des Carmélites en France contribuerait à la gloire de Dieu. — Trois ecclésiastiques de grande vertu désignés pour Supérieurs. — Approbation apostolique sollicitée pour l'exécution de ce projet. 81

CLXVII. Aux Syndics d'Annecy. Réponse à leur lettre de félicitation. 82

CLXVIII. Aux Religieuses du Monastère des Filles-Dieu. Témoignages d'estime et d'affection pour leur Communauté. — Pressante exhortation à supprimer les pensions particulières. — Redouter les plus légers abus en matière de pauvreté. — Danger des exemptions et des dispenses. — Confiance que les Religieux doivent avoir en la divine Providence. — Conseils à prendre pour réformer leur monastère. 83

CLXIX. A M. Janus de la Faverge. Espoir de le voir à Sales le samedi suivant. — Remerciements pour l'hospitalité offerte à Mgr Gribaldi. 90

CLXX. A M. Pierre Favier. Prière de lui continuer son amitié et d'appuyer une requête présentée au Sénat. 91

CLXXI. A M. Pierre de Berulle. Combien il se réjouirait de le voir venir en Savoie. — Le Saint consacré évêque ; retraite préparatoire faite sous la direction du P. Fourier. — La perfection absolue impossible en ce monde. — Divers messages. 92

Année 1603. 93

CLXXII. A M. Claude d'Orlie (Inédite). Remerciements pour l'affection qu'il lui porte. — Assurance de dévouement. 93

CLXXIII. A Monseigneur Juvenal Angina, Évêque de Saluces (Inédite). Consécration du Saint ; son entrée dans sa ville épiscopale. — Il réclame les conseils de Mgr Ancina et la continuation de son affection. — Remerciements. — Projet de pèlerinage à Notre-Dame de Mondovi ; espérance de le revoir à cette occasion. 94

CLXXIV. A la Soeur de Soulfour, Novice au Monastere des Filles-Dieu. Caractères auxquels on peut reconnaître les consolations célestes. — Ne pas subtiliser dans le service de Dieu et supporter ses propres imperfections. — La confiance et la simplicité sont particulièrement nécessaires. — Combien le Saint apprécie la nouvelle traduction de l'Institution spirituelle de Louis de Blois. — Messages pour Sœur Anne Séguier. 96

CLXXV. A Madame de Beauvilliers, Abbesse de Montmartre. Souhaits pour la prospérité de l'abbaye. — Prudence et charité qu'il faut apporter à l'œuvre de la réforme. — Recourir aux conseils de quelques personnes de piété. 99

CLXXVI. Au Père Guillaume Boulliette, Cordelier (Inédit). Billet d'affaires. 101

CLXXVII. Au Chevalier Joseph de Ruffia (Inédite). Réponse à une lettre de félicitation. 101

CLXXVIII. A M. Antoine de Revol, Évêque nommé de Dol (Fragment inédit). 102

CLXXIX. A une tante. Condoléances sur la mort de son mari. 103

CLXXX. A M. Charles d'Albigny. Prochain départ pour le Piémont. — Désir d'obtenir une lettre de recommandation auprès du duc. — Il implore sa protection pour un curé fait prisonnier par les Genevois. 104

CLXXXI. A Mademoiselle de Soulfour. Ne pas chercher au loin des directeurs à consulter. — La trop grande multiplicité de désirs est contraire à la perfection ; il faut exécuter ceux qui sont le plus à notre portée et restreindre les autres. — Promesse de prières. — Souvenir conservé à Sœur Anne Séguier. 105

CLXXXII. A la Duchesse de Nemours, Anne d'Este (Minute). But du voyage à Turin, dont le Saint est revenu depuis trois jours. — Le duc de Savoie parti pour Nice. — Les ecclésiastiques persécutés par les Genevois. 106

CLXXXIII. A M. François de Menthon de Lornay Doyen de Notre-Dame d'Annecy. Ordonnance relative au choix des dignitaires qui doivent assister l'Evêque aux offices de la Fête-Dieu. 107

CLXXXIV. A M. Antoine de Revol, Évêque nommé de Dol. Envoi d'une pièce sollicitée pour lui à Rome. — Obligation pour un évêque de transformer sa vie. — Il lui serait utile de se lier avec quelques grands serviteurs de Dieu ; éloge de plusieurs d'entre eux. — Livres à consulter surtout pendant cette première année. — Avoir une grande dévotion aux saints Anges. — L'Evêque est tenu de prêcher son peuple. 108

CLXXXV. A M. Antoine de la Porte (Inédite). Dispositions bienveillantes du duc de Savoie envers Mme de Mercœur. — Jugement d'un procès entre cette princesse et don Amédée de Savoie. — Le Saint s'excuse de n'avoir pu achever le payement de la terre de Thorens. 110

CLXXXVI. A M. Charles d'Albigny. Réclamations au sujet d'une mesure contraire aux immunités ecclésiastiques. 111

CLXXXVII. A M. de Soulfour (Inédite). Abandon et désolation de cent églises aux environs de Genève. — Union de prières. — Projet d'écrire à M. Asseline. — Divers messages. 113

CLXXXVIII. Aux Chanoines de la Collégiale de Saint-Jacques de Sallanches. Il les engage à accepter une fondation qui leur est offerte pour l'entretien de quatre enfants de chœur. 113

CLXXXIX. A M. Charles d'Albigny. Il sollicite une place pour le neveu de l'Evêque défunt. 114

CXC. A Mademoiselle de Soulfour. Suites que laissent certaines infirmités spirituelles : leur utilité. — La perfection absolue impossible en ce monde. — Avoir de grandes prétentions au service de Dieu, mais ne pas s'étonner si elles ne peuvent être entièrement réalisées. — Ne pas se préoccuper des dangers à venir. — Assurance de dévouement  116

CXCI. A un inconnu (Minute). Remerciements pour une lettre reçue. — Assurance de dévouement  118

CXCII. Au Baron de Lux (Minute inédite). Prière de s'opposer aux prétentions injustes d'un gentilhomme. 119

CXCIII. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie (Minute inédite). Exposé des différends qui existent entre le Chapitre de la cathédrale et celui de Notre-Dame de Liesse pour une question de préséance. — Les usages des Chapitres de Paris ne peuvent faire loi pour ceux d'Annecy. 120

Autre minute de la même lettre (Inédite). 120

CXCIV. A M. Charles d'Albigny. Prière de s'intéresser à un créancier de la Sainte-Maison de Thonon. 121

CXCV. A M. Claude de Charmoisy. Mme de Beaulieu demandée en mariage par M. de Sainte-Claire ; avantages que présenterait cette alliance. — Elle désire à ce sujet l'avis de M. de Charmoisy. 122

CXCVI. A M. Charles d'Albigny (Inédite). Il implore la continuation de sa protection pour la Sainte-Maison de Thonon   122

CXCVII. A M. Antoine de la Porte (Inédite). Recommandation en faveur d'un homme qui désirait affermer la terre de Duingt. —Plusieurs affaires d'intérêt seraient à terminer. — Encore un mot sur le payement de Thorens  124

CXCVIII. Au Maire et aux Échevins de Dijon. Réponse à l'invitation qui lui est faite d'aller prêcher le Carême à Dijon. 125

CXCIX. A M. Jacques Excoffier, Curé de Chevenoz (Inédite). Ordre de biner. — Encouragement à se rendre plus capable de ses fonctions. 125

CC. A M. Louis Bonier. Prière de lui envoyer le bilan des comptes de la Sainte-Maison. 127

CCI. A Monseigneur Charles Broglia, Archevêque de Turin. Affaires d'intérêt concernant la Sainte-Maison. 127

CCII. Au Prieur et aux Religieux du Monastère de Sixt (Inédite). Désir de connaître les résultats obtenus par la visite épiscopale. — Assurance de dévouement. 128

CCIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Envoi d'une attestation relative à la conversion des bailliages de Chablais, Gaillard et Ternier. 129

CCIV. A Sa Saintete Clement VIII (Minute). Exposé des causes qui ont provoqué l'apostasie du Chablais : pression exercée par les Genevois. — Envoi de missionnaires. — Zèle déployé par le duc de Savoie ; éloge de ce prince. — Conversion de toute la province. 129

CCV. A Monseigneur Paul Tolosa, Évêque de Bovino, Nonce Apostolique a Turin (Minute inédite). Tous les monastères de Savoie, ceux des Chartreux exceptés, ont besoin de réforme ; autorité requise à celui qui entreprendrait cette œuvre. — Utilité de l'intervention du Sénat. — Différentes mesures proposées. — Monastères à supprimer. — Situation anormale de ceux de Sixt et de Peillonnex. 135

CCVI. A Madame de Boisy, sa mère. Allusion aux tribulations endurées durant la mission du Chablais. — Témoignages d'affection. 137

CCVII. A un prélat (Fragment inédit). Difficultés que suscite une mesure récemment imposée. 138

CCVIII. A Monseigneur Gisbert Masius, Évêque de Bois-Le-Duc (Minute). Union créée entre les deux Prélats par les persécutions qu'ils endurent de la part des hérétiques. — Recommandation en faveur de Rodolphe van Dunghen ; éloge de ce personnage. 138

CCIX. A M. Antoine Dunant, Curé d'Abondance. Ordre de transférer à d'autres jours des aumônes générales. 140

Année 1604. 141

CCX. A M. Antoine des Hayes. Félicitations pour le pardon accordé à un contradicteur. — Remerciements. — Désir de terminer sans procès un différend avec l'Archevêque de Bourges. — Le Saint n'abandonne jamais l'étude de la théologie. — Affaire d'intérêt. — Estime pour les Pères Jésuites : joie de les savoir rentrés en France. 141

CCXI. A un inconnu (Minute inédite). Réponse aux reproches adressés au Saint, relativement au séjour qu'il projetait de faire hors de la Savoie. 143

CCXII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). Annonce de son prochain départ pour Dijon. — Protestation de fidélité. 143

CCXIII. A Sa Sainteté Clément VIII (Minute). Difficultés que présente l'administration de la partie française du diocèse de Genève. — Le Saint contraint de se rendre à Dijon y prêchera le Carême. 144

CCXIV. A M. Jacques de Vallon. Condoléances sur la mort de son père. 145

CCXV. A la Baronne de Chantal 146

CCXVI. La même. Le désir de la sainteté et l'amour de la viduité sont pour une veuve les deux supports de l'édifice spirituel : comment les affermir. — Amour de Dieu et de la sainte Eglise. — Devoir de prier pour les pasteurs et prédicateurs. —Envoi d'un écrit de dévotion. 147

CCXVII. A la Présidente Brulart. En quoi consiste la perfection propre aux femmes du monde : s'unir à Dieu par la méditation, l'usage des Sacrements, les pieuses lectures et les fréquentes oraisons jaculatoires. — S'unir au prochain par l'affabilité, les œuvres de miséricorde, la condescendance envers ses proches. — Rendre la piété aimable en la rendant utile et agréable à tous. 148

CCXVIII. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Moyens à employer pour la réforme de son monastère : bons exemples, douceur, fidélité aux exercices spirituels. 150

CCXIX. A un Calviniste (Minute). Sans certaines conditions les conférences sont infructueuses. — Les hérétiques doivent prouver leurs négations. — Prières pour les morts. — Canonicité des Livres des Machabées et de l'Apocalypse. — Promesse de ne pas refuser une conférence avec les Genevois s'ils la demandent. 152

CCXX. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Pauvreté du prieuré de Bellevaux. — Le Prieur est digne des libéralités de Son Altesse. 153

CCXXI. A la Baronne de Chantal. Il rassure Chantal sur l'inquiétude qu'elle éprouve de l'avoir consulté à l'insu de son directeur. — L'unité de direction ne doit pas nuire à la liberté d'esprit. — Lettre reçue de l'Archevêque de Bourges  153

CCXXII. A M. Charles d'Albigny. Opportunité de quelques modifications dans les lois relatives à l'immunité des églises  155

CCXXIII. A la Baronne de Chantal. Encore l'unité de direction et la liberté qu'elle comporte ; comment l'entendait sainte Thérèse, et comment il faut la pratiquer à son imitation. — Protestation d'entier dévouement. — Combien sont indissolubles les liens formés par la charité. — Secret que doit garder le pénitent sur ce qui est dit en confession. — Chercher un remède à la tristesse et à l'ennui dans les plaies de Notre-Seigneur. — Mystérieuse formation du Christ dans l'âme chrétienne. 156

CCXXIV. A Sa Sainteté Clément VIII. Recommandation en faveur d'André de Sauzéa proposé pour l'évêché de Belley  158

CCXXV. A M. Charles d'Albigny. Règlement d'une affaire d'intérêt concernant la Sainte-Maison. 160

CCXXVI. A M. Claude de Blonay. Difficulté que présente la nomination à un bénéfice. 160

CCXXVII. A Monseigneur Antoine de Revol, Évêque de Dol. Témoignages d'affection. — Carême prêché à Dijon. — Eloge des Dijonnais : fruits de salut opérés parmi eux. — Conversions dans le pays de Gex. — Replique Chrestienne du ministre La Faye. — Le Saint hésite à la réfuter. 161

CCXXVIII. A M. Jean-François de Blonay. Prochain pèlerinage à Saint-Claude. — Invitation à transmettre à l'Abbé d'Abondance. 163

CCXXIX. A Monseigneur André Frémyot, Archevêque de Bourges. Obligation pour un Evêque de prêcher son peuple. — Des trois conditions nécessaires au prédicateur.— Fin qu'il doit se proposer : instruire et émouvoir. — Objet de la prédication : l'Ecriture Sainte expliquée selon les quatre sens dont elle est susceptible ; la doctrine des Pères et des Docteurs, les exemples des Saints ; interpréter le « grand livre » de la création. — Eviter les citations mythologiques. — Des comparaisons et des allégories. — Disposition des matières ; différentes méthodes à adopter selon la diversité des genres : sermons sur les mystères et les vertus, homélies, panégyriques. — La forme : du style et de l'action. — Pressante exhortation à prêcher ; rien n'est impossible à l'amour. 164

CCXXX. Au President Bénigne Frémyot. Intimité avec l'Archevêque de Bourges. — Affection pour toute la famille du Président. — Comment il faut se préparer à la mort : se détacher peu à peu des choses de la terre. — Considérations à faire chaque jour. — Ce qu'est la sagesse pour les jeunes gens et ce qu'elle doit être pour les vieillards. — Choix de lectures. — Triple baiser à donner au Crucifix. 175

CCXXXI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Envoi d'un écrit sur l'oraison. — Méditer de préférence la Vie et la Passion du Sauveur ; auteurs à consulter. — Combien est utile la méditation des fins dernières ; elle doit se terminer par des actes de confiance. — Exercices spirituels à faire chaque jour. — Formulaire pour la Confession dressé par le Saint en faveur de l'Abbesse. — Moyens à employer pour la réforme de son monastère : « quatre artifices » pour inspirer l'esprit d'obéissance. — Vie commune. — Clôture, gardienne de la chasteté. — En cette œuvre procéder avec douceur. — A quel âge admettre les jeunes filles à la première Communion. 177

CCXXXII. A la même. Promesse de l'aider dans la réforme de son monastère. — Recourir aux conseils du P. de Villars. — Demande de prières pour l'Evêque de Saluces récemment décédé. — Livres qu'il serait utile à l'Abbesse de consulter. — Mme de Boisy projette de placer sa fille au Puits-d'Orbe. 181

CCXXXIII. A la Présidente Brulart. Quand faudrait-il refaire une confession générale. — Qu'est-ce que la dévotion. — Deux choses qu'une chrétienne doit observer « pour estre vrayement devote. » — Promptitude requise dans leur observance ; quelques réflexions pour l'acquérir. — Pratiques proposées pour chaque jour. — Il faut rendre la dévotion « fort avmable, » surtout à notre famille. 184

CCXXXIV. A la Baronne de Chantal. Marques de la volonté de Dieu dans le choix d'un directeur. — « Lien admirable » établi par Dieu entre les deux Saints. — Remèdes aux tentations contre la foi. — Exercices de piété à remplir chaque jour : méditation, audition de la Messe, oraisons jaculatoires, prières du soir, lecture spirituelle. — Usage du jeûne et de la discipline. — Fréquente Communion. — Pour l'éducation de ses enfants agir « a la façon des Anges. » — Assistance des pauvres et des malades. — Devoirs envers son père et son beau-père. — De l'esprit de liberté : il est insinué dans le Pater. — Signes auxquels on peut le reconnaître ; défauts qui lui sont opposés. — Exemple de plusieurs Saints. — Professer une grande dévotion envers saint Louis. — Mort de l'Evêque de Saluces  188

CCXXXV. A Sa Saintete Clement VIII (Minute). Décadence de l'observance régulière dans la plupart des monastères de Savoie. — Recours au Saint-Siège pour obtenir l'introduction des Feuillants au monastère d'Abondance   196

CCXXXVI. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Requête pour obtenir que les Feuillants soient mis en possession de l'abbaye d'Abondance. — Recommandation en faveur du chanoine Nouvellet. 197

CCXXXVII. Au même. Procès intenté par le Prévôt du Grand Saint-Bernard au sujet de la cure des Allinges. — Le Saint implore la protection de Son Altesse. 199

CCXXXVIII. A M. Pierre-Léonard de Roncas Baron de Chatel-Argent. Même sujet. 199

CCXXXIX. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. L'Abbé d'Abondance n'est pas en mesure de fournir une pension à M. Nouvellet. — Prière au prince de vouloir bien intervenir. 201

CCXL. A la Baronne de Chantal. Conseils relatifs au règlement d'une affaire d'intérêt. — D'une certaine impuissance spirituelle et des tentations qui en dérivent. — Lutte entre la partie supérieure et la partie inférieure de l'âme. — Combattre les désirs empressés. — Indifférence à pratiquer dans l'acceptation des croix. — On peut se plaindre à Notre-Seigneur. — Choix de lectures. — Avis sur la manière de faire l'aumône. — Joie du Saint dans l'attente d'une grande épreuve. — Respect dû à un ancien directeur. — Deux sortes de bonnes volontés : l'une qui remplit l'enfer, l'autre le Paradis. 201

CCXLI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Ce qu'il faut faire quand on éprouve de la difficulté à méditer. — Les longues veilles du soir « debilitent le cerveau. » — Comment on peut servir Dieu dans les maladies. — « Baume pretieux » pour les adoucir. — Lectures proposées. — Obéissance au médecin. — Dignité royale des malades. — « Dequoy les Anges nous portent envie. » — La Messe et la Communion au temps de maladie. 206

CCXLII. A la Présidente Brulart. C'est la dévotion bien réglée que le Ciel bénit. — Il faut servir Dieu à la campagne aussi bien qu'à la ville. 208

CCXLIII. A la Baronne de Chantal (Inédite). Deux abus à éviter relativement au confesseur : s'attacher à sa conduite au point de « perdre la vraye liberté ; » en changer « sans propos. » — Remarques sur divers écrits et une sorte de testament spirituel. — Message pour Mme Brûlart. — Le Saint ne veut pas que ses lettres soient communiquées  209

CCXLIV. A Messieurs du Conseil de la Sainte-Maison de Thonon. Envoi de quelques papiers. 210

CCXLV. A M. Charles d'Albigny (Inédite). Prière de vouloir bien donner audience à un nouveau converti 211

CCXLVI. A M. Janus de la Faverge (Inédite). Réponse à une lettre de recommandation. — Souhaits de bonne année. — Le Saint se promet beaucoup de consolation du Carême qu'il doit prêcher à La Roche. 212

CCXLVII. A un inconnu (Fragment inédit). 212

CCXLVIII. A Monseigneur André Frémyot, Archevêque de Bourges. (Fragment). Envoi d'un règlement de vie. Dans quel esprit l'observer. — Savoir y déroger pour servir le prochain. — Ne jamais lui sacrifier « la tressainte liberté d'esprit. ». 213

CCXLIX. A une inconnue (Inédite). Encouragements donnés à une résolution généreuse. — Offres charitables pour la seconder. — Un cœur attendri par la douleur est plus accessible à la grâce. 214

Minutes écrites par Saint François de Sales pour diverses personnes. 215

CCL. Au Duc de Nemours, pour un père de famille (Inédite). Instances à l'effet d'obtenir que son fils lui soit rendu   215

CCLI. A Sa Sainteté Clément VIII pour les Catholiques de Thonon. Actions de grâces pour la bienveillance spéciale que leur témoigne le Souverain Pontife. 215

Minutes écrites pour Monseigneur de Granier. 217

CCLII. A Monseigneur Bonaventure Secusio, Patriarche de Constantinople, Nonce Extraordinaire en France (Inédite). Instances pour obtenir que le Nonce intervienne auprès du roi de France en faveur du Chablais. 217

CCLIII. Au Cardinal François de Joyeuse. Les Bernois prétendent s'emparer des bailliages de Thonon et de Ternier. — Coup-d'œil rétrospectif sur l'apostasie et sur la conversion de ces provinces. — Demande de la protection du Cardinal auprès du roi de France. 219

CCLIV. A M. Nicolas de Sancy. Encore les affaires du Chablais. — Remerciements pour l'assurance donnée relativement au maintien de la religion catholique dans cette province. — Il n'est pas possible d'accorder au baron du Villars les bénéfices ecclésiastiques qu'il sollicite pour son fils. 221

CCLV. Au Baron François du Villars. Raisons qui ne permettent pas de donner au fils de ce seigneur la cure et le doyenné de Vuillonnex. 222

CCLVI. A M. Nicolas de Sancy. Violences exercées contre les Catholiques en l'absence de M. de Sancy. — Recours à l'autorité de celui-ci pour obtenir la répression définitive des protestants. 223

CCLVII. A Sa Sainteté Clément VIII (Inédite). Les Jésuites en Chablais : toute la province bénéficie de leur apostolat. — Avec le concours de quelques auxiliaires, ils ont évangélisé le bailliage de Gaillard. — Un collège de la Compagnie de Jésus à Thonon serait une puissante citadelle opposée à l'hérésie. — Reste la conversion plus difficile du pays de Gex. — Il faudra y employer les mêmes Religieux, secondés par une élite de missionnaires séculiers. 224

CCLVIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Inédite). Plaintes contre les syndics de Thonon qui refusent de remettre aux Jésuites le prieuré de Saint-Hippolyte ; combien il est urgent d'obtenir cette cession. 227

CCLIX. Au Roi de France Henri IV (Inédite). Espoir que la conversion du pays de Gex sera facilitée par la réunion de ce territoire à la France. — Recours à la protection de Sa Majesté. 227

CCLX. A Monseigneur Gaspard Silingardo, Évêque de Modène, Nonce Apostolique en France. Sollicitations pour obtenir l'intervention du Nonce dans les affaires du pays de Gex. 228

CCLXI. Au Cardinal César Baronius (Inédite). L'Evêque de Genève a choisi le Prévôt de son église cathédrale pour coadjuteur avec future succession. — Difficultés qui entravent la poursuite de l'affaire. — Le Cardinal Baronius prié d'obtenir une réduction des frais exigés par la Chambre Apostolique. 229

CCLXII. Au Cardinal Pierre Aldobrandino (Inédite). Nouvelles sollicitations pour le rétablissement du culte catholique dans le pays de Gex. 231

CCLXIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Combien il serait nécessaire d'établir à Thonon un collège de Jésuites. — On pourrait en attendant confier à ces Religieux celui d'Annecy. — Intervention de Son Altesse sollicitée à cet effet. 232

CCLXIV. A M. Charles d'Albigny. Ordres à donner pour la restitution des revenus ecclésiastiques du bailliage de Gaillard   233

CCLXV. Au Baron de Lux (Inédite). Désir de « voir sous la faucille de la parole de Dieu » la moisson du pays de Gex. — Chanoine mandé pour apprendre ce que l'on peut se promettre à cet égard. — Le Pape « attend de jour a autre les premieres nouvelles » de cette évangélisation. 233

CCLXVI. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Inédite). Manque de ressources pour assurer le service religieux dans trois paroisses récemment converties, celle de Thonon entre autres. — On pourrait y pourvoir au moyen des revenus de l'abbaye de Filly. 234

CCLXVII. Au même (Inédite). Rien ne s'est fait pour l'emploi des revenus ecclésiastiques du Chablais sans avoir entendu les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare. — Force a été de passer outre à leurs protestations, tout en sauvegardant leurs intérêts. — Il est urgent de pourvoir de pasteurs Thonon et deux autres localités  236

CCLXVIII. Au Roi de France Henri IV. Trois curés établis dans le pays de Gex. — « La bonté du commencement » fait « desirer le progres » de la conversion de ce bailliage. — Ce qu'à cet effet l'on attend de la protection du roi de France   237

Suppliques. 238

CCLXIX. A Sa Sainteté Clément VIII (Minute inédite). L'Evêque de Genève sollicite l'autorisation de communiquer la faculté d'absoudre les hérétiques et de lire leurs ouvrages. — Il serait nécessaire de subvenir à la gène des nouveaux convertis par la fondation d'un établissement approprié à leurs besoins. — Contributions généreuses, mais insuffisantes, faites dans ce but par le duc de Savoie et d'autres personnes. 238

CCLXX. Au Cardinal Aldobrandino (Minute inédite). Prière de plaider auprès de Sa Sainteté divers intérêts du diocèse de Genève : entretien des curés, création de prébendes théologales, requête des chanoines de la cathédrale, décimes de l'Evêque. 240

Appendice. 242

Lettres adressées a Saint François de Sales par quelques correspondants. 244

A. Lettres de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie. 244

B. Lettres de Mgr Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. 247

C. Lettres de Mgr Antoine de Revol, Évêque de Dol 257

D. Lettre de Mgr André Frémyot, Archevêque de Bourges. 259

E. Lettre du Maire et des Échevins de Dijon. 260

F. Lettre de M. Charles d'Orlié. 261

 

 

 

Lettres de Saint François de Sales - Année 1599

 

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CXXI. A Monseigneur Claude de Granier, Eveque de Geneve. Réponses faites par le Saint-Siège à diverses requêtes présentées au nom de l'Evêque de Genève. — Bel ordre de la Cour romaine. — Eloge de plusieurs Cardinaux. — L'Evêque de Modène nommé nonce en France. — Accident survenu au P. Chérubin. — Dévouement du prieur de Contamine et du seigneur Bonesio. — Prochain retour en Savoie.

 

Rome, mi-janvier 1599.

 

            Monseigneur,

 

            Nous allions attendant la commodité de quelques plus asseurees addresses que ne sont les ordinaires en ce tems si troublé, pour envoyer nos lettres de dela, et quelque resolution du chemin que nos affaires prendroyent pour vous en donner quelque advis ; et l'un et l'autre nous est seulement arrivé maintenant. Nous avions proposé dix articles a Sa Sainteté de vostre part, et il nous a prouveu sur quelques uns ; sur les autres il nous a renvoyés au Nonce, et les autres il a presque refusés (sic). [1]

            Il a accordé la des-union des benefices de Chablaix, Ternier et autres balliages jusques a la somme necessaire pour le restablissement de la sainte religion et des pasteurs. Il a accordé que la provision desditz pasteurs se fit par vous absolument pour ceste premiere fois ; que vous puissies donner portion congrue a tous curés etiam extra visitationem ; absoudre les hæretiques comme ci devant, pour cinq ans a venir, licence laquelle ilz estiment icy perpetuelle par ce qu'il ne couste sinon d'envoyer pour demander la continuation avant qu'elle soit passee.

            Quand a vos decimes, il renvoye l'affaire au Nonce affin quil advise comme l'on pourra jetter vostre rate sur les autres benefices moins chargés que l'evesché de Geneve. Il luy renvoye encores de prendre advis touchant l'affranchissement des talliables, sil sera expedient, et comm'il se pourra mieux faire.

            Quand a la visite des monasteres, il l'accorde, et la fera faire le tems estant venu. Quand a la dispense pour nos chanoynes, il l'accorde, pourveu que les chanoynes puyssent servir a leurs cures ; mais ce point n'est encores pas du tout bien esclairci.

            Quand aux theologales, il ne les veut establir sur les monasteres, ne voulant, comme il dit, descouvrir un autel pour en recouvrir un autre. Neanmoins le Cardinal Borghesio, nostre commissaire, nous bailla par advis de faire traitter ce point par Monseigneur le Nonce, et que peut estre reussiroit-il ; il faudra donq l'en supplier a nostre retour, et je crois quil s'y employera volontiers.

            Quand au remuement de nostre cathedrale, il est encor en suspens, par ce que nostre Cardinal commissaire ne sceut pas dire si Tonon estoit plus pres de Geneve [2] qu'Annessy. Neanmoins, ni Sa Sainteté ne les Cardinaux ne le goustent pas trop, estimant que ceux d'Annessi desirent nostre sejour en leur ville, et quilz nous tiennent en tel pris que toutes villes font semblables pieces comm'est la personne de l'Evesque et son Chapitre, et disent qu'on peut suppleer le fruit de ceste mutation autrement. Mays je crois en un mot que tout ce quil ne nous a pas accordé sera renvoyé a Monseigneur le Nonce.

            Jamais je ne fus en lieu ou le poix fut si grand qu'il est en ceste Court. Sa Sainteté ne feroit pas une grace, pour petite qu'elle soit, qu'elle ne soit pesee et contrepesee par conseil de Messieurs les Cardinaux, lesquelz, voyans il Santissimo di questo parere, sont aussi eux mesmes d'iceluy. Mays au reste il y reluit presque par tout une courtoisie et maintien angelique, sur tout en nos trois commissaires, les Cardinaux Burghesio, Arigo ne et Bianchetto, et par excellence au Cardinal Baronius, qui nous a portés de toute sa faveur tant vers Sa Sainteté que vers les Cardinaux.

            Je crois que vostre bonté aura aggreable nostre petite negociation, quoy qu'elle n'obtienne pas bonnement du tout l'issue de vos saintes intentions. Le seul Cardinal Mathæi estant malade, nous retient encor sans autre [3] response, sinon quil reçoit vostre Visitation et si quid erroris admissum esset in mora, absolvit ad cautelam, et fera droit touchant la prætention que vous aves d'estre mis au nombre des ultramontains pour les termes de vostre Visitation ; mais il ni a pas moyen de tirer aucun'escriture de luy, dautant quil ne peut signer.

            Quand a la commission que j'avois premiere et principale, je l'ay sollicitee et vers Sa Sainteté et vers l'Aldobrandino le plus vivement que j'ay sceu, et pour toute resolution on a escrit a Monseigneur nostre Nonce quil traitte avec Son Altesse, affin qu'il ne prenne aucune resolution touchant le point duquel on le sollicitoit qui pourra servir d'une reelle et legitime rayson de refus a sadite Altesse. Et parce quil ni a point de Nonce en France, il a fallu attendre qu'on en deputast un, qui est Monseigneur de Modene, lequel est arrivé icy et prend ses memoires pour partir, et entre autres il en aura des bonnes pour nos affaires, comme m'a dit encor ce mattin le Cardinal Aldobrandino. Je l'iray treuver pour l'instruire. Voyla, ce crois-je, une partie de ce que nous estions venu faire en chemin, nonobstant la peyne que l'on a eu de les pousser pour les ennuys que le Tybre nous a fait.

            Le Cardinal Sainte Severine me dit que Monseigneur le Nonce sollicitoit de me faire depescher pour aller vers vous en l'absence du bon P. Cherubin, lequel, a ce qu'on nous advise de deça, est tumbé en une tres lamentable [4] infirmité ; et Sa Sainteté et ces messieurs du Saint Office, bref tous les bons, regrettent infiniment cest accident, et pour la valeur de la personne, qu'il rend inutile, et pour le bruit qu'en feront les adversaires, qui, n'ayant aucune rayson pour leur opiniastreté, font bouclier de tous les sinistres evenemens qui nous arrivent, pour naturelz et ordinaires quilz soyent. Or bien, je fais tant plus de courage ; et monsieur le Vicaire et moy et nos amis ne l'oublions point en nos petites oraysons, comme nous sommes obligés.

            Je serois ingrat si je ne vous donnois advis que nous avons icy le seigneur chevallier Buccio, prieur de Contamine, qui s'employe pour nous a bon escient, et le seigneur Bartholommeo Bonesio, cameriero secreto di Sa Sainteté.

            Or, nous esperons entre cy et Pasques vous bayser les mains et rendre conte en presence du tems et loysir que nous avons fait des nostre despart ; ce ne sera jamais si tost que je le desire. Et priant Dieu pour vostre longue et bonne santé, je demeure æternellement,

            Monseigneur,

Vostre tres humble filz et serviteur,

FRANÇS DE SALES.

 

A Monseigneur

Monseigneur le Reverme Evesque et Prince

de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Périgueux. [5]

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CXXII. Au chanoine Louis de Sales, son cousin. Succès du Prévôt dans l'examen public qu'il yient de subir devant le Pape.

 

Rome, 26 mars 1599.

 

            Je vous confesse ingenuement que Dieu n'a pas permis que nous ayons esté confus dans l'examen, quoy qu'en ne regardant que moy mesme je n'attendis que cela. Je vous asseure que M. le Grand Vicaire est sorti du Consistoire plus joyeux que moy. Ce fidele amy ne s'empressera que trop pour escrire en Savoye les signes de bonté paternelle dont le Pape m'a honnoré, qui m'obligent d'estre plus que jamais bon enfant et bon serviteur de la sainte Eglise Romaine ; mays quoy que nos amis escrivent, souvenes vous que nos amis exagerent aussi souvent nostre bien que nos ennemis exagerent nos maux, et qu'en fin nous ne sommes que ce que nous sommes devant Dieu

 

Revu sur le texte inséré dans un ancien Ms. de l'Année Sainte de la Visitation, conservé au Monastère d'Annecy. [6]

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CXXIII. Au Père Juvénal Ancina de la Congrégation de l'Oratoire. Bienveillant accueil reçu de l'Evê105que de Lorette et de l'Archevêque de Bologne sur la recommandation du P. Ancina ; estime que professe pour ce dernier le duc de Savoie. — Oppositions faites par les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare à l'exécution du Bref pontifical concernant les biens ecclésiastiques du Chablais. — Voyage projeté de Charles-Emmanuel en France, — Divers messages.

 

Turin, 17 mai 1599.

 

            Molto Reverendo Padre et Signore mio osservandissimo,

 

            Se ben non ho ancora finito il viaggio del mio ritorno per esser stato miseramente inchiodato in questa corte un mese intero, devo tuttavia dar raguaglio a V. P. molto Rda delli molti favori ricevuti da me per mezzo et [7] merito suo. In Loreto ho goduto l'amarevolezza (sic) et le accoglienze di Monsignore Rmo Vescovo et del signor Primicerio, che V. P. mi prædisse, in mensura conferta et coagitata, et ci fecero celebrare nella Santa Casa, toccar l'Imagine santa et veder tutte le cose prætiose. Monsignor Vescovo non hebbe commodità di favorirme delle sue Opre per non haverne altro essemplare ch' il suo familiare ; ma ne hebbe desiderio, et mi diede in carico che occorrendomi l'occasione di qualche latore, lo facessi ricordare di mandarmene. In Bologna parimente mi abbracciò con molta carità Monsignor [8] l' Illmo Arcivescovo, non senza moltissimi favori, se ben non hebbi modo di salutarlo senon in ipso profectionis articulo, perchè la sera et mattina precedente si ritruovò travagliato dal catarro in modo che non se glie poteva domandar audientia senza grande indiscretione. Basta che per amor suo son stato conosciuto et accarezzato di quelli duoi segnalati Prælati, la memoria delli quali non può se non promovere in me li desiderii del ben vivere.

            Qui in Turino salutai Monsignor Arcivescovo etiandio a nome di V. P. molto Rda, laquale egli protestò di riverire molto. Feci poi la debita riverenza a Sua Altezza, dandoglie breve rilatione della mia negociatione romana della quale restò sodisfatto, dall'essame in poi, il quale prima fronte glie parve fuori del dovere ; ma sentite le mie ragioni, restò appagato. Et fra molti quæsiti venne in proposito di V. P. con quelle honorevoli [9] parole che da tal Prencipe si devono aspettare, non però senza un amoroso rissentimento del ricusato vescovato,

« Et spretæ injuria formæ... manet ; »

ma, comme dico, con amoroso et non con amaro rissentimento ; là dove io dissi quel tanto che da V. P. haveva sentito, et si quietò nelle honorevoli parole nelle quali si era comminciato il ragionamento.

            Fra tanto li signori Cavaglieri di San Lazaro, sapendo ch'io portavo il Breve di Sua Santità col quale si dà authorità a Monsignor di Geneva di applicare le loro entrate che hanno nelle parrochie convertite, alla sustentatione de'curati, pastori et prædicatori, mi fan citare per render ragione della mia villicatione, et son stato costretto di fermarmi qui sin tanto che Sua Altezza mi ha spedito ; onde spero di partire quanto prima, sì per uscir fuori de questi pericoli, che in vero sonno da stimare, sì anco per ritornar all' opera. Et di tutti li successi segnalati darò sempre conto a V. P. molto Rda, et anco di me medesimo, come di cosa assolutamente sua.

            Si spera che Sua Altezza debba andar in Francia dove [10] è aspettata con gran desiderio dal Rè, il quale a (sic) commesso al Prencipe di Conti et Conte di Soyssons che lo debbano incontrare nelli confini et condurlo dove si ritrovarà Sua Maestà, con tutti quelli honori che a lei si sogliono fare, sì come la Prencipessa di Conti scrisse per latore espresso ad un suo negociatore che ha in questa corte. Di Turino si puoi dire : Quomodo facta est sola, poichè ognuno fuge, dal Prencipe in poi, che tuttavia dispone di uscire anco luy (sic). In Savoya è grandissimo contagio, nella città di Geneva et in certi luoghi vicini a Monmelliano ; il restante è libero afatto. [11]

            Questo per adesso mi occorre, essendo distratto per le sollecitationi ch'io fò delle cose nostre ecclesiastiche. Et in tanto bascio a V. P. le mani sacrate, prieghandola di tener memoria di me nelle sue orationi, sì come io, per debito mio, priegho continuamente il Signor nostro che a beneficio de molti la conservi.

            Di V. P. molto Rda,

Divotissimo et humilissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Praevosto di Geneva.

            Di Turino, alli 17 Maïo 99.

            Bascio le mani alli Rdo P. Giovan Mattheo, suo fratello, et ambidue li Rdi PP. Thomasi et al R. P. Anthonio ; [12] et occorrendo di tenerme nella memoria di Monsignor l'Illustrissimo Cardinale vostro l'haverò per summo favore.

Al Molto Rdo Padre et Sigr mio in Christo colendissimo,

Il P. Giuvenale Ancina, Theologo della Congregatione dell' Oratorio.

Roma.

Revu sur l'Autographe conservé au Pensionnat de Sainte-Ursule, à Parme.

 

 

 

            Mon très Révérend Père et très honoré Seigneur,

 

            Bien que je ne sois pas encore au terme de mon voyage de retour, ayant été misérablement cloué en cette cour un mois entier, je dois cependant donner à Votre très Révérends Paternité le détail de toutes [7] les faveurs que j'ai reçues en sa considération. A Lorette j'ai joui de la part de Mgr le Révérendissime Evêque et de M. le Primicier, mais dans une mesure entassée et débordante, de la bienveillance et du bon accueil que vous m'aviez prédits. Ils nous firent célébrer dans la Sainte Maison, toucher la sainte image et voir tous les objets précieux. Mgr l'Evêque, quoiqu'il eût le désir de me gratifier de ses Œuvres, ne put le faire, n'ayant d'autre exemplaire que celui dont il se sert habituellement ; mais il me chargea, l'occasion de quelque porteur se présentant, de le faire ressouvenir de me les envoyer. A [8] Bologne aussi Mgr l'Illustrissime Archevêque m'embrassa avec beaucoup de charité et me combla de faveurs, quoique je n'aie pu le saluer qu'au moment du départ ; car le matin et le soir précédent il se trouva incommodé du catharre de telle sorte qu'on ne pouvait lui demander audience sans une grande indiscrétion. Il suffit de dire que, grâce à vous, j'ai été connu et affectueusement traité par ces deux insignes Prélats, dont lesouvenir ne peut qu'exciter en moi le désir de bien vivre.

            Ici à Turin je n'ai pas manqué de saluer Mgr l'Archevêque au nom de Votre très Révérende Paternité, pour qui il m'a protesté avoir une grande estime. J'ai aussi présenté mes hommages à Son Altesse, lui faisant un rapport succinct de ma négociation à Rome. Elle en fut contente, sauf de l'examen qui, de prime abord, lui parut hors de propos ; mais après avoir entendu mes raisons, elle en demeura satisfaite. Entre autres discours, Son Altesse vint à me parler de Votre Paternité en des termes aussi honorables qu'on peut l'attendre d'un [9] tel prince, non cependant sans un affectueux ressentiment au sujet de l'évêché refusé,

« Et l'injure faite il sa beauté méprisée... demeure ; »

mais, comme je dis, ce fut un ressentiment affectueux et non point amer ; alors je lui fis connaître ce que j'en avais appris de vous, et l'entretien se termina dans les mêmes termes honorables avec lesquels il avait été commencé.

            Cependant MM. les Chevaliers de Saint-Lazare sachant que j'étais porteur du Bref de Sa Sainteté qui confère à Mgr de Genève l'autorité d'appliquer à la subsistance des curés, des pasteurs et des prédicateurs les revenus qu'ils ont sur les paroisses converties, me font citer pour rendre raison de mon administration. J'ai donc été contraint de m'arrêter ici jusqu'à ce que Son Altesse me congédie ; néanmoins j'espère partir au plus tôt, soit pour sortir de ces périls, qui vraiment sont à considérer, soit aussi pour retourner à l'œuvre. Je rendrai compte à Votre Paternité de tous les évènements remarquables, et aussi de moi-même, comme d'une chose absolument sienne.

            On espère que Son Altesse ira en France, où elle est ardemment [10] désirée par le roi, qui a chargé le prince de Conti et le comte de Soissons d'aller à sa rencontre jusqu'aux frontières, et de le conduire ensuite là où se trouvera Sa Majesté, avec tous les honneurs que l'on a coutume de lui rendre à elle-même ; c'est ce que la princesse de Conti écrivit par un exprès à son chargé d'affaires en cette cour de Savoie. De Turin on peut dire : Comment est-elle devenue deserte ? puisque chacun fuit, si ce n'est le prince qui se dispose néanmoins à sortir lui aussi. La contagion est très grande en Savoie, à Genève et dans les environs de Montmélian ; le reste est tout à fait libre. [11]

            C'est tout ce que j'ai à vous communiquer pour le moment, distrait comme je le suis par les poursuites que je fais pour nos affaires ecclésiastiques. En attendant je baise les mains sacrées de Votre Paternité, en la priant de se souvenir de moi dans ses prières, comme pour acquitter ma dette de reconnaissance, je prie continuellement Notre-Seigneur qu'il la conserve pour le bien d'un grand nombre.

            De Votre très Révérende Paternité,

Le très dévoué et très humble serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            De Turin, le 17 mai 1599.

            Je baise les mains au R. P. Jean-Matthieu, votre frère, aux deux RR. PP. Thomas et au R. P. Antoine, et si l'occasion se présente [12] ce serait pour moi une grande faveur de me rappeler au souvenir de Mgr votre Illustrissime Cardinal.

A mon très Révérend Père et très honoré Seigneur en Jésus-Christ,

Le P. Juvénal Ancina,

Théologien de la Congrégation de l'Oratoire.

Rome.

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CXXIV. Au chevalier Joseph de Ruffia. Invitation à se rendre en Chablais.

 

Turin, 21 mai 1599.

 

            Molto Illustre Signore,

 

            Il signor Præsidente di Rochetta è in Savoia, et io vi sarò presto, volendo Iddio. Restarà che anco V. S. molto Illustre non tardi a venire per spedire quel tanto [13] che tocca al servitio d'Iddio et delle anime in quelli balliagii di Thonone et Ternier, già che, per quanto vedo, V. S. molto Illustre è nominata per esser præsente all'essecutione del Breve della Sede Apostolica.

            Supplico adunque V. S. che si degni considerare che tanto è in questa occurrentia la ritardatione dell' opra quanto la destruttione, poichè essendo gl'operatori senza provisione, non possono star così se non brevissimo tempo. Onde è ubligatissima in conscientia di non tardare a venire, poichè dalla sua venuta dipende il negotio et senza lei non si può far altro. Si ricordi che questo è servitio d'Iddio, nel quale la negligentia è maledittione ; et mi perdoni se io con questa libertà l'invito a venire senza indugio, perchè così mi sento ubligato di fare, et stimo di trattare con un signore tanto giuditioso, che conoscerà bene la necessità che preme. Et per tanto ardisco di replicare che, lasciate da banda tutte le [14] considerationi, o di contaggii o di altri impedimenti, V. S. è ubligatissima di venire quanto prima dove io vado aspettarla, con animo di restare, et là et dovunque io mi ritrovarò giamai,

            Di V. S. molto Illustre,

Affettionatissimo et humilissimo servitore nel Signore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            Torino, dove io glie pregho dal Signore la felicità seterna. Alli 21 Maio, 99.

Al Molto Illre Sigre mio osservandissimo,

Il Sigr di Ruffia,

Gran Priore della Religion delli Sti Mauritio et Lazaro in Piemonte,

Consegliere di Stato et Generale della artiglieria di S. A. S.

Ruffia.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Turin, Archives de la Grande Maîtrise des Saints Maurice et Lazare. [15]

 

 

 

            Très Illustre Seigneur,

 

            M. le président de Rochette est en Savoie, et moi-même j'y serai bientôt, s'il plaît à Dieu. Il reste que Votre très Illustre Seigneurie, de son côté, ne tarde pas à s'y rendre, afin de terminer ce qui concerne [13] le service de Dieu et des âmes dans ces bailliages de Thonon et Ternier, puisque je vois que Votre très Illustre Seigneurie a été nommée pour assister à l'exécution du Bref du Siège Apostolique.

            Je supplie donc Votre Seigneurie de daigner considérer que, dans cette conjoncture, le retard de l'œuvre équivaut à sa ruine ; car les ouvriers se trouvant sans provision, ne peuvent demeurer ainsi que fort peu de temps. Il en résulte que Votre Seigneurie est absolument obligée en conscience de venir sans retard, puisque de son arrivée dépend le succès de l'entreprise, et que, sans Elle, on ne peut rien. Veuillez vous rappeler qu'il s'agit ici du service de Dieu, dans lequel toute négligence attire la malédiction, et me pardonnez si avec tant de liberté je vous invite à venir sans délai, car je me sens obligé d'agir ainsi. D'ailleurs, j'estime traiter avec un personnage si judicieux qu'il reconnaîtra facilement l'urgence de la nécessité. C'est pourquoi je m'enhardis à répéter que, laissant de côté toute [14] considération, soit d'épidémie contagieuse, soit d'autres empêchements, Votre Seigneurie est absolument obligée de se rendre au plus tôt où je vais l'attendre moi-même, avec la volonté de demeurer à jamais, là et partout où je me trouverai,

            De Votre très Illustre Seigneurie,

Le très affectionné et très humble serviteur dans le Seigneur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            Turin, d'où je vous souhaite du Seigneur le bonheur éternel. Le 21 mai 1599.

A mon Illustrissime et très honoré Seigneur,

 

 

 

M. de Ruffia,

Grand Prieur de l'Ordre des Saints Maurice et Lazare en Piémont,

conseiller d'Etat et général de l'artillerie de Son Altesse Sérénissime.

Ruffia.

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CXXV. A M. Antoine D'avully. Réclamation d'une somme due à M. de Boisy

 

Sales, 25 juillet 1599.

 

            Monsieur,

 

            Obliges moy, je vous supplie, de tant, outre tant de devoirs que je vous auray toute ma vie, que de me faire sçavoir si mon pere se pourra promettre quelque pavement ou du tout ou d'une partie de la somme qu'il a sur l'hoirie de feu monsieur le baron d'Hermence en ceste necessité qu'il en a maintenant. Ceste sollicitation m'est imposee pour la contribution du soin que je dois aux affaires de mon pere, et ne m'en pourroit arriver de plus ennuyeuse. Elle le seroit toutefois encor plus si je n'estois tout seur que vous voudres bien vous repræsenter la justice du desir que peut avoir un creancier de se servir du sien en son besoin, et un filz, de servir a la raysonnable volonté de son pere.

            Monsieur, je prie Dieu de tout mon cœur pour vostre prosperité, et vous supplie croire que vous ne sçauries donner credit vers vous a l'intercession d'homme du monde qui soit plus entierement et fermement,

            Monsieur,

Vostre tres humble [serviteur],

FRANÇS DE SALES,

Prævost de Geneve.

            A Sales, ou tous vous saluent humblement, et madame vostre partie avec toute vostre famille ; le 25 julliet 99.

A Monsieur

Monsieur d'Avully.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Vuÿ, à Carouge (canton de Genève). [16]

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CXXVI. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique A Turin. Retard que les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare apportent à l'exécution du Bref apostolique. — Activité des Genevois pour entraver les conversions. — Persévérance des convertis ; grâces qu'ils reçoivent de Dieu.— Demande de diverses faveurs

 

Chambéry, 24 août 1599.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Fra molte ragioni per lequali la difficoltà dei passi ci è dannosa, a me particolarmente par di gran nocumento che per questo siamo privi della consolatione delle lettre di V. S. Illma et Rma, et anco di potergliene inviare così facilmente dal canto nostro come dovressimo et desideriamo.

Potendo adesso scrivere per ritrovarme qui in Chiamberi, dirò a V. S. Illma et Rma che le cose della conversione in Chiablais et altri balliaggi, sì come non vanno in dietro, così non vanno nè anco molto inanzi, perchè il progresso dipende delli servitii et essercitii catholici, liquali non si ponno fare con quella decentia et splendore [17] che converria in questi principii, per mancamento de denari et altri mezzi necessarii ; poichè nè anco li sacerdoti stabiliti in quelle parti hanno le provisioni necessarie alla necessaria sustentatione, sì che se Monsignor Rmo Vescovo non li havesse incantati con varie lusinghe et belle parole, non cie ne saria restata la mezza parte. Il che avviene perchè Sua Altezza Serenissima havendo deputati il signor primo Præsidente di questo Senato et il signor cavaglier di Ruffia, per assistenti di Monsignor Vescovo nell' assignatione da farsi delle portioni necessarie alli curati sopra li beneficii delli balliagii, secondo l'ordine della Santa Sede, detto Cavagliere, il qual doveva venire subito quando io partii di Turino, non è mai comparso. Et non si può negare che in ciò non vi sia colpa, o di estrema negligentia, o di affettata ritardatione per mantenere l'indebita possessione de' Cavaglieri circa quelli beneficii, delli quali se ben si va cavando parte dell' entrata per l'essercitio catholico, la cosa tuttavia si fa con tanta incommodità che non riesce.

            Et dell'altro canto, non mancano li Genevrini et altri [18] nemici vicini di opporsi al progresso della santa negotiatione con spargere diverse minaccie et rumori di guerra, con spargere anco libri et Fontes, et mandare secretamente spioni et corruttori delle anime fra quelli popoli ; et in ogni modo la loro diligentia nel male riprende la negligentia delli Catholici nel bene. Et tuttavïa è verissimo che delli convertiti nessuno ha mai fatto segno di voltarsi adietro, et sempre si vanno fortificando nella fede et convertendosi alcuni delli ostinati che erano rimasti nell'hæresia. Et è cosa chiara che il Signor Iddio ricerca da noi grandissima diligentia et zelo nell'adoprarsi in questa impresa, poichè egli va etiamdio facendo in quelle bande certe gratie che si ponno chiamar piccoli, anzi grandi miracoli, si comme, havendone più particolar certezza, ne darò raguaglio a V. S. Illma.

            Aspetto con gran desiderio l'estentione della facoltà di assolvere gl'hæretici extra sacramentalem confessionem, perchè cie n' è necessità, et anco avviso della risolutione che si sarà pigliata Sua Santità circa la [19] missione de' Padri Giesuiti, della quale V. S. Illma et Rma toccava quando io glie basciai le mani appresso Chieri. Veramente, se nella risolutione della pace si farà un sforzo in far splendidamente rilucere l'essercitio et dottrina catholica in questi paesi, son certo che videbimus gloriam Dei et che in questo Giubilæo forse si restituiranno le possessioni alii antichi padroni, secondo la Legge, perchè si vede chiaro che quel tanto di resistentia che li ministri Genevrini fanno, non nasce tanto d'animo o cuore che glie resti, quanto di rabbia et disperatione ; et se li premeremo un poco gagliardamente, saranno spediti, et il popolo loro, già stracco delle loro ciancie, facilmente darà orecchio alla verità. Intendo che il P. Cherubino fa buona sollecitatione appresso Sua Santità, et pare ch' Iddio habbia disposto il cuore del suo Vicario ad attendere a questa necessità.

            Monsignor di Geneva è in Tonone, nè ardisce di lasciarlo sin tanto che le cose siano stabilite et saldate ; ciè anco con lui il P. Bernardino Castorio, Jesuito. Io son [20] venuto qui per la lite del benefitio di Bornando, il quale essendomi stato concesso per gratia di V. S. Illma et Rma, vien occupato da altri senza titolo, et spero che fra poco me ne vederò liberato.

            Non voglio perdere il possesso, quale sin adesso mi son conservato, di farglie sempre qualche richiesta. Ci sonno certi poveracci quali hanno havuto copula carnale et contratto sponsalitio ; et credendo di venir in matrimonio, si è scoperto che erano in terzo et quarto gradu consanguinitatis, il che sin alhora non sapevano. Et perchè parmi che V. S. Illma et Rma habbia facoltà di assolvere et dispensare per tali matrimonii, massime fra poveri, io supplico V. S. Illma si degni usargli questa gratia. Li loro nomi sonno : Claudio Fenolando, da una parte, et Perneta Mermillioda dall'altra ; quello, della parrochia Thorentii, et questa, Rupis, di questa diocesi ambidue.

            Mi perdoni V. S. Illma et Rma se io eccedo le regole di modestia in scriverglie con tante importunità, perchè veramente non ho altro da chi ricorrere senon alla sua bontà, laquale ha usata meco tante volte ch'io non ne sò [21] più fare difficoltà. Non lasciarò di domandarglie ancora avviso della mente di Sua Santità circa la riformatione delli monasterii di Savoya, opra necessaria quanto possa essere.

            Priegho poi il summo Iddio di conservar V. S. Illma a gloria del suo santo nome et utilità della santa Chiesa, et facendoli humilissima riverentiacon basciarli le sacrate mani, resto aeternamente,

            Di V. S. Illma et Rma,

Divotissimo et ubligatissimo servidore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            In Chiambri, alli 24 Agosto 99.

 

            Per esser li passi di Roma chiusi, supplico V. S. Illma di commandare che si invii il plico qui giunto.

All'Illmo et Revermo Sigr Padron colendissimo,

Monsigr l'Arcivescoüo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A. Serenma.

Vigliano.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives Vaticanes. [22]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Parmi les nombreuses raisons pour lesquelles la difficulté des passages nous est préjudiciable, il me semble que la plus importante est que nous sommes privés de la consolation de recevoir des lettres de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime et que, de notre coté, nous ne pouvons lui en expédier aussi facilement que nous le devrions et désirerions.

            Me trouvant maintenant à Chambéry, je puis écrire à Votre Seigneurie, et lui dire que si bien les affaires de la conversion du Chablais et des autres bailliages ne reculent pas, de même aussi n'avancent-elles pas beaucoup ; car le progrès dépend des offices et des exercices du culte catholique qui, faute d'argent et d'autres moyens [17] nécessaires, ne peuvent se faire avec la décence et l'éclat qui seraient convenables dans ces commencements. Et même les ecclésiastiques établis de ces côtés n'ont pas les provisions strictement requises à leur entretien ; de sorte que si Mgr notre Révérendissime Evêque ne les avait charmés par des caresses et de belles paroles, il n'en serait pas resté la moitié. La cause de ceci est que Son Altesse Sérénissime ayant député M. le premier Président du Sénat et M. le chevalier de Ruffia pour assister à la répartition que Mgr l'Evêque doit faire, selon l'ordre du Saint-Siège, des parts nécessaires aux curés, prises sur les bénéfices des bailliages, le susdit chevalier, qui, lorsque je partis de Turin, devait venir immédiatement, n'a jamais paru. Et l'on ne peut nier qu'il ne soit coupable en cela, ou d'une extrême négligence, ou d'un retard affecté pour maintenir l'injuste possession des Chevaliers relativement à ces bénéfices ; bien que l'on retire une partie du revenu pour l'exercice du culte catholique, cela se fait cependant avec tant de difficulté que la chose ne peut réussir.

            D'autre part, les Genevois et d'autres ennemis des environs ne [18] manquent pas de s'opposer au progrès de la sainte négociation en répandant des menaces et des bruits de guerre. Ils répandent aussi des livres et des écrits, et envoient secrètement parmi ces populations des espions et des corrupteurs d'âmes ; et en toute façon, leur diligence pour le mal condamne la négligence des Catholiques pour le bien. Cependant il est très vrai que parmi les convertis aucun n'a jamais fait mine de regarder en arrière ; toujours ils se fortifient dans la foi, tandis qu'il s'en convertit d'autres qui étaient des plus obstinés dans l'hérésie. Il est évident que Dieu demande de nous une très grande diligence et un grand zèle à nous employer à cette entreprise, car il accorde dans ces pays certaines grâces que l'on pourrait appeler de petits, ou plutôt de grands miracles, comme j'en donnerai connaissance à Votre Seigneurie Illustrissime lorsque j'en serai plus sûrement informé.

            J'attends avec un grand désir l'extension en dehors de la confession sacramentelle de la faculté qui m'est concédée d'absoudre les hérétiques, car cela est nécessaire. J'attends aussi l'annonce de la dérision que Sa Sainteté aura prise relativement à la mission des [19] PP. Jésuites, dont Votre Seigneurie me parla quand je lui baisai les mains près de Chieri. Vraiment, si dans la conclusion de la paix on fait un effort pour faire resplendir l'exercice du culte et la doctrine catholique en ce pays, je suis sûr que nous verrons la gloire de Dieu et que peut-être, selon la Loi, les possessions seront, pendant ce Jubilé, restituées à leurs anciens maîtres ; car on voit clairement que toute la résistance faite par les ministres Genevois provient moins du courage ou de l'ardeur qui leur reste que de rage et de désespoir ; en sorte que si nous les pressons un peu énergiquement, c'en est fait d'eux, et leur peuple, déjà fatigué des sornettes qu'ils débitent, prêtera facilement l'oreille à la vérité. J'apprends que le P. Chérubin sollicite avec zèle Sa Sainteté, et il paraît que Dieu a disposé le cœur de son Vicaire à s'occuper de cette nécessité.

            Mgr de Genève est à Thonon, et il n'ose en partir jusqu'à ce que les choses soient établies et solidement affermies ; le P. Bernardin Castorio Jésuite est aussi avec lui. Je suis venu ici pour le procès de [20] la cure du Petit-Bornand, laquelle m'ayant été accordée par la faveur de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, est occupée par d'autres sans titre, et j'espère que dans peu je me verrai délivré de ces compétiteurs.

            Je ne veux point perdre le droit que je me suis réservé jusqu'ici de vous faire toujours quelque demande. Il s'agit de pauvres gens qui ont ... échangé des promesses de mariage ; voulant ensuite en venir a l'exécution, on a découvert qu'ils étaient parents au troisième et quatrième degré, ce qu'ils n'avaient pas su jusqu'alors. Et parce qu'il me semble que Votre Seigneurie a le pouvoir d'absoudre et de dispenser pour tels mariages, surtout entre les pauvres, je la supplie de daigner leur faire cette grâce. Leurs noms sont Claude Fenoland, d'une part., et Pernette Mermillod de l'autre ; celui-là de la paroisse île Thorens, et celle-ci de La Roche, tous les deux de ce diocèse.

            Que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime me pardonne si j'outrepasse les règles de la discrétion en lui écrivant avec tant d'importunité, car je n'ai vraiment personne à qui recourir sinon [21] à sa bonté ; Elle me l'a témoignée tant de fois que je ne puis faire difficulté de la réclamer. Je ne laisserai pas de vous demander encore quelle est l'intention de Sa Sainteté touchant la réforme des monastères de Savoie, œuvre nécessaire autant qu'il se peut dire.

            Je prie Dieu de conserver Votre Seigneurie pour la gloire de son saint nom et l'utilité de la sainte Eglise, et lui faisant très humble révérence en baisant ses mains sacrées, je demeure éternellement,

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué et très obligé serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            A Chambéry, le 24 août 1599.

            Les passages de Rome étant fermés, je supplie Votre Seigneurie Illustrissime de faire expédier le pli ci-joint.

A l'Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

Monseigneur l'Archevêque de Bari,

Nonce Apostolique auprès de Son Altesse Sérénissime. — Vigliano. [22]

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CXXVII. Au même. Réception de deux lettres du Nonce. — Eloge de Mgr de Vienne. — Largesses du duc de Savoie ; son projet d'établir un collège de Jésuites à Thonon. — Prochaine arrivée de ces Religieux. — Détails matériels

 

Thonon, 23 septembre 1599.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio colendissimo,

 

            Hebbi due lettere da V. S. Illma et Rma, una per mano di Monsignor Rmo di Vienna, del 31 di Agosto, et l'altra per via di Monsignor di Tarentasa, del 1 di Settembre. Et quanto alla prima, con ogni prontezza starò a servir detto Monsignor Rmo di Vienna dovunque mi voglia commandar ; et quanto ad informarlo del stato delle cose, io l'ho fatto sin adesso et farò tuttavia più con [23] molta fedeltà ; ma è Praelato di tanto valore et prudentia, che volgendo l'occhio d' ogni intorno, da sè stesso scuopre et penetra sin nelle midolle del negotio.

            Sia laudato Iddio che queste occasioni occurrano nel pontificato di un Papa di tanto zelo, nella nunciatura di V. S. Illma, et che sia commesso un Prælato di tanto senno come è Monsignor di Vienna, quale, per la molta esperienza delle maniere nostre oltramontane, è singolarmente atto. Egli adunque glie manda la sua informatone, oltra alla quale non mi occorre altro se non che le cose vanno assai bene di qua et si sperano molto maggiori progressi, massime vedendo che Sua Beatitudine se le piglia a petto et ci vuol aiutare, cosa della quale ciè grandissimo bisogno. Nè si potrà mai far tanto che meglio non fosse di fare più, per sradicar l'infelice [24] albero, il quale, stendendo in tante parti del Christianesimo le velenose foglie, sta però quivi vicino radicato et piantato. Così fia a dì nostri che si possa dire : Jam securis ad radicem posita est.

            Perchè (sic) non comparendo il signor cavaglier Rufia, non si è potuto essequire il Breve di Sua Santità sin adesso ; per questo, et per altri importantissimi negotii, Monsignor Rmo Vescovo nostro si partì Domenica passata per andarsene alla volta di Annessi, credendo di passar quindi in Chiamberi per trattar con Sua Altezza Serenissima acciò si finisca horamai quello negotio fundamentale per questa opera, et che li curati, huomini di pezzo (sic) che qui s'affaticano, non habbino più quelle incommodità et bisogni che sin adesso han patito. Ma incontrando per strada il signor Governatore di questa provincia insieme con monsieur d'Avulli, liquali gli hanno dato nuova del dono di dodeci millia scudi dati da Sua Altezza per riscuotere il priorato di Sant' Hipolito di questa terra, con altri beni ecclesiastici per dotar il collegio già destinato de' Reverendi Padri Giesuiti, [25] onde egli è ritornato per farne fare la cessione alli possessori et spedir il negotio ; il che havendo fatto molto bene, parte domani per la prima impresa, lasciandome qui, sì per prædicar, già che non ciè altro predicatore, sì anco per darglie raguaglio delle occurrentie et servire Monsignor di Vienna.

            Scrivo al P. Provinciale de' Giesuiti per affretar la venuta delli sei Padri che Sua Santità vuole mantenere a spese sue, et son certissimo che li haveremo al principio del mese futuro ; cosa di moltissima consolatione per li pastori et per il popolo. Onde fia bisogno che senza indugio si mandino li denari in Chiamberi al P. Rettore del collegio, chiamato P. Stephano Bartolone, il qual poi li mandarà qui senz'altro. Questo sarà di giovamento singolarissimo per dar principio al collegio disegnato da [26] Sua Altezza, sin tanto che sia perfettamente stabilito et di edifitii et d' altre commodità senza lequali non si può dar così presto di mano nè alle lettioni, nè ad altri essercitii necessarii ; ma verrà supplita intanto la defettuosità con questa opportunissima missione. È vero che il P. Bernardino Castorio, il quale havendo predicato qui un pezzo partì la settimana passata, et è pur ritornato con Monsignor Rmo et se ne parte anco domani insieme con Sua Signoria Rma, mi ha detto che non solo saria bisogno di haver li denari nello istesso tempo che giungeranno qui li Padri della missione, ma sarebbe espediente che cie ne fosse prima per farglie il viatico dalli luoghi di donde partiranno sin qui.

            Non scriverò per ancora a V. S. Illma circa le circostanze necessarie da sapersi per la supplica præsentata da me concernente le præbende theologali, per non haver nè in carta, nè in memoria quante siano le badie et monasterii atti a supportar questa spesa ; ma essendo Monsignor Rmo in Annessi me ne mandarà essatta instruttione cavata dalli suoi libri di visita, et io subito ne darò distintissimo raguaglio a V. S. Illma et Rma, la quale io [27] supplico di perdonarme s'io glie scrivo così sconciatamente per esser distratto a moltissimi negotii.

Et prieghando Iddio Signor nostro che le dia la pienezza delle sue gratie per consolatione de molti, et in particolar di questa provincia, le bascio humilissimamente le reverendissime mani.

            Di V. S. Illma et Rma,

Divotissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            In Tonone, alli 23 di Settembre 99.

            Supplico a V. S. Illma di perdonarmi s'io ardisco di inviare l'alligata a Roma per mezzo suo, non havendo altro modo per la difficoltà de' passi.

All' Illmo et Revermo Sigr Padron mio colendissimo,

Monsigr l'Arcivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A. S.

Mondovi.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives Vaticanes. [28]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            J'ai reçu deux lettres de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime : l'une du 31 août, par Mgr le Révérendissime de Vienne, et l'autre du 1er septembre, par l'entremise de Mgr de Tarentaise. Quant à la première, je me mettrai avec toute diligence au service de Mgr de Vienne pour tout ce qu'il voudra me commander ; et quant à l'informer de l'état des choses, je l'ai fait jusqu'à présent et je le ferai toujours plus avec une entière fidélité ; mais c'est un Prélat [23] de tant de mérite et de prudence, que, jetant les yeux autour de lui, il découvre par lui-même et pénètre jusqu'aux moëlles de l'affaire.

            Dieu soit loué de ce que ces évènements se rencontrent sous le pontificat d'un Pape si zélé, pendant la nonciature de Votre Seigneurie, et que l'information soit confiée à un Prélat doué de tant de sagesse comme est Mgr de Vienne, qui, par la grande expérience qu'il a de nos mœurs ultramontaines, en est singulièrement capable. Il vous envoie donc son rapport, après lequel il ne me reste plus rien à dire, sinon que les choses vont assez bien ici, et que l'on espère de plus grands progrès à l'avenir, surtout en voyant que Sa Sainteté les prend à cœur et veut nous aider, ce dont nous avons un très grand besoin. On ne pourra jamais faire si bien qu'il ne soit mieux de faire [24] davantage encore pour déraciner l'arbre maudit, qui, étendant sur tant de parties du christianisme ses feuilles vénéneuses, est planté et enraciné tout près d'ici. Plaise à Dieu qu'on puisse dire en nos jours : Déjà la cognée est posée à la racine.

            M. le chevalier Ruffia ne paraissant pas, le Bref de Sa Sainteté n'a pu être jusqu'ici mis en exécution. Pour cette raison et d'autres affaires très importantes, Mgr notre Révérendissime Evêque prit Dimanche dernier la route d'Annecy, comptant passer de là à Chambéry, afin de traiter avec Son Altesse Sérénissime et terminer une bonne fois la négociation fondamentale de cette œuvre, en sorte que les curés, hommes de mérite qui se fatiguent ici, n'aient plus à souffrir les privations et les nécessités qu'ils ont endurées jusqu'à présent. Mais ayant rencontré en route M. le Gouverneur de cette province avec M. d'Avully, il reçut l'annonce du don de douze mille écus fait par Son Altesse pour racheter le prieuré de Saint-Hippolyte de cette ville, ainsi que plusieurs autres biens ecclésiastiques, afin de renter [25] le collège déjà destiné aux RR. PP. Jésuites. C'est pourquoi il est revenu ici pour faire exécuter cette cession aux propriétaires et terminer la négociation ; l'ayant heureusement achevée, il part demain pour effectuer son premier dessein, et me laisse ici soit afin de prêcher, puisqu'il n'y a pas d'autre prédicateur, soit pour l'informer de ce qui peut survenir, et servir Mgr de Vienne.

            J'écris au P. Provincial des Jésuites pour hâter la venue des six Pères que Sa Sainteté veut entretenir à ses frais ; je suis sûr que nous les aurons au commencement du mois prochain, ce qui sera une grande consolation pour les pasteurs et pour le peuple. Il est donc nécessaire que l'on envoie sans retard l'argent à Chambéry, au P. Recteur du collège, appelé P. Etienne Bartoloni, qui l'enverra ensuite ici sans autre délai. Ce sera un singulier avantage pour [26] ouvrir le collège projeté par Son Altesse, jusqu'à ce qu'il soit parfaitement pourvu de bâtiments et autres ressources, sans lesquelles on ne peut si tôt commencer les leçons et les autres exercices ; mais en attendant, la mission établie si à propos y suppléera. Le P. Bernardin Castorio, après avoir longtemps prêché ici, partit la semaine passée ; il est ensuite revenu avec Mgr le Révérendissime et repart encore demain avec Sa Seigneurie. Ce Père m'a dit, il est vrai, que non seulement il faudrait avoir l'argent au moment de l'arrivée des Pères de la mission, mais qu'il serait bon d'en avoir d'avance pour fournir aux frais de voyage depuis le lieu de leur résidence jusqu'ici.

            Je n'écrirai pas encore à Votre Seigneurie Illustrissime touchant les particularités nécessaires à connaître pour la supplique que j'ai présentée relativement aux prébendes théologales ; car je n'ai conservé ni dans mes papiers ni dans mes souvenirs le nombre des abbayes et des monastères capables de supporter cette dépense ; mais Mgr le Révérendissime étant à Annecy m'en enverra l'indication exacte, tirée de ses livres de visite, et aussitôt j'en donnerai un compte-rendu détaillé [27] à Votre Seigneurie, que je supplie de vouloir bien me pardonner si, étant distrait par une multitude d'affaires, je lui écris si mal.

            C'est en priant Dieu notre Seigneur de vous accorder la plénitude de ses grâces pour la consolation de plusieurs, et en particulier pour celle de cette province, que je baise très humblement vos mains vénérées.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            A Thonon, le 23 septembre 1599.

            Je supplie Votre Seigneurie Illustrissime de me pardonner si j'ose expédier à Rome par son entremise la lettre ci-jointe, n'ayant d'autre moyen à cause de la difficulté des passages. [28]

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CXXVIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Bonne harmonie qui règne entre l'Archevêque de Vienne et l'Evêque de Genève. — Espérances que fait concevoir le collège des Pères Jésuites

 

Thonon, 26 septembre 1599.

 

            Monseigneur,

 

            Suyvant le commandement que monsieur d'Avulli m'a porté de la part de Vostre Altesse de maintenir Monseigneur le Rme Evesque de Geneve en bonne intelligence avec Monsieur l'Archevesque Gribaldo, envoyé par nostre Saint Pere, il m'a semblé que je devois l'asseurer qu'il ne s'est jamais rien passé entre eux qu'avec toute sorte de discretion, amitié et fraternité. Et crois que Sa Sainteté n'aura que tres bonne satisfaction du rapport qu'il aura de l'estat de ces affaires ; mesmement apres ce bon commencement donné pour le college des PP. Jesuites, l'une des pieces fondamentales de tout ce saint edifice. Seulement seroit-il expedient de faire paroistre quelque peu d'acheminement pour l'heberge, puysque, comme j'ay apperceu, Sa Sainteté l'affectionne bien outre.

            Je prieray a jamais pour la prosperité de Vostre Altesse, delaquelle je suis et dois estre,    Monseigneur,

Tres humble et tres obeissant serviteur et sujet,

FRANÇOIS DE SALES,

Prævost de Geneve.

            A Thonon, 26 septembre 99.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [29]

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CXXIX. A M. Philippe de Quoex. Lettre reçue de M. de Quoex. — Recommandation en faveur de trois jeunes gentilshommes.

 

Thonon, 13 octobre 1599.

 

            Monsieur,

 

            Si je vous remerciois au long par escrit de la souvenance que vous aves de moy, selon vostre lettre receüe par les mains de monsieur le Præsident mon frere, je meriterois que vous ne leussies pas ma lettre, car vous seres tant empressé a recevoir et caresser ces jeunes gentilshommes nouveaux venuz, que vous n'aures pas le loisir de parler avec ma lettre. Aussi bien vous diront ilz tout ce que je vous sçaurois escrire. Faites donq seulement selon vostre courtoisie a apprivoiser avec Rome [30] ces patriottes, et croyes, sil vous plait, mon frere quand il vous dira que je suis tout entierement,

            Monsieur,

Vostre tres affectionné serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            Thonon, le 13 octobre 99.

Al molto Rdo Sigr mio osservandissimo,

Il Sigre Philippo de Quoex.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie. [31]

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CXXX. A Monseigneur Jules-César Riccardi Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Rupture des communications entre Annecy et Chambéry. — Libéralités du duc de Savoie pour le Chablais. — Arrivée d'un Père Jésuite à Thonon, où cinq autres sont encore attendus. — Les intérêts de la mission activement poursuivis à Rome.— Aumône faite par le duc à une protestante convertie. — Prochain départ de Son Altesse pour la France

 

Chambéry, 15 novembre 1599.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore,

 

            Venendo di Tonone in Chiamberi con speranza di far servitù a Monsignor Rmo di Geneva, son stato sforzato di fermarmi alquanto per strada per aspettar li memoriali, liquali erano necessarii per trattar varie cose in [31] questa corte, attinenti al servitio d'Iddio ; poichè detto Monsignor non poteva venire, per esser Annessi, dove si truovava, bandito del commercio di Chiamberi et altri luoghi dove sarà la persona del Prencipe. Non perchè in detto luogho di Annessi sia contaggio veruno, per gratia del Signore ; ma per solo rispetto della persona ducale, il qual richiede che nè anco da luoghi dove sia stato contagio, quantumque purgatissimi, debbano venir gente, per un pezzo doppo la quarantena, nella corte. Essendo poi giunto qui son andato ritardando di giorno in giorno di mandarglie le lettere et cose qui alligate, sperando di poterle inviare per mezzo del signor figluolo del Barone di Chivron, il quale si credeva di partir ogn' hora ; sin tanto che vedendo passar via il tempo, mi son risolto di non aspettar più, anzi dar più presto il plico alle mercè de' corrieri.

            Ho ricevuto una lettera di V. S. Illma et Rma del XIIIJº [32] di Ottobre, essendo per strada, et un'altra del 2 di questo mese, insieme con altre due alligate per Monsignor Arcivescovo di Vienna, alle quali ho dato pronto et sicuro ricapito. Glie ne mando altre due da detto Monsignore, una delle quali è vecchia assai più di quel ch'io havrei desiderato, per l'occasione sopradetta, et insieme il plano dissegno di Tonone.

            Per la prima di V. S. Illma et Rma vedo quanta consolatione hebbe del donativo fatto da Sua Altezza, del quale una gran parte è già in rerum natura et realmente fatto, poichè Sua Altezza ha riscosso il priorato di Tonone, col mezzo di sette miglia scudi, per esser applicato al collegio. L'altra parte, qual consiste nel riscuotere un decanato, non si può far realmente sin tanto che un gentilhuomo, il quale l' haveva comperato, sia venuto di Parigi ; il che si spera presto. Et se bene Sua Altezza va in Francia, io però stimo che haverà altri negocii senza pensar a questo particolare ; ma credo bene che non ripassarà i monti senza farlo.

            Il Padre Bartholone ha ricevuto li cento et otto scudi [33] mandatigli da V. S. Illma et Rma, et ha subito mandato un Padre prædicatore in Tonone, il qual giunse l' ultimo di Ottobre in detto luogho ; et ne fa venir altri sino a sei da diversi luoghi, liquali subito che giungneranno comminciaranno a far essercitio, sì nelle prædiche, sì anco nelle scuole, et io del giorno del loro arrivo darò avviso a V. S. Illma. Mando una lungha informatione a V. S. Illma circa la erettione delle præbende theologali, dalla quale Ella potrà cavare tutti li punti liquali ricercava da me. Se io sarò stato lungho in mandarla, la lontananza de' luoghi et badie delli quali io tratto n'è stato causa.

            Ho ricevuto l'assolutione per quelle povere anime che contrassero in terzo et quarto, et ne ringratio l'infinita carità di V. S. Illma. Dal P. Fra Cherubino non hò havuta lettera veruna sin adesso, ma solo dal R. Clerico, quale mi ha dato raguaglio delle cose che si trattano in Roma con molto fervor ; et sò che al zelo, bontà et prudenza di V. S. Illma se ne deve in ogni modo attribuire [34] il successo, il quale se sarà tale come io spero, sarà gloriosissimo a Sua Santità, honorevolissimo a V. S. Illma, instrumento massimo di tant' opra, utilissimo alla santa Chiosa, et massime a questi popoli, et quel ch'importa, gratissimo al Signor Iddio, se altro mai se ne vidde : Mons excelsus cervis, petra refugium herinaceis.

            Di Monsignor Rmo di Vienna non si può dire se non che, per mezzo della antiperistasi, piglia ogni hora nuovo vigore et si riscalda tuttavia più in questa nostra battaglia con ministri et hæretici, tanto più quanto gli è stato di gran sodisfattione di haver ricuperato a Christo un gentilhuomo suo nipote, il qual per tanto egli si è pigliato in casa.

            Ho ottenuto da Sua Altezza una limosina di trenta scudi d'oro per viatico di una donna milanese laquale, uscita di Geneva con tre figluoli (sic) maschi et quattro figluole già nubili, vuole ritornarsene catholica in Milano ; ma non credo che possa così presto passare. Et prima [35] bisognarà haver sicurtà della Inquisitone, onde se occorrerà, io in questo caso mi prævalerò della carità di V. S. Illma appresso l'inquisitori.

            Quì, se ben siamo in corte, non habbiam altre nuove senon che Sua Altezza parte per Francia al 25 di questo mese ; però con libertà di mutatione se occorrerà. Si mormora grandemente che in Geneva si tratta di ricevere l'essercitio catholico in una chiesa, et Sua Altezza mi promette ogni sorte di provisione per il Chiablais, havendone commandate le lettere et altre scritture necessarie, et li ministri servitori di Sua Altezza mostrano assai più calore dell' ordinario ; onde io vado sperando che questo anno sarà et di Giubilæo et di giubilo grandissimo, ma vi vuol aiuto grande, caldo et perseverante.

            Solo mi resta a dire a V. S. Illma con quella confidentia che mi ha concessa per bontà sua et prieghandola di non farne consapevole altri, che a Sua Altezza è parso un poco strano di non esser avvertita prima d' ogn' altro delle cose di Tonone come passano in Roma, con raguaglio minutissimo, et così me ne son avveduto dalle sue [36] parole circa questo negotio ; del restante, egli mostra di esser affettionatissimo a quella impresa. Darò poi a V. S. Illma raguaglio di quanto havero operato, inanzi che io mi parta da questa terra.

            Pertanto, prieghando il Signor Iddio per la salute di V. S. Illma et Rma a giovamento della Chiesa, la ringratio con ogni humiltà de' tanti favori fatti et al publico della mia patria et a me singolarmente, et basciandoli le mani reverendissime, glie faccio humilissima riverenza.

            Di V. S. Illma et Rma,

Divotissimo et humilissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            In Chiamberi, alli 15 di Novembre 99.

            Monsignor Rmo di Geneva mi ha commandato di basciar a V. S. Illma le mani con ogni humiltà a nome suo, et così faccio.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives Vaticanes. [37]

 

 

 

            Illustrissime et Reverendissime Seigneur,

 

            Venant de Thonon à Chambéry dans l'espoir de me rendre utile à Mgr de Genève, j'ai été contraint de m'arrêter quelque temps en chemin afin d'attendre les mémoires nécessaires pour traiter en cette [31] cour différentes choses touchant le service de Dieu ; car Monseigneur ne pouvait s'y rendre, vu qu'à Annecy, où il se trouvait, les communications sont interrompues avec Chambéry et avec tous les autres lieux où ira le prince. Non pas que la contagion soit à Annecy, par la grâce de Dieu ; mais le seul respect dû à la personne du prince exige que nul venant des lieux qui ont été infectés, encore qu'ils soient entièrement purifiés, ne se présente à la cour que longtemps après la quarantaine. Etant enfin arrivé ici, j'ai tardé de jour en jour à expédier les lettres et les pièces ci-incluses, espérant les envoyer par le fils du baron de Chevron qui se croyait toujours sur le point de partir ; mais voyant passer le temps, j'ai résolu de ne plus attendre et de livrer plutôt le pli aux courriers.

            J'ai reçu en route une lettre de Votre Seigneurie Illustrissime et [32] Reverendissime du 14 octobre, et une autre du 2 de ce mois, ainsi que deux autres qui y étaient jointes, pour Mgr l'Archevêque de Vienne auquel je me suis empressé de les faire parvenir sûrement. Je vous en envoie deux autres dudit Monseigneur dont l'une, pour le motif ci-dessus mentionné, est de plus vieille date que je ne l'aurais désiré, et en même temps le plan de Thonon.

            Par la première lettre de Votre Seigneurie je vois la consolation qu'Elle a éprouvée du don fait par Son Altesse ; une grande partie est déjà effectuée et versée, car Son Altesse a racheté, au prix de sept mille écus, le prieuré de Thonon qui est destiné au collège. L'autre partie doit être employée à recouvrer un doyenné, ce qui ne peut se faire jusqu'à ce que le gentilhomme qui l'avait acheté soit revenu de Paris : ce retour, on l'espère, sera prochain. Et quoique Son Altesse aille en France, j'estime pourtant qu'elle aura assez d'autres affaires sans penser à ce détail ; je crois cependant qu'elle ne repassera pas les monts sans s'en occuper.

            Le P. Bartoloni a reçu les cent huit écus expédiés par Votre [33] Seigneurie Illustrissime ; il a aussitôt envoyé à Thonon un Père prédicateur, qui y est arrivé le dernier jour d'octobre. Il en fera venir d'autres de différents lieux jusqu'au nombre de six, lesquels commenceront immédiatement à se mettre à l'œuvre, soit dans la prédication, soit dans l'enseignement. J'avertirai Votre Seigneurie du jour de leur arrivée. Je vous envoie une longue information au sujet de l'érection des prébendes théologales ; vous y trouverez tous les renseignements que vous désiriez de moi. Si j'ai été longtemps avant de l'expédier, la distance des lieux et des abbayes dont je parle est la seule cause de ce retard.

            J'ai reçu l'absolution pour ces pauvres âmes qui ont contracté mariage au troisième et quatrième degré, ce dont je remercie l'infinie charité de Votre Seigneurie Illustrissime. Jusqu'ici je n'ai eu aucune lettre du P. Chérubin mais seulement de Révérend Clerici, qui m'a renseigné sur les affaires que l'on traite à Rome avec beaucoup d'ardeur. Je sais que c'est au zèle, à la bonté et prudence de Votre Seigneurie que l'on doit de toute façon en attribuer le succès ; s'il est [34] tel que je l'espère, il sera très glorieux à Sa Sainteté, très honorable à Votre Seigneurie, principal instrument d'une si grande œuvre, très utile à la sainte Eglise, particulièrement à ces populations ; et, ce qui importe davantage, plus agréable au Seigneur notre Dieu que tout ce que l 'on a vu par le passé : Ce sera une montagne élevée pour les cerfs, un rocher de refuge aux hérissons.

            On ne peut dire autre chose de Mgr le Révérendissime de Vienne sinon que, par antipéristase, il prend toujours nouvelle vigueur et s'échauffe d'autant plus dans le combat contre les ministres et les hérétiques qu'il a eu la grande satisfaction de ramener à Jésus-Christ un gentilhomme, son neveu, lequel en conséquence il a retiré chez lui.

            J'ai obtenu de Son Altesse une aumône de trente écus d'or pour les frais de voyage d'une femme milanaise qui, étant sortie de Genève aces trois fils et quatre filles en âge de se marier, veut retourner catholique à Milan ; mais je ne crois pas qu'elle puisse passer de [35] si tôt. Avant tout il faudra, s'il est nécessaire, la mettre en sécurité à l'égard de l'Inquisition, et, dans ce cas, je me prévaudrai auprès des inquisiteurs de la charité de Votre Seigneurie Illustrissime.

            Bien que nous soyons ici à la cour, nous ne savons aucune nouvelle sinon que Son Altesse partira pour la France le 25 de ce mois ; toutefois, cette date pourra être changée si les circonstances l'exigent. Il est grandement question d'admettre l'exercice du culte catholique dans une église de Genève. Son Altesse m'a promis toutes sortes de provisions pour le Chablais, ayant commandé les lettres d'expédition et autres papiers nécessaires, et ses ministres montrent plus d'empressement qu'à l'ordinaire ; c'est pourquoi j'espère que nous aurons cette année et le Jubilé et une jubilation très grande, mais nous avons besoin d'un secours puissant, efficace et persévérant.

            Il ne me reste plus autre chose à communiquer à Votre Seigneurie sinon de la prévenir, avec cette confiance que sa bonté me permet, et la priant de n'en rien dire à personne, que Son Altesse a trouvé un peu étrange de n'avoir pas été mise au courant avant tout autre, d'une manière exacte et très circonstanciée, de la manière dont les [36] affaires de Thonon sont traitées à Rome ; je m'en suis aperçu par quelques mots relatifs à ce sujet ; au reste, le prince se montre très affectionné à l'entreprise. Avant de partir de cette ville j'informerai Votre Seigneurie de ce que j'aurai pu faire.

            En attendant je prie Dieu notre Seigneur pour la santé de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime si utile à l'Eglise. Je la remercie bien humblement de tant de faveurs accordées à mes compatriotes et particulièrement à moi. En baisant ses mains vénérées, je lui fais très humble révérence.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué et très humble serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            A Chambéry, le 15 novembre 1599.

            Mgr de Genève m'a ordonné de baiser en toute humilité les mains de Votre Seigneurie en son nom ; c'est ce que je fais. [37]

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CXXXI. Au même (Minute inédite). Ordres donnés par le duc de Savoie en faveur de la maison de refuge projetée à Thonon. — Il est urgent que les pouvoirs spéciaux concédés aux missionnaires ne soient pas suspendus pendant l'année du Jubilé. — Procès relatif à la cure du Petit-Bornand

 

Chambéry, 9 décembre 1599.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore mio osservandissimo,

 

            Doppo l'ultima mia scritta a V. S. Illma et Rma non è succeduto altro circa le cose nostre de Chiablais, da quel in poi che Sua Altezza ha commandato al suo Senato et alla Camera di verificare tutti gl' ordini dati da lei un anno fa, ad istanza del Padre Fra Cherubino, per la casa di refugio di Tonone ; et ha grandissima intentione di voler abbracciare quell' opera con ambedue le braccia, havendo dato carico a monsieur d'Avulli di haverne cura. Scrissi a V. S. Illma che in Tonone era giunto un Padre Giesuita, prædicatore ; adesso ve ne sonno duoi, perchè [38] no giunse un altro il giorno di sant'Andrea, et ben presto v'andaranno gli altri mandati da Avignone.

            Il Padre Rettore de' Giesuiti m'ha proposto questo scrupolo circa le concessioni dateci per assolvere gl'hæretici, cioè, che nella vigilia di Natale dell'anno Giubilseo Sua Santità suole derogare generalmente a tutti li privilegii dati et concessi per lo inanzi. Io non credo che per questo Sua Santità voglia suspendere li nostri, essendo che sono non meno necessarii, anzi più questo anno che in ogni altro tempo, et le parole nelle quali ci sono concessi non patiscono derogatione generale ; onde li usarò senz'altro dubbio, nel nome del Signore. Ma per torre ogni difficoltà, si supplica V. S. Illma di farne giudicio.

            Hebbi per mezzo di Bolle sub plumbo da Sua Santità, sonno duoi anni passati, la parrochia di Bornando, con dispensatione della incompatibilità della Propositura cujus fructus nulli sunt. Et essendo però nominato et eletto nel concorso, secondo la forma del santo Concilio Tridentino, dall'altro canto il fratello del prædecessore [39] curato mi ha mosso lite, con una semplice signatura per resignationem infirmi, la data della quale fu pigliata trentasei giorni doppo la morte, senza consenso veruno a dorso et doppo la celebratione di detto concorso. Dove questo nostro Senato mi ha condemnato nel possessorio questa mattina, con quel solo fundamento che la resignatione, non ostante la morte præcedente et il diffetto del consenso, era nientedimeno buona. Onde io ricorro alla Santa Sede per haverne ragione nel petitorio, et ne scrivo con questo plico [che] la supplico di voler inviare in Roma. Il che mi è parso di dover scrivere a V. S. Illma perciochè, sì come per mezzo della bontà sua hebbi la gratia di Nostro Signore, così anco haverò bisogno delli suoi favori nel progresso del processo, il quale io mi risolvo di promovere per non lasciar la porta aperta alle fraudi che si fanno in pregiudicio del concorso, a che poco attende questo nostro buon Senato. Ma vedo che sarò constretto di mandare a V. S. Illma amplissima instruttione delle mie ragioni, onde per adesso non occorre di farne più altra mentione.

            Sua Altezza Serenissima partì Martedì da Lyone con [40] grandissime accoglienze. Li Genevrini stimano che Sua Santità faccia instanza estrema appresso il Re Christianissimo per fare che diano libertà agl' essercitii catholici nella loro città, et mostrano molti di desiderarlo, se ben altri fanno vista di più presto darsi la morte. Io spero che con questo viaggio si risolveranno tutte le cose circa quelli particolari.

            Domani io vado in Annessi, per andar poi, se occorrerà, in Tonone a far le feste, et sarò diligentissimo a darglie ragguaglio delle occurrenze. Intanto pregho il Signore Iddio che dia ogni vero contento a V. S. Illma et Rma, alla quale con ogni humiltà bascio le mani, supplicando che mi perdoni se con tanta libertà ardisco di proporgli le cose che me toccano in particolare, poichè la sua somma et già tante volte provata amarevolezza (sic) mi dà animo in queste occasioni...

            Da Chiamberi, alli 9 Decembre 1599.

All' Illmo et Rmo Padron et Sigre mio osservandissimo,

Il Sigre Arcivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A. Serenma.

Turino.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [41]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Reverendissime Seigneur,

 

            Depuis ma dernière lettre à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime rien de nouveau n'est survenu dans les affaires du Chablais, sinon que Son Altesse a commandé au Sénat et à la Chambre de vérifier tous les ordres que, sur les instances du P. Chérubin, elle a donnés il y a un an pour la maison de refuge de Thonon. Son Altesse a une très ferme intention d'embrasser cette œuvre des deux bras, ayant chargé M. d'Avully d'en prendre soin. J'ai écrit à Votre Seigneurie qu'un Père Jésuite prédicateur s'était rendu à Thonon ; maintenant ils sont deux, car un de ses confrères l'a rejoint le jour [38] de saint André, et bientôt arriveront les autres qui nous sont envoyés d'Avignon.

            Le P. Recteur des Jésuites m'a soulevé une difficulté touchant les pouvoirs qui nous ont été concédés pour absoudre les hérétiques ; à savoir, que la veille de Noël de l'année jubilaire Sa Sainteté a coutume de déroger généralement à tous les privilèges précédemment accordés. Je ne crois pas pourtant que Sa Sainteté veuille suspendre les nôtres, qui non seulement ne sont pas moins nécessaires cette année qu'en tout autre temps, mais qui le sont même davantage. Les termes dans lesquels ils nous sont accordés ne souffrent pas de dérogation générale, de sorte que je m'en servirai sans crainte au nom du Seigneur ; mais pour trancher toute difficulté, Votre Seigneurie Illustrissime voudra bien en juger Elle-même.

            Il y a deux ans que Sa Sainteté par Bulles sub plumbo me pourvut de la cure du Petit-Bornand, avec dispense de l'incompatibilité de la Prévôté dont les revenus sont nuls. Et cependant, bien que j'aie été nommé et élu au concours, selon les prescriptions du saint Concile de Trente, le frère du curé mon prédécesseur m'a suscité un procès, [39] se basant sur une simple signature [donnée en Cour de Rome] à raison de résignation pour cause de maladie, dont la date est postérieure de trente-six jours à la mort dudit curé, sans aucun consentement indiqué au dos de la pièce et après la tenue dudit concours. En conséquence, notre Sénat m'a condamné ce matin, au possessoire, sous ce seul prétexte, que la résignation, malgré la mort antécédente et le défaut de consentement, était néanmoins valable. Partant j'ai recours au Saint-Siège pour en avoir raison au pétitoire, et je dépose sous ce pli ma lettre que je vous supplie d'expédier à Rome. J'ai cru devoir informer de tout cela Votre Seigneurie Illustrissime ; car ayant obtenu par sa bonté cette grâce de notre Saint-Père, de même ai-je besoin de ses faveurs pour la suite du procès que je me propose de poursuivre, afin de ne pas ouvrir la porte aux fraudes qui se font au préjudice du concours ; ce dont notre bon Sénat se soucie fort peu. Mais je vois que je serai obligé d'envoyer à Votre Seigneurie une très ample relation de mes raisons, c'est pourquoi il n'est pas nécessaire d'en dire davantage pour le moment.

            Son Altesse Sérénissime est partie mardi de Lyon, où elle a été [40] grandement fêtée. Les Genevois croient que Sa Sainteté fait d'extrêmes instances auprès du roi très chrétien pour obtenir le libre exercice du culte catholique dans leur ville. Un grand nombre paraissent le désirer, bien que d'autres fassent semblant de vouloir plutôt se donner la mort. J'espère que, grâce à ce voyage, on résoudra tout ce qui se rattache à ces questions.

            Je me rends demain à Annecy, afin d'aller ensuite à Thonon pour les fêtes, si c'est nécessaire, et je m'empresserai de vous renseigner selon les occasions. En attendant je prie Dieu d'accorder toutes sortes de contentements à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, à qui je baise les mains en toute humilité, la suppliant de me pardonner si j'ose lui exposer avec tant de liberté les choses qui me sont personnelles ; mais les témoignages d'extrême bienveillance tant de fois reçus m'encouragent en ces rencontres...

            De Chambéry, le 9 décembre 1599. [41]

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Année 1600

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CXXXII. Au Cardinal César Baronius (Minute inédite). Bienveillance du Saint-Siège pour la mission du Chablais. — Joie de savoir le Cardinal nommé protecteur de cette œuvre.

 

Thonon, janvier 1600.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor Padrone mio colendissimo,

 

            Se la difficile et laboriosa impresa della conversione di queste provincie non procedeva da Dio, già un pezzo fa che sarebbe andata in ruina, essendo che non sonno mancati impedimenti et ostacoli, di numero et qualità [42] tali, che da consiglio humano non potevano esser superati. Ma se sin adesso sua divina Bontà ha dato segno del suo favore sopra questa opera, a me pare che questo sia segnalatissimo et certissimo : cioè, che il Sommo Pontefice se pigli quella cura et sollecitudine che suole havere nelle cose concernenti il servitio del Salvatore, del quale egli è luoghotenente in terra.

            Et in questo divino beneficio si scopre ancora particolar saggio della suprema Providentia in quella che Sua Beatitudine è stata inspirata di stabilire V. S. Illma et Rma per protettore di questa importantissima opera ; poichè più vivo et animato difensore et promotore non si poteva desiderare fra quelli fortissimi et valorosi che circondano il santo letto di Salomone : sì che è chiaro horamai che Christo, per mezzo della Santa Sede, ci vuole essere Dio protettore et casa di refugio. [43]

            Onde, vedendo il dissegno efficace et il saldo fondamento di questo muro per la casa d'Israele in questi confini de' Philistei, ne laudo prima sua divina Bontà, et ringratio con ogni humiltà V. S. Illma et Rma delli tanti aiuti colli quali s'è adoperata et se adopra tuttavia per questo santo edificio ; de' quali favori suoi io hebbi non solo speranza buona, ma etiandio certissima caparra, quando Ella si degnò di abbracciare con tanta efficacia quelli altri negotii, pur santi essi, quali io trattai poco fa appresso di Essa.      

            Supplicando per questo humilissimamente V. S. Illma et Rma che voglia continuare quello suo paterno affetto verso questi poveri popoli, prego con tutto l'animo sua divina Maestà che verso di lei continui et aggrandisca le sue gratie et [la] conservi lungamente a beneficio della santa Chiesa ; et con devotione bascio le sue reverendissime mani.

            Di V. S. Illma et Rma,

Divotissimo et humilissimo servitore.

            Da Tonone.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [44]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Si l'œuvre difficile et laborieuse de la conversion de ces provinces ne provenait de Dieu, il y a longtemps qu'elle serait ruinée ; car les empêchements et les obstacles n'ont point manqué, et ils ont été en si grand nombre et de telle nature qu'ils n'auraient jamais pu [42] être surmontés par des moyens humains. Mais si la divine Bonté a donné jusqu'à présent des témoignages de protection à cette œuvre, il me semble qu'en voici un très signalé et très certain, à savoir, que le Souverain Pontife en prenne le soin et la sollicitude qu'il a coutume d'avoir pour ce qui touche le service du Sauveur, dont il est le lieutenant sur la terre.

            Et, en ce bienfait divin, la bonté de la souveraine Providence se montre aussi d'une manière spéciale en ce que Sa Sainteté a été inspirée de destiner Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime pour protectrice de cette œuvre si importante. On ne pouvait, en effet, désirer un plus ardent et vigoureux défenseur et promoteur parmi ces forts et vaillants qui entourent le lit sacré de Salomon ; de sorte qu'il est désormais évident que le Christ veut, par l'entremise du Saint-Siège, nous être un Dieu protecteur et une maison de refuge. [43]

            Voyant donc le projet arrêté et le fondement solide de ce mur pour la maison d'Israël dans ces confins des Philistins, j'en loue d'abord la divine Bonté ; je remercie ensuite en toute humilité Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime des secours si nombreux qu'Elle a accordés et qu'Elle accorde encore à ce saint édifice. Pour moi, non seulement j'ai beaucoup espéré ces faveurs, mais j'en ai reçu même le gage très assuré lorsque, traitant naguère auprès de vous d'autres affaires également saintes, vous daignâtes les embrasser avec tant d'ardeur.

            C'est pourquoi je supplie très humblement Votre Seigneurie de vouloir conserver son affection paternelle à ces pauvres populations. Priant de toute mon âme la divine Majesté de continuer et augmenter ses grâces en votre endroit et de vous conserver longuement pour le bien de la sainte Eglise, je baise avec dévotion vos mains vénérées.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué et très humble serviteur.

            De Thonon. [44]

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CXXXIII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute). Réception de plusieurs lettres. — Eloge de quelques ecclésiastiques. — Les bonnes intentions du duc de Savoie en faveur du chanoine Nouvellet restent sans effet

 

Annecy, 17 janvier 1600.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore,

 

            Mi vennero insieme due lettere di V. S. Illma et Rma l'ultimi giorni de l'anno passato : una del 7 di Decembre et l'altra per duplicato di una præcedente del 20 di Ottobre, colla copia della lettera scrittagli dal P. Fra Cherubino da Roma alli 2 dell'istesso mese di Ottobre (delli quali duplicato et copia, li originali non mi sonno mai giunti nelle mani), et una altra del 7 di Decembre, pur nell'istesso plico, et mentre mi ritrovai ammalato di un poco di febre, della quale però io son stato libero in poco tempo.

            Nella lettera del Padre Cherubino vedo due cose : una [45] è la risposta che egli fa alli punti ricercati da Nostro Signore, circa laquale, già che la rilatione mandata da Monsignor Arcivescovo di Vienna è assai più distinta et copiosa, non mi par di poter dire altro senon che intorno all'articolo delli sogetti ecclesiastici, cie ne sonno moltissimi altri valenti, delli quali parte si è scordato il Padre Cherubino, et parte non li conosce per esser venuti doppo la sua partenza : come sonno li canonici Deagio, Grandis, Gottrio, Bochuto, tutti dottori et letteratissimi ; oltra alli quali ne habbiamo altri che se ben non sonno dottori, sonno però molto letterati, et altri in numero che quest' anno si addotoreranno in Avignone ; atalche, circa questo, non mi par che vi fosse difficoltà veruna.

            Ma in questo restiamo inchiodati, che non ciè modo nessuno di dar a questi valenti huomini ricapito conveniente alle loro qualità et essercitii ; sì come per esperienza [46] si vede nel signor Nouveletto, del quale scrive il P. Cherubino, il quale havendo fatto venir per mille scudi de libri, con intentione di usar il restante de gl'anni suoi a benefìcio della patria sua, non ha potuto ancor aprire detti libri, nè adoperar il suo valore, per mancamento de commodità ; perchè, con tutto ciò che sia canonico della Chiesa di Geneva, essendo valetudinario et già di cinquanta cinqu'anni, nientedimeno, eccetto la fame, patisce gran povertà, sì come farebbono tutti gl' altri se non havessero ricorso dalle loro case paterne. E vero che Sua Altezza havendolo sentito nominare lo volse vedere et sentire, et cavatone gran gusto disse che glie voleva dar dugento scudi di pensione sopra la badia di Pignerolo, et fra tanto che scriverebbe all'Abbate di Abondanza acciò [47] che delle cinque o sei præbende vacanti della sua badia, lequali sonno dalli negotiatori messe in corbonam, ne fossero date due al detto dottor per questo anno. Ma tutti questi favori non sonno altro che segni della bontà del Prencipe, et del restante cibi de cameleone.

            Et questo ho volsuto dire a V. S. Illma per sommaria ragione de l'impedimento del progresso del servitio d'Iddio in queste bande. Onde si può dire col P. Cherubino, che essendovi il modo potria farsi una buona et utile opra in questa diocæsi, et far come un seminario de sacerdoti da prævalersene in ogni occorrenza, massime in questi contorni.

            Ma circa questi buoni popoli, habbiamo già celebrato solennemente la festa delle concettioni con tutte le ottave ; voglia Iddio che possiamo celebrar la festa del parto et nascimento, al meno in questo anno Jubilæo. …

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [48]

 

 

 

            Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Deux lettres de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime me sont arrivées simultanément les derniers jours de l'année passée : l'une est du 7 décembre, l'autre est le duplicata d'une lettre précédente du 20 octobre, avec la copie de celle que le P. Chérubin vous écrivit de Rome le 2 du même mois d'octobre (les originaux de ce double et de cette copie ne sont jamais tombés entre mes mains), et, dans le même pli, une autre lettre datée du 7 décembre. J'étais alors malade d'une petite fièvre dont j'ai été cependant bientôt débarrassé.

            Je vois deux choses dans la lettre du P. Chérubin. La première est [45] sa réponse aux questions posées par notre Saint-Père. Or, puisque le rapport envoyé par Mgr l'Archevêque de Vienne est bien plus clair et étendu, il me semble ne pouvoir rien ajouter à cette réponse sinon en ce qui concerne nos ecclésiastiques. Il y en a beaucoup d'autres fort recommandables. Le P. Chérubin a oublié les uns, et il ne connaît pas les autres parce qu'ils sont venus après son départ : tels les chanoines Déage, Grandis, Gottry, Bochut, tous docteurs et très savants. Outre ceux-ci, nous en avons plusieurs qui, sans être docteurs, sont cependant très instruits, et d'autres en assez grand nombre qui prendront leurs grades cette année à Avignon. Il me semble donc que ce point ne présente aucune difficulté.

            Mais ce qui nous arrête c'est que nous n'avons nul moyen de procurer à ces hommes de mérite un logement convenable à leur [46] condition et à leur office. On le voit par expérience pour M. Nouvellet, dont le P. Chérubin parle dans sa lettre. Il a fait venir pour mille écus de livres, avec intention d'employer les années qui lui restent au bien de sa patrie, et cependant, faute de ressources, il n'a pas encore pu ouvrir ces livres ni utiliser son savoir ; car, bien qu'il soit chanoine de l'Eglise de Genève, néanmoins, étant maladif et âgé déjà de cinquante-cinq ans, il endure, à la faim près, une grande pauvreté. Il en serait de même de tous les autres s'ils n'avaient recours à leurs familles. Son Altesse, il est vrai, ayant entendu nommer M. Nouvellet, a voulu le voir et l'entendre, et en ayant été très satisfaite, elle a dit vouloir lui attribuer deux cents écus de pension sur l'abbaye de Pignerol. En attendant elle pensait écrire à l'abbé d'Abondance afin qu'il donne audit docteur, pour cette [47] année, deux des cinq ou six prébendes vacantes de son abbaye, lesquelles sont mises dans le trésor commun par les administrateurs. Mais toutes ces faveurs ne sont que des témoignages de la bonté du prince et, du reste, aliment de caméléon.

            J'ai voulu dire ceci à Votre Seigneurie Illustrissime pour lui exposer sommairement les obstacles qui s'opposent au progrès du service de Dieu dans ces contrées. C'est pourquoi on peut dire avec le P. Chérubin que, le moyen étant donné, il y aurait à faire une œuvre bonne et utile dans ce diocèse, en fondant une espèce de séminaire de prêtres qu'on pourrait employer en toute occasion, particulièrement dans les alentours.

            Quant à ces bonnes populations, nous avons déjà célébré solennellement la fête de la conception avec toutes les octaves ; plaise à Dieu que nous puissions célébrer la fête de l'enfantement et de la naissance, au moins en cette année du Jubilé ! … [48]

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CXXXIV. A M. Aaron Pothon  (Inédite). Demande de pièces nécessaires à la poursuite d'un procès.

 

Annecy, 15 mai 1600.

 

            Monsieur,

 

            Cependant que j'ay suivi le proces que j'ay eu avec messire Nicolas Balli pour la parrochiale du Petit Bornand par devant les juges lais pour le possessoire, j'ay laissé en surseance la poursuitte de l'adjournement que j'avoys eu a Vienne des que maistre Coquin se presenta pour moy et vous constitua mon procureur, il y a environ deux ans. Maintenant, desirant reprendre les arremens dudit proces, auquel je m'estois præsenté, je vous supplie de m'envoyer les lettres necessaires a ces fins pour, au moyen d'icelles, poursuivre par apres mon droit ainsy que je seray conseillé. Et je vous tiendray tres bonne et entiere rayson de toute la despense que vous m'accuseres par vostre lettre que j'attens en response de la præsente, par voye de monsieur de Medio, chanoyne a Lion.

            A tant je vous salue tres affectionnement, demeurant,

            Monsieur,

Vostre affectionné serviteur,

FRANCS DE SALES,

Prævost de St Pierre de Geneve.

            A Annessi, le 15 may 1600.

            A Monsieur

            Monsieur Aaron Potton, Procureur a Vienne.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Romans. [49]

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CXXXV. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Dangers que courent les Catholiques du Chablais ; leur constance en face du péril. — Indisposition de Mgr de Genève. — L'Archevêque de Vienne expulsé par les Valaisans

 

Annecy, 26 août 1600.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo signor Padron colendissimo,

 

            Fra tante afflittioni con le quali si è compiaciuto Iddio di castigare i peccati nostri, non mi resta per scrivergli altro senon che in questa infermità si è mostrata la virtù divina nella costanza delli nostri convertiti di Tonone, liquali, minacciati hora dalle scorrerie di Geneva, hora da Berna, sonno però restati saldi nella religione santa. È vero che sin adesso non han patito se non minaccie, poichè non si sonno dati in campagna quelli heretici. Ma la paura che si ha che dal Ré non vengano [50] adoprati quelli infedeli, era bastevole a far ogni gran commotione nelli deboli petti de' convertiti. Et in questo si conchiude la maggior sollecitudine c'habbino li pastori destinati per quelle pecorelle ; già che l'altre cose non sonno sottoposte alla loro consideratione.

            Monsignor Rmo Vescovo è sin adesso assai ammalato, parte delle fatighe portate il mese passato in Chiablais, parte di dispiacere della mala strada che pigliano le cose di qua. Monsignor di Vienna si era ritirato in un luogho di questa diocesi il quale è, secondo la giurisditione temporale, parte di Savoia, parte de' Valesani ; ma detti Valesani gl' hanno fatto intimare ch' egli habbia da partirsene, sotto pena della confiscatione delle cose che si ritrovaranno nelle loro terre. Li Padri della missione sonno pur ancora in Chiablais, se bene dispersi in varii luoghi per il dubbio de' Genevrini et Bernesi. Li curati, per la maggior parte, sonno nelle loro chiese, se bene alcuni timidi si sonno ritirati per vedere a che termine capitaranno le cose.

            Li passi stando occupati come stanno, sarà cosa [51] difficilissima di scrivere a V. S. Illma tanto spesso come si converrebbe ; tuttavia io ne cercarò ogni occasione, non stimando poca consolatione in queste miserie se io posso rappresentarme spesso nella sua memoria et gratia.

            Pregilo il Signor Iddio che le dia ogni vero contento, et facendogli humilissima riverenza gli bascio le reverendissime mani.

            Di V. S. Illma et Rma,

Divotissimo et humilissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            In Annessi, alli 26 Agosto 1600.

            Io supplico il signor Secretano di V. S. Illma che si degni inviare il plico qui alligato.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Rome, Archives Vaticanes. [52]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Au milieu de tant d'afflictions par lesquelles il a plu à Dieu de châtier nos péchés, il ne me reste autre chose à vous écrire sinon qu'en cette infirmité, la vertu divine s'est montrée par la constance de nos convertis de Thonon. Menacés tantôt par les incursions des Genevois, tantôt par celles des Bernois, ils sont cependant demeurés fermes en notre sainte religion. Il est vrai que jusqu'ici ils n'ont eu à souffrir que des menaces, car ces hérétiques ne se sont point mis en campagne. Mais la crainte que le roi ne vînt à employer ces [50] infidèles eût été suffisante pour ébranler considérablement le faible courage des convertis. C'est ce qui inspire la plus grande inquiétude aux pasteurs destinés à la garde de ces brebis ; car le reste n'est pas de leur ressort.

            Mgr notre Révérendissime Evêque est encore assez malade, soit par suite des fatigues endurées en Chablais le mois dernier, soit à cause du chagrin qu'il éprouve en voyant nos affaires s'engager en une aussi mauvaise voie. Mgr de Vienne s'était retiré en un lieu de ce diocèse, qui appartient, quant à la juridiction temporelle, partie à la Savoie et partie aux Valaisans ; mais ceux-ci lui ont fait intimer l'ordre de se retirer, sous peine de confiscation des biens qu'il possède sur leur territoire. Les Pères de la mission sont encore en Chablais, quoique dispersés en différents endroits par crainte des Genevois et des Bernois. La plupart des curés restent dans leurs paroisses, bien que quelques-uns des plus timides se soient retirés pour voir comment finiront les choses.

            Les passages étant occupés comme ils le sont, il sera très difficile [51] d'écrire à Votre Seigneurie Illustrissime aussi souvent qu'il conviendrait ; néanmoins, j'en chercherai toutes les occasions, car parmi ces calamités je ne tiens pas pour une petite consolation de pouvoir me rappeler fréquemment à son souvenir et à sa bienveillance.

            Je prie le Seigneur notre Dieu de vous donner tout vrai contentement, et, vous faisant très humble révérence, je baise vos mains vénérées.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué et très humble serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            A Annecy, le 26 août 1600.

            Je supplie M. le Secrétaire de Votre Seigneurie Illustrissime de vouloir bien expédier le pli ci-joint. [52]

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Année 1601

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CXXXVI. A Monseigneur Claude de Granier, Évêque de Genève. Envoi de deux lettres. — Aggravation de la maladie de M. de Boisy

 

Sales, 19 janvier 1601.

 

            Monseigneur,

 

            Sur la lettre que monsieur de Sanci m'escrivoit pour me rendre solliciteur aupres de vous de son intention, j'ay ouvert celle quil vous escrivoit, appuyé tant sur la creance qu'il vous plait prendre en la fidelité de l'affection que j'ay a vostre service, qu'aussi sur la crainte que j'avois que ce ne fut pour chose qui meritast que j'allasse aupres de vous pour en entendre vos commandemens. Mais voyant que le sujet ne portoit point ceste presse, je vous envoye les deux lettres et demeure icy au devoir que j'ay au service de mon pere, lequel de jour a autre avance a grans pas a l'autre vie, s'affoiblissant tellement en cellecy que, si Dieu ne nous preste sa main miraculeuse, je me vois dans peu de jours privé de la [53] consolation que, avec toute ceste mayson, j'ay tous-jours eu en la presence de ce bon pere. Or Dieu, qui est Seigneur de nos vies, soit a jamais loué de toutes ses volontés.

            Je le prieray tous-jours pour vostre prosperité, puysque j'ay cest honneur d'estre advoüé,             Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant filz et serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            A Sales, ou ma mere avec tous les siens et mon pere mesme vous baysent tres humblement les sacrees mains, 19 janvier.

            A Monseigneur

            Monseigneur le Reverme Evesque et Prince de Geneve.

 

Revu sur une copie déclarée authentique conservée à la Visitation d'Annecy.

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CXXXVII. Au Père Juvénal Ancina, de la Congrégation de l'Oratoire (Inédite). Remerciements pour l'intérêt qu'il porte au Chablais. — Tribulations qui ont fondu sur cette province. — Espoir d'une prochaine paix. — Les poursuites entreprises au sujet de la coadjutorerie de Genève restent stationnaires

 

Sales, 3 février 1601.

 

            Molto Reverendo Padre et Signor mio Padron colendissimo,

 

            Ho sentito una grandissima consolatione dalla lettera che Vostra Paternità molto Rda si degnò inviarmi per il [54] signor Philippo de Quoex, et ciò per più ragioni ; ma particolarmente perchè da quella ho conosciuto che non solo di me, ma di tutta questa provincia tiene singolare memoria et sollecitudine, laquale non può esser senon molto giovevole, sì come sin adesso è stata, et massime in questi tempi tanto calamitosi nelli quali sedet quasi vidua et oppressa amaritudine, nec est qui consoletur eam ex omnibus caris ejus.

            Non si può [dire] quanti travagli di spirito habbiam sentito in veder pericolar questa povera barchetta, già pur troppo rovinata fra tanta peste di guerra ; et tuttavia, laudato sia Iddio che nè fra gl'antichi Catholici, nè fra li nuovamente ridotti, non si è fatto altro movimento che di maggior ardore et fervore. Li nostri sacerdoti stabiliti nelle nuove chiese hanno patito incredibilmente, ma con una constantia tanto grande che è gran consolatione il ricordarsene. Li ministri di Geneva non hanno punto mancato di voler occupar le chiese ; ma Monsignor Rmo Vescovo essendosene lamentato appresso il Re di Francia, egli commandò che non havessero da [55] far simili dissegni. È vero che non è stato senza fatighe che le cose si sonno così conservate.

            La speranza della vicina pace ci rallegra tutti ; ma se non succedesse per peccati nostri, in quel caso haveressimo bisogno di grande aiuto della Santa Sede appresso il Ré, per non havere da esser mal trattati da quelli de Geneva. Per conto mio, io son risoluto da star saldo sino al fine con quel poco di vigore che sua divina Maestà mi ha dato, massime se Vostra Paternità molto Rda continuarà di farme partecipe delle sue orationi, insieme con P. Giovan Mathaso suo fratello, sì come io la supplico divotissimamente.

            Et basciandoli le sacrate mani, resto aeternamente,

            Di Vostra Paternità molto Rda,

Humilissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            Da Sales, casa paterna, alli 3 di Febraro 1601. [56]

            Non lasciarò di darle avviso che la cosa della coadjutoria non ha pigliato nè successo, nè progresso veruno doppo l'essame ; onde se mi favorirà delle sue lettere, io la supplico di non darme quel titolo del quale io sono indegno.

Al molto Rdo Padre et Sigr mio in Christo colendissimo,

Il R. P. Giovenale, Theologo della Congregatione dell' Oratorio.

Roma.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Milan, Archives du prince Trivulzio.

 

 

 

            Très Révérend Père et mon très honoré Seigneur,

 

            J'ai éprouvé une très grande consolation de la lettre que Votre très Révérende Paternité a daigné m'adresser par M. Philippe de [54] Quoex, et cela pour plusieurs raisons ; mais particulièrement parce que j'ai compris par son contenu que non seulement vous me conservez un spécial souvenir, mais aussi que vous avez pour toute cette province une singulière sollicitude. Cette sollicitude ne peut lui être que très avantageuse, ainsi qu'elle l'a été jusqu'à présent, surtout en ces temps si calamiteux, durant lesquels elle est devenue comme une veuve accablée d'amertume, et de tous ceux qui lui étaient chers il n'en est pas un seul qui la console.

            On ne saurait dire quelles ont été nos angoisses en voyant le péril que courait cette pauvre nacelle, déjà ruinée, hélas ! par une telle peste de guerre. Toutefois, Dieu soit loué de ce que ni parmi les anciens Catholiques, ni parmi les nouveaux convertis il n'y a eu d'autre mouvement que celui d'une plus grande ardeur et ferveur. Nos ecclésiastiques installés dans les nouvelles églises ont incroyablement souffert, mais avec tant de constance que c'est une grande consolation de s'en ressouvenir. Les ministres de Genève n'ont pas manqué de vouloir occuper les églises ; mais Mgr notre Révérendissime Evêque s'en étant plaint au roi de France, celui-ci leur ordonna [55] de renoncer à de semblables desseins. Ce n'est pas sans peine, il est vrai, que les choses se sont ainsi maintenues.

            L'espoir d'une prochaine paix nous réjouit tous ; mais si à cause de nos péchés elle ne se concluait pas, nous aurions grand besoin de l'appui du Saint-Siège auprès du roi, afin de n'être pas maltraités par les Genevois. Pour mon compte, je suis résolu de demeurer ferme jusqu'à la fin, selon le peu de vigueur que sa divine Majesté m'a donnée, surtout si Votre très Révérende Paternité, ainsi que le P. Jean-Matthieu, son frère, continue à me faire part de ses prières, comme je l'en supplie très humblement.

            C'est en baisant vos mains sacrées que je demeure éternellement,

            De Votre très Révérende Paternité,

Le très humble serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            De Sales, ma maison paternelle, le 3 février 1601. [56]

            Je ne veux pas manquer de vous avertir que l'affaire de la coadjutorerie n'a eu aucun succès ni avancement depuis l'examen ; c'est pourquoi, si vous me favorisez de vos lettres, je vous supplie de ne pas me donner un titre qui ne me convient pas.

            Au très Révérend Père et mon très vénéré Seigneur en Jésus-Christ,

            Le R. P. Juvénal, Théologien de la Congrégation de l'Oratoire. — Rome.

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CXXXVIII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Constance des Catholiques de Thonon et de Ternier opprimés par les Genevois. — Prière de solliciter les prébendes d'Abondance promises à M. Nouvellet.

 

Annecy, 18 mars 1601.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore Padron colendissimo,

 

            Andando costì il signor di Viletta mio zio, maestro di casa di Sua Altezza, mi è parso di dover rompere questo lungho et violento silentio con far humilissima riverentia a V. S. Illma et Rma per mezzo di queste righe, colle quali [57] ancora glie darò questa consolatione, assicurandola che se bene in Tonone et Ternier, di donde io venni solamente la Domenica di Quinquagesima, si è patito assai sotto il governo del signor di Monglat, huguenotto, et per le varie insidie de' Genevrini liquali, massime in Ternier, han usate tirannie et vituperii da non dirsi circa le cose sacre, tuttavia, con tutto ciò, fra quel gran numero de convertiti non se ne trovaranno quattro che siano ricaduti, et questi infimi di qualità. Anzi si è conosciuto che quella loro santa mutatione era opus dexteræ Excelsi, poichè le feste di Natale fecero un fervore, per antiperastasi, del tutto insolito. Resta mò che horamai si eseguisca il Breve di Sua Santità circa l'applicatione delli beni ecclesiastici all'uso de' pastori et curati, senza intrico delli benedetti signori Cavaglieri.

            Il signor di Viletta supplicarà V. S. Illma di usare la [58] carità sua solita in far havere le præbende promesse dal signor Abbate di Abondanza al signor Noveletto, non già per questo anno passato, poichè il signor di Sanci ha pigliato tutta l'intrada di quella badia, ma per l'anno seguente. Et di questo supplico anch' io V. S. Illma et Rma, basciandogli humilissimamente le sacratissime mani, et pregando Iddio che ci faccia godere molti anni li frutti della sua protettione.

            Da Annessi, douve io resto per le prediche quadragesimali, alli 18 di Marzo 1601.

            Di V. S. Illma et Rma,

Humilissimo et devotissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            Monsignor Rmo Vescovo mi ha dato in carico di basciar humilmente le mani a V. S. Illma et Rma a nome suo.

All'Illmo et Rmo Sigr et Padron mio colendissimo,

Monsigr l'Arcivescoüo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A. S.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives Vaticanes. [59]

 

 

 

            Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur,

 

            Mon oncle, M. de Villette, maître d'hôtel de Son Altesse, se rendant auprès de vous, il m'a semblé devoir rompre un silence forcément prolongé, en offrant par ces lignes mes très humbles hommages à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime. Je lui donnerai en [57] même temps une consolation : celle de lui apprendre que si bien à Thonon et à Ternier, d'où je revins seulement le Dimanche de la Quinquagésime, on a beaucoup souffert sous le gouvernement de M. de Montglat, huguenot, et par les diverses embûches des Genevois (à Ternier surtout ils ont exercé une tyrannie, et commis à l'égard des choses sacrées des indignités qui ne se peuvent dire), néanmoins, malgré tout cela, parmi un si grand nombre de convertis il ne s'en trouvera pas quatre qui soient retombés, et encore sont-ils de basse condition. Ainsi l'on a reconnu que leur saint changement était l'œuvre de la droite du Très-Haut, puisque, par antipéristase, ils célébrèrent les fêtes de Noël avec un entrain tout à fait inusité. Reste donc à mettre désormais à exécution le Bref de Sa Sainteté relatif à l'application des biens ecclésiastiques à l'usage des pasteurs et des curés, sans intrigues de ces bénis Chevaliers. [58]

            M. de Villette suppliera Votre Seigneurie d'user de sa charité accoutumée pour obtenir à M. Nouvellet les prébendes promises par l'Abbé d'Abondance, non pour cette année passée, puisque M. de Sancy a saisi tout le revenu de cette abbaye, mais pour l'année prochaine. Je vous en supplie aussi moi-même, baisant très humblement vos mains sacrées, et priant Dieu de nous faire jouir longues années des fruits de votre protection.

            D'Annecy, où je demeure pour les prédications du Carême, le 18 mars 1601.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            Mgr notre Révérendissime Evêque m'a chargé de baiser en son nom les mains de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime. [59]

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CXXXIX. A M. Antoine d'Avully. Le Saint rend compte de son intervention auprès du duc de Nemours pour le règlement d'une affaire d'intérêt

 

Annecy, 9 avril 1601

 

            Monsieur,

 

            Vostre homme arriva hier tout a propos pour treuver Monseigneur de Nemours encor en ceste ville. Je viens tout maintenant d'aupres de luy, et luy ay representé ce que vous aves desiré, a quoy il s'est rendu fort aysé ; et ne pouvant employer beaucoup de tems a la consideration de l'affaire pour tant d'affaires que la soudaineté de son despart luy a apportés, il a commandé sur le champ et en ma presence a monsieur le præsident Floccard de le despecher au plus tost que faire se pourra. A quoy ledit sieur Præsident a respondu qu'il le feroit infalliblement ; et despuys je l'ay repris, et le Procureur patrimonial encores, lesquelz conformement m'ont dit que sil vous playsoit d'en venir par termes de justice, la chose ne pouvoit pas se terminer du tout si tost, et qu'en ce cas il sera requis de voir ledit Procureur patrimonial repliquer a vos responces. Mays sil vous plait d'en venir [60] a l'amiable et prendre un des premiers jours apres Pasques, vous series bien tost expedié. Ceste seconde voye me semble plus sortable. Ce pendant, sur cecy je vous prieray de me donner advis du choix que vous feres, et je le feray sçavoir audit sieur Procureur du domeyne. Monsieur le Præsident m'a dit que si franchement et resolument vous vous contentés de rendre a Monsieur ce quil vous a baillé en eschange et reprendre le Turchet, la chose sera du tout hors de difficulté et de dilation.

            Monsieur, excusés moy si je vous escris ainsy a baston rompu, car j'ay la teste tant rompue et d'ennuy et d'affaires que je ne pense guere aux paroles. Je vous salue de tout mon cœur, et madame d'Avully, et vous prie de [croire] que je seray tous-jours fort affectionnement,

            Monsieur,

Vostre humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            A Neci, le 9 avril [1601].

            Je n'ay pas parlé des 150 escus baillés au conte de Tournon par ce que je n'entendois pas bien l'affaire.

            A Monsieur

            Monsieur d'Avulli.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Dôle, Ecole libre de Notre-Dame du Mont-Roland. [61]

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CXL. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Regret d'apprendre le rappel du Nonce. — Nouvelles conversions en Chablais. — Mauvais vouloir de ceux qui devraient les favoriser. — Succès de la mission entreprise dans le bailliage de Gaillard. — Espoir de ramener à la vraie foi le pays de Gex. — Demande de quelques faveurs. — Travaux apostoliques de l'Archevêque de Vienne et de l'Evêque de Genève

 

Sales, 28 juin 1601.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor Padron colendissimo,

 

            Ho sentito con incredibile dispiacere che V. S. Illma et Rma stava per dar fine alla sua fruttuosa nunciatura ; et per questo devo prima ringratiarla, sì come io faccio humilissimamente, delli infiniti favori che mi a (sic) fatti per gratia sua, a consolatione mia et aiuto di questa provincia, della quale Ella è non solo segnalato benfattore, ma padre amorevolissimo (sic). Io la supplico poi che si degni continuar la gratia sua verso di me douvunque li meriti suoi la portino, et di creder che non haverà giamai servitore più dedicato alla sua ubedientia di quello che io sono, se bene inutile.

            Non lasciarò tuttavia di dar raguaglio a V. S. Illma et [62] Rma delle cose nostre intorno a Geneva. Io son stato in Tonone et nel balliaggio di Chiablais questo mese, per visitare tutte le chiese et sapere in che stato si ritruovavano et che modo vi sarebbe de dotarle, sì come m'era stato commesso da Monsignor Vescovo ; et ho ritruovato che quanto all' anime, non obstante la guerra, il numero era cresciuto da Natale in qua, se bene, perchè il luogotenente del governatore dato dal Ré di Francia, mentre vi stette, era hugonotto in grado supremo, alquante pecorelle si erano smarrite, poche in quantità et nulle di qualità. Le feste di Pentecoste io predicai in Tonone, dove li nuovi Catholici, in gran numero, fecero la Communione [con molto] frutto.

            Ma quanto al modo di dotar le chiese, v' è grandissima difficoltà [per le] ragioni che sin adesso vi son state, cioè : Omnes quærunt quæ sua sunt, sino al signor Prævosto del Gran San Bernardo, il quale, sotto certe [63] prætentioni di nominationi che hebbe avanti l'heresia, viene ad inquietare l'opra dove può, et non essendo mai comparso nel tempo della fatica, vuole adesso pigliar li beneficii : sì che, foris timores, intus pugnæ. Quanto poi alli signori Cavaglieri, non si ha da dire altro senon che li loro agenti ancora essi stanno a voler contrastar, sì che non ciè mai fine in questo negotio ; et nientedimeno sarebbe necessario che vi si ponesse fine per dar principio a questo altro.

            Düoi Padri della missione et duoi altri curati del Chiablais vicini del balliaggio di Gagliardo, sentendo che Sua Altezza era in possesso di detto balliaggio et che vi era un cappitano molto catholico, andorono da lui, offerendosi di dar principio alla predicatione evangelica et essercitio catholico, il quale non era stato in quel [luogo] perchè li Genevrini, a nome del Ré di Francia, sino all'hora l' avevano occupato. Et havendo esso cappitano mostrato zelo et desiderio di tanto bene con promettere ogni aiuto a detti Padri, le feste di Pentecoste [64] si diede principio in quel balliaggio (distante da Geneva mezza legha, cioè due millia) con tanto favore del Spirito Santo, che andandovi io il Mercordì della istessa settimana, ritrovai più di cento case catholiche in due parrochie, et quasi tutte molto ben præparate a simil bene, senza che vi sia travenuta nè forza, nè artifìcio altro che la semplice parola. È vero che per esser detto balliaggio non molto discosto delli novi Catholici di Chiablais da una banda, et dalli vecchi di questa nostra banda del (ìenevois, erano mezzo instrutti della santa religione. Ecco adunque una nuova fatica a Monsignor Vescovo in mandar operarii in quella vigna et procurarli le provisioni necessarie.

            Succederà poi, per quanto si dice, una molto maggior fatica nel balliaggio di Gex col l' Interim, il quale dal Re di Francia si introdurrà ; dove bisognarà anco provedere de pastori, essendo adesso detto balliaggio tutto hugonotto et occupato da' Genevrini, li quali restaranno molto interessati dal l' Interim se saranno costretti di restituire li beni ecclesiastici, sì come io credo che debbano [65] esser, non ostante la clausula della pace che ognuno debba ritornare nelle possessioni nelle quali era inanzi la guerra ; perchè no stimo che la Santa Sede, facendo la pace, habbia inteso che li ugonotti guardino li beni della Chiesa, delli quali sonno sacrilegi et non possessori.

            Questo è il stato delle cose nostre ; dove io supplicarò instantissimamente V. S. Illma che si degni continuare sua solita sollecitudine verso di esse, [e] in particolare si degni raccommandarle strettamente all'illustrissimo successore. [E] perchè io soglio sempre pregar Y. S. Illma per qualche mia particolare consolatione, la supplicarò che si degni ricordare delle præbende procurate per il signor Nouveletto, veterano nella militia ecclesiastica, delle quale (sic) il signor di Viletta glie darà più distinto raguaglio.

            Di più, habbiamo in questa diocæsi una damigella laquale essendo molto giovane fece voto di castità ; et essendo molto divota, nientedimeno non vuol entrar in Religione, et nel mondo si ritruova in gran difficoltà nell'osservare detto voto. Per questo, dalli Padri Giesuiti [66] si giudicò a proposito che ne sia dispensata acciò possa esser maritata. Onde supplico V. S. Illma che si degni darci la facoltà di dispensar in questo caso, et havermi per iscusato se io con tanta libertà ardisco ricorrere da lei, chè la sua infinita bontà ne è causa.

            Supplico ultimamente V. S. Illma che si degni permettermi che od in Roma, o vero in Bari, io possa alle volte scrivere a lei et darglie rilatione delle cose nostre, delle quale (sic) io stimo che Ella haverà sempre gratissima memoria, ricordandosi delle fatiche che in servitio d'Iddio vi a (sic) adoperate. Et io sempre priegharò il Signor Iddio che la conservi et le dia quella lunghissima vita che ad utile della Chiesa è necessaria ; et basciandoli le sacre mani, le faccio humilissima riverentia.

            Di V. S. Illma et Rma,

Divotissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            In Sales, alli 28 Giugnio 1601.

            Monsignor Arcivescovo di Vienna sta in Tonone molto [67] sano et molto fruttuoso a quelli popoli, dandosi tutto alla consolatione della conversione di quell'anime. Monsignor di Geneva va questa settimana prossima in Gagliardo a visitar quella nuova vigna.

All' Illmo et Revermo Sigr Padron mio colendissimo,

Monsigre Arcivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A. Serma.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives Vaticanes.

 

 

 

            Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur,

 

            J'ai appris avec un déplaisir incroyable que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime est sur le point de terminer sa fructueuse nonciature. C'est pourquoi je dois vous remercier d'abord, comme je le fais très humblement, des faveurs infinies dont, par votre bonté, vous m'avez comblé pour ma consolation et pour le bien de cette province, de laquelle vous êtes non seulement le bienfaiteur signalé, mais aussi le père très aimant. Je vous supplie ensuite de daigner me continuer vos bonnes grâces partout où vos mérites vous porteront, et de croire que jamais vous n'aurez un serviteur qui soit plus que moi dédié à votre obéissance, quoique je sois inutile.

            Toutefois, je ne laisserai pas de donner à Votre Seigneurie des [62] nouvelles de nos affaires aux environs de Genève. J'ai été ce mois-ci à Thonon et dans le bailliage de Chablais pour visiter toutes les églises, savoir en quel état elles se trouvent et par quel moyen on pourrait les doter, comme il m'avait été enjoint par Mgr notre Evêque. Pour ce qui concerne les âmes, j'ai trouvé que, malgré la guerre, le nombre des convertis s'est accru depuis Noël, bien que sous la domination du lieutenant du gouverneur donné par le roi de France, lequel pendant qu'il était là était huguenot au suprême degré, quelques brebis se fussent d'abord égarées ; mais elles sont peu en quantité et nulles en qualité. Aux fêtes de Pentecôte j'ai prêché à Thonon, où les nouveaux Catholiques ont fait en grand nombre la Communion avec beaucoup de fruit.

            Mais quant au moyen de doter les églises, la difficulté est très grande pour les mêmes raisons qui ont existé jusqu'ici : c'est-à-dire Tous cherchent leurs intérêts, jusqu'à M. le Prévôt du Grand-Saint-Bernard qui, sous certaines prétentions de nominations qu'il [63] avait avant l'invasion de l'hérésie, traverse cette œuvre partout où il peut, et lui, qui n'a jamais paru au temps du labeur, veut maintenant s'emparer des bénéfices ; de sorte que, craintes au dehors, combats au dedans. Quant à MM. les Chevaliers, l'on n'en peut dire autre chose sinon que leurs agents persistent eux aussi à vouloir contester, si bien qu'on ne voit pas la fin de cette affaire ; et cependant il serait nécessaire de la terminer pour donner commencement à celle que voici.

            Deux Pères de la mission et deux autres curés du Chablais, proches du bailliage de Gaillard, apprenant que Son Altesse était maîtresse de ce bailliage et qu'il s'y trouvait un capitaine très catholique, allèrent s'offrir à lui pour commencer la prédication évangélique et l'exercice du culte, lequel n'existait pas en ce lieu parce que les Genevois l'avaient jusqu'alors occupé au nom du roi de France. Le capitaine témoigna beaucoup de zèle et de désir d'un si grand bien, en promettant tout appui aux Pères. Aux fêtes de Pentecôte on donna [64] commencement [à cette œuvre] dans ce bailliage (distant d'une demi-lieue de Genève, c'est-à-dire deux milles), et cela avec tant de secours du Saint-Esprit que, m'y étant rendu le mercredi de la même semaine, j'y trouvai, en deux paroisses, plus de cent familles catholiques. Presque toutes les autres sont fort disposées au même bonheur, sans que soient intervenus ni force ni artifice autre que la simple parole. Il est vrai que ce bailliage n'étant pas très éloigné des nouveaux Catholiques du Chablais d'un côté, et des anciens de notre côté du Genevois, les habitants étaient déjà à moitié instruits de la sainte religion. Voilà donc que Mgr notre Evêque aura de nouvelles fatigues pour envoyer des ouvriers en cette vigne, et leur procurer les provisions nécessaires.

            A ce que l'on dit, de bien plus grands travaux surviendront dans le bailliage de Gex avec l'Intérim que le roi de France doit y introduire. Là aussi il faudra pourvoir de pasteurs, car ce bailliage est maintenant entièrement huguenot et occupé par les Genevois, qui demeureront bien compromis par l'Intérim s'ils sont contraints de restituer les biens ecclésiastiques. Je crois qu'ils doivent l'être, malgré [65] cette clause du traité de paix, que chacun doit rentrer dans les domaines qu'il possédait avant la guerre ; car je ne pense pas que le Saint-Siège en faisant la paix ait entendu que les huguenots gardassent les biens de l'Eglise, dont ils sont usurpateurs et non possesseurs.

            Tel est l'état de nos affaires, auxquelles je supplierai très instamment Votre Seigneurie Illustrissime de daigner continuer sa sollicitude accoutumée, et surtout de les recommander vivement à son illustrissime successeur. Et parce que j'ai l'habitude de vous présenter toujours quelque requête pour ma consolation particulière, je vous demanderai de vouloir bien vous rappeler des prébendes obtenues pour M. Nouvellet, vétéran de la milice ecclésiastique, dont M. de Villette vous parlera plus amplement.

            De plus, nous avons en ce diocèse une demoiselle laquelle, étant fort jeune, fit vœu de chasteté ; quoiqu'elle soit très pieuse, elle ne veut pas néanmoins entrer en Religion, et dans le monde elle rencontre de grandes difficultés pour l'observation de ce vœu. C'est pourquoi les Pères Jésuites ont jugé qu'il serait à propos de l'en faire [66] relever afin qu'elle puisse se marier. Je supplie donc Votre Seigneurie de vouloir bien nous donner le pouvoir de lui accorder la dispense requise, et de me pardonner si j'ose recourir à Elle avec tant de liberté, car son infinie bonté seule en est cause.

            Je vous demande en dernier lieu de me permettre de vous écrire quelquefois soit à Rome, soit à Bari, et de vous renseigner sur nos affaires, dont je crois que Votre Seigneurie gardera toujours un agréable souvenir, se rappelant les travaux qu'Elle leur a consacrés pour le service de Dieu. Pour moi, je prierai toujours le Seigneur de vous conserver et de vous accorder une très longue vie, telle qu'elle est nécessaire pour le bien de l'Eglise. En baisant vos mains sacrées, je vous fais très humble révérence.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            A Sales, le 28 juin 1601.

            Mgr l'Archevêque de Vienne est à Thonon en très bonne santé ; il [67] opère beaucoup de fruit parmi ces populations, se donnant tout entier à la consolation de la conversion de ces âmes. Mgr de Genève ira la semaine prochaine au pays de Gaillard pour visiter cette nouvelle vigne.

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CXLI. A des amis (Minute inédite). Départ précipité pour traiter des intérêts de la religion dans le pays de Gex.

 

[Fin juillet 1601.]

 

            Non sum nescius quanta vos alacritate de meo transitu admonebit mater optima, quæ me et tam effusa [68] animi lætitia complexum dimittendum non existimasset, nisi causam discessus attulissem quam omni exceptione majorem non potuit non agnoscere. Et vero vos ipsi judicate qualem esse opporteat quæ me vos, tam cito redituros, tam exiguo locorum intervallo disjunctos, insalutatos relinquere compellat. Religionis nimirum causa est quæ, cum ubique quidem, apud me vero quam maxime precipua esse debebit, me tanta vi abducit et abstrahit. Diem enim hanc addixit Baro Lucensis deliberationi de religiïonis Catholicæ apud Gavanos restitutione ; quare veritus ne si dies re infecta abiret, tum apud Deum tum apud homines tenear de mora, de vestra erga me humanitate confisus, discedo, et hac mese erga vos observantiæ contestatone, profiteor me victurum moriturum vestrum fratrem, votis placitisque vestris addictissimum.

            Amatissimo utinam et amantissimo Rudolpho quam impensissime salutem dicere placeat.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Doroz, née d'Arcine, à Besançon. [69]

 

 

 

            Je n'ignore pas avec quel empressement cette excellente mère Vous avertira de mon passage, elle qui m'a embrassé avec une [68] âme débordante de joie, et qui n'eût pas consenti à me laisser partir si je ne l'avais contrainte à constater combien est urgente la cause de mon départ. Vous-même, du reste, pouvez juger de cette urgence, puisqu'elle m'oblige à m'éloigner sans vous saluer, vous qui alliez si tôt revenir, vous qu'une si petite distance séparait de moi ! Il s'agit de la religion ; or, cette cause qui est la première pour tous, doit l'être surtout pour moi, qu'elle soulève et entraîne avec tant de force. Le baron de Lux a fixé ce jour pour une conférence sur le rétablissement de la religion catholique dans le pays de Gex. Si ce jour s'écoulait sans que la question fût réglée, je craindrais d'être responsable du retard devant Dieu et devant les hommes. Aussi, confiant dans votre bienveillance à mon égard, je pars en vous assurant de tout mon respect, et je proteste vouloir vivre et mourir votre frère, tout dévoué a ce que votre bon plaisir réclamerait de moi.

            Veuillez, je vous prie, saluer le plus affectueusement du monde le tout aimé et tout aimant Rodolphe. [69]

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CXLII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute inédite). Le pays de Gex soumis à la France ; intention du roi d'y rétablir la religion catholique ; opposition des Genevois ; démarches faites pour en triompher. — Reprise des poursuites commencées au sujet de la coadjutorerie

 

Chambéry, 20 août 1601 .

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore Padron colendissimo,

 

            Se bene per relatione del signor Presidente Fabro et anco del signor Barone de Chivron so che forse questa mia lettera non glie capitarà in mano nella sua nuntiatura, tuttavia non ho lasciato di volerglie dar raguaglio di due cose, al successo delle quali sua authorità et bontà potrà dar molto aiuto nelle occurrenze.

            Una è circa l' accrescimento della fede santa appresso a Geneva nel balliaggio di Gex, che è di questa diocesi, et si stende dalla Borgogna et paese de' Bernesi a mezzo miglio appresso a Geneva. È stato sin adesso occupato [70] da' Genevrini a nome del Re di Francia, et nuovamente, da quindici giorni, è stato ridotto sotto a quella corona et tolto dalle mani di detti Genevrini ; dove il signor Barone de Lux, il quale al nome del Re ne pigliò possesso, dichiarò che era intentione di esso Re che l'essercitio catholico vi fosse restituito col mezzo dell' Interim a forma di quello che si pratica in Francia. Ma perchè l' Interim francese vuole che si rendano li beni ecclesiastici et le chiese alli sacerdoti, Vescovi et altri, li Genevrini, che occupano le terre [ed] entrate di Monsignor Vescovo di Geneva, del suo Capitolo et altre chiese, protestorno che quello Interim non gli dovesse pregiudicare ; et per questo detto signor Barone di Lux, molto catholico, ha mandato dal Re per havere risolutione circa questa difficoltà, et Monsignor Vescovo pur anco, dal canto suo, scrisse a Sua Maestà et al signor Nuncio di Francia acciò che le sue ragioni et le nostre fossero conservate.

            Ma questo è poco se la Santa Sede non adopra vivamente la sua authorità appresso quella Maestà, acciò che [71] senza rispetto a' Genevrini si esseguisca detta restitutione de'beni della Chiesa, colla quale si farà un smacco a quelli heretici, il maggior che sin adesso gli sia stato fatto, et senza la quale non si potrà stabilire la santa religione, non potendosi provedere di pastori a quel paese se alli pastori non [si] provede di vitto et di chiesa. Per questo Monsignor Vescovo scrive all' Illmo signor Cardinale Aldobrandino, et mi è parso doverne dare avviso a V. S. Illma acciò che anco lei s'adopri per simile occasione ch'è tanto opportuna alla gloria d'Iddio.

            L'altra cosa è che io vengo tanto sollecitato da Monsignor Vescovo di Geneva et anco, per dirla liberamente, da tutti i più notabili et risguardevoli della diocesi, non solo ecclesiastici, ma anco laici, che insomma, vinto dalla istantia fattami da loro, ho dato il mio consenso che si ripigliasse il negotio della coadiutoria di questo vescovato, con futura successione in favor mio. Non certo perchè io desideri quella dignità, il peso della quale mi è stato sempre formidabile, massime in questi tempi tanto torbulenti et torbidi, ma per non far resistenza al [72] parere di tanti huomini da bene et li quali hanno giudicato che io non dovevo più ritardar questo negotio. Tuttavia vi è ancora una gran difficoltà, et forse tale che la Providentia divina, con mezzo di essa, mi farà gratia di lasciarme nella quiete. Et è che per l'ingiuria delli tempi passati havendo assai patito la casa mia, et ritrovandomi da tre mesi in qua privo del mio padre, non ho modo di fare grande spesa, la quale se sarà necessaria, non posso seguitare questa impresa, massime non trattandosi di cosa presente, ma di futura, nè di commodità, ma di fatica incredibile ; essendo questa Chiesa privata della maggior parte della sua dote, la quale è in mano delli nemici della fede, et con tante occasioni di faticare che il poco pane che ella dà al suo Vescovo non si può mangiare senza molto sudore.

            Per questa ragione Monsignor Vescovo scrive al suo agente che vada scuoprendo per mezzo delli amici, et particolarmente dell' Illmo signore Cardinal Baronio, se si potesse sperar qualche gratia di Sua Santità, et io [73] anco ne supplico humilissimamente V. S. Illma et Rma acciochë non dandosi simili gratie io non entri in questo negotio, il quale non riuscendo per mancamento del modo, potrebbe dar sinistra opinione di qualche altro difetto a questi miei paesani. Se poi la cosa deve riuscire, io non cessarò di prevalermi della benevolentia et bontà di V. S. Illma et Rma dove io ne vederò l'opportunità, desiderando in questo et in ogni altro disegno esser sempre sotto le ali della sua protettione.

            Mi rincresce molto che s'habbia da dar principio a questo negotio nel fine della sua felice et fruttuosa nunciatura, ma così vuol la Providentia divina, alla quale rimetto interamente il successo et di questo et de gl'altri miei pensieri, et la supplico di conservare ad utile della santa Chiesa V. S. Illma et Rma, alla quale bascio humilissimamente le mani…

All' Illmo et Rmo Padron et Sigr mio osservandissimo,

Il Sigr Arcivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A. Serenma.

Turino.

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [74]

 

 

 

            Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur,

 

            Bien que d'après ce qui m'a été dit par M. le président Favre et M. le baron de Chevron je sache que peut-être cette lettre ne parviendra pas entre vos mains pendant votre nonciature, je ne veux pas toutefois laisser de vous donner connaissance de deux choses, au succès desquelles votre autorité et votre bonté pourront beaucoup aider à l'occasion.

            L'une concerne l'extension de la sainte foi près de Genève, dans le bailliage de Gex, qui appartient à ce diocèse, et s'étend des confins de la Bourgogne et du pays des Bernois jusqu'à un demi-mille de Genève. Ce bailliage a été occupé jusqu'à présent par les Genevois au nom du roi de France ; mais depuis quinze jours il a été de nouveau [70] soumis à sa couronne et arraché aux mains desdits Genevois. M. le baron de Lux, qui en a pris possession au nom du roi, a déclaré que l'intention du roi lui-même était que l'exercice du culte catholique y fût rétabli au moyen de l'Intérim de la même manière qu'il se pratique en France. Mais parce que l'Intérim français veut que les biens ecclésiastiques et les églises soient rendus aux prêtres, aux évêques et autres, les Genevois, qui détiennent les terres et les revenus de Mgr de Genève, de son Chapitre et d'autres églises, ont protesté que cet Intérim ne devait leur préjudicier en rien. C'est pourquoi M. le baron de Lux, bon Catholique, a mandé au roi pour avoir la solution de cette difficulté, et Mgr l'Evêque a aussi, de son côté, écrit à Sa Majesté et à M. le Nonce de France, afin que ses droits et les nôtres soient sauvegardés.

            Mais ceci est peu de chose si le Saint-Siège n'emploie fortement [71] son autorité auprès de Sa Majesté, afin que, sans égard aux Genevois, on exécute cette restitution des biens de l'Eglise ; par ce moyen, ces hérétiques recevront le plus grand affront qu'on leur ait jamais fait jusqu'à présent. Sans cette mesure, la religion ne pourra être rétablie ; car il est impossible de pourvoir ce pays de pasteurs si on ne pourvoit les pasteurs des ressources nécessaires et d'une église. A cet effet, Mgr notre Evêque écrit à l'Illustrissime Cardinal Aldobrandino, et j'ai cru devoir en avertir Votre Seigneurie Illustrissime, afin qu'Elle intervienne aussi dans une occasion si favorable.à la gloire de Dieu.

            L'autre chose est que, en étant vivement sollicité par Mgr l'Evêque de Genève et aussi, pour le dire franchement, par toutes les personnes les plus notables et les plus distinguées du diocèse, non seulement ecclésiastiques mais encore laïques, cédant enfin à leurs instances j'ai consenti à ce que l'on reprit les négociations commencées pour m'obtenir la coadjutorerie de cet évêché avec future succession. Ce n'est pas certes que je désire cette dignité, dont le poids m'a toujours paru formidable, surtout dans ces temps de confusion et de trouble ; [72] mais c'est pour ne pas résister à l'avis de tant de gens de bien qui ont jugé que je ne devais plus retarder cette affaire. Toutefois, il reste encore une grande difficulté, et telle que peut-être ce sera le moyen dont la divine Providence se servira pour me faire la grâce de me laisser en repos. C'est que, ma famille ayant beaucoup souffert par le malheur des temps passés, et me trouvant privé de mon père depuis trois mois, je ne suis pas en mesure de faire une grande dépense. Si elle est nécessaire, je ne pourrai poursuivre cette affaire, d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'une chose présente, mais future, ni d'avantages, mais de peines incroyables. Cette église est dépouillée de la plus grande partie de ses revenus, qui sont entre les mains des ennemis de la foi ; de plus, il y a tant de travaux à supporter que son Evêque ne peut manger qu'au prix de beaucoup de sueurs le peu de pain qu'elle lui donne.

            Pour cette raison, notre Evêque écrit à son agent qu'il tâche de découvrir, par le moyen de nos amis, et particulièrement de l'Illustrissime Cardinal Baronius, si l'on peut espérer quelque faveur [73] de Sa Sainteté. J'en supplie moi-même très humblement Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, afin que si de telles faveurs ne s'accordent pas, je ne poursuive plus cette affaire ; car si elle n'aboutissait pas, faute de ressources, mes compatriotes pourraient concevoir de mauvais soupçons, et attribuer cet insuccès à quelque autre cause. Si cependant la chose doit réussir, je ne cesserai de me prévaloir de la bienveillance et de la bonté de Votre Seigneurie chaque fois que je le croirai opportun, désirant en ceci comme en tout autre dessein demeurer toujours sous les ailes de sa protection.

            Je regrette beaucoup qu'il faille entreprendre cette affaire sur la fin de votre heureuse et fructueuse nonciature, mais ainsi le veut la divine Providence. Je lui remets donc entièrement le succès de ceci et de tous mes autres projets, la suppliant de conserver pour l'utilité de son Eglise Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, à qui je baise très humblement les mains… [74]

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CXLIII. A Monseigneur Conrad Tartarini, Évêque de Forli . Prière de s'intéresser à la restitution des biens ecclésiastiques du pays de Gex.

 

Chambéry, 20 août 1601.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor Padron colendissimo,

 

            Già che le varie necessità di questa diocsesi mi daranno spesso occasione di ricorrere all'authorità di V. S. Illma et Rma, mi è parso che io potevo et dovevo dar principio da questa, che è segnalata et importantissima.

            Il paese di Gex, occupato sin adesso da' Genevrini, è capitato, per gl' articoli della pace, nelle mani del Ré di Francia, a nome del quale il Barone di Lux ne pigliò fa poco il possesso, con far dichiaratione che l'intentione di detto Ré era di restituirvi l'essercitio della fede catholica [75] col mezzo dell' Interim a forma di quello che si fa in Francia. Ma perchè detto Interim fa che si rendano le chiese et beni ecclesiastici alli Catholici, li Genevrini, li quali in quel balliagio occupano molte terre, decime et altri beni di Monsignor Vescovo di Geneva, del suo Capitolo et altre chiese, protestorono che quel Interim non glie dovesse pregiudicare. Per questo, detto Barone di Lux mandò dal Ré per haver risolutione di questo dubbio, al quale poi Monsignor Vescovo scrisse dal canto suo, et anco all' Illmo signor Nuncio di Francia sopra questo negocio.

            Et perchè se quella restitutione si fa sarà uno di (sic) grandi colpi che habbino sentito quelli hæretici sin adesso, mi è parso convenevole di dar raguaglio di questa occasione a V. S. Illma et Rma, acciò che anco lei adopri il suo santo zelo in promovere questa impresa con raccommandarla alla Santa Sede ; che per questo Monsignor Vescovo di Geneva scrive all' Illmo signor Cardinal Aldobrandino la lettera qui alligata, laquale per magior sicurezza ho indossato per via di V. S. Illma et Rma, alla quale basciando humilissimamente le reverendissime mani, priegho dal Signor Iddio buon principio, meglior [76] progresso et ottimo fine della sua tanto importante nunciatura, insieme con ogni suo vero contento.          Di V. S. Illma et Rma,

Divotissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            Da Chiambri, alli 20 di Agosto 1601.

All' Illmo et Rmo Sigr mio Padron colendissimo,

Monsigr il Nuntio Apostolico appresso S. A. S.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives Vaticanes. Voir le fac-simile placé en tête de ce volume.

 

 

 

            Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur,

 

            Puisque les divers besoins de ce diocèse me donneront souvent occasion de recourir à l'autorité de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, il m'a semblé que je pouvais et devais commencer par celui-ci, qui est remarquable et très important.

            Le pays de Gex, occupé jusqu'à présent par les Genevois, est tombé, par les articles du traité de paix, entre les mains du roi de France, au nom de qui le baron de Lux en a pris possession depuis peu, en déclarant que l'intention du roi était d'y rétablir l'exercice de la foi catholique au moyen de l'Intérim de la même manière qu'il se [75] pratique en France. Mais parce que ledit Interim exige que les églises et les biens ecclésiastiques soient rendus aux Catholiques, les Genevois, qui détiennent en ce bailliage un grand nombre de terres, décimes et autres revenus de Mgr l'Evêque de Genève, de son Chapitre et de plusieurs églises, ont protesté que l'Intérim ne devait leur préjudicier en rien. C'est pourquoi, le baron de Lux manda au roi pour avoir la solution de cette difficulté ; Monseigneur lui écrivit ensuite de son côté au sujet de cette affaire, ainsi qu'à M. le Nonce de France.

            Or, parce que si cette restitution a lieu, ce sera l'un des plus grands coups qu'aient reçus jusqu'ici ces hérétiques, il m'a semblé convenable d'informer de toutes ces choses Votre Seigneurie, afin qu'Elle aussi emploie son saint zèle à favoriser cette entreprise en la recommandant au Saint-Siège. Mgr l'Evêque de Genève écrit à cet effet la lettre ci-jointe à l'Illustrissime Cardinal Aldobrandino, laquelle, pour plus grande sûreté, je lui adresse par votre entremise.

            C'est en baisant très humblement les mains vénérées de Votre Seigneurie que je lui souhaite de Dieu notre Seigneur, avec tout vrai [76] contentement, un bon commencement, un meilleur progrès et une excellente fin de son importante nonciature.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            De Chambéry, le 20 août 1601.

            A mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

            Mgr le Nonce Apostolique auprès de Son Altesse Sérénissime. — Turin.

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CXLIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). Obstination de quelques hérétiques de Thonon. — Mesures à prendre pour en triompher

 

Thonon, commencement d'octobre 1601.

 

            Monseigneur,

            Apres que Monsieur l'Evesque de Geneve a eu establi les eglises en tout ce balliage, horsmis en deux [77] ou trois lieux, et entr'autres en ceste ville, faute de moyens convenables, il m'a layssé icy pour quelques jours pour essayer d'attirer ce peu qui reste d'huguenotz hors du fort de leur obstination. J'y ay employé tout mon cœur, et espere que Dieu en aura touché quelques uns par les motifz quil luy a pleu m'inspirer. Neanmoins je n'ay encor peu tirer d'eux pleyne resolution, et en ay trouvé des autres qui sont si avant en leur opiniastreté que mesme ilz refusent leurs aureilles a la sainte parole, et ne veulent se prester a aucune rayson ; gens ignorans et qui d'ailleurs sont de nulle consideration. Si que, apres avoir fait ce qui a esté de ma capacité et ayant veu que tant de doctes Peres Jesuites et autres prædicateurs y ont employé toute leur industrie, je me suys venu rendre aux officiers que Vostre Altesse a ordinairement en ce lieu et a tous ceux que j'y ay veu et peu rencontrer, entr'autres a monsieur le marquis de Lulin, pour aprendre d'eux si de nostre costé il demeuroit quelque diligence a faire.

            Et tous concourent a cest'opinion, quil n'y a plus aucun moyen de reste pour en chevir, sinon que Vostre Altesse, par un edit paysible, commande que tous ses sujetz ayent a faire profession de la foy catholique, et en prester le serment dans deux moys es mains de ceux qui seront deputés, ou de vuider ses estatz, avec permission de vendre leurs biens. Plusieurs, par ce moyen, eviteront le bannissement du Paradis pour ne point encourir celuy de leur patrie ; les autres, qui seront fort peu en nombre, sont de telle qualité que Vostre Altesse gaignera beaucoup en les perdant, gens desquelz l'affection est des-ja pervertie et qui suyvent le huguenotisme plus tost commun parti que comme une religion. Le saint effect de l'edit que je propose rendra tous-jours plus admirable a tous les vrays [78] Catholiques la religion et grandeur de courage de Vostre Altesse, et la douceur d'iceluy forcera tous ses adversaires d'en reconnoistre la clemence, mesme apres tant de soin qu'ell'a eu de faire proposer les instructions a ce peuple, duquel maintenant ell'est maistresse sans dependence d'aucun traitté ni condition, ne le tenant que de Dieu.

            Vostre Altesse me permettra de luy dire ce mot avec le zele que je dois au service de sa gloire. Chacun sçait qu'elle desire extremement de voir ses païs netz du mal de l'heresie, personne n'ignore l'ardeur de son zele en cest endroit ; si elle ne le fait pas, le pouvant si aysement faire, plusieurs croiront que le desir de ne mescontenter pas les huguenotz qui sont en son voysinage en soit l'occasion. Et toutefois on estime qu'il ny aura aucun mescontentement pour ce regard ; et quant il y seroit, quil ne devroit entrer en aucune consideration aupres de Vostre Altesse, qui n'a que faire d'incommoder ses saintes intentions pour gratifier des gens qui, en cas pareil, ne voudroyent en rien s'accommoder au gré de Vostre Altesse.

            Monseigneur, je ne puis pas sonder plus avant que cela, et ne sçai sil y a chose au pardela de ceste mienne consideration qui puisse ou empecher ou retarder l'edit que je souhaitte ; en quoy je me sousmetz purement a son meilleur jugement. Mais puisque les grans princes ont soin de toutes les pieces de leurs estatz, il est raysonnable que chacune leur contribue les advis qui semblent estre pour leur service ; ce que je fay avec toute franchise a l'endroit de Vostre Altesse, pour la singuliere debonaireté que Dieu luy a donnée, et de laquelle je me prometz le bonheur d'estre tousjours avoué,

            Monseigneur,

            Son tres humble et tres obeissant serviteur et sujet.

 

Revu sur l'Autographe conserve à la Visitation de Turin. [79]

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CXLV. Au Baron de Lux. Mgr de Granier est prêt à évangéliser le pays de Gex.

 

[Octobre 1601.]

 

            Monsieur,

 

            Puisqu'il vous a pleu me dispenser d'aller en personne aupres de vous pour vous donner l'advis que vous desires avoir de moy avant que de vous acheminer a Gex, je vous diray simplement sur ce papier que Monsieur l'Evesque se tient tout prest avec la petite trouppe pour arborer la Croix et en publier les mysteres par tout ou vous luy en marqueres les lieux et occasions ; il attendra seulement l'assignation du jour que vous luy donneres pour vous rencontrer sur le chemin. Je prendray le plus d'instruction que je pourray des particularités requises pour ce tant signalé commencement d'une œuvre de laquelle la gloire estant toute a Dieu, comme a sa source, doit neanmoins verser beaucoup d'honneur sur vous, qui estes le principal instrument duquel il s'est voulu servir.

            Je le prieray toute ma vie pour vostre felicite, et confesseray que je dois estre, comme je vous supplie de croire que je seray tousjours,

            Monsieur,

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,

FRANÇS DE SALES,

Praevost de l'Eglise de Geneve. [80]

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CXLVI. Au Cardinal Pierre Aldobrandino (Minute inédite). Henri IV demande l'évangélisation du pays de Gex. — Son désir de restituer au clergé les biens ecclésiastiques usurpés par les Genevois. — Démarches à faire pour obtenir cette restitution.

 

Lyon, 10 novembre 1601.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore mio colendissimo,

 

            Il Re Christianissimo scrisse il 17 Ottobre al signor Vescovo di Geneva che egli havesse da mandare nel [81] balliagio di Gex, nuovamente ridotto a quella corona, pastori et curati competenti per restituirvi l'essercitio della santa fede catholica, secondo la forma del decreto di Interim fatto per il restante della Francia. Et perchè detto signor Re domandava il numero tale quale verrebbe significato dal signor Barone di Lux, luoghotenente nel governo di Borgogna, Bressa et altri paesi nuovamente uniti al regno, io sono venuto qui per sapere più particolarmente come haverebbe da passar questo negotio ; il che non è ancora conchiuso.

            Et fra le altre cose, si è toccato delle intrate del Vescovo et Capitolo di Geneva, et di quelle di San Vittore, occupate dalli citadini di essa Geneva, et del [82] modo che si haverebbe da tenere in recuperarle. Et per quanto ho potuto scuoprire, il Re vorrebbe in ogni modo haver qualche buon colore per levare dette intrate a quella città, senza offendere li cantoni hæretici de' Sguizzeri et la Regina d'Inglaterra li quali fanno molta instanza in favore de' Genevrini ; et il che egli vorrebbe, è di esserne sollecitato in nome della Santa Sede, alla quale non haverebbe [da] ricusare tanto giusta petitione.

            Per questo, inanzi di ritornarmene in Savoya, mi è parso bene di dar raguaglio di tal necessità a V. S. Illma et Rma, con supplicarla humilissimamente di adoprar in questa occasione il santo zelo che a beneficio di santa Chiesa Iddio gl' ha inspirato. Mi pare che sarebbe molto bene che V. S. Illma [scrivesse] lettere al signor Vescovo di Geneva, approbando che ricerchi tal cosa, et insieme, al signor Nuntio di Francia, ordinando che habbia da trattare caldamente appresso quella Maestà ; che in questo modo la cosa riuscirebbe molto bene et non saria [83] poca incommodità a' Genevrini, che restarebbono poverissimi, nè poco splendore alla religione catholica, et sarebbe aprire pian piano la strada per ridurre la stessa città di Geneva a qualche maggior bene.

            Il che tutto, doppo il Signore Iddio, non habbiamo da sperare senon dalla Santità et bontà di Nostro Signore et dal zelo di V. S. Illma et Rma, alla quale bascio humilissimamente le mani.

            Da Lyone di Francia, alli 10 di Novembre 1601.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Le roi très chrétien a écrit le 17 octobre à Mgr l'Evêque de Genève d'envoyer au bailliage de Gex, récemment soumis à sa [81] couronne, des pasteurs et des curés capables pour y rétablir l'exercice de la sainte foi catholique, selon la teneur du décret de l'Intérim fait pour le reste de la France. Et parce que le roi demandait que, quant au nombre, on s'en tînt exactement à celui qui serait marqué par M. le baron de Lux, lieutenant dans le gouvernement de Bourgogne, Bresse et autres pays récemment réunis au royaume, je suis venu ici pour apprendre plus particulièrement comment cette affaire doit se traiter ; ce qui n'est pas encore résolu.

            Entre autres choses, on a parlé des revenus de l'Evêque et du Chapitre de Genève et de ceux de Saint-Victor, usurpés par les [82] Genevois, ainsi que des moyens à prendre pour les recouvrer. Autant que j'ai pu le découvrir, le roi voudrait de toute façon avoir quelque bon prétexte pour enlever lesdits revenus à cette ville, sans offenser les cantons hérétiques des Suisses et la reine d'Angleterre qui font beaucoup d'instances en faveur des Genevois ; et ce qu'il désire c'est d'en être pressé au nom du Saint-Siège, auquel il n'y aurait pas lieu de refuser une si juste requête.

            C'est pourquoi, avant de m'en retourner en Savoie, il m'a semblé utile de donner connaissance de cette particularité à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, la suppliant très humblement d'exercer en cette occasion le saint zèle que Dieu lui a inspiré pour le bien de la sainte Eglise. Il me semble qu'il serait très bon que Votre Seigneurie écrivît une lettre à Mgr l'Evêque de Genève, encourageant les poursuites qu'il fait à ce sujet, et en même temps une autre à M. le Nonce de France pour lui ordonner d'en traiter énergiquement avec Sa Majesté. De cette manière, la négociation réussirait très bien ; et ce ne serait pas un petit préjudice pour les Genevois, [83] qui demeureraient très pauvres, ni peu de lustre à la religion catholique ; ce serait aussi ouvrir peu à peu la voie pour amener à quelque plus grand bien la ville même de Genève.

            Pour toutes ces choses nous n'avons, après Dieu, rien à espérer sinon de la Sainteté et bonté de notre Saint-Père et du zèle de Votre Seigneurie, à qui je baise très humblement les mains.

            De Lyon en France, le 10 novembre 1601.

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CXLVII. A M. Claude de Quoex . Bonnes intentions du roi de France en faveur des Catholiques. — Formalités à remplir pour en obtenir la mise à exécution.

 

Lyon, 10 novembre 1601 .

 

            Monsieur,

 

            Nous voici a Lion pour apprendre de monsieur le baron de Lux, lieutenant au gouvernement de Bourgoigne [84] et de Bresse, Verromey et Gex, ce que nous avons a faire pour le restablissement de la religion catholique au balliage de Gex, suivant la lettre que le Roy de France en a escritte a Monseigneur le Rme Evesque, de laquelle je vous envoye copie. Et au progres des discours que j'ay eu avec luy, j'ay treuvé que le Roy et ses gens sont fort disposés a nous rendre nos biens, c'est a dire les biens de nostre Chapitre qui sont riere Gex, mais il desireroit d'en estre recherché et pressé par Sa Sainteté. L'importance sera d'obtenir de nostre Saint Pere quil y mette de la ferveur et face que son Nonce qui est en France empoigne vivement ceste sollicitation.

            Or, pour ce faire, il eut esté requis d'en toucher un mot a Sa Sainteté mesme ; mays parce que cela appartient ou a Monseigneur le Rme ou a nostre Chapitre, je n'ay pas osé le faire, mais escris seulement au Cardinal Aldobrandin sur ce sujet simplement ; mesmement par ce qu'iceluy ayant conclud la paix, demeslera mieux l'affaire avec le Roy, avec lequel, a ce que j'entens, il a quelque secrete intelligence pour ces affaires de religion. Mays ce n'est que peu de chose d'une lettre, car elle n'a point de replique. Je vous prieray donq de l'accompagner ou monsieur Reydet, en la donnant, d'une declaration un peu ample de la necessité que nous avons de l'assistence du Saint Siege, du dommage que cela fera a l'heresie et du grand honneur qui en reussira a la sainte Eglise.

            Outre cela, il y a un point encor plus important, qui est quil seroit expedient que Monseigneur le Cardinal escrivit une lettre a Monseigneur de Geneve, par laquelle il luy donnast courage de demander la restitution de ses biens qui sont a Gex, et un'autre au Nonce, affin quil l'assistast en ceste demande. Vous demanderes pourquoy [85] il faut procurer ces formalités. Je dis que je n'en sçaurois rendre autre cause sinon que j'ay descouvert manifestement quil faut tenir ce chemin. Neanmoins, encor ay je apprins que c'est par ce [que] les cantons huguenotz et la Reyne d'Angleterre s'entremettent pour ceux de Geneve, qui sont les possesseurs ou usurpateurs desdits biens, et le Roy voudroit avoir un juste prætexte pour les esconduire. Or, plus apparent n'en peut il avoir que d'estre sollicité par le Saint Siege.

            Saches au reste que nous sommes fort en affaires pour ce respect, monsieur Rogex et moy, et des fondemens que nous voyons ne pouvons conclure sinon que si nous sommes aydés de ceux qui peuvent et doivent le faire, non seulement cela se fera, mais de plus grandes choses. De vostre part nous nous promettons toute faveur, et de nostre monsieur Reydet.

            Au reste, tout se porte bien en nostre païs. Et n'estant ceste pour autre, je la finiray, me disant,

            Monsieur,

Vostre humble et plus affectionné serviteur,

FRANÇS DE SALES.

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Memoire sur un'objection que font ceux de Geneve delaquelle il sera bien a propos d'instruire le Cardinal et de la response a icelle

 

            Il y a un article en la paix qui porte que un chacun des deux princes possederà les terres qui luy demeurent a mesmes termes qu'elles estoyent auparavant la guerre. Or, auparavant la guerre, ceux de Geneve possedoyent paysiblement les biens de l'Evesque et du Chapitre : donques, encor les doivent ilz posseder.

            La response peut estre : Que l'article remet les scindiques de Geneve en la nue et simple possession de fait, mays il ne la rend pas legitime si elle ne l'estoit pas. Or, auparavant la guerre, ceste possession n'estoit pas legitime ; elle ne l'est donq pas maintenant. Que si elle ne l'est pas, elle ne doit pas estre maintenue. [86]

            Mays on replique : Que veut dire qu'avant la guerre vous ne recherchies pas ces biens ? C'estoit par ce que feu Son Altesse avoit Iraitté autrement avec ceux de Berne, et despuis le traitté a esté annullé par ceux de Berne mesme. Et d'effait, ce traitté la portoit par expres que la religion ne seroit point restablie es balliages ; neanmoins, despuis on l'a restablie au veu et sceu de Berne, a quoy on n'a jamais rien opposé : signe evident que ceux de Berne tiennent ledit traitté pour nul. Que sil est nul, ceux de Geneve ne s'en peuvent prævaloir.

            A Monsieur

            Monsieur de Quoex, Docteur es droitz.

            A Romme.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie.

 

 

CXLVIII. A un inconnu (Minute inédite). Le Saint s'estime heureux d'entrer en relation avec ce personnage et lui promet des documents historiques

 

[Novembre 1601 .]

 

            Monsieur,

 

            Un mien ami demeurant a Lion m'a demandé quelques memoires sur les particularités de la revolte de Geneve, des conversions qui se font aupres et du tems auquel le P. Justinien en a esté Evesque. En quoy, [87] bien que j'eusse desiré de le servir comm'en toute autre occasion, pour son respect, si est ce que la volonté m'en est beaucoup augmentee quand il m'a dit quil faysoit ceste recherche la pour vous. Car ayant pieça beaucoup honnoré vostre nom, sous lequel tant de beaux ouvrages, marqués d'une rare vertu et doctrine de leur autheur, paroissent aux yeux du monde, j'ay aussi des lhors fort souhaitté lhonneur d'estre en vostre connoissance ; non que je cuyde y pouvoir entrer que pour fort peu de chose, mais parce que ça tous-jours esté une honneste ambition a ceux qui ont la vertu en reverence, de rechercher la bienveuillance de ceux qui en ont la possession. C'est pourquoy j'ay voulu vous envoyer immediatement ces advis pour prendr'occasion de vous demander la faveur de vos bonnes graces et vous offrir mon humble service, me promettant aysement d'estre gratiffié par vostre bonté.

            Je vous prieray m'excuser si je ne vous envoye pas pour l'heure les memoires que vous desires au premier article, par ce que je suis en voyage et ne puis pas obtenir de ma souvenance tout ce que je luy en demande, avec l'asseurance des particulieres circonstances qui sont requises pour s'en bien servir. Mays estant de retour au diocsese, qui sera dans peu de jours, j'en iray a la queste par tout [88] ou je cuyderay en pouvoir rencontrer des pieces, et bientost apres je les vous envoyeray.

            Mays touchant les conversions qui se font autour de Geneve…

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Doroz, née d'Arcine, à Besançon.

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CXLIX. A Monseigneur Conrad Tartarini Évêque de Forli, Nonce Apostolique a Turin. Evangélisation des bailliages de Gex et de Gaillard. — Prochain voyage du Saint à Paris pour négocier la restitution des biens ecclésiastiques. — Avantages qu'apportera l'établissement de la Sainte-Maison ; moyens de lui assurer des ressources. — Renseignements sur Jules-César Paschali et sa famille

 

Annecy, 21 décembre 1601.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor Padron colendissimo,

 

            Quantunque dalle honorate relationi fatte di me a V. S. Illma et Rma nasce nell'animo mio non poca confusione, sentendomi privo del bene che presuppongono, mi porgonno (sic) nientedimeno dall'altro canto molta consolatione, aprendomi l'occasione di proferirmi a V. S. Illma per humilissimo et divotissimo servitore, sì come io lo adesso, supplicandola che si degni accettare l'intensissimo affetto col quale così poca cosa glie vien dedicata. [89]

            Hora dò raguaglio a V. S. Illma delli progressi che si fanno in questa diocæsi, dicendole che sonno felicissimi, no solo in Tonone et Ternier, che è horamai cosa vecchia, ma etiandio nuovamente nelli balliagi di Gex et Gagliart, che si stendono sino alle porte di Geneva ; nel secondo de' quali Monsignor Vescovo di Geneva riconciliò otto chiese la settimana passata, ad uso di molte migliaia d'anime ridotte alla fede da Pentecoste in qua, sì come io diedi in avviso all' Illmo suo prædecessore. Nel primo, che è sottoposto al Ré di Francia, si sonno erette tre parrochie et ivi stabiliti tré de' canonici nostri per la santa prædicatione, liquali fanno molto buon frutto ; ritrovandosi in quelle parti alquanti vecchi Catholici, la fede delli quali stava, come fuoco, nascosta et coperta sotto la cenere dell'essercitio huguenotto, che solo in quelle bande si usava da sessanta sei anni in qua, et adesso, dal vento del verbo divino, viene scoperta, et danno testimonio alla verità. Altri si convertono, et altri alla conversione si dispongono. [90]

            Resta che no solo in trè parrochie, ma in tutte, che sonno 26, si restituisca il santo essercitio et che le entrate ecclesiastiche siano tolte alli ministri hæretici et Genevrini ; perchè quando toccarà al popolo di mantenere li ministri a spese proprie, presto sene straccarà tanto magiormente che vederanno buoni sacerdoti offerirgli li pascoli salutari gratis. Et di questo ha supplicato Monsignor di Geneva alla Santa Sede che si degnasse trattar caldamente col Ré Christianissimo. Et perchè Monsignor l' lllmo Nuntio di Francia scrive che di ciò l'ordine gli è arrivato da Nostro Signore et che no glie manca se non uno de' nostri per darglie particolare raguaglio delle nostre ragioni, spero di partire la terza festa di Natale per andare in Parigi per questo servitio, con proposito tuttavia di ritornare quanto prima al santo Jubileo di Tonone, et massime se sarà vero quel che ci vien detto, cioè, che haveremo in quel tempo il beneficio della presenza di V. S. Illma, laquale sarà in ogni modo utilissima et fruttuosissima.

            Circa la Casa di Tonone, rispondendo alli capi toccati da V. S. Illma, [dirò] che per mezzo di quella Casa, la [91] benedetta Vergine, alla quale è dedicata, conculcherà et spezzarà il velenoso capo del serpente ridotto in Geneva et Lauzanna ; stabilirà la religione nel paese de' Valezani, corrottissimo et ruinoso nelle cose della Chiesa ; darà lume alle tenebre de' Bernesi et altri Sguizzeri, et in somma è indicibile il bene che tal dissegno può recare a tutte quelle provincie. Erit mons excelsus cervis, petra refugium hærinaceis ; erit in locum munitum et in domum refugii, ut innumeri salvi fiant. Hoggi si truova in termine et forma di casa poco fa uscita dalle mani de soldati et hæretici, cioè desolata et in pomorum custodiam.

            Ponno attraversare un così bel dissegno le scorrerie de' Genevrini et Bernesi, se le volessero fare, et la povertà di questi paesi. Li remedii potranno essere : che la Santa Sede pigli quel luogho di Tonone in singolarissima protettane, et a tal fine faccia concorrere li Prencipi catholici ; che il Serenissimo Duca faccia cinger quella terra de muraglie, il che in poco tempo si può far, come da [92] isperimentati si dice ; che si usi larga carità et liberalità, et si applichino copiosamente l'entrate di molte inutili badie et beneficii, servatis servandis ; et sopra tutto, che si dia presto di mano all' opera, realmente et da dovero, chè le buone intentioni giovano poco. Et se non si puoi fare in un tratto, si faccia poco a poco, cominciando dalle parti più necessarie : collegio, seminario, et così di mano in mano.

            Di Giulio Cæsare Paschali ho da dire che è stato moltissimi anni in Geneva, intorno alla quale non hebbe mai fundo nè cosa stabile, anzi era povero et si aiutava col faticare alla stampa, dove era correttore de libri, et colli denari della cassa et borsa della natione Italica, come si suole far dalli poveri secreti in quella Babilonia, dove, in questo particolare, prudentiores sunt filiis lucis in generatione sua. Hebbe tre figliuoli, delli quali duoi si stimano morti, uno in Piemonte, l'altro in luogho incognito ; il terzo è in casa et vien chiamato Prosper. Hebbe [93] alquante figliuole, delle quali una fu maritata in un gentilhuomo Genevrino chiamato Farnex, signor di Besinge ; onde può esser nato l' error della relatione fatta che detto Paschale sia signor di Besinge. Ha composto libri, ma poco stimati et non stampati. Si stima morto, perchè essendo scampato da una grande malatia uscì di Geneva et non è più comparso. Questo è quanto ho potuto saper di questo huomo.

            Onde non occorrendomi altro per rispondere alla lettera di V. S. Illma del VI di Novembre, glie bascio per fine humilissimamente le mani reverendissime, supplicandola di darmi la sua gratia et priegando Iddio che a beneficio dell' anime la conservi sana et salva a molti anni.

            Di V. S. Illma et Rma

Divotissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            Di Annessi, alli 21 di Decembre 1601.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Rome. [94]

 

 

 

            Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur,

 

            Bien que l'honorable rapport fait sur mon compte à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime ne fasse pas naître en mon âme peu de confusion, me sentant destitué du mérite qu'on m'attribue, neanmoins il me donne d'un autre côté beaucoup de consolation, puisqu'il m'offre l'occasion de me présenter à Votre Seigneurie comme son très humble et très dévoué serviteur. C'est ce que je fais actuellement, vous suppliant de daigner agréer l'ardente affection avec laquelle le peu que je suis vous est dédié. [89]

            Je vais maintenant rendre compte à Votre Seigneurie des progrès [de la religion] dans ce diocèse, en lui disant qu'ils sont très heureux, non seulement à Thonon et Ternier, car cela est désormais ancien ; mais aussi, tout récemment, dans les bailliages de Gex et de Gaillard, qui s'étendent jusqu'aux portes de Genève. Dans le second de ces bailliages, Mgr l'Evêque de Genève réconcilia, la semaine passée, huit églises pour l'usage de plusieurs milliers d'âmes ramenées à la foi depuis Pentecôte, ainsi que j'en donnai connaissance à votre illustrissime prédécesseur. Au premier, qui est soumis au roi de France, ont été érigées trois paroisses, dans lesquelles on a installé trois de nos chanoines pour la sainte prédication. Ils y opèrent beaucoup de fruit, car il se trouvait en ce pays plusieurs anciens Catholiques dont la foi était cachée et couverte comme un feu sous la cendre du culte huguenot, qui seul s'y pratiquait depuis soixante-six ans ; cette foi étant maintenant mise à découvert par le souffle de la parole divine, ils rendent témoignage à la vérité. D'autres encore se convertissent, et d'autres se disposent à la conversion. [90]

            Il reste que non seulement en trois paroisses, mais en toutes, qui sont au nombre de vingt-six, on rétablisse le saint exercice [du culte] et que les revenus ecclésiastiques soient enlevés aux ministres hérétiques et aux Genevois ; car, lorsque le peuple sera obligé d'entretenir les ministres à ses frais, il s'en lassera bientôt, et d'autant plus qu'il verra de bons prêtres lui offrir gratuitement de salutaires pâturages. Mgr de Genève a supplié le Saint-Siège de daigner traiter chaudement cette affaire avec le roi très chrétien. Or, parce que Mgr l'Illustrissime Nonce de France écrit qu'il en a reçu l'ordre du Saint-Père, et qu'il ne lui manque qu'un des nôtres pour lui donner une plus particulière connaissance de nos raisons, j'espère partir pour Paris la troisième fête de Noël, afin d'accomplir cette mission. Je me propose toutefois de revenir au plus tôt pour le saint Jubilé de Thonon, surtout s'il est vrai, comme on nous le dit, que nous jouirons alors du bienfait de la présence de Votre Seigneurie Illustrissime qui sera, de toute façon, très utile et très fructueuse.

            Pour répondre aux points touchés par Votre Seigneurie, je dirai [91] au sujet de la Maison de Thonon que, par son moyen, la bienheureuse Vierge, à qui elle est dédiée, foulera et brisera la tête venimeuse du serpent qui s'est refugié à Genève et à Lausanne ; la religion sera rétablie dans le Valais, pays très corrompu et ravagé en ce qui concerne l'Eglise ; elle illuminera les ténèbres des Bernois et autres Suisses ; en un mot, le bien que ce dessein peut apporter à toutes ces provinces est indicible. Ce sera une montagne élevée pour les cerfs, un rocher de refuge aux hérissons ; ce sera un asile assuré et une maison de refuge, afin que des âmes innombrables soient sauvées. Aujourd'hui elle est dans l'état et a l'apparence d'une maison sortie depuis peu d'entre les mains des soldats et des hérétiques, c'est-à-dire ruinée, et semblable à une cabane destinée à retirer les fruits.

            Un si beau dessein peut être entravé par les incursions des Genevois et des Bernois, s'ils voulaient en faire, et par la pauvreté de ces pays. On pourrait y remédier par les moyens suivants : il faudrait que le Saint-Siège prît sous sa très spéciale protection cet établisse-ment de Thonon, et que, dans ce but, il employât le concours des princes catholiques ; que le Sérénissime duc fît ceindre cette ville de murailles, ce qui, de l'avis de personnes expérimentées, peut se faire [92] en peu de temps ; que l'on usât d'une grande charité et libéralité [à l'endroit de cette œuvre] et qu'on y appliquât largement les revenus de bon nombre d'abbayes inutiles et de bénéfices, en observant les réserves de droit. Mais il est surtout requis qu'on mette bientôt la main à l'œuvre, réellement et sérieusement, car les bonnes intentions servent de peu. Si ce bien ne peut s'exécuter tout d'un coup, que du moins on le fasse petit à petit, commençant par les parties les plus nécessaires, telles que le collège, le séminaire, et ainsi successivement.

            Au sujet de Jules-César Paschali, je dois dire qu'il a habité de longues années à Genève, où il n'eut jamais ni fonds ni revenu assuré ; au contraire, il était pauvre et vivait de son travail à une imprimerie, où il était correcteur de livres, et de l'argent de la caisse et bourse de la nation italienne, comme les pauvres honteux ont coutume de faire en cette Babylone, où, pour ce regard, ils sont plus prudents dans la conduite de leurs affaires que les enfants de lumière. Paschali a eu trois fils, dont deux sont tenus pour morts, l'un en Piémont, l'autre en un lieu inconnu ; le troisième est chez lui et se nomme Prosper. Il a eu aussi plusieurs filles, dont l'une a été mariée [93] à un gentilhomme genevois appelé Fernex, seigneur de Bessinge ; de là peut provenir l'erreur de la relation qui fait ledit Paschali seigneur de Bessinge. Il a composé des ouvrages, mais peu estimés et non imprimés. On le croit mort, parce qu'ayant échappé à une grande maladie, il sortit de Genève où il n'a plus paru. C'est tout ce que j'ai pu savoir au sujet de cet homme.

            N'ayant donc plus rien à dire pour répondre à la lettre de Votre Seigneurie Illustrissime du 6 novembre, je termine en baisant très humblement ses mains vénérées et en la suppliant de m'accorder ses bonnes grâces. Je prie Dieu de vous conserver de longues années sain et sauf pour le bien des âmes.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            D'Annecy, le 21 décembre 1601. [94]

 

 

CL. A M. Louis de Sales, son frere (Inédite). Voies de conciliation à prendre au sujet d'un procès. — Ne pas refuser les avances du procureur Chappaz.

 

Annecy, 23 décembre 1601.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Ce pacquet est fort a propos de ces bonnes festes. Nous avons deux proces, ou mediatement ou immediatement, avec le procureur Chappaz : l'un est en estre, celuy des Miucet ; l'autre n'est qu'au projet dudit Procureur, qui est celuy quil prætendoit mouvoir pour la [95] mayson de monsieur Jan de la Thuille. Or, monsieur Machet ayant ouvert le propos de venir en appointement de l'un et de l'autre, hier ledit Procureur me vint voir fort tard, et de cent mille paroles je tiray quil desiroit fort nostre amitié ; ou il est le plus grand dissimulateur du monde. Et sur ses offres, je me promis et luy donnay esperance que madame ma mere proposeroit fort volontiers ses droitz, et de l'un et de l'autre proces, a une assemblee de gens d'honneur, pour en voir la claïrté et valeur.

            Je cuyde que ma persuasion est juste et bonne, et que nul ne doit refuser appointement. Au bout de la, n'ayant autre a faire avec luy, il ni aura aucune rayson pour laquelle nous ne puissions le recevoir a la commune amitié que le voysinage requiert. Et ce pendant, au progres de ses deportemens en nostre endroit, nous reconnoistrons si nous devrons avancer en familiarité et confiance, ou si nous devrons nous tenir en posture de defiance. Il dit merveilles, et tant, que la moytié suffiroit sil le faysoit ; sur tout il desire d'avoir acces vers vous et de pouvoir aller voir ma mere. Je vous prie de bien pratiquer le saint mot de l'Apostre : Tu autem, vince in bono malum et de procurer que ma mere en face de mesme ; nostre nature nous y porte et en devons faire gloire, car chi l’ aspetta la vince. Ou ce bon homme veut a bon escient nostre amitié, et nous ne la luy devons pas refuser ; ou il la veut seulement apparemment, et telle il la luy faudra donner, et, en peu de tems, au soleil la neige se fondra et l'ordure sera descouverte. Pour moy, [96] je tiens que c'est a bon escient et que si l'inconstance ne le gaste il sera fort nostre. Prudentes, simplices.

            Je finis, et dis que je suis d'advis qu'on prenne jour avec des bons arbitres, [ce] qui pourroit attendre le retour de monsieur le President ; il le desire, et il seroit le mieux. Mille baysemains a madame ma grande maistresse, a laquelle j'escriray avant mon despart. Las et recreu, je vous salue, estant

Vostre humble frere et serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            23 decembre 1601.

            A Monsieur mon Frere,

            Monsieur de la Thuile.

            A Sales.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [97]

 

Année 1602

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CLI. A M. Claude de Quoex. Départ du Saint pour Dijon et Paris afin de solliciter le rétablissement de la religion dans le pays de Gex. — Nécessité d'obtenir la médiation du Saint-Siège auprès du roi de France. — Influence du Cardinal d'Ossat sur le monarque. — Nouvelles de Mme de Quoex. — Divers messages. — Bon vouloir du baron de Lux ; oppositions de Lesdiguières

 

Meximieux, 3 janvier 1602.

 

            Monsieur,

 

            En peu de motz prou de choses, car je suis pressé. Me voyci a Messemieu avec monsieur nostre Præsident, et chez luy, devans partir tous deux aujourdhuy pour aller a Dijon, luy, a la solicitation d'un proces qui luy est important, moy, pour y trouver monsieur le mareschal de Biron et monsieur le baron de Lux desquelz je prætens obtenir une puissante recommandation aupres du Roy, ou, des Dijon, je m'achemineray pour nos affaires de Gex desquelz voyci l'estat.

            Monsieur le baron de Lux, au nom du Roy, conduisit Monseigneur le Rme au balliage de Gex sur le commencement du moys passé, et luy donna trois parroisses pour y exercer la religion catholique : la ville de Gex, [98] Farges et Asserens, et en consequence, bailla mainlevee a mondit Seigneur Rme des revenuz ecclesiastiques desdites parroisses. Nous ne sommes pas contens de si peu, car nous demandons tout, tant pour l'exercice, qui va premier, que pour les biens ; non seulement par ce que cela nous accommodera, mais encor plus par ce que cela incommodera la religion huguenotte, laquelle devant estre entretenue aux despens du peuple, manquera bien tost et indubitablement. Nostre requeste portoit cela. Sur quoy monsieur de Lux nous renvoye au Roy et a son Conseil ou je vay pour cest effect, appuÿé de tant de rayson que, pour peu qu'elle soit aydee, nous serons victorieux.

            Or, Dieu merci et vous, le Pape nous veut ayder ; cela y est extremement requis. Il faut instare opportune, importune. Monseigneur le Nonce de France escrit a Monsieur le Rme quil a charge de nous ayder, quil a commencé a le faire, quil trouve le Roy disposé, quil ne faut que bien solliciter et instruire. J'y vay pour cela ; mays, pour ne rien oublier, je voy que le coup de cest affaire gist en un'estroitte recommandation du Saint Siege, laquelle seroit extremement efficace si Sa Sainteté eu parloit a Monseigneur le Cardinal d'Aussat, luy commandant d'en escrire favorablement au Roy ; car on m'a dit qu'il ny a point d'entremise a Romme a laquelle le Roy defere tant comme a celle la. J'espere d'estre a Paris dans 10 ou 12 jours, la ou sil vous plait m'escrire dans les pacquetz de Madame, les lettres ne se perdront point. [99]

            A mon despart du pais j'ay laissé tout en santé, les vostres et les nostres, specialement madame vostre partie, laquelle estoit a Polinge quand Monseigneur le Rme estoit a Gaillart a la benediction des eglises, ou je fus ; et, sur mon chemin, visitay les freres et seurs audit Pollinare et Mairens.

            Touchant la coadjutorie, je vous bayse les mains de la peyne que vous en aves. Nous verrons que ce fut ; de quel costé qu'aille la barque, le port m'en sera aggreable. Je bayse mille fois les mains a nostre R. P. Juvenal, auquel j'escriray des Paris de statu rerum omnium. Item, je salue nostre monsieur Reydet in toto corde, messieurs Gojon, la patrie. Me voyla au reste pour jamais,

            Monsieur,

Vostre humble serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            A Messemieu, le 3. jour de janvier 1602.

            Nous avons laissé a Gex messieurs les chanoynes de Sales, Grandis, Bochuti. Nous sommes incroyablement redevables a la pieté et religion de monsieur de Lux, quil a fait paroistre en toute sa negociation. Monsieur Desdiguieres se treuv'a Gex le jour que nous y fusmes ; [100] les ministres recoururent a luy, ausquelz il dit quil ni avoit remede, que le Roy le vouloit, mais quilz gardassent tant quilz pourroyent les biens d'Eglise, car cela maintiendroit leur religion non obstant nostr'exercice.

A Monsieur

Monsieur de Quoex, Docteur es Droitz.

A Romme.

            Seporvis (?)

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat.

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CLII. A Monseigneur Claude de Granier, Évêque de Genève (Inédite). Compte-rendu de sa négociation à la cour de France. — Envoi d'une lettre du Nonce de Paris

 

Paris, 8 février 1602.

 

            Monseigneur,

 

            Apres que la court a esté de retour en ceste ville, Monseigneur le Nonce a pris la peyne d'aller chez monsieur de Villeroy, auquel Sa Majesté nous avoit addressé pour traitter, et la j'ay bien eu a desbattre pour nos pretentions. Neanmoins, a la fin, j'ay donné ma requeste fondamentale, sur laquelle il me dit que le Conseil nous feroit droit et justice, et que nous n'en doutassions point. [101] Ce qu'estant, je ne m'en puis retourner que bien depesché, Dieu aydant ; aussy vay je esventant certaines conjectures qui m'en font concevoir tres bonne esperance. Il y va un petit de la peyne et du tracas et un peu plus de tems que je ne pensois ; je l'abbregeray neanmoins le plus que je pourray, pour avoir l'honneur d'estre bien tost aupres de vous. Je suis marry que la despence soit si grande que des-ja nous soyons en faute d'argent ; toutefois, ce n'est ni faute d'espargne ni faute de soin, mays parce que tout nous a esté fort cher. Pourveu qu'il vaille, je pense qu'encor qu'il coste, tout sera trouvé doux.

            Nous avons un Nonce plein de tres bonne volonté et qui s'employe de courage. Je vous envoye la lettre qu'il vous escrit sur le sujet de ma negociation, et, pour sçavoir plus a plein ce qu'il en esperoit, je me suis dispensé de l'ouvrir, avec la confiance accoustumee en vostre bonté et en l'asseurance que vous aves de la loyauté de mon intention a vostre service.

            Nous n'avons aucunes nouvelles qui vaillent l'escrire, qui me fera finir par la tres humble reverence que je vous fay, vous baysant les sacrees mains, et priant Dieu qu'il vous donne, Monseigneur, ce que vous doit desirer et souhaitter

            Vostre tres humble et tres obeissant filz et serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            A Paris, le 8 febvrier 1602.

            Monsieur Deage vous bayse tres humblement les mains, comme fait aussy le bon Pere Galesius, qui part pour aller prescher a Calais.

A Monseigneur

Monseigneur le Reverendissime Evesque

et Prince de Geneve.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [102]

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CLIII. A M. Claude de Quoex. Réponse à deux lettres précédemment reçues. — Affaire d'intérêt. — Lenteur des négociations poursuivies à la cour. — Un mot sur les dépenses à faire au sujet de la coadjutorerie. — Le Saint est invité à prêcher le Carême à la chapelle de la reine. — Le P. Juvénal Ancina désire se rendre à Thonon. — Différends soulevés au sujet d'un prieuré

 

Paris, 9 mars 1602.

 

            Monsieur,

 

            J'ay receu deux de vos lettres, l'une du 21 janvier, l'autre du 5 febvrier, ausquelles je devois une plus soudaine response que je n'ay pas fait, si j'eusse peu tirer les resolutions qui devoyent servir de matiere a mes responses si tost que j'eusse desiré. Je desirois infiniment de faire que Madame vous envoyast argent et, quant et quant, congé pour revenir aupres de madame ma seur, laquelle commença des-ja a vous attendre des vostre despart. Mays pour le second, la resolution ne s'en est encor pas peu prendre ; ce sera neantmoins dans peu de jours, si mon credit ne manque en ceste ville, si non pour le tems que nous desirerions, au moins sera ce quelque chose autour. Les affaires se vont acheminant en sorte qu'a mon advis, malheur sera bon a quelque chose.

            Pour le premier, Madame se tient pour asseuree, sur lettres de monsieur de Moyron, que vous aures receu 400 escus et vous en envoye d'icy autre (sic) 400. Je ne laysseray passer aucune occasion de vous servir que je ne la prenne soigneusement, comme je dois. Monsieur le [103] President et monsieur de Saint Evroul y employent aussi tous bons offices, et ne doute point que vous ne soÿés contenté.

            Touchant l'affaire pour lequel je suys icy, je vous diray en deux motz que je ne fus jamais tant empesché, renvoyé que je suis au Conseil, dans lequel je trouve tout le monde reconnoissant que ma demande est extremement juste ; mays au reste, tout y va sur les respectz et retardations mal fondees a mon advis. Dieu me veut exercer. Ce pendant, je vous supplie de tenir main a ce que Monseigneur le Cardinal d'Ossat en escrive, car j'ay extreme besoin de toutes mes pieces. Et notes que si maintenant je ne fay rien, la porte de ceste esperance sera fermëe pour un grand tems ; c'est cela qui me fait opiniastrer et rendre importun.

            Au demeurant, j'ay escrit au païs pour faire envoyer les 200 escus requis pour l'accomplissement de l'entreprinse de la coadjutorie, me retreuvant en lieu ou je ne sçaurois y donner aucun ordre. Je croy que ma bonne mere y pensera a bon escient, puisque, apres tant d'advancement et de faveurs receües, la retraitte seroit ignominieuse. Je vous remercie infiniment de la peyne que vous y aves, et vous supplie de tenir tellement l'affaire sur pied que rien ne gaste pour la reputation.

            Il s'est icy parlé de guerre, mais vaynement et sans occasion ; je croy que Dieu nous continuera la paix. Monsieur de Quoex vostre oncle m'a escrit des Merly qu'un de ces jours il viendra icy me consoler, et je luy ay escrit que sil ne vient, je l'iray treuver.

            Attendant l'issue de mes affaires, j'ay esté forcé, par [104] honnesteté, de precher en la chapelle de la Reyne trois lois la semaine, devant les princesses et courtisans, n'ayant peu refuser aux prieres et commandemens qui m'en ont esté faitz. Mays cela s'entend sans retarder la sollicitation, que je fay lentement pour seconder l'humeur de ceux qui ont le fait en main, ausquelz je suis contraint de m'accommoder.

            J'escriray a Monseigneur le Rme mon Evesque touchant le saint desir de nostre bon P. Juvenal, affin que nous puissions avoir tant de consolation que de le voir en nostre diocæse, et pour un si bon sujet ; ce seroit bien !le vray accomplissement de mes contentemens. Je vous prie humblement de luy bayser les mains de ma part.

            Jay receu une lettre de monsieur nostre Ambassadeur, outre ce que vous aves escrit pour le seigneur Persiani ; marri de ne l'avoir receu sur les lieux ou j'eusse peu faire ce quil me commande, j'escriray au plus tost pour le faire faire. Ce pendant, voyci l'advis que je luy donne : monsieur le baron de Lux poursuit pour avoir ce prieuré pour un fort honneste ecclesiastique, gentilhomme de Bourgoigne, et, a mon advis, le seul fondement de vacance quil prætende est tel : Nul homme ne [105] peut avoir benefice en France qui ne soit naturalisé françois selon le concordat ; or, monsieur Persiani ne l'est pas, donques son benefice est vacquant. Il ni a remede, il faut donner ordre a ce point, autrement on aura mille peynes devant ces Parlemens pour le possessoire. Or, ne sçai je si ledit prieuré est deça ou dela le Rosne ; car sil estoit deça, necessairement on le voudroit reduire a la forme des benefices de France. Je vous prie rendre capable mondit seigneur de cecy, outre ce que je luy en escris.

            J'attendray de vous le signe pour faire les remercimens necessaires, et vous salue de toute mon ame, vous suppliant croire que vous obliges l'un des plus humbles et asseurés serviteurs que vous puissies avoir par tant de bons offices que vous me faittes. Je salue aussi monsieur Reydet et tous messieurs de nostre païs, et me redis, comme je feray toute ma vie,

            Monsieur,

Vostre plus humble et asseuré serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            A Paris, le g mars 1602.

A Monsieur

Monsieur de Quoex, Advocat fiscal de Genevois.

A Rome.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie. [106]

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CLIV. A Monseigneur Claude de Granier, Évêque de Genève (Inédite). Difficulté et lenteur des poursuites faites à Paris ; espérance de les voir aboutir

 

Paris, 26 mars 1602.

 

            Monseigneur,

 

            L'affaire pour la sollicitation duquel je suis icy est de si delicate conduitte et bigearre poursuitte que je n'ose encor vous en rien promettre, si ce n'est que je continueray d'y mettre tout le soin et affection que vous desires pour le faire resoudre ; ce que j'espere pouvoir bien tost obtenir, sinon avec toutes les bonnes conditions que tous les bons desirent, au moins avec quelque advantage qui nous puisse servir de sujet pour une meilleure esperance. Ce qu'estant fait, je partiray soudain pour me rendre aupres de vous, au bonheur de vostre presence, lequel ne m'arrivera jamais si tost que je le desire.

            Ce pendant je prie Dieu, Monseigneur, qu'il comble vos souhaitz de ses graces, et vous bayse tres humblement les mains, comme fait monsieur Deage.

            Vostre tres humble et tres obeissant filz et serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            De Paris, le 26 mars 1602.

            Monseigneur le Nonce vous salue fort affectionnement, et embrasse vivement l'affaire que vous m'aves confié.

A Monseigneur

Monseigneur le Reverendissime Evesque

et Prince de Geneve.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [107]

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CLV. Au même (Inédite). Annonce de la visite de M. de Mallians. — Crainte d'échouer dans sa négociation auprès du roi de France

 

Fontainebleau, 10 avril 1602.

 

            Monseigneur,

 

            Je suis arrivé icy a Fontainebleau sur le despart de monsieur de Mallians, lequel me donne esperance qu'il ira a Necy bien tost après son arrivee a Belley. Si cela est, il vous dira mieux qu'homme du monde le succes et la route que mon affaire a prins en ceste court ; aussi bien ne sçaurois-je pas vous l'escrire. Si cela n'est point, j'en escris un eschantillon a monsieur le Vicaire mon frere, affin qu'il vous en face rapport. J'apprehende infiniment de m'en retourner sans autre expedition que d'esperances ; neantmoins ma conscience me tesmoigne que j'ay fait tout ce que je pouvois, et estime que si la moisson ne suit pas de si pres le travail et la semence que j'ay fait en ce voyage, elle s'en recueillira neantmoins une fois et dans quelques moys ; en fin, qu'en faysant nostre devoir et ce qui est en nous, il faut subir les effectz que la providence de Dieu a establis.

            Je n'arresteray guere que je ne prenne la resolution finale necessaire pour mon retour, lequel je desire pour [108] avoir l'honneur d'estre pres de vous et recevoir vos commandemens avec l'obeissance que vous a vouee,

            Monseigneur,

Vostre tres humble filz et tres obeissant serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            A Fontainebleau, le 4. jour de Pasques 1602.

A Monseigneur

Monseigneur le Reverendissime Evesque

et Prince de Geneve.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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CLVI. Au même (Inédite). Nouvelles espérances. — Le Saint a prêché devant le roi ; il est invité à prononcer l'oraison funèbre du duc de Mercœur

 

Paris, 18 avril 1602.

 

            Monseigneur,

 

            Je reviens tout maintenant de Fontainebleau, ou si je n'eusse esté a propos, toute ma negociation estoit ruinee. J'ay tant fait neantmoins que j'en ay repris quelque bonne esperance ; dans deux ou trois jours j'auray l'entiere resolution. Ce ne sera pas, a l'adventure, avec tout le contentement que nous desirions : il faut tirer du feu ce que l'on en peut sauver. Ce sera tous-jours beaucoup, a ce que disent les expertz.

            Le jour de Quasimodo le Roy me fit prescher devant luy, et monstra d'en avoir eu du contentement. Je m'essayeray a me desvelopper le plus tost que je pourray, [109] mais le train des affaires est si malaysé en ceste court que quand on pense estre delivré, on est le plus embarrassé. Madame de Mercure m'a envoyé pour m'inviter a faire le sermon funebre de monsieur son mary dans cinq ou six jours, ce que je ne puis ni dois refuser.

            Monseigneur, je suis si pressé qu'il ne me reste plus de loysir que pour vous bayser tres humblement les mains et supplier de me continuer la faveur de vos graces, comme a celuy qui est a jamais,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant filz et serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            A Paris, le 18 avril 1602.

            Je vous supplie, Monseigneur, de commander a l'un de vos gens d'escrire de mes nouvelles a quelqu'un de mes freres. Monsieur le President vous bayse humblement les mains.

A Monseigneur

Monseigneur le Reverendissime Evesque

et Prince de Geneve.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [110]

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CLVII. A la Duchesse de Mercœur . Il condescend à laisser imprimer l'oraison funèbre du duc de Mercœur, et demande qu'elle soit dédiée à la fille de ce prince.

 

Paris, mai 1602.

 

            Madame,

 

            Vos premiers desirs ayans tenu lieu de commandemens sur ma volonté lhors que vous jettastes les yeux sur ma petitesse pour le discours funebre de feu monsieur le duc de Mercœur, je dois recevoir avec le mesme respect les tesmoignages des seconds, souffrant, Madame, que la piece soit mise au jour et donnee au public, puisque vous l'aggrees.

            Vous n'y verres rien de moy, Madame, que les simples tesmoignages de ma bonne volonté et les seules marques de mon obeissance, en un sujet, au reste, ou je n'ay pas eu moins de propension que de devoir. Ce qu'il y a de plus considerable c'est le sommaire tres fidelle des rares et eminentes vertuz dont Dieu avoit orné la belle ame et assorti le riche naturel du prince decedé. De moy, je confesse n'y avoir contribué que ma foible enonciation et ma voix pour servir d'echo, dans l'estendue d'une petite heure, a la reputation de ce grand prince, qui parloit [111] asses d'elle mesme et qui esclatera a jamais par les beaux exploitz dont non seulement la France et l'Allemaigne, mays toute l'Europe, voire toute la chrestienté, ont esté tesmoins. Et si bien l'escrit que j'en donne semble avoir plus de subsistance et de duree que ma voix n'en a eu en les prononçant, ce sera plus par la consideration des vertus de ce prince que par le tissu et l'ordre que j'ay tasché d'y apporter en l'escrivant.

            Au reste, si mon affection et bonne volonté n'estoit garante de ma sincerité et obeissance, la plus belle partie, qui en a esté obmise, auroit rayson de se plaindre ; mais ayant entrepris seulement de faire un simple eloge et sommaire de ce qui estoit convenable au tems, au lieu et a l'assemblee, j'ay deu laisser a l'histoire, qui reserve des volumes entiers pour une si belle vie, de suppleer a mon defaut, me contentant du nom et du devoir de panegyriste, dont j'ay tasché de m'acquitter. Que si, apres cela, on veut considerer ce qu'il y a du mien, rien sans doute que la sincerité de mes affections et respectz, qui ne mourront jamais pour la memoire de ce prince, qui ne doit jamais mourir en celle de tous les bons, mais principalement en la vostre, Madame, qui trouves advantageusement dans les vertuz de ce grand prince et cher espoux deffunct, comme aussi dans les vostres qui luy estoyent communes, dequoy vous consoler dans ceste sensible privation ; quoy que la plus solide, la veritable et la plus chrestienne consolation est celle que vous aves puisee dans la source, qui est la volonté de Dieu, qui seul en ceste occasion a donné ce grand calme et ceste absolue resignation qui paroist en vostre esprit.

            Ce n'est pas qu'apres cela, s'il est permis, comme il l'est sans doute, de rechercher quelque adoucissement au dehors, vous n'en ayes un tres grand dans le pretieux gage que ce grand prince vous a laissé de vostre mariage ; je veux dire en madamoyselle de Mercœur, laquelle estant une image vivante du pere, elle est aussi la legitime heritiere de ses vertuz, dont il a laissé le soin a vostre conduitte, Madame, pour les cultiver par la noble et chrestienne education que vous luy reserves. Si elle [112] avoit besoin hors de soy de quelque memorial de celles du grand prince que le Ciel luy avoit donné pour pere, je la prierois, sous vostre adveu et bon playsir, Madame, d'aggreer le sommaire que j'en ay dressé en ceste piece ; vous conjurant, puisqu'aussi bien vous desires qu'elle voye le jour, que ce soit sous les auspices et a la faveur du nom de ceste princesse, vostre unique et tres chere lille.

            C'est la tres humble supplication que vous fait,

            Madame,

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,

FRANÇS DE SALES.

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CLVIII. A M. Claude de Quoex. Démarches faites auprès de la duchesse de Nemours pour obtenir à M. de Quoex l'autorisation de quitter Rome. — Cause du mécontentement du président Favre. — Affaire de la coadjutorerie. — Faveur dont le Saint jouit à la cour de France. — Divers messages

 

Paris, 21 mai 1602.

 

            Monsieur,

 

            J'ay receu vostre lettre du 17 avril, et, pour response, je vous diray que nous allons avançant le plus que nous pouvons aupres de Madame, affin que vous puissies recevoir la consolation de vostre retour que vous desires ; non que j'y puisse guiere, mais j'y contribue et contribueray le soin que je pourray, et voy Madame asses disposee ; niais les executions des desseins sont un petit lentes et tardifves, non seulement en cela, mais en tout le reste. J'espere que vous en aures contentement. Je suis seulement marri que monsieur de Saint Evroul, qui peut plus quo tous, s'en va de ceste ville pour plusieurs jours ; [113] neanmoins je le presseray qu'avant son despart nous puissions ensemblement donner une secousse a l'esprit de Madame, pour faire esclorre une bonne et entiere resolution.

            Touchant monsieur le President, il n'a esté fasché sinon par ce qu'on luy a exaggeré que vous escrivies a Madame que luy seul estoit cause du proces, et seul d'opinion quii fut soustenable, et que les voix quii se promettoit pour nous n'estoyent que vanité ; et così discorrendo. Dequoy il se treuva a la verité un petit piqué, et moy, extremement marri de l'indiscretion de ceux qui, sur le desplaisir quii avoit de la perte, luy allerent alleguer toutes ces choses. Il m'a dit despuis que pour tout cela il ne laisseroit de vous cherir sincerement, et faire tous les offices que vous sçauries desirer de luy. Je ne suis pas d'advis que vous monstries d'avoir plus aucune defiance de son amitié, puisque il n'en a plus de la vostre. A nostre veüe, vous vous dires tout bellement vos raysons l'un a l'autre, et je vous donneray l'absolution a tous deux. Il ni a point de si parfaitte amitié qui ne se trouble quelquefois par quelque petit nuage, lesquelz estans passés, amoris redintegratio sunt.

            Pour le regard de mon affaire, je vous supplie de l'avoir en recommandation. Mes freres m'escrivent que par deux diverses voÿes ilz ont donné ordre a vous faire tenir les [114] 200 escus quil faut pour les escritures, propines, etc., et ne doute pas que des-ores vous ne les ayes receuz. J'attens aussi que vous me donnies advis des remerciemens que j'auray a faire. Bref, je vous recommande mon honneur de tous costés. Cependant, icy je suis traitté en Evesque mal gré que j'en aÿe, et faut que je le souffre en toutes compagnies et actions, mesmement a la negociation que je fay, ou ceste prætendue qualité me sert de beaucoup, si bien il me desplait d'en estre servi avant le tems ; mais manco male. Au demeurant, je crains beaucoup que ma negociation ne me soit guere utile, non obstant beaucoup de faveur que je reçois de presque tous les grans, et mesme du Roy despuis que j'ay eu presché devant Sa Majesté ; car auparavant je ne luy avois pas parlé.

            Je desirerois fort de sçavoir quelle resolution le seigneur Persiani aura prinse pour garantir son prieuré en ceste court ; car j'apprens tous les jours qu'il y survient des nouveaux competiteurs, et entr'autres un filz de monsieur Des-Aires, conseil (sic) en la court de Parlement. Or, a mon advis, il faut [que] le seigneur Persiani prenne resolution d'en voir une fin en ceste court, ou par la faveur de Monsieur le Cardinal d'Ossat ou de quelqu'autre ; autrement il sera tous-jours inquieté.

            Je vous supplie de me faire ceste faveur de bayser les mains a monsieur nostre Ambassadeur en mon nom et m'entretenir en sa grace, que je cheris autant que nul autre de ce monde. Je luy escrirois si cest'occasion m'en donnoit le loysir. Je bayse les mains a monsieur Reydet, a messieurs Gojon et autres de ma connoissance, mays sur tout a nostre R. P. Juvenal, s'il est encor a Rome, [115] dequoy je suis entré en doute par ce que on m'a dit quii venoit et estoit deputé pour Thonon.

            Il se parle icy de quelque trouble du costé de Bresse, mais fort peu asseurement. Si cela estoit ma negociation seroit ruinee, et beaucoup de bonnes choses pour la sainte foy, car l'heresie se nourrit de troubles.

            Monsieur, je vous salue humblement et suis

Vostre humble serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            A Paris, le 21 may 1602.

            Il ni a pas long tems que j'ay veu monsieur de Quoex vostre bon oncle, qui se porte bien.

A Monsieur

Monsieur de Quoex.

Rome.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie.

 

 

CLIX. A M. de Soulfour. Remerciements des avances affectueuses qui lui sont faites. — Intérêt pour le monastère des Filles-Dieu. — Eloge de M. Gallemand. — Regret de n'avoir pu se rendre à Pontoise. — Le P. Vicaire de la Chartreuse envoyé à Cahors.

 

Paris, 15 juin 1602.

 

            Monsieur,

 

            Je ne sçaurois respondre a la courtoisie dont la lettre que monsieur vostre filz m'a donnee de vostre part est remplie, car je n'ay pas asses de bonnes et belles reparties [116] d'esprit. Mais je pense bien avoir asses de vraye et franche affection pour correspondre a la faveur que vous me faittes de m'aimer, si ell'est mesuree par l'estendue de son acte et non pas par le merite de l'agissant ; car a ce prix, toute mon ame demeureroit bien bas et hors des prises de la comparaison.

            Mais trefves je vous supplie, Monsieur ; mon cœur ne peut pas garder les regles de la contenance au sujet de vostre amitié, il en est trop vivement esmeu. J'accepte tout ce que vous me donnes, et vous et madamoiselle vostre partie et la benediction des enfans que Dieu vous a donnés, affin de ne vous envier pas la part que vous aures en la sentence : Beatius est dare quam accipere. Je n'ay rien pour contrechanger vostre bienfait, je confesse que je suis vaincu. Tenes moy, je vous prie, pour esclave, ma cadene me sera tres agreable ; aussi sera-elle d'or, et du fin or de charité. J'ay veu en la face de monsieur vostre filz, mais encor en son ame, la vive image de son pere. Ceste double relation quii vous a m'oblige dautant plus a luy desirer et vouer tous mes services, et a me souhaitter beaucoup plus de capacité pour luy en rendre.

            Je n'ay eu la commodité des vostre despart de visiter mes dames Filles de Dieu sinon une fois en ces octaves, que je leur presentay un metz du grand festin qui se celebroit en ce tems-la ; mais je me suis obligé de leur en porter un autre sur le mesme sujet. Je vis a part nostre espousee, qui tesmoigne beaucoup de contentement en son esprit et beaucoup de force de courage. Ceste premiere veüe luy aura donné confiance pour desployer plus au long ses pensees a la seconde, si elle pensoit tirer [117] quelque consolation de la consultation ; mais je crois qu'elle n'en a pas besoin.

            J'ay eu le loisir de gouverner deux ou trois fois le bon monsieur Galemand, avec autant de proffit que j'en ay jamais recueilly d'autre conversation quelcomque ; il a l'esprit vrayement apostolique. J'ay esventé parmi les bonnes ames le desir qui vous avoit esté proposé de la Congregation de l'Oratoire, mais je ne voy pas encor la sayson bien arrivee : Dieu fera son œuvre.

            Je m'attendois avec beaucoup de desir de vous aller voir a Pontoise au jour que nous avions choysi ; mais il faut que je me mortifie et que je perde du tout l'esperance en ce grand contentement, ou que je differe a un autre tems, car mes affaires me tiennent assiegé et a la gorge, en sorte que je ne puis m'eschapper. Croyes que j'en suis infiniment marri ; mais, si je puis, je ne perdray qu'en l'attente, car estant despeché je retarderay plus tost quelques jours pour rencontrer l'occasion de recevoir ce bien, et lhors je vous diray plus de nouvelles du dessein des Religieuses reformees que je ne sauroys faire maintenant, car Sa Majesté en aura receu la requeste et declairé son bon plaisir. Vous sçaves bien que Paris perd le P. Don Vicaire, qui s'en va Prieur a Cahors, en Querci. [118]

            Monsieur, le papier me manque et, en devisant avec vous, l'appetit m'est creu jusques a me porter en ce coin ou je n'ay plus de lieu que pour me recommander humblement a vos bonnes prieres et a vos graces et a celles de madamoiselle vostre femme, et me dire pour toute ma vie,

            Monsieur,

Vostre tres humble et tres asseuré serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            A Paris, le 15 juin 1602.

            A Monsieur

            Monsieur de Soulfour.

            A Glatagni.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, au Carmel de la rue Denfert-Rochereau.

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CLX. A une dame inconnue (Fragment). Recommandation en faveur d'un ecclésiastique pauvre.

Paris, juin-août 1602.

 

            Madame,

 

            Ce pauvre homme d'Eglise a estimé quil auroit plus d'accès a vostre charité s'il avoit en main un'attestation de moy de la necessité en laquelle il est ; et par ce qu'elle m'a esté asseuree d'asses bon lieu, je n'ay sceu luy refuser ceste assistence, laquelle il m'a fort instamment [119] demandee, me conjurant par toute la compassion qu'un Chrestien doit a un autre. Je vous supplie tres humblement, Madame, de n'en point estre importunee, puis que la renommee de vostre bonté et charité est cause qu'elle m'a esté si fort demandee, et l'asseurance et certitude que j'en ay m'a donné le courage de l'oser faire.

            Je fusse allé moy mesme vous donner cest'attestation [si] je [n'eusse] estimé que vos occupations recevront…

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CLXI. A M. du Chemin (Inédite). Impossibilité de se rendre à Chancenay. — Prière de l'excuser auprès de MM. d'Acy et de Maneuvre. — Témoignages d'affection.

 

Provins, 24 septembre 1602.

 

            Monsieur,

 

            Je passé (sic) et passe plein de desplaisir de me treuver si pres de vous sans avoir le bien de vous revoir, comme j'avois souhaitté faire avec tant de passion. Mais je suis embarqué dans le coche de Chalons qui est inexorable a [120] divertir de son chemin, et d'ailleurs je suis un petit pressé de faire mon retour, qui m'empeche de chercher autre moyen de me rendre a vostre Champcenai. Croyes moy, je vous supplie, que je ne fay pas volontiers ni de mon gré ceste faute ; j'avois trop de desir de vous revoir et representer mon humble service a toute la mayson de messieurs d'Acy et de Manœuvre, a quoy madamoiselle de Sainte Beuve m'avoit encor animé par le tesmoignage qu'elle m'a rendu qu'ilz s'y attendoyent. Mais puisque je ne puis pas, et qu'aussi est ce un foible tesmoignage de l'affection des serviteurs d'aller faire bonne chere a la table de leurs maistres, je vous conjure, par nostre ancienne connoissance et reciproqu'amitié, de faire treuver bonne mon excuse a mesdits sieurs d'Acy et de Manœuvre, et de les asseurer que je prise leur bienveüillance autant qu'autre homme auquel ilz en puissent faire part, et que je suis infiniment obligé a la courtoisie dont ilz m'ont prevenu, et m'en tiens pour redevable serviteur. Je n'ay point de belles parolles, mais oüy bien d'asseurees resolutions en ces occasions.

            Quant a vous, je me prometz que vous m'aymeres au travers de toutes les distances du monde, lequel n'est pas asses grand pour borner l'activeté de nostre amitié ; car je juge de la vostre par celle que je sens en mon ame, nonobstant la difference que l'object y peut apporter, qui se treuve aussi grand pour mon action quii est petit pour [121] la vostre ; mais l'agent de vostre part ne doit estre vaincu. Pardonnés moy, je vous supplie, si je dis trop de paroles. Je ne veux dire pour tout sinon que je vous supplie de tout mon cœur de m'aymer de tout le vostre, de faire que messieurs d'Acy et de Manœuvre m'ayment tous-jours, de m'escrire quelquefois par l'entremise de monsieur Santeul ; et je vous prometz de ma part de vous aymer, honnorer, servir toute ma vie, d'estre tous-jours humble serviteur de toute la mayson de ces seigneurs, et de vous rendre compte de ma vie le plus souvent que je pourray, glorieux que je seray de me resouvenir souvent que vous m'aymes et que je suis,

            Monsieur,

Vostre plus humble serviteur,

FRANÇS DE SALES,

esleu E. de Geneve.

            Je vous demande part a vos prieres, je vous feray part aux miennes. Monsieur Deage vous salue extremement.

            A Provins, le 24 septembre 1602.

            A Monsieur

            Monsieur du Chemin.

            A Champcenai.

 

Revu sur l'Autographe appartenant au marquis de Pimodan, duc de Rarécourt, à Paris. [122]

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CLXII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Retour de Paris. — Protestations de soumission et de dévouement. — Demande de la protection de Son Altesse

 

Thorens, 14 octobre 1602.

 

            Monseigneur,

 

            Je donnay advis a Vostre Altesse du voyage que je devois faire en France et du sujet qui m'y portoit, pour lequel ayant presque inutilement employé plusieurs moys, me trouvant maintenant de retour, j'estime aussi luy en devoir donner advis, affin qu'elle sache ou ses commandemens me rencontreront quand il luy plaira m'en honnorer. Ce que je me sens tous-jours plus obligé de faire, devant entrer en la charge d'Evesque par le trespas du bon et saint Prælat duquel Vostre Altesse avoit tant gousté la pieté ; en la succession duquel (puisque ça esté le bon plaisir du Saint Siege et de Vostre Altesse de m'y appeller) j'espere vivre heureusement parmi une infinité de travaux et de peynes qui s'y presentent, sous la faveur et protection de Vostre Altesse, pour la prosperité delaquelle je feray toute ma vie prieres a Nostre Seigneur, et demeureray,

            Monseigneur,

            Son tres humble et tres obeissant sujet, serviteur et orateur,

FRANÇS DE SALES,

esleu Evesque de Geneve.

            De Thorens, le 14 octobre 1602.

            A Son Altesse.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin. [123]

 

 

CLXIII. A M. Claude Marin (Fragments inédits). Douleur de la mort de Mgr de Granier. — Indifférence relativement à la dignité episcopale.

 

Sales, 21 octobre 1602.

 

            … Vous ne sçauries croire le desplaysir que je receu a Lion quand l'on me dit le trespas de feu Monseigneur le Reverendissime, mon bon pere…

            En soit ce que la providence de Dieu voudra. Je suis tous-jours celuy d'autrefois ; je ne desire non plus l'evesché que je l'ay desiree. Si elle me vient, il la faudra porter ; si moins, je me porteray tant mieux moy mesme…

Vostre tres humble serviteur,

FRANÇS DE SALES,

esleu Evesque de Geneve.

            A Sales, 21 octobre 1602.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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CLXIV. A M. Claude de Blonay. Achat de la terre de Thorens par la famille de Sales. — Nécessité de contracter un emprunt pour payer ce domaine. — Prière d'intervenir à cet effet auprès de M. de Prangins.

 

Sales, 21 octobre 1602.

 

            Monsieur,

 

            Je ne vous escris point maintenant pour vous donner comte de ce que j'ay fait et que je n'ay pas fait en mon [124] voyage ; ce sera une piece de nostre entretien a nostre premiere veüe. Mais je vous escris pour vous supplier de vouloir favoriser toute ceste maison, et moy particulierement, en un'occasion que nous pensons estre a nostre propos.

            Je pense que vous aures sceu que ma mere et mes freres, avec le reste de casa, ont achepté la terre de Thorens de madame la Duchesse de Mercœur, pour le prix de 6000 escus d'or, et pense aussi que vous sçavés que ce n'a peu estre sur la confiance d'aucun tresor que nous eussions en main. Neanmoins, ma mere et ses confederés ont tant fait que le premier payement de six mille francz est prest. Reste quatre mille escus, lesquelz nous ne pouvions assembler que par l'exaction de l'argent qui nous est deu et par des ventes d'autres biens, et des engagemens ; mais tout cela ne se peut bien faire qu'avec du loisir, comme vous pouves penser. C'est ce qui nous a fait penser a un autre remede, qui est d'emprunter sil se peut, quelque bonne somme de deniers, pour, par apres, vendre et mesnager a l'aise nos desseins ; et nous sommes advisés de monsieur de Prangin, lequel on estime en semblables occasions asses bon medecin, pour autant quil a les drogues necessaires, pourveu que son urgent soit bien asseuré. Or, en cas quil le voulut, nous [125] nous essayerions de le luy bien asseurer, et, au moins pour mille escus, estimons-nous que monsieur Muneri nous fera le bien de nous cautionner, d'autant que c'est la somme laquelle, ou environ, l'hoire du Baron d'Hermence, de laquelle il est curateur, nous doit encores. Et pour le reste, si on en pouvoit treuver d'avantage, nous nous essayerions de treuver caution bonne et raysonnable, et payerions les interestz comme il seroit traitté, fort bien et sans peyne.

            Reste maintenant que quelcun nous face ce bien que de prendre la peyne de sonder si monsieur de Prangin y voudroit entendre, ou bien, a faute de luy, sil se pourroit trouver quelqu'un autre, ou en Valey ou ailleurs de ce costé la qui le voulut faire. Et pour ce regard, la vielle amitié quil vous a pleu de nous porter, et a toute ceste mayson, nous a donné confiance de vous supplier de nous faire ce bon office en quelque façon que ce soit, ou par l'entremise d'amis ou par vous-mesme, comme vous jugerés plus a propos. Nous vous en supplions donques humblement, et de nous en donner les advis le plus tost que vostre commodité le permettra.

            Et en cas que monsieur de Prangin vous semble le plus duisant, vous pourriés, sil vous plait, me mettre en consideration, et ma promotion a l'evesché, bien que la verité est que cela ni apporte rien ; mais je le dis seulement par ce quil m'ayme et me connoist, et que telle cause est probable. Je remetz en fin toute ceste conduitte a vostre prudence et a la bonne et entiere amitié que vous nous portes, sans vous en dire plus de paroles, sinon que la somme que nous desirerions seroit de trois mille, deux mille ou au moins mille escus.

            J'attens de jour a autre les despeches de Romme necessaires pour la resolution et execution de l'affaire de l'evesché ; les ayant, je vous en feray sçavoir des nouvelles et ne parleray plus que des choses spirituelles, attendant cependant de vous des nouvelles de ces choses [126] temporelles, que je vous supplie d'embrasser pour ceste mayson, qui vous est entierement acquise et servente, et de moy en particulier, qui ay tous-jours esté et seray toute ma vie,

            Monsieur,

Vostre humble et asseuré confrere et serviteur,

FRANÇS DE SALES,

esleu E. de Geneve.

            A Sales, le 21 octobre 1602.

            A Monsieur

            Monsieur de Blonnay.

            A Siez.

 

Revu sur l'Autographe conservé au château de Marin (Chablais), Archives de Blonay.

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CLXV. A sa Sainteté Clément VIII (Minute). Compte-rendu des négociations faites à la cour de France. — Eloge de Mgr de Granier : son zèle apostolique, sa piété. — Remerciements pour la remise des droits d'annates. — Soumission au Saint-Siège

 

Sales, fin octobre 1602.

 

            Beatissime Pater,

 

            Ineunte hoc ipso anno, ex Episcopi, Capituli et cleri hujus Gebennensis voluntate, discesseram apud Christianissimum Francorum Regem, tractaturus de Catholica religione restituenda in oppido et universo agro Gaiano : [127] negotium quidem pium, quo nullum sequius proponi poterat, et cui promovendo nulla ex parte defuit apostolica sollicitudo Beatitudinis Vestræ, cujus scilicet Nuncius, Episcopus Camerinus, magno zelo, magna prudentia vir, in hanc rem, tum cum Rege ipso, tum etiam cum intimis illius consiliariis, serio sæpe et sedulo egit, ut nihil ad spem optati finis desideraretur. At vero (quæ est horum temporum injuria !) vix quidquam tandem post multam tam sancti negotii jactationem consecuti sumus, præterquam quod tribus in locis nobis religionis Catholicæ mysteria peragere liberum est, addito in id pro sacerdotibus nostris annuo commeatu. Quod autem ad caetera spectat, Rex ipsemet duram temporum conditionem objecit : tum se plus omnibus Catholicæ religionis in integrum restitutionem expetere, sed non id omne sibi licere quod libet, et id genus multa ; ita ut, exactis plane mensibus novem, re propemodum infecta redire coactus sim.

            Mihi autem redeunti illud quam molestissime accidit, [128] ut Episcopum nostrum Gebennensem una cum Jubilæo Tononiensi diem suum extremum clausisse reperirem ; qua nulla major jactura huic provinciæ, nulla major tristitiæ causa iis populis accidere potuit. De hoc Pontifice tibi, Pontificum maxime, pro tua vigilantia satis cognito, hoc unum dicam. Huic Ecclesiæ viginti quinque annis præfuit et assidua præsentia etiam adfuit ; ac partim sua opera, partim aliena, oves errantes ad viginti quinque millia in ovile Dominicum reduxit : vir antiqua religione, antiquis moribus, antiqua pietate, antiqua constantia, dignus plane immortalitate, et illa memoria quæ in omnium sit benedictione.

            Jam vero, Pater Beatissime, hic tantus vir non ita piidem me, nullo carnis aut sanguinis vinculo sibi charum, in adjutorem et successorem postulaverat, ac etiam, per summam Beatitudinis Vestræ humanitatem et beneficentiam, suo ingenti gaudio obtinuerat ; quare Litteras Apostolicas accepi, quibus me Episcopum in defuncti locum suffectum esse Sancta Sedes Apostolica sancivit. Quorum omnium seriem attentus considero. [129]

            Id omnium mihi reliquum est, ut Providentiæ divinæ me et rem universam expansis velis committam ; et tibi, Pater Beatissime et Clementissime, quantas possum maximas gratias agam, ob illa immensa beneficia quibus me Apostolica tua munificentia cumulasti ; cum non tantum episcopatum concessisti, sed ea omnia quæ de more ad ærarium sive censum Apostolicum ex ea concessione manare debuerant, summa et tanto culmine digna liberalitate remisisti.

            Cujus beneficii loco nihil quod rependam invenio, præter gratam et propensissimam voluntatem meam, quam universam et integram Beatitudinis Vestræ imperio ac nutui addico, Deum omnium remuneratorem obsecrans, ut eamdem Beatitudinem Vestram multa et felicissima valetitudine Ecclesiæ suæ quam diutissime servet incolumem. Ad sacros autem pedes humillime provolutus, Apostolicam benedictionem expecto, quo munus consecrationis, quod statim sum suscepturus, mihi et gregi sit uberius et lætius. [130]

 

 

 

            Très Saint Père,

 

            Au commencement de cette année je m'étais rendu à la cour du roi très chrétien pour traiter au nom de l'Evêque, du Chapitre et du clergé de Genève du rétablissement de la foi catholique dans la [127] ville et le bailliage de Gex. Il ne se pouvait proposer d'entreprise plus sainte ni plus équitable ; aussi Votre Sainteté n'a rien épargné de ses soins et de sa sollicitude apostolique pour la faire réussir. L'Evêque de Camerino, son Nonce, personnage plein de zèle et d'une rare prudence, s'y est aussi activement employé. Ce Prélat eut à ce sujet de fréquentes et sérieuses conférences, tant avec le roi lui-même qu'avec les plus intimes conseillers de Sa Majesté ; il semblait donc que rien ne contrariait l'espoir du succès désiré. Mais, ô misère de notre temps ! après avoir fait tant de démarches pour cette sainte négociation, à peine avons-nous gagné l'autorisation de célébrer les saints mystères en trois localités, avec la concession à cet effet, d'un revenu annuel pour nos prêtres. Quant au reste, le roi lui-même nous représenta la dureté des temps : « Je désirerais plus que nul autre, » dit-il, « l'entier rétablissement de la religion catholique, mais mon pouvoir n'égale pas mon bon plaisir ; » et semblables propos. C'est ainsi qu'après neuf mois entiers, j'ai été contraint de m'en retourner sans avoir presque rien fait.

            J'étais en chemin, quand j'appris une très pénible nouvelle : [128] notre Révérendissime Evêque venait de finir sa vie en même temps qu'expirait le Jubilé de Thonon. Cette province ne pouvait faire une perte plus considérable, ni ses habitants avoir un plus grand sujet de tristesse. De ce Pontife bien connu de vous, ô Pontife suprême si vigilant, je ne dirai qu'un mot : chargé pendant vingt-cinq ans du gouvernement de cette Eglise, il l'a soutenue par l'assiduité de sa résidence. Par son propre travail, aussi bien que par celui de ses coopérateurs, il a ramené vingt-cinq mille brebis errantes au bercail du Seigneur. Homme de foi antique, de mœurs antiques, d'antique piété et d'antique constance, il est digne assurément d'immortalité et sa mémoire mérite d'universelles bénédictions.

            Ce grand homme, Très Saint Père, peu de temps avant sa mort, avait demandé de m'avoir pour coadjuteur et successeur, quoique je ne lui appartinsse aucunement par les liens du sang et de la parenté, et il l'avait obtenu, à sa très grande joie, de l'ineffable bienveillance de Votre Sainteté ; j'ai en conséquence reçu les Lettres apostoliques du Saint-Siège qui m'établissent successeur de l'Evêque défunt. Je ne cesse de considérer attentivement la suite de ces évènements. [129]

            Il ne me reste plus rien à faire que de me remettre à la Providence divine, lui confiant avec un abandon absolu le soin de ma personne et de toutes choses. Et à vous, Père très saint et très clément, je rends autant qu'il est en moi les plus vives actions de grâces pour les immenses bienfaits dont votre munificence apostolique m'a comblé. Non content de m'élever à l'épiscopat, Elle a voulu, par une libéralité souveraine, bien digne de la suprême grandeur, me remettre les droits qu'à cette occasion j'aurais dû payer, d'après la coutume, au trésor apostolique.

            Pour un tel bienfait, je ne puis en rien témoigner ma gratitude si ce n'est par ma bonne volonté reconnaissante et dévouée. Je la soumets tout entière aux ordres et au bon plaisir de Votre Sainteté, et de tout cœur je supplie Dieu, le grand rémunérateur, de vous conserver très longtemps dans une santé heureuse et inaltérable pour le bonheur de son Eglise. Enfin, prosterné humblement à vos pieds sacrés, j'attends votre bénédiction apostolique, afin que la consécration que je vais recevoir m'obtienne à moi et à mon troupeau plus de faveurs et de consolations. [130]

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CLXVI. Au même (Minute). Combien l'établissement des Carmélites en France contribuerait à la gloire de Dieu. — Trois ecclésiastiques de grande vertu désignés pour Supérieurs. — Approbation apostolique sollicitée pour l'exécution de ce projet

 

Thorens, commencement de novembre 1602.

 

            Beatissime Pater,

 

            Cum essem Lutetiæ Parisiorum, ejus rei gerendæ gratin de cujus exitu non ita pridem ad Beatitudinem Vestram litteras dedi, facere non potui quin plures conciones haberem, cum ad populum, tum ad Regem ipsum et Principes. Ea autem occasione, Catharina Aurelianensis, Princeps a Longavilla, virgo non tantum magnorum Principum sanguine, sed etiam, quod caput est, [131] Christi charitate perillustris, quæ per id tempus monasterium fœminarum Ordinis Carmelitarum reformatarum in ipsa Parisiensi civitate fundare animo moliebatur, me aliquot excellenti pietate et doctrina theologis adjungendum duxit, quorum sententiis animi sui consilium et sensum expenderet et probaret. Itaque convenimus omnes aliquot diebus ; eaque re exacte perpensa, vidimus perspicue consilium hoc a Deo originem duxisse, et ad ejus gloriam multorumque salutem quam maxime spectare.

            Angebat tamen quod fieri posse non videbatur, ut Fratres ejusdem Ordinis, qui monasterii hujusmodi gubernacula susciperent, in Galliam facile inducerentur. Veruni huic difficultati obviam itum est, ex recenti exemplo ejus monasterii illius ejusdemque Ordinis, quod in Urbe unius ex Patribus Congregationis Oratorii curæ commissum est. Quare selecti sunt viri tres, doctrina, morum integritate ac rerum gerendarum peritia conspicui, qui, [132] maximo monasterii bono, operi præfici possent, atque ita deinceps omnibus difficultatibus quæ ex locorum et temporum injuria oriebantur sigillatim [obviarent].

            Ita factum est satis, ut aliud superesse non videretur quam ut sacrum hoc negotium Sanctæ Sedis Apostolicæ judicio fulciretur, et Regis voluntati permitteretur : ac Regis quidem, præter multorum spem, statim consensus accessit. Quare nunc ad Beatitudinis Vestræ pedes mittitur hic nuntius, qui suppliciter ab ea petat Apostolica mandata, quibus res acta constet et perficiatur.

            Ego vero, Beatissime Pater, qui omnibus propemodum hac de re consiliis interfui, etsi dignus non sum cujus testimonium audiatur, non possum mihi temperare quin, quemadmodum facturum me recepi, testatum faciam, quoad per me fieri potest, e re Christiana fore ut hi cælestes motus, hoc tempore et eo præsertim loco, Vestræ Beatitudinis Apostolicis benedictionibus promoveantur. [133] Id Princeps hæc virgo, id permultæ aliæ, id ego cum eis, humillimis petimus precibus.

            Deus autem optimus maximus Beatitudinem Vestram nobis et bonis omnibus quam diutissime servet incolumem.

 

 

 

            Très Saint Père,

 

            Pendant mon séjour à Paris, où je traitais l'affaire dont j'ai récemment écrit l'issue à Votre Sainteté, je dus accepter de faire de nombreuses prédications devant le peuple et devant le roi lui-même et les princes. A cette occasion, madame Catherine d'Orléans, princesse de Longueville, très illustre non seulement par la noblesse des [131] princes de sa maison, mais encore, ce qui est le principal, par son amour pour le Christ, ayant projeté de fonder à Paris un monastère de femmes de l'Ordre des Carmélites réformées, jugea bon de m'adjoindre à d'autres théologiens d'une piété éminente et d'un profond savoir pour délibérer ensemble sur ce projet de fondation. Nous nous assemblâmes pour cet effet pendant quelques jours ; et ce dessein ayant été mûrement examiné, nous trouvâmes qu'il était inspiré de Dieu et qu'il contribuerait à sa plus grande gloire et au salut d'un grand nombre d'âmes.

            Une chose toutefois nous préoccupait : il semblait impossible d'introduire maintenant en France des Frères du même Ordre pour gouverner ce monastère. Mais ayant considéré qu'il s'est établi tout récemment à Rome un monastère de Carmélites, qui est confié aux soins d'un Père de la Congrégation de l'Oratoire, la difficulté s'évanouit aussitôt. On a donc choisi trois hommes fort instruits, de mœurs pures, entendus aux affaires, qui fussent à même de prendre [132] la direction de l'œuvre pour le plus grand bien du monastère. Ils pourraient ainsi au fur et à mesure remédier à chacune des difficultés que les circonstances des lieux et des temps feraient surgir.

            Il ne reste maintenant rien à désirer sinon que le Saint-Siège Apostolique approuve cette entreprise, et en confie l'exécution à la volonté du roi, qui a donné aussitôt son consentement contre l'attente de plusieurs. C'est pourquoi ce messager va se jeter aux pieds de Votre Sainteté pour la supplier d'accorder ses Bulles apostoliques, afin d'assurer l'établissement et la consolidation de cette œuvre.

            Pour moi, Très Saint Père, qui ai assisté à presque toutes les conférences tenues à ce sujet, je me suis engagé à vous déclarer ce que j'en pense, bien que mon témoignage soit très indigne d'être entendu, et je ne puis m'empêcher d'assurer qu'il sera très utile à la religion que Votre Sainteté favorise de ses bénédictions apostoliques cette céleste inspiration, vu le temps et surtout le lieu où elle s'effectuera. [133] Cette grâce, la vertueuse princesse, un grand nombre d'autres chrétiennes, et moi avec elles, nous la sollicitons par de très humbles instances.

            Daigne Dieu très bon et très grand conserver Votre Sainteté de très longues années pour notre consolation personnelle et pour celle de tous les gens de bien.

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CLXVII. Aux Syndics d'Annecy. Réponse à leur lettre de félicitation.

 

Thorens, 11 novembre 1602.

 

            Messieurs,

 

            Je voudrois voir en moy autant de sujet de la joye que vous prenes en ma promotion comme j'en voy en l'amitié que vous me portes ; j'aurois beaucoup moins [134] d'apprehension de la pesanteur du devoir auquel je suys meshuy engagé. Je me confie neanmoins en la bonté de Dieu, qu'elle me donnera la grace de sa sainte assistance pour vous rendre le service que je desire et auquel ma naissance et mon education m'invite. Sil vous plaist me faire ce bien de l'en supplier avec moy, vous aures tous-jours tant plus de rayson de le vous promettre, et moy de l'esperer comme l'un des plus grans contentemens que j'aye jamais souhaitté.

            Permettes moy ce pendant que je vous salue des icy, attendant que bien tost j'aye le bonheur de me voir en vostre ville, a laquelle je desire toute benediction du Ciel, et de laquelle je suis entierement comme de vous,

            Messieurs,

Serviteur bien humble en Jesus Christ,

FRANCS DE SALES,

esleu Evesque de Geneve.

            A Thorens, le 11 novembre 1602.

            A Messieurs

            Messieurs les Scindics d'Annessy.

 

Revu sur le texte inséré dans le Registre des Délibérations municipales d'Annecy. [135]

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CLXVIII. Aux Religieuses du Monastère des Filles-Dieu. Témoignages d'estime et d'affection pour leur Communauté. — Pressante exhortation à supprimer les pensions particulières. — Redouter les plus légers abus en matière de pauvreté. — Danger des exemptions et des dispenses. — Confiance que les Religieux doivent avoir en la divine Providence. — Conseils à prendre pour réformer leur monastère.

 

Sales, 22 novembre 1602.

 

            Mes tres Reverendes Dames et cheres Seurs,

 

            J'ay pris une telle confiance en vostre charité qu'il ne me semble plus avoir besoin de preface ou avant propos pour vous parler, soit en absence, comme je suis contraint de faire maintenant, soit en presence, si jamais Dieu dispose de moy en sorte que j'aye le bien de vous revoir. J'ayme en tout la simplicité et la candeur ; je croy que [136] vous l'aymes aussi, ce que je vous supplie de continuer, parce que cela est fort seant a vostre profession. Je pense que les tuniques blanches que vous portes en sont le signe. Je vous diray donq simplement ce qui m'a esmeu a vous escrire ainsy a toutes ensemble.

            Croyes-moy, je vous supplie : je suys fort importuné de l'affection extreme que je porte au bien de vostre mayson ; car icy, ou je ne puis vous rendre que fort peu de services, elle ne laisse pas que de me suggerer une infinité de desirs, qui vous sont inutiles et a moy. Je n'ose pas pourtant rejetter ces inclinations, parce qu'elles sont bonnes et sinceres, mays sur tout parce que je croy fermement que c'est Dieu qui me les a donnees. Que si elles me mettent en danger de quelques inquietudes, ce n'est pas par leurs qualités, mais par la foiblesse de mon esprit qui est encor sujet au mouvement des vens et de la maree. Or, c'est un vent qui agite maintenant mon esprit en l'affection qu'il vous porte, et ne sçaurois m'empescher de vous le nommer ; car c'est le seul sujet qui m'a fait desrober ce loysir pour vous escrire, a la presse d'un monde d'affaires qui m'environnent en ce commencement de ma charge.

            Je partis de Paris avec ce contentement de vous avoir en quelque sorte tesmoigné l'estime que je faisois de la vertu de vostre mayson, de laquelle l'opinion me donnoit beaucoup de consolation et me prouffitoit interieurement, m'animant au desir de ma perfection. La sainte Parole [137] dit que Jonas se consola a l'ombre du lierre ou de [la courge] ; mais un vent chaud et cuisant dessecha, presque tout en un moment, cest arbrisseau. Un vent fit presque le mesme effect en la consolation que j'avois en vous. Mais [ne] penses [pas], je vous supplie, que ce fut un vent [de quelque rapport leger, envieux, ou mesdisant ; non, a la verité, ce fut un vent venant] du midy d'une entiere charité ; ce fut un rapport auquel je fus obligé de donner creance par la consideration de toutes les circonstances. Seigneur Dieu, que je fus marry et de ce que l'on me disoit, et de l'avoir sceu seulement en un tems auquel je n'avois pas loysir d'en traitter avec vous ; car je ne sçay si mon affection me trompe, mays je me persuade que vous m'eussies donné une favorable audience, et n'eussies sceu treuver mauvaise aucune remonstrance que je vous eusse faite, puisque vous n'eussies jamais descouvert en mon ame ni en tous ses mouvemens, sinon une entiere et pure affection a vostre advancement spirituel et au bien de vostre mayson.

            Mais n'ayant pas deu arrester pour cela, estant appellé icy pour un bien plus grand, je me suis mis a vous escrire sur ce sujet, bien que j'aye quelque tems desbattu en moy mesme si cela seroit a propos ou non ; car il me sembloit presque que cela seroit inutile, d'autant que ma lettre seroit sujette a recevoir des repliques, et m'en feroit donner ; qu'elle arriveroit peut estre hors de sayson ; qu'elle ne vous representeroit pas naifvement ni mon intention ni mon affection ; que vous estes en lieu ou vous seres conseillees de vive voix par un monde de personnes qui vous doivent estre en plus grand respect que moy, et que si vous ne croyes a Moïse et aux prophetes qui vous parleront, malaysement croires vous a ce pauvre pecheur qui ne peut que vous escrire, et que, outre cela, a ce que l'on m'a dit, quelques autres predicateurs, meilleurs et plus experimentés a la conduitte des ames [138] que je ne suys, vous en ont parlé sans effect. Neanmoins, il a fallu que toutes ces raysons ayent cedé a mon affection et au devoir que l'extreme desir de vostre bien m'impose. Dieu employe bien souvent les plus foibles pour les plus grans effectz : que puis-je sçavoir s'il veut porter son inspiration dans vos cœurs par les paroles qu'il me donnera pour vous escrire ? J'ay prié ; je diray bien plus et je ne diray que la verité, mais cecy suffira : j'ay arrousé ma bouche du sang de Jesus Christ en la Messe, pour vous pouvoir envoyer des paroles convenables et pregnantes. Je les planteray donq icy sur ce papier ; Dieu les veuille conduire et addresser en vos espritz pour y servir a sa gloire.

            Mes cheres Seurs, on m'a dit qu'il y a en vostre mayson des pensionnettes particulieres et des proprietés, dont les malades ne sont pas esgalement secourues, et les saines ont des particularités aux viandes et habitz sans necessité, et que les entretiens et recreations n'y sont pas fort devotes. On m'a dit tout cela, et beaucoup d'autres choses qui s'ensuyvent. J'aurois aussi beaucoup de choses a vous dire sur ce sujet ; mais ayes la patience, je vous supplie, faites moy cest honneur de lire attentivement et doucement ce que je vous en represente ; gratifies en cela mon zele a vous servir.

            Mes bonnes Dames, vous deves corriger vostre mayson de tous ces defautz, qui sont sans doute contraires a la perfection de la vie religieuse. L'aigneau pascal doit estre sans macule vous estes des aigneaux de la Pasque, c'est a dire du passage, car vous aves passé de l'Egypte du monde au desert de la Religion, pour vous acheminer en la terre de promission. Certes, il faut que vous soyes sans tache ou macule apparente ; mays ne sont ce pas des macules bien noires et manifestes que ces defautz et grans manquemens que j'ay marqués ci devant, et principalement en une telle mayson ? Il les faut donq corriger. [139]

            Vous les deves corriger, a mon advis, parce qu'ilz sont petitz, ce semble, et partant il les faut combattre pendant qu'ilz le sont ; car si vous attendes qu'ilz croissent, vous ne les pourres pas aysement guerir. Il est aysé de destourner les fleuves en leur origine, ou ilz sont encor foibles ; mais plus avant ilz se rendent indomptables. Prenes moy, dit le Cantique, ces petitz renardeaux qui ruinent les vignes ; ilz sont petitz, n'attendes pas qu'ilz soyent grans, car si vous attendes, non seulement il ne sera pas aysé de les prendre, mais quand vous les voudres prendre ce sera lhors qu'ilz auront des-ja tout gasté. Les enfans d'Israël disent en un Psaume : Filia Babylonis misera ; beatus qui tenebit et allidet parvulos tuos ad petram. La fille de Babylone est miserable ; oh, que bienheureux est celuy qui escrase et brise tes petitz contre la pierre. Le desordre, le desreglement des Religions est vrayement une fille de Babylone et de confusion ; ah, que bienheureux sont les espritz qui n'en souffrent que les commencemens, ou plustost les terrassent ou fracassent a la pierre de la reformation. L'aspic de dissolution et de desreglement n'est pas encor esclos en vostre mayson, mais prenes bien garde a vous : ces defautz en sont les œufz ; si vous les couves en vostre sein, ilz esclorront un jour a vostre ruine et perdition, et vous n'y penseres pas.

            Mays si ces defautz sont petitz, comme il peut sembler a quelques unes, n'estes vous pas beaucoup moins excusables de ne les pas corriger ? Quelle misere, disoit aujourd'huy saint Chrisostome en l'homelie de l'Evangile de sainte Cecile, de laquelle nous faisons la feste ; quelle misere, disoit il, de voir une trouppe de filles avoir [140] combattu, battu et vaincu le plus fort ennemy de tous, qui est le feu de la chair, et neanmoins se laisser vaincre a ce chetif ennemy, mammon, dieu des richesses. Et certes, toutes proprietés et particularités de moyens en Religion se reduisent a mammon de l'iniquité ! « C'est pourquoy, » disoit il, « ces pauvres vierges sont appellees folles, par ce qu'apres avoir dompté le plus fort elles se rendent au plus foible. » Vostre mayson excelle en beaucoup d'autres perfections et est incomparable en icelles a toute autre : ne sera-ce pas un grand reproche d'en laisser ternir la gloire par ces chetifves imperfections ? On vous appelle par une ancienne estime et prerogative de vostre mayson, Filles de Dieu : voules vous perdre cest honneur par le defaut d'une reformation en ces petites defectuosités ? pour un potage de lentilles, perdre la primogeniture que vostre nom semble vous avoir donnee par le consentement de toute la France ? C'est, a la verité, une marque de tres grande imperfection au lion et a l'elephant, qu'apres avoir vaincu les tigres, les boeufs, les rhinoceros, ilz s'effrayent, s'espouvantent et tremoussent, le premier devant un petit poulet, et l'autre devant un rat, dont la seule veuë leur fait perdre courage : cela est un grand deschet de leur generosité. C'est aussi une grande tare a la bonté de vostre mayson d'y avoir des pensions particulieres et semblables defautza, apres que l'on y veu tant d'autres qualités luables ; soyés donq fideles en la reformation de ces menues imperfections, affin que vostre Espoux vous constitue sur beaucoup de perfections et qu'il vous appelle un jour a sa gloire.

            Mais apres tout cela, permettes moy, je vous supplie, de vous dire mon opinion touchant ces defautza. Ils sont, a la verité, petitz si on les met en comparaison des plus grans, car ce ne sont que commencements, et tout commencement, soit en mal soit en bien, est tous-jours petit ; mais si vous les consideres en comparaison de la [141] vraye et entiere perfection religieuse a laquelle vous deves aspirer, ilz sont sans doute tres grans et tres dangereux. Est ce, je vous supplie, un petit mal que celuy qui attaque et gaste une partie noble de vostre cors, a sçavoir le vœu de pauvreté ? On peut estre bonne Religieuse sans chanter au chœur, sans porter tel ou tel habit, sans telle ou telle abstinence ; mais sans la pauvreté et communauté, nulle ne le peut estre. Le vermisseau qui rongea la courge de Jonas sembloit estre petit, mays sa malice estoit si grande que l'arbrisseau en perit. Ces defautz de vostre mayson semblent bien minces ; mais leur malice est si grande qu'elle gaste vostre vœu de pauvreté.

            Ismael estoit petit garçon ; mais incontinent qu'il commença a piquer et agacer Isaac, la sage Sara le fit chasser, avec Agar sa mere, hors la mayson d'Abraham. [Vostre mayson est une vraye mayson d'Abraham,] c'est a dire du grand Pere celeste ; il y a une Sara et une Agar. [L'une est] ceste partie superieure et en certaine façon surhumaine, l'esprit et l'interieur ; et l'autre, plus basse et humaine, est le cors avec son exterieur. L'esprit a engendré le bon Isaac : c'est le vœu que vous aves fait comme un sacrifice volontaire sur la montagne de la Religion, ainsy qu'Isaac sur la montagne de Vision s'offrit de volonté en sacrifice. La chair et partie corporelle n'engendre qu'Ismaël : c'est le soin et desir des choses exterieures et temporelles. Pendant que cet Ismaël, ce soin et desir n'attaque point vostre Isaac, c'est a dire vostre vœu et profession, bien qu'il demeure chez vous et en vostre mayson, j'en suis content, et, ce qui est le principal, Dieu n'en est point offensé. Mays quand il agace vostre vœu, vostre pauvreté, vostre profession, je vous supplie, mais je vous conjure, chassés le et le [142] bannissés. Qu'il soit tant petit qu'il voudra, qu'il soit tant enfant qu'il vous plaira, qu'il ne soit pas plus grand qu'une fourmy ; mais il est mauvais, il ne vaut rien, il vous ruinera, et gastera vostre mayson.

            Encor treuvé je ce mal en vostre mayson bien grand parce qu'il y est maintenu, parce qu'il y est en repos et qu'il y sejourne comme habitant ordinaire ; c'est le grand mal que j'y voy, que ces particularités sont meshuy bourgeoises. Les mouches mourantes perdent la suavité du bausme et unguent. Si elles ne faisoyent que passer sur l'unguent et le succer en passant, elles ne le gasteroyent pas ; mais y demeurant mortes et comme ensevelies, elles le corrompent. Je veux que les manquemens et defautz de vostre mayson ne soyent que mouches, mais le mal est qu'elles s'arrestent sur vostre unguent, elles y arrestent et y sont ensevelies avec faveur. Pour petit que soit le mal, il croist aysement quand on le flatte et qu'on le maintient : nul ennemy, disent les soldatz, n'est petit quand il est mesprisé. Ce sont les raysons que Dieu m'a donnees pour vous prier de vouloir reformer vostre mayson touchant ces petites ou grandes fautes que l'on m'a dit y estre ; mays je ne puis assouvir le desir que j'en ay.

            J'ay encor voulu considerer quelz empeschemens vous [143] pourroyent rendre ce saint œuvre malaysé, et vous en dire mon advis. Je me doute que vous n'estimes pas qu'en ces pensions et autres particularités il y ayt aucune proprieté contraire a vostre vœu, parce qu'a l'adventure tout s'y fait sous la permission et licence de la Superieure. C'est des-ja un mauvais mot que celuy de permission et licence parmi l'esprit de perfection : il seroit mieux de vivre sous les lois et ordonnances que d'avoir des exemptions, licences et permissions. Vous voyes des-ja un sujet de reformation. Moïse avoit donné une permission et licence touchant l'integrité du mariage ; Nostre Seigneur reformant ce saint Sacrement et le remettant en sa pureté, protesta que Moïse ne l'avoit permis qu'a force et contrainte, pour la dureté de leurs cœurs. Bien souvent les Superieures plient ce qu'elles ne peuvent rompre, et permettent ce qu'elles ne peuvent empescher ; et la permission, par apres, a ceste ruse et malice, qu'ayant duré quelque tems elle s'en fait accroire et, au contraire des choses qui viellissent, elle se renforce et semble perdre petit a petit sa laideur et difformité. Les permissions n'entrent jamais que par grace dans les monasteres ; mais y ayant pris pied, elles y veulent demeurer par force, et n'en sortent jamais que par rigueur.

            Mays, outre cela, je dis qu'il n'est rien de si semblables que deux gouttes d'eau : neanmoins, l'une peut estre de roses, et l'autre de ciguë ; l'une guerit, et l'autre tue. Il y a des permissions qui peuvent estre aucunement bonnes, mais celle cy ne l'est pas, car c'est en fin une proprieté, quoy que voilee et cachee ; c'est l'idole que Rachel tenoit cachee sous sa robe. On dit que la Superieure le permet et que c'est sous son bon playsir : voyla Rachel qui parle. Mays ce sont les pensions d'une telle Seur et non pas d'une autre : voyla l'idole de la proprieté. Si ce n'est pas proprieté, [que veut dire] que l'une a plus de commodité sans necessité, et l'autre plus de necessité [144] sans commodité ? Que veut dire qu'estant toutes seurs, vos pensions ne sont pas seurs ? L'une souffre et l'autre ne souffre point ; l'une a faim, diray je presque comme saint Pol, l'autre abonde : ce n'est pas la une Communauté de Nostre Seigneur. Appellés cela comme vous voudres, mais c'est une pure proprieté ; car la ou il n'y a point de proprieté « il n'y a point de mien et de tien, qui sont les deux motz qui ont produit le malheur du monde. » Le Religieux qui a un liard ne vaut pas un liard, disoyent les Anciens.

            L'amour et tendre affection que vous portes a vostre mayson peut aussi estre un grand empeschement a la reformation d'icelle, par ce que ceste passion ne peut permettre que vous pensies mal d'elle, ni que vous oÿes de bon cœur les reprehensions qu'on vous en fait. Mais prenes garde, je vous supplie ; car l'amour propre est rusé, il se fourre et glisse par tout, et nous fait accroire que ce n'est pas luy. Le vray amour de nos maysons nous rend jaloux de leur perfection reelle, et non de leur reputation seulement. La femme du bon Tobie prit a point d'honneur un advertissement de son mary par ce qu'il sembloit revoquer en doute l'estime de sa famille. Elle estoit trop pointilleuse : si ce mal n'y estoit pas elle en devoit loüer Dieu, s'il y estoit elle le devoit corriger. Il nous faut manger le beurre et le miel avec Nostre Seigneur, adoucir nos espritz et nous humilier, choisissant le bien et rejettant le mal. Les abeilles ayment leurs ruches, qui sont comme leurs maysons (je vous dis un jour que c'estoit comme des religieuses naturelles entre les animaux) ; mays elles ne laissent pas d'esplucher par le menu ce qui y est et de les purger a certains tems. Rien n'est si constant sous le ciel qui ne flechisse ; rien de si pur qui ne recueille quelque poussiere.

            C'est bien fait de ne point dire inutilement les defautz que l'on voit dans les maysons et de ne les point [145] manifester ; mays de ne les vouloir pas reconnoistre ni confesser a ceux qui peuvent estre utiles pour y donner remede, c'est un amour des-ordonné. L'Espouse au Cantique confesse son imperfection : Je suis noire, dit elle, encor que belle ; ne prenes pas garde a ce que je suis brune, c'est le soleil qui m'a haslee. Je pense que vous en pouves bien dire autant de vostre mayson : elle est belle et vertueuse, c'est la verité ; mais la longueur du tems et des annees a un petit alteré son teint. Pourquoy ne luy redonneres vous pas ses couleurs par une sainte reformation ? Quand il y a quelque defaut passager dans une mayson, on le peut dissimuler ; mais quand il est permanent et par maniere de coustume, il le faut chasser [a cor et a cry s'il en est besoin. Mais ici il n'en est pas besoin] ; il suffit d'y appeller ceux qui y peuvent servir. Ce fut un amour desmesuré en David de ne vouloir pas qu'on desfit Absalom, tout mauvais et rebelle qu'il estoit. Quicomque ayme sa mayson, en procure la santé, la pureté et reformation.

            Je pense qu'il y a un autre empeschement a la reformation de vostre mayson : c'est que, a l'adventure, vous estimes qu'elle ne pourroit se maintenir sans ces pensions par ce qu'elle est pauvre. Au contraire, je pense que le monastere est pauvre par ce que ces pensions y sont. Il y a en Italie deux nobles republiques, Venise et Gennes ; a Venise les particuliers ne sont pas si riches qu'a Gennes, [mais la republique est bien plus riche que celle de Gennes.] La richesse des particuliers empesche celle du public. Si une fois vous esties a bon escient pauvres en particulier, vous series par apres riches en commun.

            Dieu veut que l'on se fie en luy chacun selon sa vocation. Il n'est pas requis en un homme laïc et mondain de s'appuyer en la providence de Dieu en la sorte que nous [146] autres ecclesiastiques devons faire ; car il nous est defendu de thesaurizer et faire marchandises, mais il n'est pas defendu aux mondains ; ni les ecclesiastiques seculiers ne sont pas obligés d'esperer en ceste mesme Providence comme les Religieux ; car les Religieux y doivent esperer si fort qu'ilz n'ayent aucun soin de leur particulier pour avoir des moyens. Or, entre les Religieux, ceux de saint François excellent en cest endroit, qui est la confiance et resignation qu'ilz ont en la Providence divine, n'ayant nul moyen ni en particulier ni en general, pratiquant pleinement la parole du Psalmiste : Jacta cogitatum tuum in Domino, et ipse te enutriet ; Jette tout ton soin en nostre Seigneur, et il te nourrira. Chacun doit jetter tout son soin en Dieu, et aussi il nourrit tout le monde ; mays chacun ne le jette pas en mesme degré de resignation. Les uns l'y jettent sous le travail et industrie que Dieu leur a donnee et par laquelle Dieu les nourrit ; les autres, plus purement, sans l'entremise d'aucune industrie, tendent a cela. Ilz ne sement ni ne recueillent, et le Pere celeste les nourrit. Or, vostre condition religieuse vous oblige a vous resigner en la Providence de Dieu sans l'ayde ni faveur d'aucune pension ni proprieté particuliere ; c'est pourquoy vous les deves rejetter.

            David admire comme Dieu nourrit les petitz poussins des corbeaux ; aussi est ce chose admirable. Mais ne nourrit il pas aussi les autres animaux ? Si fait, mais non pas de la [mesme] sorte ni si immediatement, d'autant que les autres sont aydés de leurs peres et meres [et de leur travail ; mais par ce que la condition naturelle de ces petitz poussins porte qu'ilz sont abandonnés de leurs peres et meres,] et n'ont d'ailleurs moyen de travailler, nostre Seigneur les nourrit presque miraculeusement. Aussi nourrit il tous-jours ses devotes servantes et creatures, lesquelles, par la condition de leur estat et profession, se sont devouees a la communauté et pauvreté particuliere, [147] sans l'entremise d'aucun moyen contraire a leur condition. Les Cordeliers ont estimé qu'ilz ne pourroyent vivre en ceste estroitte pauvreté que leur Regie primitive requeroit ; les Capucins leur ont fait voir clairement que si. Pendant que saint Pierre se fia en Celuy qui l'appelloit il fut asseuré ; quand il commença a douter et perdre la confiance il enfonça dans les eaux. Faysons ce que nous devons, chacun selon sa condition et profession, et Dieu ne nous manquera point. Pendant que les enfans d'Israël estoyent en Egypte il les nourrissoit de la viande que les Egyptiens donnoyent ; lhors qu'ilz furent au desert, ou il n'y en avoit aucune, il leur donna la manne, viande commune a tous et particuliere a nul, et laquelle, si je ne me trompe, represente une certaine communauté. Vous estes sorties de l'Egypte mondaine, vous estes au desert de la Religion : ne recherchés plus les moyens mondains, esperés fermement en Dieu ; il vous nourrira sans doute, quand il devroit faire pleuvoir la manne.

            Je me doute encor qu'il y ayt un autre empeschement a vostre reformation : c'est qu'a l'adventure, ceux qui vous l'ont proposee ont manié la playe un peu asprement. Mays voudries vous bien pour cela rejetter vostre guerison ? Les chirurgiens sont quelquefois contrains d'aggrandir la playe pour amoindrir le mal, lhors que sous une petite playe il y a beaucoup de meurtrisseures et concasseures ; ç'a esté peut estre cela qui leur a fait porter le rasoir un petit bien avant dans le vif. Je loue leur methode, bien que ce ne soit pas la mienne, sur tout a l'endroit des espritz nobles et bien nourris comme sont les vostres ; je croy qu'il est mieux de leur monstrer simplement le mal, et leur mettre le fer en main affin qu'ilz fassent eux mesmes l'incision. Neanmoins, ne laissés pas pour cela de vous reformer. J'ay accoustumé de dire que nous devons recevoir le pain de correction avec beaucoup d'estime, encor que celuy qui le porte soit desaggreable et fascheux, puisque Helie mangeoit le pain [148] porté par les corbeaux. Ainsy celuy nous doit aggreer qui procure nostre bien, quoy qu'il soit de tout point desaggreable et fascheux. Job racloit l'ordure et suppuration de ses ulceres avec une piece de pot cassé ; c'estoit une dure abjection, mays elle estoit utile. Le bon conseil doit estre receu, soit qu'il soit trempé au fiel ou qu'il soit confit au miel.

            Que tous ces empeschemens ne soyent point asses fortz, je vous prie, pour vous retarder de faire le voyage de ceste sainte et necessaire reformation. Je prie Dieu qu'il envoye ses Anges pour vous porter entre leurs mains, affin que vous ne heurties point aux pierres d'achoppement.

            Il me reste a vous dire mon advis touchant l'ordre que vous deves tenir. Pries Dieu par des oraisons communes et distinctes a cest effect, qu'il vous fasse voir les defautz de vostre mayson et les moyens pour y remedier et pour recevoir la grace. Puisqu'il est le Dieu de paix, apaises vos espritz, mettes les en repos ; ne permettes pas que la [coustume, la difficulté, je diray clair et nel, ne permettes pas que la] contention que vos espritz auront peut estre faite contre ceux qui vous auront cy devant voulu corriger, fasse aucun prejugé contre la lumiere celeste. Ne tenes plus vostre parti ni celuy de vostre mayson, [mays simplement celuy de vostre bien et du bien de vostre mayson.] Faites tout ainsy que si vous voulies instituer une nouvelle Congregation selon vostre Ordree et vostre Regle ; traittes en les unes avec les autres en esprit de douceur et de charité. Lhors vostre Espoux vous regardera avec ses Anges, comme nous faysons les abeilles quand elles sont doucement empressees a la confection de leur miel, et je ne doute point que ce saint Espoux ne parle a vostre cœur pour vous dire ce qu'il dit a [149] son serviteur Abraham : Chemines devant moy et soyes parfait ; entrés plus avant au desert de la perfection. Vous aves des-ja fait la premiere journee par l'exacte chasteté, et la seconde par l'obeissance, et une partie de la troisiesme par quelque sorte de pauvreté et communauté : mais pourquoy vous arrestes vous en si beau chemin, et pour si peu de chose comme sont ces pensions particulieres ? Marchés plus avant, achevés la journee : mettés tout en commun, renoncés a la particularité, affin que, selon la sainte Parole, vous fassies une sainte immolation et entier sacrifice [a nostre Dieu], en esprit, [en cors] et en biens.

            Apres que vous aures traitté de vostre affaire avec vostre Espoux et par ensemble, appellés a vostre secours et pour vostre conduitte quelques uns des plus spirituelz qui sont a l'entour de vous ; ilz ne vous manqueront pas. J'en nommerois quelques uns, mais vous les nommeres mieux que moy, et ceux la mesme, a l'adventure, que je voudrois nommer. Ce sont gens extremement bons a cela, des espritz doux et gracieux, condescendans quand ce vient a l'effect, bien que leurs reprehensions semblent un petit aspres et mordicantes. A ceux la vous deves confier vostre affaire, affin qu'ilz jugent de ce qui sera plus convenable ; car vostre sexe est sujet des la creation a la condition de l'obeissance, et ne reussit jamais devant Dieu qu'en se sousmettant a la conduitte et instruction. Voyes toutes les excellentes Dames de la Mere de misericorde jusques a present, et vous treuveres que je dis vray ; mays en tout je presuppose que l'authorité de Madame de Fontevrault tienne son rang.

            C'est peut estre trop parler et trop escrire d'un sujet duquel vous aves, a l'adventure, les oreilles des-ja trop [150] battues ; mais Dieu, devant lequel je vous escris, sçait que j'ay beaucoup plus d'affection que de paroles en cest endroit. Je suis indigne d'estre escouté, mais j'estime vostre charité si grande que vous ne mespriseres point mon advis, et croy que le bon Jesus ne m'a pas donné tant d'amour et de confiance en vostre endroit qu'il ne vous aye donné une affection reciproque de prendre en bonne part ce que je vous propose pour le service de vostre mayson, laquelle je prise et honnore a l'esgal de toute autre, et l'estime une des bonnes que j'aye veües. C'est cela qui m'a fait desirer qu'elle soit meilleure et parfaite. Il me fasche de voir de si grandes qualités, comme sont celles de vostre mayson, esclaves sous ces menues imperfections, et, comme parle l'Escriture, de voir vostre vertu reduite en captivité, et vostre beauté spirituelle entre les mains des ennemis. C'est pitié de voir une pretieuse liqueur perdre son prix par le meslange d'une petite souilleure, et un vin exquis, par le meslange de l'eau. Ton vin, dit un Prophete, est meslé d'eau. Je vous diray comme vostre saint Patron saint Jan qui reçut commandement d'escrire aux prelatz d'Orient : Je sçay vos œuvres qui sont presque toutes bonnes, vous estes presque tres bonnes Religieuses ; mais j'ay quelque petite chose a dire contre vous, il vous manque quelque chose. Je vous loue en toutes choses, dit saint Pol a ses Corinthiens, mais en cela je ne vous loüe pas. Je vous supplie et conjure, par la charité qui est entre vous, ostes de vostre mayson ce qui est de trop et adjoustes ce qui y defaut.

            Donnes moy, je vous prie tres humblement, ceste consolation de lire ceste lettre en repos et tranquillité d'esprit, et de la peser non au poids vulgaire, mais au poids du sanctuaire et de la charité. Et je prie Dieu qu'il [151] vous donne les resolutions necessaires a vostre bien, pour la plus grande sanctification de son saint nom en vous, affin que vous soyes de nom et d'effect ses vrayes filles. Je me prometz l'assistance de vos oraisons pour toute ma vie, et plus particulierement pour ceste entree que je fay en la laborieuse et dangereuse charge d'Evesque, affin que, preschant le salut aux autres, je ne sois reprouvé a damnation.

            Dieu soit nostre paix et consolation. Je suis et seray toute ma vie,

            Mes Reverendes Dames et tres cheres Seurs en Jesus Christ,

Vostre serviteur tres humble et affectionné

en Nostre Seigneur,

FRANÇS DE SALES,

Evesque [élu] de Geneve.

            De Sales, le 22 novembre 1602.

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CLXIX. A M. Janus de la Faverge. Espoir de le voir à Sales le samedi suivant. — Remerciements pour l'hospitalité offerte à Mgr Gribaldi.

 

Sales, commencement de décembre 1602.

 

            Monsieur mon Oncle,

 

            Ma mere et tous les siens vous baysent humblement les mains, et a madame ma tante, du soin que vous aves [152] de nostre bonheur. Monsieur Vulliod vous dira meilleures nouvelles que vous n'avies pas conceues de son accident.

            Vous verres, Dieu aydant, le reste dans peu de jours que nous nous promettons l'honneur de vostre presence et de celle de madame ma tante, ma seur, ma commere, a laquelle, pour son arrivee, je garde le baiser solemnel, si elle m'en juge encor digne. Ce sera, sil vous plait, samedi, puisque j'ay accepté de vous l'offre qu'il vous a pleu me faire de loger monsieur l'Archevesque de Vienne a son passage. Aussi n'ay je pas estimé de le devoir refuser, car encor que sera avec vostre incommodité, neanmoins il en sera mieux et plus chaudement receu, et vous estes des-ja tant accoustumé a recevoir de nos importunités que ce ne vous est plus guere de peyne.

            En contrechange, je prieray toute ma vie Dieu pour vostre longue vie, santé et prosperité, et demeureray,

            Monsieur,

            Vostre plus humble et asseuré neveu et serviteur et compere,

FRANÇS DE SALES,

E. esleu de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Vuÿ, à Carouge (canton de Genève). [153]

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CLXX. A M. Pierre Favier. Prière de lui continuer son amitié et d'appuyer une requête présentée au Sénat.

 

Annecy, 16 décembre 1602.

 

            Monsieur,

 

            Vous aymies feu Monsieur l'Evesque mon prædecesseur ; vous m'aves aussi favorisé il y a long tems de lhonneur de vostre bienveuillance, et j'ay tous-jours eu beaucoup de desir a vostre service. C'est pourquoi je vous supplie, sur l'occasion de ma promotion et reception a cest evesché, de m'accorder encor vostre faveur en deux demandes que je vous fais fort humblement : l'une, de m'aymer tous-jours et vous asseurer bien fort de mon service que je vous offre ; l'autre, d'avoir aggreable la requeste que je fai presenter a messieurs du Senat, puis qu'ell'est droitte, juste et sainte, et pour un qui, priant Dieu pour vous, sera toute sa vie,

            Monsieur,

            Vostre humble serviteur en Jesuschrist,

FRANÇS DE SALES,

Evesque de Geneve.

            A Neci, le 16 décembre 1602.

            A Monsieur Favier,

            Advocat general a Chambery.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Bibliothèque publique. [154]

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CLXXI. A M. Pierre de Berulle. Combien il se réjouirait de le voir venir en Savoie. — Le Saint consacré évêque ; retraite préparatoire faite sous la direction du P. Fourier. — La perfection absolue impossible en ce monde. — Divers messages.

 

Annecy, 18 décembre 1602.

 

            Monsieur,

 

            La vostre que monsieur Santeul m'apporta m'a extremement consolé par le tesmoignage qu'elle me rend de la continuation de vostre bienveuillance en mon endroit, bien que je n'en eusse aucun doute, asseuré de vostre bonté et constance. J'ay veu que vous panches encor a l'opinion que vous me communiquastes de venir quelque tems a la recollection et retraitte en ces quartiers. Dieu vous veuille dire luy mesme en vostre cœur ce quil en desire ; mais si ce bonheur m'arrivoit, je le mettrois au premier rang de ceux que j'ay eu ci devant, tout aupres de celluy que j'ay receu en vostre connoissance, car aussi en seroit ce l'accroissement et perfection. Les deux conditions que vous mettes pour l'execution de ce dessein ne me semblent revenir qu'a une seule, d'autant que si vous avés la liberté, je ne doute point que Nostre Seigneur ne [155] vous face connoistre quil se veut servir de vous pour l'administration de son saint Evangile.

            Je suis Evesque consacré des le jour Nostre Dame, 8 de ce mois, qui me fait vous conjurer de m'ayder tous-jours plus chaudement par vos prieres, comme de ma part je ne vous oublie pas, sur tout en la recommandation de la Messe. J'ay eu le bien de faire un peu de recollection et exercice en l'assistence du P. Forier, l'un des excellens Jesuites que j'aye rencontré, avant mon sacre. Ce que je vous dis par ce que je vous veux rendre conte de mon esprit comme vous me faittes du vostre, disant que vous continués en une grande varieté d'occupations et multitude d'imperfections. Il ni a remede : nous aurons tous-jours besoin du lavement des piedz, puisque nous cheminons sur la poussiere. Nostre bon Dieu nous face la grace de vivre et mourir en son service.

            Je vous supplie, Monsieur, de croire entierement quil ni a homme au monde qui vous soit plus dedié et affectionné que je suis et seray toute ma vie, pour demeurer,

            Monsieur,

            Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS DE SALES,

Evesque de Geneve.

            Avec vostre congé, je vous supplie de me ramentevoir aux prieres de madamoyselle vostre mere et de [156] madame la lieutenante vostre tante. Je suis consolé que Edmond soit aupres de vostre personne, asseuré quil y rendra le bon et fidelle service que je vous souhaitte.

            A Neci, le 18 decembre 1602.

            Monsr de Berulle.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Paray-le-Monial. [157]

 

Année 1603

 

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CLXXII. A M. Claude d'Orlie (Inédite). Remerciements pour l'affection qu'il lui porte. — Assurance de dévouement.

 

Annecy, 3 janvier 1603.

 

            Monsieur,

 

            Je dois beaucoup a la constance de l'amitié quil vous plait me porter, qui me maintient si vivement en vostre souvenance ou je desirerois bien avoir pris place par quelque bon service que je vous eusse fait. Ce sera tous-jours, Monsieur, quand il plaira a Nostre Seigneur de m'en donner les occasions, que je m'y porteray avec beaucoup d'affection et de fidelité. Je vous supplie de le croire et d'en tirer les preuves par les effectz ou vous me jugerés sortable.

            Cependant, Monsieur, puisque vous me faittes cest honneur de vous res-jouir de ma promotion a cest evesché, faittes moy encor ceste faveur de m'assister de vos advis et prieres pour m'en bien acquitter, comme en contre-change [158] je prieray toute ma vie Dieu pour vostre santé, et me diray,

            Monsieur,

            Vostre humble serviteur en N. Sr,

FRANÇS DE SALES,

Ev. de Geneve.

            A Neci, le 3 de l'an 1603.

A Monsieur,

Monsieur d'Orlié, Conseillier de S. A. et Senateur

au souverain Senat de Savoye.

A Chambery.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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CLXXIII. A Monseigneur Juvenal Angina, Évêque de Saluces (Inédite). Consécration du Saint ; son entrée dans sa ville épiscopale. — Il réclame les conseils de Mgr Ancina et la continuation de son affection. — Remerciements. — Projet de pèlerinage à Notre-Dame de Mondovi ; espérance de le revoir à cette occasion

 

Annecy, 10 janvier 1603.

 

            Molto Illustre et Reverendissimo Signor et Padron mio colendissimo,

 

            Essendo ritornato da Parigi in questo mio paese, ritrovai che Monsignor Rmo mio era ritornato al suo Creatore per un felicissimo transito di questa vita a quell' altra migliore : Ejus memoria in benedictione. Onde [159] essendo qui giunte le Bulle et il mandatum per la successione in persona mia, ho ricevuto la santa consecratione il giorno della Concettione di Maria Vergine, Nostra Signora, in cujus manibus sortes meæ, et il Sabbatho seguente venni qui al luogho della residentia. Et di tutto questo desideravo di dar raguaglio a V. S. Rma, supplicandola che come il Signor Iddio ci a (sic) uniti nella vocatione (chè ambidui, come mi vien detto, l'istesso giorno siamo stati præconisati), così si degni V. S. Rma tenermi, quantumque indegno, strettamente unito seco nel suo cuore ; et per consequenza, che si degni spesso darmi gl'avisi et ricordi che il Spirito Santo glie inspirerà, ricordandosi che Ella è stata l'instrumento della mia promotione et che « qui dat esse, debet dare consequentia ad esse. »

            Solamente questi giorni passati seppi che V. S. Rma m' haveva mandata la Vita del Beato Filippo et che [160] si era persa in strada, laqual perdita m'è molto grave et molesta, et per rispetto del donatore et per rispetto dell'obietto. Il Rdo de Loyse, canonico di questa mia chiesa, mi ha detto con quanta carità V. S. Illma l'ha favorito et pregatome che io la ringratii ; et così faccio. V. S. Rma mi faccia favor di raccommandarme a Monsignor Nuntio moderno con quattro delle sue parole, perchè importa assai per moltissime occorrenze che egli mi voglia bene ; il che non si può fare senon per mezzo della carità di V. S. Rma.

            Spero questo anno di far un viaggio in Piemonte per visitare la chiesa della Madonna del Mondovì, et con questa occasione non mancarò di andar dove V. S. Rma si ritrovarà, acciò che, consertis manibus et os ad os, rinoviamo l'affetto che se bene no si può inveterare, cresce nientedimeno almanco nelli sentimenti per la presenza. Fra tanto bascio humilmente le mani a V. S. Rma, et priegho il Signor Iddio che ci conduca in queste strade difficili del governo delle chiese, et che Spiritus ejus [161] bonus deducat nos in terram rectam, et massime me che adesso sonno in questa terra montosa et tortuosa, con diversità di provintie et con l'abominatione della desolatione. Domini sit salus tua.

            Di V. S. Rma,

Humilissimo et perpetuo servidore in Christo,

FRANCO DE SALES,

Vesco di Geneva.

            In Annessi, alli 10 di Gennaro 1603.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nancy. [162]

 

 

 

            Mon très Illustre, Révérendissime et très honoré Seigneur,

 

            A mon retour de Paris en ce pays, je trouvai Mgr mon Révérendissime Evêque dont la mémoire est en bénédiction, retourné à son Créateur par un très heureux passage de cette vie à une vie meilleure. [159] C'est pourquoi, les Bulles et le mandatum qui m'appellent à lui succéder étant arrivés, j'ai reçu la consécration épiscopale le jour de la Conception de la Vierge Marie, Notre Dame, entre les mains de laquelle j'ai remis mon sort, et le samedi suivant je me suis rendu ici, lieu de ma résidence. Je désirais informer Votre Seigneurie Révérendissime de toutes ces choses, et la supplier, puisque le Seigneur notre Dieu nous a unis par une même vocation (car, à ce qu'on me dit, nous avons été préconisés le même jour), de daigner aussi, bien que j'en sois indigne, me tenir étroitement uni à Elle dans son cœur. Veuillez, en conséquence, me donner souvent les conseils et les instructions que le Saint-Esprit vous inspirera, vous ressouvenant que vous avez été l'instrument de ma promotion et que celui « qui donne l'être doit donner ce qui s'ensuit. »

            J'ai appris seulement ces jours passés que Votre Seigneurie Révérendissime m'avait envoyé la Vie du Bienheureux Philippe et qu'elle [160] s'était égarée en route ; cette perte m'est bien désagréable et dommageable, soit à cause du donateur soit à cause du don. M. d'Eloise, chanoine de cette église, m'a dit avec quelle charité Votre Seigneurie l'a favorisé ; il m'a prié de l'en remercier, ce que je fais. Que Votre Seigneurie m'accorde la faveur de me recommander en quatre mots à Mgr le Nonce actuel, car il importe beaucoup, dans une foule de circonstances, qu'il m'ait en affection ; ce qui ne peut se faire que par l'entremise de votre charité.

            J'espère cette année faire un voyage en Piémont pour visiter l'église de Notre-Dame de Mondovì ; à cette occasion je ne manquerai pas de me rendre là où se trouvera Votre Révérendissime Seigneurie, affin que, la main dans la main et bouche à bouche, nous renouvelions cette amitié qui ne peut vieillir, mais dont le sentiment toutefois s'accroit par la présence. En attendant je baise humblement les mains de Votre Révérendissime Seigneurie, et je prie Dieu de nous guider dans ces voies difficiles du gouvernement des églises, et que son bon [161] Esprit nous conduise dans la terre droite, moi surtout qui suis maintenant dans ce pays montueux et tortueux, appartenant à des provinces diverses, et où règne l'abomination de la désolation. Que le Seigneur soit votre salut.

            De Votre Seigneurie Révérendissime,

Le très humble et perpétuel serviteur en Jésus-Christ,

FRANÇOIS DE SALES,

Evêque de Genève.

            Annecy, le 10 janvier 1603. [162]

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CLXXIV. A la Soeur de Soulfour, Novice au Monastere des Filles-Dieu. Caractères auxquels on peut reconnaître les consolations célestes. — Ne pas subtiliser dans le service de Dieu et supporter ses propres imperfections. — La confiance et la simplicité sont particulièrement nécessaires. — Combien le Saint apprécie la nouvelle traduction de l'Institution spirituelle de Louis de Blois. — Messages pour Sœur Anne Séguier.

 

Annecy, 16 janvier 1603.

 

            Ma tres chere et tres aymee Seur et Fille en Jesus Christ,

 

            Dieu seul soit vostre repos et consolation. J'ay receu vos deux lettres par monsieur le president Favre un peu plus tard que vous ne pensies et que je n'eusse desiré, mais asses tost pour me donner de la consolation, y voyant quelque tesmoignage de l'amendement de vostre esprit. Dieu en soit loüé eternellement.

            Pour responce, je vous diray premierement, que je ne veux pas que vous usies d'aucune parole de ceremonie ni d'excuse en mon endroit, puisque, par la volonté de Dieu, je vous porte toute l'affection que vous sçauries desirer et ne m'en sçaurois empescher. J'ayme vostre esprit fermement parce que je pense que Dieu le veut, et tendrement parce que je le voy encores foible et jeune. Apportés donq toute confiance et liberté a m'escrire, et demandés ce que vous penseres estre propre pour vostre bien. Cela soit dit une fois pour toutes. [163]

            Je voy en vostre lettre une contradiction, laquelle vous y aves mise sans y penser ; car vous me dites que vous estes delivree de vostre inquietude, et neanmoins je vous voy encor toute inquietee a la recherche d'une precipitee perfection. Ayés patience, je vous diray tantost que c'est. Vous me demandes si vous deves recevoir et prendre des sentimens ; que sans eux vostre esprit languit, et neanmoins vous ne pouves les recevoir qu'avec soupçon et vous semble que vous les deves rejetter. Une autre fois, si vous m'escrives sur quelque semblable sujet, donnés moy exemple de l'action de laquelle vous me demandes l'advis ; comme seroit a dire de quelqu'un de ces sentimens qui vous aura donné le plus de soupçon pour n'estre pas receu, car j'apprendray bien mieux vostre intention. Cependant, voicy mon advis sur vostre demande.

            Les sentimens et douceurs peuvent estre de l'ami ou de l'ennemi, c'est a dire du malin ou du tres bon. Or, on peut connoistre d'ou ilz viennent par certains signes que je ne sçaurois pas bien dire tous : en voicy seulement quelques uns qui suffiront. Quand nous ne nous arrestons pas en iceux, mays que nous nous en servons comme de recreation, pour par apres faire plus constamment nostre besoigne et l'œuvre que Dieu nous a donné en charge, c'est bon signe ; car Dieu nous en donne quelquefois pour cest effect. Il condescend a nostre infirmité : il voit nostre goust spirituel affadi, il nous donne un petit de saulce, non affin que nous ne mangions que la saulce, mais affin qu'elle nous provoque a manger la viande solide. C'est donques une bonne marque quand on ne s'arreste pas aux sentimens ; car le malin, donnant les sentimens, veut qu'on s'y arreste, et, qu'en ne mangeant que la saulce, nostre estomach spirituel en soit affoibli et gasté petit a petit. .

            Secondement, les bons sentimens ne nous suggerent point de pensee d'orgueil, mays au contraire, si le malin prend occasion d'iceux de nous en donner, ilz nous fortifient a les rejetter ; si que la partie superieure demeure toute humble et sousmise, reconnoissant que Caleb et Josué n'eussent jamais rapporté le raysin de la terre [164] de promission pour amorcer les Israëlites a la conqueste d'icelle, s'ilz n'eussent pensé que leurs courages estoyent foibles et avoyent besoin d'estre piqués. Si qu'en lieu de s'estimer quelque chose par le sentiment, la partie superieure juge et reconnoist sa foiblesse, et s'humilie amoureusement devant son Espoux, qui respand son bausme et son parfum affin que les jeunes fillettes et tendres aines comme elle, le reconnoissent, l'ayment et le suivent ; la ou le mauvais sentiment nous arrestant, en lieu de nous faire penser a nostre foiblesse, nous fait penser qu'il nous est donné pour recompense et guerdon.

            Le bon sentiment passé ne nous laisse pas affoiblis, mais fortifiés, ni affligés, ains consolés ; le mauvais, au contraire, arrivant nous donne quelque allegresse, et partant, nous laisse pleins d'angoisses. Le bon sentiment, a son despart, nous recommande qu'en son absence nous caressions, servions et suivions la vertu pour l'advancement de laquelle il nous avoit esté donné ; le mauvais nous fait croire qu'avec luy la vertu s'en va et que nous ne la sçaurions bien servir. Bref, le bon ne desire point d'estre aymé, mais seulement que l'on ayme Celuy qui le donne, non qu'il ne nous donne sujet de l'aymer, mais ce n'est pas cela qu'il cherche ; la ou le mauvais veut que l'on l'ayme sur tout. Et partant, le bon ne nous empresse pas a le rechercher ni a le caresser, mais la vertu [qu'il] nous procure ; le mauvais nous empresse et inquiete a le rechercher incessamment.

            Par ces quattre ou cinq marques vous pourres connoistre d'ou viennent vos sentimens ; et, venans de Dieu, il ne faut pas les rejetter, mais reconnoissant que vous estes encores un pauvre petit enfant, prenes le lait des mammelles de vostre Pere, qui, par la compassion qu'il vous porte, vous fait encor office de mere. Tes mammelles, dit l'Espoux a sa Bienaymee, sont meilleures que le vin, fragrantes et odoriferantes de tres bons unguens et bausmes. Elles sont comparees au vin parce qu'elles res jouissent, animent et font faire bonne digestion a l'estomach spirituel, lequel, sans ces petites consolations, ne pourroit pas quelquefois digerer les travaux qu'il luy faut [165] recevoir. Receves les donq au nom de Dieu, avec ceste seule condition, que vous soyes preste a ne les recevoir pas, et a ne les aymer pas et les rejetter quand vous connoistres, par l'advis de vos superieurs, qu'ilz ne sont pas bons ni a la gloire de Dieu, et que soyés preste de vivre sans cela, quand Dieu vous en jugera digne et capable. Recevés les donq, dis je, ma tres chere Seur, vous estimant foible de l'estomach spirituel, puisque le Medecin vous donne du vin, nonobstant les fievres des imperfections qui sont en vous. Que si saint Pol conseilla du vin a son disciple pour la foiblesse corporelle, je vous en puis conseiller du spirituel pour la spirituelle.

            Voyla ma responce asses clairement, ce me semble, a laquelle j'adjouste que vous ne facies jamais de difficulté de recevoir que Dieu vous envoye a dextre ou a gauche, avec la preparation et resignation que je vous ay dite ; et quand vous series la plus parfaite du monde, vous ne devries pas refuser ce que Dieu vous donne, a condition d'estre preste a le refuser si tel estoit son playsir. Neanmoins vous deves croire que, quand Dieu vous envoyera ces sentimens, c'est pour vostre imperfection, laquelle il faut combattre, non pas les sentimens qui servent contre elle. Et pour vous, j'ay seulement un scrupule en ce que vous me dites que ces sentimens sont de la creature ; mays je pense que vous aves voulu dire qu'ilz viennent a vous par la creature, et neanmoins de Dieu, car il me semble que, par le reste de vostre lettre, vous m'en donnes des argumens. Mais quand ilz seroyent de la creature, encor ne seroyent ilz pas a rejetter, puisqu'ilz conduisent a Dieu, ou au moins qu'on les y conduit ; il faudroit seulement prendre garde a ne se point laisser surprendre, selon les regles generales de l'usage des creatures.

            Je vous diray maintenant ce que je vous avois promis. Il me semble que je vous voy empressee avec grande inquietude a la queste de la perfection ; car c'est cela qui vous a fait craindre ces petites consolations et ces sentimens. Or, je vous dis en verité, comme il est escrit au Livre des Rois : Dieu n'est ni au vent fort, ni en [166] l'agitation, ni en ces feux, mais en ceste douce et tranquille portee d'un vent presque imperceptible. Laissés vous gouverner a Dieu, ne pensés pas tant a vous mesme. Si vous desires que je vous commande, puisque vostre Mere Maistresse le veut, je le feray volontier, et vous commanderay premierement, qu'ayant une generale et universelle resolution de servir Dieu en la meilleure façon que vous pourres, vous ne vous amusies pas a examiner et esplucher subtilement quelle est la meilleure façon. C'est une impertinence propre a la condition de vostre esprit deslié et pointu, qui veut tyranniser vostre volonté et la contreroller avec supercherie et subtilité.

            Vous sçaves que Dieu veut en general qu'on le serve, en l'aymant sur tout, et nostre prochain comme nous mesmes ; en particulier, il veut que vous gardies une Regle : cela suffit, il le faut faire a la bonne foy, sans finesse et subtilité, le tout a la façon de ce monde, ou la perfection ne reside pas ; a l'humaine et selon le tems, en attendant un jour de le faire a la divine et angelique et selon l'eternité. L'empressement, l'agitation du dessein n'y sert de rien ; le desir y est bon, mays qu'il soit sans agitation. C'est cest empressement que je vous defens expressement, comme la mere imperfection de toutes les imperfections.

            N'examinés donq pas si soigneusement si vous estes en la perfection ou non. En voyci deux raysons : l'une, que pour neant examinons-nous cela, puisque, quand nous serions les plus parfaitz du monde, nous ne le devons jamais sçavoir ni connoistre, mais nous estimer tous-jours imparfaitz. Nostre examen ne doit jamais tendre a connoistre si nous sommes imparfaitz, car nous n'en devons jamais douter. De la s'ensuit que nous ne devons pas nous estonner de nous voir imparfaitz, puisque nous ne nous devons jamais voir autrement en ceste vie ; ni nous en contrister, car il n'y a remede ; ouy bien nous en humilier, car par la nous reparerons nos defautz, et nous amender doucement ; car c'est l'exercice pour lequel nos imperfections nous sont laissees, n'estans pas excusables de n'en rechercher pas l'amendement, ni inexcusables de [167] ne le faire pas entierement, car il n'en prend pas des imperfections comme des pechés.

            L'autre rayson est que cest examen, quand il est fait avec anxieté et perplexité, n'est qu'une perte de tems ; et ceux qui le font ressemblent aux soldatz qui, pour se preparer a la bataille, feroyent tant de tournois et d'exces entr'eux que, quand ce viendroit a bon escient, ilz se treuveroyent las et recreuz ; ou comme les musiciens qui s'enrouëroyent a force de s'essayer pour chanter un motet ; car l'esprit se lasse a cest examen si grand et continuel, et, quand le point de l'execution arrive, il n'en peut plus. Voyla mon premier commandement.

            L'autre, en suite du premier : Si vostre œil est simple, tout vostre cors le sera, dit le Sauveur. Simplifiés vostre jugement, ne faites point tant de reflexions ni de repliques, mais allés simplement et avec confiance. Il n'y a pour vous que Dieu et vous en ce monde ; tout le reste ne vous doit point toucher, sinon a mesure que Dieu le vous commande et comme il le vous commande. Je vous prie, ne regardés pas tant ça et la, tenes vostre veuë ramassee en Dieu et en vous. Vous ne verrés jamais Dieu sans bonté, ni vous sans misere, et verrés sa bonté propice a vostre misere et vostre misere objet de sa bonté et misericorde. Ne regardés donq rien que cela, j'entens d'une veuë fixe, arrestee et expresse, et tout le reste en passant. Partant, n'espluchés gueres ce que font les autres ni ce qu'ilz deviendront, mais regardés les d'un œil simple, bon, doux et affectionné. Ne requerés pas en eux plus de perfection qu'en vous et ne vous estonnes point de la diversité des imperfections, car l'imperfection n'est pas plus imperfection pour estre extravagante et estrange. Faites comme les abeilles, succes le miel de toutes les fleurs et herbes.

            Mon troysiesme commandement est que vous facies comme les petitz enfans : pendant qu'ilz sentent leur mere qui les tient par les manchettes, ilz vont hardiment et courent tout autour, et ne s'estonnent point des petites bricoles que la foiblesse de leurs jambes leur fait faire : ainsy, tandis que vous appercevres que Dieu vous tient [168] par la bonne volonté et resolution qu'il vous a donné de le servir, allés hardiment, et ne vous estonnes point de ces petites secousses et choppemens que vous feres ; et ne s'en faut fascher, pourveu qu'a certains intervalles vous vous jetties entre ses bras et le baysies du bayser de charité. Allés joyeusement et a cœur ouvert le plus que vous pourres ; et si vous n'alles pas tous-jours joyeusement, allés tous-jours courageusement et confidemment. Ne fuyés pas la compaignie des Seurs, encor qu'elle ne soit pas selon vostre goust ; fuyés plustost vostre goust, quand il ne sera pas selon la conversation des Seurs. Aymés la sainte vertu de support et de sainte souplesse, car ainsy, dit saint Pol, vous accomplires la loy de Jesus Christ.

            En fin, Dieu vous a donné un pere temporel sur lequel vous pouves prendre beaucoup de consolation spirituelle ;  retenes ses advis comme de Dieu, car Dieu vous donnera beaucoup de benedictions par son entremise. Il m'a envoyé sa traduction de l'Institution de Blosius : je l'ay fait lire a la table et l'ay goustee incroyablement ; je vous prie, lises la et la savourés, car elle le vaut. Au demeurant, quand il vous viendra des doutes en ceste vie que vous aves entrepris de suivre, je vous advertis de ne vous pas attendre a moy, car je suis trop loin de vous pour vous assister, cela vous feroit trop languir ; il ne manque pas de peres spirituelz pour vous ayder : employés les avec confiance. Ce n'est pour desir que j'aye [169] de ne recevoir pas de vos lettres, car au contraire elles me donnent de la consolation, et je les desire, voire avec toutes les particularités des mouvemens de vostre esprit (et la longueur de la presente vous tesmoignera asses que je ne me lasse pas de vous escrire) ; mais affin que vous ne perdies pas tems, et, qu'attendant le secours de si loin, vous ne soyes battue et endommagee de l'ennemi.

            Quant a mes sacrifices, ne doutés que vous n'y ayes part perpetuellement. Tous les jours je vous presente sur l'autel avec le Filz de Dieu ; j'espere que Dieu l'aura aggreable. Asseurés de mesme nostre Seur Anne Seguier, ma fille tres chere en Jesus Christ, et madame vostre Maistresse, de laquelle j'ay presenté les salutations au bon monsieur Nouvelet, qui en a fait grand feste. Si vous sçavies la grande multiplicité des affaires que j'ay et l'embarrassement ou je suis en ceste charge, vous auries pitié de moy et prieries quelquefois Dieu pour moy, et il l'auroit bien aggreable.

            Je vous en supplie, et la Seur Anne Seguier, dites souvent a Dieu, comme le Psalmiste : Je suis vostre, sauvés moy, et comme la Magdeleine estant a ses piedz : Rabboni, Ah, mon Maistre ; et puys, laissés le faire. Il fera de vous, en vous, sans vous, et neanmoins par vous et pour vous, la sanctification de son nom, auquel soit honneur et gloire.

            Vostre affectionné et humble serviteur en Jesus Christ,

FRANÇS DE SALES,

E. de Geneve tres indigne.

            A Neci, le 16 janvier 1603 [170]

 

 

CLXXV. A Madame de Beauvilliers, Abbesse de Montmartre. Souhaits pour la prospérité de l'abbaye. — Prudence et charité qu'il faut apporter à l'œuvre de la réforme. — Recourir aux conseils de quelques personnes de piété.

 

Annecy, [janvier] 1603.

 

            Madame,

 

            J'ay receu double consolation de la lettre que vous m'escrivistes il y a quelques moys, car elle me tesmoigne vostre bienveuillance, que je desire beaucoup, [171] et me donne advis des graces que Dieu fait a vostre monastere, qui me sont des nouvelles les plus cheres que je sceusse recevoir, d'autant que j'honnore et prise extremement ceste mayso'n par une certaine inclination que Dieu m'en a donné.

            J'espere qu'en nos jours on verra vostre mont sacré parsemé de fleurs dignes du sang dont il a esté arrousé, et que leur odeur rendra tant de tesmoignage a la bonté de Dieu que ce sera un vray mont de martyres. La faveur que le Roy vous fit dans l'octave de vostre grand Apostre, quittant la nomination, en est un bon præsage, mesmement estant accompagné de la bonne volonté de ces vertueux espritz qui concourent avec le vostre au desir d'un'entiere reformation, Je represente souvent a l'autel ce saint dessein a Celuy qui l'a [172] dressé et qui vous a donné l'affection de l'embrasser, affin qu'il vous face la grace de le parfaire. Il m'est advis que j'en voy la porte ouverte. Je vous supplie seulement, Madame (et pardonnés a la simplicité et confiance dont j'use), que, parce que ceste porte est estroitte et malaysee a passer, vous prenies la peyne et la patience de conduire par icelle toutes vos Seurs l'une apres l'autre ; car de les y vouloir faire passer a la foule et en presse, je ne pense pas qu'il se puisse bien faire. Les unes ne vont pas si viste que les autres. Il faut avoir esgard aux vielles : elles ne peuvent s'accommoder si aysement ; elles ne sont pas souples, car les nerfz de leurs espritz, comme ceux de leurs cors, ont des-ja fait contraction.

            Le soin que vous deves apporter a ce saint ouvrage doit estre un soin doux, gracieux, compatissant, simple et debonnaire. Vostre aage et, ce me semble, vostre propre complexion le requiert ; car la rigueur n'est pas seante aux jeunes. Et croyés moy, Madame, le soin le plus parfait c'est celuy qui approche du plus pres au soin que Dieu a de nous, qui est un soin plein de tranquillité et de quietude, et qui, en sa plus grande activité, n'a pourtant nulle esmotion et, n'estant qu'un seul, condescend neanmoins et se fait tout a toutes choses.

            Sur tout, je vous supplie, prevales vous de l'assistence de quelques personnes spirituelles, desquelles le choix vous sera bien aysé a Paris, la ville estant fort grande ; car je vous diray, avec la liberté d'esprit que je dois employer par tout, mays particulierement en vostre endroit : vostre sexe veut estre conduit, et jamais, en aucune entreprise, il ne reuscit que par la sousmission ; non que bien souvent il n'ayt autant de lumiere que l'autre, mais parce que Dieu l'a ainsy establi. J'en dis trop, Madame, puisque je ne doute point de vostre charité et humilité ; [173] mais je n'en dis pas asses selon l'extreme desir que j'ay a vostre bonheur, auquel seul vous attribueres, s'il vous plait, ceste façon d'escrire, car je n'ay sceu retenir mon esprit de vous presenter naïfvement ce que ceste affection luy suggere.

            Au demeurant, Madame, ne doutés point que je ne vous communique et applique beaucoup des sacrifices que Nostre Seigneur me permet de luy presenter. Je vous supplie de les contrechanger de vos prieres et plus ferventes devotions. Vous n'en donneres jamais part a personne qui soit de meilleur cœur, ni plus que moy,

            Madame,

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur en Jesus Christ,

FRANÇS, E. de Geneve.

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CLXXVI. Au Père Guillaume Boulliette, Cordelier (Inédit). Billet d'affaires.

 

Annecy, 18 janvier 1603.

 

            Monsieur,

 

            Je vous remercie de l'advis que vous me donnés touchant la resolution de messieurs de Saint Claude et du soin quil vous plait avoir de cet affaire pour la gloire de Dieu et le bien des brebis quil m'a commises. Je m'en [174] sens fort obligé et redevable a vostre charité, a laquelle j'offre de tres bon cœur mon service en contreschange, et demeure,

            Monsieur,

Vostre confrere et serviteur bien humble,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            A Neci, XVIII, 1603.

            A Monsieur

            Monsieur le P. Boulliette,

            Gardien du Convent St Françs de Moyrens.

 

Revu sur l'Autographe conservé au presbytère de Moirans (Isère).

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CLXXVII. Au Chevalier Joseph de Ruffia (Inédite). Réponse à une lettre de félicitation

 

Annecy, 22 janvier 1603.

 

            Monsieur,

 

            Je receu nagueres une des lettres quil vous a pleu m'escrire, si pleyne de tesmoignages de vostre bienveuillance que je n'en pourray jamais tant meriter. Je voudrois que la resjouissance que vous prenés de ma promotion a ceste charge eut autant de sujet en ma capacité et suffisance comm'ell'en a en l'amitié delaquelle il vous plait m'honnorer ; Dieu, par sa bonté, m'aydera et suppleera a ce qui me manque. Cependant, Monsieur, je vous supplie, croyes que tout tel que je suis, je ne cederay jamais a pas un de ceux qui vous sont acquis en affection et fidelité ; dequoy quand il vous plaira de tirer les preuves en m'employant, je le prendray en singuliere faveur, comme j'eusse fait a vous rendre service sur le particulier sujet pour lequel vous m'escrivies que [175] vostre agent s'addresseroit a moy, ce quil n'a pas fait jusques a l'heure.

            Je demeureray donques attendant les occasions, et priant Dieu quil vous conserve et donne le comble de ses graces, comme doit celuy qui est

            Vostre humble et treès affectionné serviteur en Jesus Christ,

FRANÇS DE SALES,

Evesque de Geneve.

            A Neci, le 22 janvier 1603.

            A Monsieur

            Monsieur de Rufia,

            General de l'artillerie pour S. A.

 

Revu sur l'Autographe conservé au château de Ruffia, près de Turin.

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CLXXVIII. A M. Antoine de Revol, Évêque nommé de Dol (Fragment inédit)

 

Annecy, 31 janvier 1603.

 

            Je vous envoyeray l'advis que vous desires de moy touchant la preparation requise pour subir le faix qui pend meshuy sur vos espaules. Dieu, pour le service et gloire duquel je vous le desire, vous veuille disposer luy mesme de sa main, affin que vous soyes son bon serviteur et fidelle

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [176]

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CLXXIX. A une tante. Condoléances sur la mort de son mari.

 

Annecy, 13 mars 1603.

 

            Madame ma Tante,

 

            Si je ne sçavois que vostre vertu vous peut donner les consolations et resolutions necessaires a supporter avec un courage chrestien la perte que vous aves faitte, je m'essayerois a vous en presenter quelques raysons par ceste lettre ; et, s'il estoit requis, je vous les porterois moy mesme. Mais j'estime que vous aves tant de charité et de crainte de Dieu, que, voyant son bon playsir et sainte volonté, vous vous y accommoderes, et adoucirés vostre desplaysir par la consideration du mal de ce monde, qui est si miserable que, si ce n'estoit nostre fragilité, nous devrions plustost louer Dieu quand il en oste nos amis que non pas nous en fascher. Aussi bien faut il que tous, les uns apres les autres, nous en sortions selon l'ordre qui est establi ; et les premiers ne s'en trouvent que mieux, quand ilz ont vescu avec soin de leur salut et de leur ame, comme a fait monsieur mon oncle et mon aisné, duquel la conversation a esté si douce et si utile a tous ses amis, que nous, qui avons esté de ses plus familiers et intimes, ne sçaurions nous empeseher d'avoir beaucoup de regret de la separation qui s'en est faitte. Et ce desplaysir ne nous est pas defendu, pourveu que nous le moderions par l'esperance que nous avons de ne demeurer gueres separés, mays que dans peu de tems nous le suivrons au Ciel, lieu de nostre [177] repos, Dieu nous en faysant la grace. Ce sera la ou nous accomplirons et parfairons sans fin les bonnes et chrestiennes amitiés que nous n'avons fait que commencer en ce monde. C'est la principale pensee que nos amis decedés requierent de nous, en laquelle je vous supplie de vous entretenir, laissant les desmesurees tristesses pour les espritz qui n'ont point de telles esperances.

            Cependant, Madame ma Tante, j'ay tant d'affection a la memoire de nostre deffunct et a vostre service, que vous accroistres infiniment l'obligation que j'y ay si vous me faites l'honneur de me commander avec toute liberté et de m'employer en grand'asseurance. Faites le, je vous supplie de tout mon cœur, et je prie Nostre Seigneur qu'il accroisse en vous ses saintes consolations et vous comble des graces que vous souhaitte,

            Madame ma Tante,

            Vostre tres humble neveu et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            De Neci, ce 13 mars 1603.

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CLXXX. A M. Charles d'Albigny. Prochain départ pour le Piémont. — Désir d'obtenir une lettre de recommandation auprès du duc. — Il implore sa protection pour un curé fait prisonnier par les Genevois.

 

Annecy, 29 mars 1603.

 

            Monsieur,

 

            Je m'attendois, sur l'esperance que vous m'en avies donnee, d'avoir l'honneur de vous voir en cette ville [178] quelques jours de cette Semaine Sainte. C'est pourquoi je ne me suis point resolu d'en partir pour vous aller saluer et demander vos commandemens avant mon despart pour Piemont ; ce que j'eusse fait, sans doute, si je ne me fusse promis le premier bonheur. Maintenant, pour rendre a point nommé obeissance aux intentions de Son Altesse, je me resouz de partir lundi prochain ; encor ne sçai-je si sera asses tost pour treuver Leurs Altesses en Piemont. Je vous supplie, Monsieur, de me conserver tous-jours lhonneur de vostre bienveuillance, et de me favoriser d'une recommandation qui me face bien tost despecher ; car outre ce, qu'ayant fait la fidelité que je dois je seray fort inutile de dela, je laisse un grand amas d'affaires spirituelles de deça qui, de leur nature, requierent la presence de l'Evesque. Je me prometz aysement cette faveur de vostre bonté, en laquelle seule je puis prendre la confiance que je prens de la vous demander si franchement.

            Outre cela, Monsieur, je vous fay encor une supplication pour un pauvre curé de Ternier, qui s'appelle Burgiat, curé de Beaumont, qui a esté fait prisonnier de guerre par ceux de Geneve, affin que si il se fait quelque traitté dans lequel il puisse rencontrer sa delivrance par [179] quelque eschange ou autrement, il vous plaise, Monsieur, luy faire cette charité ; et je puis vous asseurer qu'elle sera fleurie devant nostre bon Dieu, puisque il a esté pris sans sa coulpe et quil rendoit fort bien son devoir.

            Ce pendant, je prie tous-jours sa divine Majesté quil accroisse de jour en jours ses graces et benedictions sur vous, de qui je seray toute ma vie,

            Monsieur,

Plus humble et plus affectionné serviteur,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            A Neci, le Samedi St 1603.

            A Monsieur

            Monsieur d'Albigni,

            Lieutenant general de S. A. deça les montz,

            Chevallier de son Ordre, etc.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Sienne, Archives de l'Etat.

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CLXXXI. A Mademoiselle de Soulfour. Ne pas chercher au loin des directeurs à consulter. — La trop grande multiplicité de désirs est contraire à la perfection ; il faut exécuter ceux qui sont le plus à notre portée et restreindre les autres. — Promesse de prières. — Souvenir conservé à Sœur Anne Séguier.

 

Annecy, [avril-mai] 1603.

 

            Madamoyselle ma tres chere Fille en Jesus Christ,

 

            J'ay receu vostre lettre en laquelle vous vous essayes de me descouvrir l'estat de vostre esprit. Je ne puis nier que je ne sois beaucoup consolé de voir la confiance que vous aves en mon affection en vostre endroit, laquelle aussi est autant grande et constante que vous la sçauries desirer. Dieu donq soit loué en tout et par tout. Mays je m'en vay vous dire deux ou trois petitz motz sur le sujet de vostre lettre. [180]

            Premierement, croyés fermement, je vous supplie, que l'opinion que vous aves de ne devoir recevoir allegement de Dieu que par moy est une pure tentation de celuy qui a accoustumé de nous mettre des objetz esloignés en consideration, pour nous oster l'usage de ceux qui nous sont presens. C'est une maladie d'esprit a ceux qui sont malades au cors de desirer les medecins esloignés et les preferer a ceux qui sont presens. Il ne faut desirer les choses impossibles, ni bastir sur les difficiles et incertaines. Il ne suffit pas de croire que Dieu nous peut secourir par toutes sortes d'instrumens ; mais il faut croire qu'il ne veut pas y employer ceux qu'il esloigne de nous, et qu'il veut employer ceux qui sont pres de nous. Pendant que j'estois la je n'eusse pas rejetté ceste persuasion ; mais maintenant elle est du tout hors de sayson.

            Apres cela il me semble que vous aves rencontré le vray sujet de vostre mal, quand vous me dites qu'il vous est advis que c'est une multitude de desirs qui ne pourront jamais estre accomplis. C'est sans doute une tentation pareille a la precedente ; ains celle ci est la piece entiere de laquelle l'autre n'est qu'un eschantillon. La varieté des viandes, si elles sont en grande quantité, charge tous-jours l'estomach ; mais s'il est foible, elle le ruine. Quand l'ame a quitté les concupiscences et qu'elle s'est purgee des affections mauvaises et mondaines, rencontrant les objetz spirituelz et saintz, comme toute affamee elle se remplit de tant de desirs et avec tant d'avidité qu'elle en est accablee. Demandés les remedes a Nostre Seigneur et aux peres spirituelz que vous aves aupres de vous ; car iceux, touchant vostre mal avec la main, connoistront bien quelz remedes il y faut appliquer. Neanmoins je vous diray nuement ce qui m'en semble.

            C'est que si vous ne commences a mettre en execution quelques uns de ces desirs, ilz se multiplieront tous-jours et s'embarrasseront avec vostre esprit en sorte que vous ne sçaures comme vous en demesler. Il faut donq venir aux effectz. Mays par quel ordre ? Il faut commencer par les effectz palpables et exterieurs, qui sont le [181] plus en nostre pouvoir : par exemple, il n'est pas [requis] que vous n'ayes desir de servir aux malades pour l'amour de Nostre Seigneur, de faire quelques vilz et abjectz services en la mayson par humilité ; car ce sont desirs fondamentaux, et sans lesquelz tous les autres sont et doivent estre suspectz et mesprisés. Or, exercés vous fort a la production des effectz de ces desirs la, car l'occasion ni le sujet ne vous en manqueront pas. Cela est entierement en vostre pouvoir, et partant vous deves les executer ; car en vain feres vous dessein d'executer les choses dont le sujet n'est pas en vostre puissance ou est bien esloigné, si vous n'executes celles que vous aves a vostre commandement. Partant, executés fidellement les desirs bas et grossiers de la charité, humilité et autres vertuz, et vous verrés que vous vous en treuveres bien. Il faut que Magdeleine lave premierement les piedz de Nostre Seigneur, les bayse, les torche, avant que de l'entretenir cœur a cœur au secret de la meditation, et qu'elle respande l'unguent sur son cors avant que de verser le bausme de ses contemplations sur sa Divinité.

            Il est bon de desirer beaucoup ; mais il faut mettre ordre aux desirs, et les faire sortir en effect, chacun selon sa sayson et vostre pouvoir. On empesche les vignes et les arbres de porter des feuilles affin que leur humidité et suc soit par apres suffisant pour rendre du fruict, et que toute leur force naturelle ne s'en aille en la production trop abondante des feuilles. Il est bon d'empescher cette multiplication de desirs, de peur que nostre ame ne s'y amuse, laissant ce pendant le soin des effectz, desquelz, pour l'ordinaire, la moindre execution est plus utile que les grans desirs des choses esloignees de nostre pouvoir, Dieu desirant plus de nous la fidelité aux petites choses qu'il met en nostre pouvoir que l'ardeur aux grandes qui ne dependent pas de nous.

            Nostre Seigneur compare l'ame desireuse de la perfection a la femme grosse qui enfante ; mais a la verité, si la femme enceinte vouloit produire deux ou plusieurs enfans a la fois, et tous deux ensemble, elle ne le sçauroit faire sans mourir ; il faut qu'ilz sortent l'un apres l'autre. [182] Faites sortir les enfans de vostre ame, c'est a dire les desirs du service de Dieu, les uns apres les autres, et vous sentires un grand allegement.

            Mais en fin, si vous ne treuves point de repos en ces remedes, ayés patience ; attendés que le soleil soit levé, il dissipera ces broùillars. Ayés bon courage : Cette maladie ne sera pas a la mort, mais affin que Dieu soit glorifié par icelle. Faittes comme ceux qui sentent les ennuis et desvoyemens d'estomach sur la mer ; car apres qu'ilz ont roulé et leur esprit et leur cors par tout le navire pour treuver allegement, ilz viennent en fin embrasser l'arbre et le mat d'iceluy, et le serrent estroittement pour s'asseurer contre le tournoyement de teste qu'ilz souffrent. Il est vray que l'allegement leur est court et incertain ; mays si vous venes avec humilité embrasser le pied de la Croix, si vous n'y treuves autre remede, au moins y treuveres-vous la patience plus douce qu'ailleurs, et le trouble plus aggreable.

            Je vous ay voulu dire quelque chose, plus pour vous tesmoigner le desir que j'ay de vostre bien que pour penser que je sois capable de vous y servir. Ne doutés point, au reste, que je ne vous recommande a ce Pere de lumiere ; je le fay avec une tres grande volonté et inclination, croyant, pour ma consolation, que vous me rendrés fidellement le reciproque, dont j'ay a la verité bon besoin, pour estre embarqué en l'endroit le plus tempestueux et tourmenté de toute cette mer de l'Eglise.

            Je n'oublie point non plus la bonne Seur Anne Seguier, que je cheris tendrement en Jesus Christ. Dieu veuille estre son protecteur en sa sortie. Je la vous recommande quand elle sera chez son pere, car elle ne sera pas [183] dehors. Elle ne treuvera pas, peut estre, un autre monastere chez son pere comme vous aves treuvé chez le vostre ; neanmoins j'espere que Dieu la fera cheminer devant luy et estre parfaitte, car j'ay confiance en la misericorde de Dieu qu'elle en fera quelque chose de mieux.

            Je finis, vous priant de continuer en la resolution que vous faittes au milieu de vostre lettre quand vous dites : Je proteste devant Dieu et devant vous que je ne veux que luy et ne veux servir qu'a luy. Amen. « Cela est digne est juste, » puisqu'aussi luy ne veut de vous que vous mesme. Je suis inviolablement et de tres bon cœur,

            Madamoyselle ma très chere Fille en Jesus Christ,

            Vostre tres affectionné serviteur en ce mesme Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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CLXXXII. A la Duchesse de Nemours, Anne d'Este (Minute). But du voyage à Turin, dont le Saint est revenu depuis trois jours. — Le duc de Savoie parti pour Nice. — Les ecclésiastiques persécutés par les Genevois.

 

Annecy, vers le 18 mai 1603.

 

            Madame,

 

            Ce m'est un extrem'honneur d'estre si avant en vostre souvenance que non seulement vous ayes daigné [184] m'escrire le 16 avril, mais aussi il vous aye pleu de tesmoigner que vous auries aggreable de recevoir de mes lettres. Mais la favorable plainte que vous me faites a moymesme de n'en point recevoir me couvriroit de honte si j'eusse autant eu de commodité de vous en envoyer comme j'en ay eu de desir ; car, en l'asseurance de vostre bonté, Madame, je n'eusse pas failly de vous faire plus souvent la reverence par lettres, si je n'eusse esté empesché par le voyage et sejour que j'ay esté contraint de faire en Piemont, pour obtenir la mainlevee des revenuz de mon evesché que Son Altesse m'avoit fait saysir un peu apres que je fus fait Evesque. D'ou je ne suis de retour que des trois jours en ça, ayant esté despeché seulement au dernier jour que Son Altesse fut en Piemont, apres lequel il partit pour aller a Nice conduire Messeigneurs les Princes sur la mer pour le voyage d'Espagne, lequel, autre chose ne survenant, je tiens des ormais pour fait : et ce sont toutes les nouvelles de Piemont.

            Et quant a celles de ce pais, elles sont si desagreables que je ne pense pas vous en devoir entretenir, puis qu'elles ne consistent qu'en volleries et pilleries que font ceux de Geneve sur nous, et particulierement sur les gens d'Eglise qui seulz ne sont receuz a aucune contribution [185] ni composition, dont s'en est ensuivi l'abandonnement d'une grande quantité d'eglises. Nostre Seigneur y veuille mettre sa bonne main pour nous donner sa sainte paix.

            Ce pendant je remercie tres humblement Vostre Excellence du soin qu'ell'a eu de mon frere et la supplie de me continuer lhonneur de cette bienveuillance quil luy plait me porter, bien que j'en sois indigne. Et je prieray tous-jours Dieu quil luy playse de vous donner, (sic) me croyant tous-jours fidelle et affectionné au service de Vostre Excellence et de Monseigneur son filz…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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CLXXXIII. A M. François de Menthon de Lornay Doyen de Notre-Dame d'Annecy. Ordonnance relative au choix des dignitaires qui doivent assister l'Evêque aux offices de la Fête-Dieu.

 

Annecy, 27 mai 1603.

 

            Monsieur le Doyen,

 

            Je veux absolument et sans replique que vos chantres, le sousdiacre que vous me donneres et l'encenseur [186] soyent des chanoynes, nonobstant toutes vos coustumes, puisque ceux de mon eglise sont de cette qualité la. Je le commande a vostre Chapitre et a vous, en vertu de la sainte obedience et sub pœna excommunicationis latæ sententiæ.

            En foy dequoy j'ay signé la presente.

FRANÇS DE SALES,

Evesque de Geneve.

            A Neci, 27 may 1603.

            A Monsieur le Doyen de Nostre Dame.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy.

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CLXXXIV. A M. Antoine de Revol, Évêque nommé de Dol. Envoi d'une pièce sollicitée pour lui à Rome. — Obligation pour un évêque de transformer sa vie. — Il lui serait utile de se lier avec quelques grands serviteurs de Dieu ; éloge de plusieurs d'entre eux. — Livres à consulter surtout pendant cette première année. — Avoir une grande dévotion aux saints Anges. — L'Evêque est tenu de prêcher son peuple

 

Annecy, 3 juin 1603.

 

            Monsieur,

 

            J'ay receu deux de vos lettres, ausquelles je n'ay pas encor fait response parce que, quand elles arriverent icy, je n'y estois pas, mais en Piemont, ou j'ay esté contraint de faire un voyage pour les biens temporelz de cet evesché. Maintenant, Monsieur, je vous envoye la provision de Rome que vous desiries, laquelle j'ay ouverte pour sçavoir si tout ce dont vous avies besoin y estoit ; et je voy que tout y est, et quelque chose davantage, dont vous n'aves que faire, ne prejudiciant en rien a la provision pour le reste qui vous est requis. Voyla donques ma promesse accomplie pour ce particulier. Que s'il vous reste quelque difficulté, prenés en la mesme confiance [187] avec moy ; je vous asseure, Monsieur, que jamais je ne me lasseray de rendre du service a vostre consolation et a vostre esprit, lequel j'espere que Dieu addressera pour le service de plusieurs autres.

            L'autre partie de ma promesse m'est plus malaysee a mettre en effect pour les infinies occupations qui m'accablent ; car je pense estre a la plus fascheuse charge qu'aucun autre de cette qualité. Neanmoins, voyci un abbregé de ce que j'ay a vous proposer.

            Vous entrés en l'estat ecclesiastique et, tout ensemble, en la cime de cet estat. Je vous diray ce qui fut dit a un berger choisi pour estre Roy sur Israël : Mutaberis in virum alterum ; il faut que vous soyes tout autre en vostre interieur et en vostre exterieur. Et pour faire cette grande et solemnelle mutation, il faut renverser vostre esprit et le remuer par tout ; et pleust a Dieu que nos charges, plus tempestueuses que la mer, eussent aussi la proprieté de la mer, de faire jetter et vomir toutes les mauvaises humeurs a ceux qui s'y embarquent. Mais il n'en est pas ainsy ; car bien souvent nous nous embarquons et mettons la voile au vent estans tres cacochymes, et plus nous voguons et avançons en la haute mer, plus nous acquerons de mauvaises humeurs. Helas, Dieu soit loué, qui vous a donné le desir de n'en faire pas de mesme ; j'espere qu'il vous en donnera encor le pouvoir affin que son œuvre soit parfaitte en vous.

            Pour vous ayder a ce changement il faut que vous employes les vivans et les mortz : les vivans, car il vous faut treuver un ou deux hommes bien spirituelz, de la conversation desquelz vous puissies vous prevaloir. C'est un extreme soulagement que d'avoir des confidens pour l'esprit. Je laisse a part M. du Val, qui est bon a tout [188] et universellement propre pour semblables offices. Je vous en nomme un autre, M. Galemand, curé d'Aumale ; si par fortune il estoit a Paris, je sçay qu'il vous ayderoit beaucoup. Je vous en nomme un troisiesme, homme a qui Dieu a beaucoup donné et qu'il est impossible d'approcher sans beaucoup proffiter, c'est M. de Berulle ; il est tout tel que je sçaurois desirer d'estre moy mesme. Je n'ay gueres veu d'esprit qui me revienne comme celuy la, ains je n'en ay point veu ni rencontré ; mais il y a ce mal, c'est qu'il est extremement occupé. Il faut s'en prevaloir avec autant de confiance que de nul autre, mais avec quelque respect a ses affaires. J'ay un tres grand amy, que M. Raubon connoist : c'est M. de Soulfour ; il peut beaucoup en ces occasions. Je desirerois que vous le conneussies, estimant que vous en auries beaucoup de consolation.

            Quant aux mortz, il faut que vous ayes une petite bibliotheque de livres spirituelz de deux sortes : les uns pour vous entant que vous seres ecclesiastique, les autres pour vous entant que vous seres Evesque. De la premiere sorte vous en deves avoir avant que d'entrer en charge, et les lire et mettre en usage ; car il faut commencer par la vie monastique avant que de venir a l'œconomique et politique. Ayés, je vous prie, Grenade tout entier, et que ce soit vostre second breviaire ; le Cardinal Borromee n'avoit point d'autre theologie pour prescher que celle la, et neanmoins il preschoit tres bien. Mays ce n'est pas la son principal usage : c'est qu'il dressera vostre esprit a l'amour de la vraye devotion et a tous les exercices spirituelz qui vous sont necessaires. Mon opinion seroit que vous commençassies a le [189] lire par la grande Guide des Pecheurs, puis que vous passassies au Memorial, et en fin que vous le leussies tout. Mais pour le lire fructueusement il ne le faut pas gourmander, ains le faut peser et priser, et chapitre apres chapitre le ruminer et appliquer a l'ame avec beaucoup de consideration et de prieres a Dieu. Il faut le lire avec reverence et devotion, comme un livre qui contient les plus utiles inspirations que l'ame peut recevoir d'en haut ; et par la, reformer toutes les puissances de l'ame, les purgeant par detestation de toutes leurs mauvaises inclinations, et les addressant a leur vraye fin par des fermes et grandes resolutions.

            Apres Grenade, je vous conseille fort les Œuvres de Stella, notamment De la vanité du monde, et toutes les Œuvres de François Arias, Jesuite. Les Confessions de saint Augustin vous seront extremement utiles, et, si vous m'en croyes, vous les prendres en françois de la traduction de Monsieur Hennequin, Evesque de Rennes. Bellintani, Capucin, est encores propre pour y voir distinctement plusieurs belles considerations sur tous les mysteres de nostre foy, et les Œuvres de Costerus, Jesuite. Mais apres tous, il me souvient de [190] vous recommander les Epistres spirituelles de Jan Avila, esquelles je suis asseuré que vous verrés plusieurs belles considerations et leçons pour vous et pour les autres ; et, tout d'un train, je vous recommande les Epistres de saint Hierosme, en son excellent latin.

            Entant qu'Evesque, pour vous ayder a la conduitte de vos affaires, ayés le livre des Cas de conscience, du Cardinal Tolet, et le voyés fort : il est court, aysé et asseuré, il vous suffira pour le commencement. Lises les Morales de saint Gregoire et son Pastoral ; saint Bernard en ses Epistres et es livres de la Consideration. Que s'il vous plait d'avoir un abbregé de l'un et de l'autre, ayés le livre intitulé Stimulus Pastorum, de l'Archevesque Braccarense, en latin, imprimé chez Keruer. De Decreta Ecclesiæ Mediolanensis vous est necessaire, mays je ne sçai s'il est imprimé a Paris. Item, je desire que vous ayes la Vie du bienheureux Cardinal Borromee, escritte au long par Charles a Basilica Petri en latin, car vous y verrés le modelle d'un vray pasteur ; mais sur tout ayés tous-jours es mains le Concile de Trente et son Catechisme.

            Je ne pense pas que cela ne vous suffise pour la premiere annee, pour laquelle seule je parle ; car pour le reste, vous seres mieux conduit que cela, et par cela mesme que vous aures avancé en la premiere annee, si vous vous enfermes dans la simplicité que je vous propose. Mais excusés moy, je vous supplie, si je traitte avec cette [191] confiance ; car je ne sçaurois faire en autre façon pour la grande opinion que j'ay de vostre bonté et amitié.

            J'adjousteray encor ces deux motz. L'un est qu'il vous importe infiniment de recevoir le sacre avec une grande reverence et disposition, et avec l'apprehension entiere de la grandeur du mistere. S'il vous estoit possible d'avoir l'orayson qu'en a faitte Stanislaüs Socolorius, intitulee : De sacra Episcoporum consecratione et inaugurations, au moins selon mon exemplaire, cela vous serviroit beaucoup, car, a la verité, c'est une belle piece. Vous sçaves que le commencement en toutes choses est fort considerable, et peut on bien dire que « primum in unoquoque genere est mensura cæterorum. »

            L'autre point est que je vous desire beaucoup de confiance et une particuliere devotion a l'endroit du saint Ange gardiateur et protecteur de vostre diocese, car c'est une grande consolation d'y recourir en toutes les difficultés de la charge. Tous les Peres et theologiens sont d'accord que les Evesques, outre leur Ange particulier qui leur est donné pour leur personne, ont l'assistence d'un autre commis pour leur office et charge. Vous deves avoir beaucoup de confiance en l'un et en l'autre, et, par la frequente invocation d'iceux, contracter une certaine familiarité avec eux, et specialement pour les affaires avec celuy du diocese, comme aussi avec le saint Patron [192] de vostre cathedrale. Pour le surplus, Monsieur, vous m'obligeres beaucoup de m'aymer estroittement et de me donner la consolation de m'escrire familierement, et croyés que vous aves en moy un serviteur et frere de vocation autant fìdelle que nul autre.

            J'oubliois de vous dire que vous deves en toute façon prendre resolution de prescher vostre peuple. Le tres saint Conncile de Trente, apres tous les Anciens, a determiné qie « le premier et principal office de l'Evesque est de prescher ; » et ne vous laisses emporter a pas une consideration qui vous puisse destourner de cette resolution. Ne le faittes pas pour devenir grand predicateur, mays simplement parce que vous le deves et que Dieu le veut. Le sermon paternel d'un Evesque vaut mieux que tout l'artifice des sermons elabourés des predicateurs d'autre sorte. Il faut peu de chose pour bien prescher, a un Evesque, car ses sermons doivent estre des choses necessaires et utiles, non curieuses ni recherchees ; ses paroles simples, non affectees ; son action paternelle et naturelle, sans art ni soin, et, pour court qu'il soit et peu qu'il die, c'est tous-jours beaucoup. Tout cecy soit dit pour le commencement, car le commencement vous enseignera par apres le reste. Je voy que vous escrives si bien vos lettres, et fluidement, qu'a mon advis, pour peu que vous ayes de resolution, vous feres bien les sermons ; et neanmoins je vous dis, Monsieur, qu'il n'en faut pas avoir peu de resolution, mais beaucoup, et de la bonne et invincible.

            Je vous supplie de me recommander a Dieu ; je vous rendray le contrechange et seray toute ma vie,

            Monsieur,

Vostre tres humble et affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le 3 juin 1603. [193]

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CLXXXV. A M. Antoine de la Porte (Inédite). Dispositions bienveillantes du duc de Savoie envers Mme de Mercœur. — Jugement d'un procès entre cette princesse et don Amédée de Savoie. — Le Saint s'excuse de n'avoir pu achever le payement de la terre de Thorens.

 

Annecy, 6 juin 1603.

 

            Monsieur,

 

            Je reviens naguere de Piemont, ou je vis Son Altesse et l'entretins quelque tems sur les affaires que Madame a de deça, et le treuvay fort disposé a luy donner toute assistence et faveur pour en chevir. Je luy proposay que, venant un agent de Madame, il seroit expedient de commander a quelques uns des officiers de la justice de terminer en une journee amiable toutes les difficultés qu'elle avoit, soit avec le seigneur Dom Amedeo, soit avec autres ; ce que Son Altesse accorda fort volontier, et monstra de priser extremement tout ce qui appartenoit au contentement de Madame, comme sa parente proche et vefve d'un prince son parent, et des louanges duquel il me dit merveilles.

            Mais ce pendant que je traittoys ces choses en Piemont, la Chambre des Comptes acheminoyt le proces que Madame a avec le seigneur Dom Amedeo pour Conflens, si que, a mon arrivee, je le treuvay prest a juger ; et, selon l'advis du juge, j'escrivis tout aussi tost a Son Altesse [194] pour avoir surseance et ordre que tout fut retardé, suivant l'accord qu'il m'avoit fait de terminer les differens sans proces. Mais tout cela pour neant, car ma lettre ne fut pas en chemin que l'arrest sortit tel que le juge vous escrira, ainsy quil m'a dit. J'en fus extremement marri pour m'estre treuvé court au service que j'avois desiré rendre a Madame.

            Je treuvay en Piemont monsieur le referendaire Millet, et passay en Maurienne pour parler a Monsieur l'Evesque touchant Faverges ; ilz persistent, et s'offrent de solliciter, ayant procure de Madame, pour faire rendre les deniers sans que Madame en face la despence, suivant les memoires que je vous en laissay. Le marquis de Lulin escrivit a Madame pour acheter Doin, et j'envoyay la lettre ; je ne sçai si elle l'aura receüe : il attend response.

            Reste que je parle de moy, qui suis tres marri de ne pouvoir si tost chevir du payement de Thorens ; mais [195] j'espere que Madame aura quelque consideration au malheur qui nous accable de deça et auquel Thorens mesme a une grande part. Je m'essayeray de la contenter au plus tost, n'ayant aucun affaire mondain en mon esprit que celluy-la, et de luy rendre tous les services quil me sera possible en toutes occurrences, comme tres-obligé que j'y suis. Faittes moy cet honneur, Monsieur, que de l'en asseurer et luy presenter une tres humble reverence en mon nom, ce pendant que je prieray Dieu quil vous comble de ses graces et que je suis,

            Monsieur,

Vostre serviteur plus humble,

FRANÇS DE SALES,

Evesque de Geneve.

            A Neci, 6 juin 1603.

            A Monsieur

            Monsieur de la Porte,

            Surintendant de la mayson de Madame la Duchesse de Mercœur.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Ier Monastère dela Visitation de Paris.

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CLXXXVI. A M. Charles d'Albigny. Réclamations au sujet d'une mesure contraire aux immunités ecclésiastiques.

 

Annecy, 14 juin 1603.

 

            Monsieur,

 

            J'ay consideré l'expedient que le sieur cappitaine de Moyron propose pour descharger les ecclesiastiques du logement de guerre et y ay veu plusieurs inconveniens, et, entre les autres, celuy que je crains le plus, [196] qui est que la liberté et immunité ecclesiastique en seroit, ce me semble, directement violee. C'est pourquoy j'envoye le porteur aupres de vous, Monsieur, pour vous les representer, estimant de ne treuver pas moins de faveur pour nostre droit que nous y en avons tous-jours treuvé, et que je me prometz d'en treuver ci apres.

            Cependant, et moy et tous les ecclesiastiques qui sont icy, nous prierons Dieu pour vostre santé, et je demeureray,

            Monsieur,

Vostre serviteur tres humble,

FRANÇS DE SALES,

Evesque de Geneve.

            A Neci, le XIIII juin 1603.

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CLXXXVII. A M. de Soulfour (Inédite). Abandon et désolation de cent églises aux environs de Genève. — Union de prières. — Projet d'écrire à M. Asseline. — Divers messages

 

Annecy, 15 juin 1603.

 

            Monsieur,

 

            Il me semble quil y a cent ans que je ne vous ay escrit, et deux cens que je n'ay receu de vos nouvelles. Mon voyage de Piemont a esté cause de l'un ; je ne sçai qui l'a esté de l'autre. Nos nouvelles ne sont que des [197] vielles miseres, entre lesquelles les plus grandes sont celles qui concernent l'abandonnement de cent eglises autour de Geneve, presque desolees. Dieu neanmoins nous fait des consolations en ce que jamais nos ennemis ne sont rencontrés quilz ne soyent battus. J'ay de peyne, par la grace de Dieu, autant que j'en puis porter ; je desire que vous m'aydies fort par vos prieres et par celles de vos amis. Jamais je ne vous oublie aux miennes que je fay a l'autel, ni le filz ni nostre fille, de laquelle mon esprit ne peut abandonner le soin, quoy qu'inutile.

            Je doy une lettre a monsieur Asseline et un'autre encores, que je luy addresseray, a un de ses amis qu'il a voulu rendre le mien par la regie de communication ; je n'ay le loysir de payer maintenant, ce sera a la premiere commodité. Cependant continues, je vous prie, a m'aymer, et me donnes advis de vostre santé et des vostres. Je desire encor de sçavoir de celle de la Mere Anne, vostre seur, et de l'estat de Seur Anne Seguier. J'ay un certain cœur tenant qui jamais ne lasche sa prise. Vous m'aves salué au nom de madamoiselle de Fontaine, de madame Fillard ; je vous prie qu'elles le [198] soyent de ma part par vostre entremise. Je vous embrasse de tout mon cœur et suis,

            Monsieur,

Vostre serviteur tres humble,

FRANÇS, EV. de Geneve.

            Le XV juin 1603. J'escris a madame de Montmartre en response de celle qu'elle m'escrivit et que vous m'envoyastes. Voyes la, et la fermes, sil vous plait.

            A Monsieur

            Monsieur de Soulfour.

            A Glatagni.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à la Vicomtesse de Saint-Seine, château de Saint-Seine (Côte-d'Or).

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CLXXXVIII. Aux Chanoines de la Collégiale de Saint-Jacques de Sallanches. Il les engage à accepter une fondation qui leur est offerte pour l'entretien de quatre enfants de chœur

 

Annecy, 24 juin 1603.

 

            Messieurs,

 

            J'ay veu les propositions que monsieur Loquet fait pour fonder a ses despens l'entretenement de quattre enfans de chœur en vostre eglise et, quant et quant, j'ay aussi veu les responses que vous y aves faittes. Et avant consideré l'un et l'autre, j'ay jugé que vous estiés de bon accord en effect, encor quil semble qu'il y ait quelque difference en paroles ; car ayant demandé a [199] monsieur Loquet sil vouloit vous obliger par sa fondation a fournir plus quil ne vous reviendroit du revenu d'icelle, il m'a dit que nanni : aussi ne seroit-il pas bien raysonnable. J'ay encor voulu sçavoir sil desiroit plus de soin et d'obligation de vostre Chapitre a la conservation du fondz et des revenuz de sa fondation que vous n'en aves au demeurant des biens de vostre eglise ; il m'a semblablement dit que non, et que son intention n'estoit que de vous obliger d'avoir un pareil soin de la maintenance et conservation de sa fondation que celuy que vous estes obligés d'avoir du reste de vos revenuz et autres fondations. Or, cela est fort raysonnable ; car quand il ni auroit aucune clausule obligatoire, si est ce que vous ne laysseries d'estre redevables de maintenir soigneusement et en bons peres de famille telz biens et fondz ; mais pour tout cela vous ne seriés pas tenuz ni a l'impossible ni a la charge, si les moyens se perdoyent sans vostre faute et coulpe. C'est mon advis, lequel je pense estre digne d'estre suivi ; autrement je ne le vous proposerois pas.

            C'est pour cela que je vous ay voulu escrire ces deux motz, me doutant que, faute de vous entr'entendre, cette œuvre ne se perdit, comme il arrive bien souvent des bons desseins. Neanmoins, si vous estimes pour quelque autre rayson de devoir apporter de la difficulté en cet affaire, je vous prieray de m'en advertir, affin que j'apporte le plus que je pourray de diligence et industrie pour accommoder le tout a la gloire de Dieu, ornement de son service et vostre contentement.

            Cependant, je me recommande a vos oraysons, et prie reciproquement Nostre Seigneur quil vous accompagne de ses graces et nous donne a tous l'esprit et zele de son service, qui est ce que doit desirer,

            Messieurs,

Vostre humble confrere et serviteur en Jesuschrist,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            A Neci, XXIIII juin, jour de St Jan 1603.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Vulliet, à Annecy. [200]

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CLXXXIX. A M. Charles d'Albigny. Il sollicite une place pour le neveu de l'Evêque défunt

 

Annecy, [fin juin 1603.]

 

            Monsieur,

 

            Je vous suppliay, a mon despart de Chamberi, de vouloir donner une place en la cavallerie au sieur de Grenier, d'Hiene, que je dois affectionner pour estre neveu de feu Monsieur l'Evesque, mon bon prædecesseur ; vous me fistes la grace, Monsieur, de me l'accorder. Il me reste a vous en ramentevoir aux occasions, qui m'a fait maintenant vous en rafraischir la premiere supplication que je vous en ay faite, laquelle vous gratifieres, je m'en asseure, non seulement pour l'humble et entiere affection de laquelle je vous honnore, mais aussi en contemplation de ce bon Prælat decedé, duquel les merites vivent devant Dieu et en vostre souvenance.

            Je supplie sa divine Majesté qu'elle vous benisse de ses plus cheres faveurs, et suis,

            Monsieur,

Vostre serviteur plus humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Monsieur

            Monsieur d'Albigni.

            Chevallier de l'Ordre de S. A. et son Lieutenant general.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [201]

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CXC. A Mademoiselle de Soulfour. Suites que laissent certaines infirmités spirituelles : leur utilité. — La perfection absolue impossible en ce monde. — Avoir de grandes prétentions au service de Dieu, mais ne pas s'étonner si elles ne peuvent être entièrement réalisées. — Ne pas se préoccuper des dangers à venir. — Assurance de dévouement

 

Annecy, 22 juillet 1603.

 

            Madamoyselle,

 

            Je receu par mon frere une de vos lettres qui me fait louer Dieu dequoy il a donné quelque lumiere a vostre esprit. Que s'il n'est encor pas du tout desengagé, il ne s'en faut pas estonner. Les fievres spirituelles, aussi bien que les corporelles, sont ordinairement suivies de plusieurs ressentimens, qui sont utiles a celuy qui guerit pour plusieurs raysons, mais particulierement parce qu'ilz consument les restes des humeurs peccantes qui avoyent causé la maladie, affin qu'il n'en demeure pas un brin ; et parce que cela nous remet en memoire le mal passé, pour faire craindre de la recheute, a laquelle bien souvent nous nous porterions par trop de licence et de liberté, si les ressentimens, comme menaces, ne nous retenoyent en bride pour nous faire prendre garde a nous jusques a ce que nostre santé soit bien confirmee.

            Mais, ma bonne Fille, puisque vous voyla a moitié eschappee de ces terribles passages par ou vous aves esté conduitte, il me semble que vous deves maintenant prendre un peu de repos, et vous arrester a considerer la vanité de l'esprit humain, comme il est sujet a s'embrouiller et embarrasser en soy mesme. Car je suis asseuré que vous remarqueres aysement que les travaux interieurs que vous aves souffertz ont esté causés par une multitude de considerations et de desirs, produitz avec un grand empressement pour atteindre a quelque perfection imaginaire. Je veux dire que vostre imagination vous avoit formé une idee de perfection absolue, a laquelle vostre volonté se vouloit porter ; mays, espouvantee de la grande [202] difficulté, ou plustost impossibilité, elle demeuroit grosse au mal de l'enfant, sans pouvoir enfanter. A cette occasion, elle multiplioit des desirs inutiles, qui, comme des bourdons et freslons, devoroyent le miel de la ruche, et les vrays et bons desirs demeuroyent affamés de toutes consolations. Maintenant donq prenés un petit haleyne, respirés quelque peu, et, par la consideration des dangers echappés, divertissés ceux qui pourroyent advenir ci apres. Tenés pour suspectz tous ces desirs qui, selon le commun sentiment des gens de bien, ne peuvent pas estre suyvis de leurs effectz : telz sont les desirs de certaine perfection chrestienne qui peut estre imaginee mais non pas prattiquee, et de laquelle plusieurs font des leçons, mais nul n'en fait les actions.

            Sçachés que la vertu de patience est celle qui nous asseure le plus de la perfection, et s'il la faut avoir avec les autres, il faut aussi l'avoir avec soy mesme. Ceux qui aspirent au pur amour de Dieu n'ont pas tant besoin de patience avec les autres comme avec eux mesmes. Il faut souffrir nostre propre imperfection pour avoir la perfection ; je dis souffrir avec patience, et non pas aymer ou caresser : l'humilité se nourrit en cette souffrance.

            Il faut confesser la verité, nous sommes des pauvres gens qui ne pouvons gueres bien faire ; mais Dieu, qui est infiniment bon, se contente de nos petites besoignes, et a aggreable la preparation de nostre cœur. Et qu'est ce a dire, la preparation de nostre cœur ? Selon la sainte Parole, Dieu est plus grand que nostre cœur, et nostre cœur est plus grand que tout le monde. Quand nostre cœur, a part soy, en sa meditation, prepare le service qu'il doit rendre a Dieu, c'est a dire quand il fait ses desseins de servir Dieu, de l'honnorer, de servir le prochain, de faire la mortification des sens exterieurs et interieurs et semblables bons propos, en ce tems la il fait des merveilles ; il fait des preparations et dispose ses actions a un degré si eminent de perfection admirable. Toute cette preparation neanmoins n'est nullement proportionnee a la grandeur de Dieu, qui est infiniment plus grand que nostre cœur ; mais aussi cette preparation est [203] ordinairement plus grande que le monde, que nos forces, que nos actions exterieures.

            Un esprit qui, d'un costé, considere la grandeur de Dieu, son immense bonté et dignité, ne se peut saouler de luy faire des grandes et merveilleuses preparations. Il luy prepare une chair mortifiee sans rebellion, une attention a la priere sans distraction, une douceur de conversation sans amertume, une humilité sans aucun eslancement de vanité. Tout cela est fort bon, voyla des bonnes preparations ; encor en faudroit il davantage pour servir Dieu selon nostre devoir. Mays au bout de la, il faut chercher qui le face ; car quand ce vient a la prattique, nous demeurons courtz, et voyons que ces perfections ne peuvent estre si grandes en nous ni si absolues. On peut mortifier la chair, mais non pas si parfaittement qu'il n'y ayt quelque rebellion ; nostre attention sera souvent interrompue de distractions, et ainsy des autres.

            Et faut il pour cela s'inquieter, troubler, empresser, affliger ? Non pas, certes. Faut il appliquer un monde de desirs pour s'exciter a parvenir a ce signe de perfection ? Non, a la verité. On peut bien faire des simples souhaitz qui tesmoignent nostre reconnoissance ; je puis bien dire : Hé, que ne suis je aussi fervent que les Seraphins pour mieux servir et louer mon Dieu ! Mais je ne doy pas m'amuser a faire des desirs comme si en ce monde je devois atteindre a cette exquise perfection, disant : Je le desire, je m'en veux essayer, et si je ne puis y atteindre je me fascheray. Je ne veux pas dire qu'il ne faille se mettre en chemin de ce costé la ; mais il ne faut pas desirer d'y arriver en un jour, c'est a dire en un jour de cette mortalité, car ce desir nous tourmenteroit, et pour neant. Il faut, pour bien cheminer, nous appliquer a bien faire le chemin que nous avons plus pres de nous, et la premiere journee, et non pas s'amuser a desirer de faire la derniere pendant qu'il faut faire et devuider la premiere.

            Je vous diray ce mot, mais retenes le bien : nous nous amusons quelquefois tant a estre bons Anges, que nous en layssons d'estre bons hommes et bonnes femmes. Nostre imperfection nous doit accompaigner jusques au [204] cercueil. Nous ne pouvons aller sans toucher terre ; il ne faut pas s'y coucher ni vautrer, mais aussi ne faut il pas penser voler ; car nous sommes des petitz poussins qui n'avons pas encores nos aisles. Nous mourons petit a petit ; il faut aussi faire mourir nos imperfections avec nous de jour en jour. Cheres imperfections, qui nous font reconnoistre nostre misere, nous exercent en l'humilité, mespris de nous mesmes, en la patience et diligence, et nonobstant lesquelles Dieu considere la preparation de nostre cœur, qui est parfaitte.

            Je ne sçai si je vous escris a propos ; mais il m'est venu au cœur de vous dire cecy, estimant qu'une partie de vostre mal passé vous est arrivee de ce que vous aves fait des grandes preparations ; et voyant que les effectz estoyent tres petitz et les forces insuffisantes pour prattiquer ces desirs, ces desseins et ces idees, vous aves eu des certains creve cœur, des impatiences, inquietudes et troubles ; puis ont suivi des desfiances, allanguissemens, abbaissemens ou defaillances de cœur. Or, si cela est, soyés bien sage par ci apres.

            Allons terre a terre, puisque la haute mer nous fait tourner la teste et nous donne des convulsions. Tenons nous aux piedz de Nostre Seigneur avec la sainte Magdeleine de laquelle nous celebrons la feste ; pratiquons certaines petites vertuz propres pour nostre petitesse. A petit mercier, petit panier. Ce sont les vertuz qui s'exercent plus en descendant qu'en montant, et partant elles sont sortables a nos jambes : la patience, le support des prochains, le service, l'humilité, la douceur de courage, l'affabilité, la tolerance de nostre imperfection, et ainsy ces petites vertuz. Je ne dis pas qu'il ne faille monter par l'orayson, mays pas a pas.

            Je vous recommande la sainte simplicité. Regardés devant vous, et ne regardés pas a ces dangers que vous voyes de loin, ainsy que vous m'aves escrit. Il vous semble que ce soyent des armees ; ce ne sont que des saules esbranchés, et ce pendant que vous regardés la, vous pourries faire quelque mauvais pas. Ayons un ferme et general propos de vouloir servir Dieu de tout nostre [205] cœur et toute nostre vie ; au bout de la, n'ayons soin du lendemain. Pensons seulement a bien faire aujourd'huy ; et quand le jour de demain sera arrivé il s'appellera aussy aujourd'huy, et lhors nous y penserons. Il faut encores en cest endroit avoir une grande confiance et resignation en la providence de Dieu. Il faut faire provision de manne pour chasque jour, et non plus ; et ne doutons point, Dieu en pleuvra demain d'autre, et passé demain, et tous les jours de nostre pelerinage.

            J'appreuve infiniment l'advis du Pere N., que vous ayes un directeur, entre les bras duquel vous puissies doucement deposer vostre esprit. Ce sera vostre bonheur si vous n'aves nul autre que le doux Jesus, lequel, comme il ne veut pas que l'on mesprise la conduitte de ses serviteurs quand on la peut avoir, aussi quand elle nous defaut, il supplee pour tout ; mais ce n'est qu'a cette extremité, a laquelle si vous estes reduitte, vous l'experimenteres.

            Ce que je vous escrivis n'estoit pas pour vous garder de communiquer avec moy par lettres, et de conferer de vostre ame qui m'est tendrement chere et bienaymee, mais pour esteindre l'ardeur de la confiance que vous avies en moy, qui, pour mon insuffisance et pour vostre esloignement, ne puis vous estre que fort peu utile, bien que tres affectionné et tres dedié en Jesus Christ. Escrivés moy donq en confiance, et ne doutés nullement que je ne responde fidellement. J'ay mis au fons de la lettre ce que vous desiries, affin qu'elle soit pour vous seulement.

            Priés fort pour moy, je vous supplie ; il n'est pas croyable combien je suis pressé et oppressé sous cette grande et difficile charge. Vous me deves cette charité par les loix de nostre alliance, et puisque je vous contrechange par la continuelle souvenance que je porte de vous a l'autel et en mes foibles prieres. Beni soit Nostre Seigneur. Je le supplie qu'il soit vostre cœur, vostre ame, vostre vie, et je suis

Vostre serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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CXCI. A un inconnu (Minute). Remerciements pour une lettre reçue. — Assurance de dévouement

 

Annecy, [fin juillet 1603 .]

 

            Monsieur,

 

            Je garde tous-jours et regarde souvent la lettre que monsieur le præsident Favre, mon frere, m'apporta de vostre part. Je la garde, par ce que c'est le seul tiltre par lequel je vous puis demander l'estroitte bienveüillance qu'elle me promet ; je la regarde, pour y voir cette mesme bienveuillance si courtoysement depeinte que je ne la sçaurois voir ailleurs avec plus de douceur et playsir.

            Rencontrant donques cette commodité d'envoyer des lettres a Paris au jour anniversaire de celuy auquel vous me fites lhonneur de m'escrire la vostre, j'ay voulu vous en rafraichir la memoire et vous supplier de me continuer tous-jours cette affection quil vous pleut me [207] tesmoigner. Je regrette tous-jours de n'avoir eu autant de bonheur pour la connoistre pendant que je fus a Paris comme j'ay de devoir maintenant a la reconnoistre ; ce que je fay avec toute la sincerité que vous sçauries desirer d'un homme duquel vous aves entierement acquis le service et volonté, comme je vous supplie de croire, et de nourrir cett'amitié que vostre seule bonté a fait naistre pour m'en favoriser, tandis que de mon costé je prieray Dieu quil vous comble de ses graces, et demeureray inviolablement…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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CXCII. Au Baron de Lux (Minute inédite). Prière de s'opposer aux prétentions injustes d'un gentilhomme.

 

[Annecy, 1603, avant août.]

 

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[Monsieur] de la Bastie de Dombes me fait une recharge de toute autre façon ; car il vient (sic) a Farges [208] et Asserens, ou il monstra un'extreme affection et resolution pour empescher la jouissance des biens qui estoyent clairement donnés et ouctroyés pour l'entretenement du pasteur de ces lieux en l'ordonnance que vous, Monsieur, en avies faitte par les patentes de l'establissement. Pour moy, a cette derniere allarme, a peu que je ne perdis courage, comm'ayant des-ja esté longuement debout et en faction pour les præcedentes difficultés ; outre ce, quil me sembloit que meshuy la chose devoit estr'asseuree, puisque la court de Parlement avoit interposé son arrest.

            Je fus estonné de ce que monsieur de la Bastie y estoit venu luy mesme, qui tesmoignoit un'ardeur d'esprit et une volonté tout'entiere ; mais je le fus encor plus quand je sceu que ce n'estoit point pour luy ni pour aucun de ses enfans, mais pour un tiers. Je ne doutay point aussi qu'estant ce quil est, il ne deut recevoir beaucoup de faveurs en tous ses desirs. C'est cela qui me mit fort en peyne, en laquelle je serois encor si je ne me fusse resouvenu que vous l'aymies et avies beaucoup d'authorité sur luy ; car j'ay pensé qu'encor quil eut fait tant de demonstration de roydeur, si est ce que vostre entremise le plieroit tous-jours assés a la rayson quand il vous plairoit de l'y employer. Ce que je vous supplie humblement de faire, non seulement pour lhonneur et service de Dieu, qui vous est le plus cher, mais encor pour lhonneur de la premiere action que vous aves faitte en ce sujet et qui a servi de fondement a toute cette suitte. Dieu vous a choysi pour commencer un si saint œuvre et, par la, vous a assés obligé d'en desirer et solliciter le progres et l'accomplissement. Je vous supplie, Monsieur, de le faire et de moderer l'affection de monsieur de la Bastie, puis [209] que mesme le sieur lieutenant civil et criminel de Gex nous a renvoyé tous deux devers vous pour estre reglés sur l'intelligence de vostre ordonnance, laquelle, bien qu'elle soit tres claire, on veut neanmoins obscurcir.

            J'ay deduit ce fait un peu bien au long affin que, par ce moyen, vous sceussies les accidens survenuz en une besoigne que je vous ay veu embrasser avec tant de ferveur, au milieu de la rigueur du plus grand froid de l'annee, avec tant de consolation de tous ceux qui furent presens, et specialement de feu Monsieur l'Evesque mon predecesseur, qui, pendant quil a vescu despuis, ne sceut onques s'empescher d'en faire feste.

            Au demeurant, Monsieur, j'ay tous-jours esté extremement curieux de sçavoir des nouvelles de vostre santé, et les dernieres que j'en ay eues ont esté que vous avies esté prendre congé de Monsieur et Madame de Nemours pour venir de deça pour le service du Roy ; qui m'a fait mettre en doute si ceste lettre vous rencontreroit encor a Paris ou si vous series des-ja en chemin : c'est pourquoy j'en ay fait un duplicat, affin que l'un fut envoyé d'un costé et l'autre de l'autre. Et cependant que j'attends l'asseurance de la reception, je prieray Dieu quil vous comble de ses benedictions, et demeureray de toute mon affection,

            Monsieur,

Vostre serviteur plus humble.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [210]

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CXCIII. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie (Minute inédite). Exposé des différends qui existent entre le Chapitre de la cathédrale et celui de Notre-Dame de Liesse pour une question de préséance. — Les usages des Chapitres de Paris ne peuvent faire loi pour ceux d'Annecy.

 

Annecy, [juillet-septembre] 1603.

 

            Monseigneur,

 

            Je remercie tres humblement Vostre Excellence du soin qu'ell'a eu de respondre a la supplication que je luy avois faitte, pour avoir congé de terminer par le droit et justice le different que le Chapitre de l'eglise cathedrale de ce diocæse a avec celuy de Nostre Dame de cette ville. En quoy la verité est que je n'ay pas liberté de faire election d'aucun expedient, comme j'aurois si j'en estois le juge souverain, puisque le Saint [211] Siege Apostolique et le siege de Vienne, qui est metropolitain de ce diocsese, m'ont entierement lié les mains, et particulierement pour le regard de la façon de proceder que monsieur le Præsident de Genevoys m'a proposee, qui fut celle que feu Monsieur l'Evesque Justinien fit prattiquer une fois. Dequoy, sur la plainte faitte par le Chapitre de la cathedrale, il fut reprins par le Saint Siege, et condemné par sentence du Metropolitain a maintenir la preseance et præcedence de la cathedrale absolument. Dont je n'ay plus le choix, sinon pour aller ou n'aller pas a la procession, mais non pas pour y aller autrement qu'avec l'entiere praecedence de la cathedrale.

            Aussi, a la verité, les exemples de la Sainte Chapelle et Sainte Geneviefve ne reviennent nullement a ce sujet, dautant que ni la Sainte Chapelle ni Sainte Geneviefve ne sont point eglises sujettes a l'Evesque, mais exemptes, et partant n'ont autre devoir que de reverence a l'eglise cathedrale du diocaese ou elles se treuvent, mais non pas d'aucune subordination ni dependence. C'est pourquoy l'Abbé de Sainte Genevieve, suivant le cors de la Sainte, [212] donne la benediction avec l'Evesque. Ou au contraire, le Chapitre de Nostre Dame est purement et simplement sujet a l'Evesque de Geneve, et, le siege vacant, du Chapitre cathedral et de son Vicaire. Et bien que la Sainte Chapelle et Sainte Genevieve soyent des eglises exemptes, si est ce qu'elles n'iroyent pas a costé de la cathedrale si elles n'avoyent des privileges speciaux du Saint Siege a cest effect ; ce que tesmoigne le docteur Chassanee en son Cathalogue, disant que les Rois de France ont obtenu cela par privilege special, que leur chapelle estant prés de leur personne, sont esgalees (sic) avec toutes cathedrales. Mais le Chapitre de Nostre Dame n'a jamais eu aucun privilege de cette sorte…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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Autre minute de la même lettre (Inédite)

 

            Monseigneur,

 

            Je remercie tres humblement Vostre Excellence du soin qu'ell'a eu de respondre a la supplication que je luy fis, pour avoir son congé de terminer par le droit et les constitutions de l'Eglise le different de precedence qui est entre le Chapitre de Saint Pierre et celuy de Nostre Dame en cette ville. Je luy represente maintenant la [213] mesme supplication, et qu'il luy playse de se faire dire les raysons qui m'ostent le pouvoir d'employer l'expedient que monsieur le president Favre m'a proposé. J'en ay fait un memoyre que j'ay addressé a monsieur de la Bretonniere.

            Vostre Excellence me face la grace de prendre la peyne de les considerer, et je suis asseuré qu'elle me commandera de passer outre a l'execution de l'intention de l'Eglise, et a Messieurs de Nostre Dame de n'y apporter plus aucune difficulté. Mais sur tout je supplie tres humblement Vostre Excellence de leur defendre l'usage de son nom pour se defendre en si mauvaise cause, et contre moy, Monseigneur, qui [suis] si jaloux du respect que je dois a tout ce qui luy appartient, quil ne sera jamais besoin de m'en resouvenir. Mais je me resouviens aussi, Monseigneur, que vous estes si entier en la pieté, que vous ne voudres jamais en rien authoriser ceux qui voudront rompre les ordonnances de l'Eglise, sous le voyle et pretexte d'estre advoüés vos chapelains. J'espere au contraire…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [214]

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CXCIV. A M. Charles d'Albigny. Prière de s'intéresser à un créancier de la Sainte-Maison de Thonon

 

Annecy, 2 août 1603 .

 

            Monsieur,

 

            Je me suis fort peu meslé des affaires de la Mayson de Thonon jusques a præsent ; neanmoins, ayant icy un creancier d'icelle, homme de merite et qui est en extreme necessité, je me suis des-ja essayé de le faire payer par autre voye, selon les moyens que le Pere Cherubin m'avoit proposés. Mais n'estans reussis et voyant la necessité de ce creancier croistre tous les jours, je me suis enquis sil y auroit aucun autre moyen pour faire ce payement ; et on m'a dit que Son Altesse avoit ordonné certaine pension annuelle a ladite Mayson, delaquelle on pourroit bien prendre la somme requise, qui n'est que de 80 escus, et particulierement sil vous playsoit d'en dire un mot de faveur. C'est pourquoy, Monsieur, je vous en supplie humblement, et de me pardonner si je suis si prompt a vous importuner, puisque c'est pour un œuvre charitable et le soulagement des affligés, comm'est ce creancier.

            Je prie Dieu cependant pour vostre santé, que je souhaitte longue et heureuse, comme doit,

            Monsieur,

Vostre serviteur plus humble,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            A Monsieur

            Monsieur d'Albigni,

            Chevallier de l'Ordre de S. A. et son Lieutenant general deça les montz.

 

Revu sur l'Autographe appartenant au marquis Bonaventure Chigi-Zondadari, à Sienne. [215]

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CXCV. A M. Claude de Charmoisy. Mme de Beaulieu demandée en mariage par M. de Sainte-Claire ; avantages que présenterait cette alliance. — Elle désire à ce sujet l'avis de M. de Charmoisy.

 

Annecy, 6 août 1603.

 

            Monsieur mon Cosin,

 

            Despuis vostre despart, madame de Beaulieu a esté demandee en mariage par monsieur de Sainte Clere, qui est gentilhomme, fort homme de bien et d'honneur, grand Catholique et craignant Dieu, qui sont des qualités pour lesquelles ell'a fort gousté l'offre de ses affections. Mais se resouvenant que feu monsieur de la Barge, son frere, l'avoit laissee en ce pais principalement en [216] la confiance quil avoit de vostre amitié et que vous en auries soin, dequoi aussi ell'a ressenti beaucoup d'effectz, elle n'a pas voulu passer outre a prendre la derniere resolution en ce sujet sans vous en donner advis et prendre vostre congé.

            C'est pourquoi ell'envoye monsieur Sapientis, auquel j'ay donné ce mot pour vous tesmoigner qu'apres avoir sceu ce dessein, et l'avoir consideré et recommandé a Dieu avec le soin que j'eusse fait pour une propre fille de ma mere, j'ay estimé qu'il estoit fort bon et sortable, et ne m'est demeuré aucune difficulté pour retenir mon jugement, que le devoir qu'ell'a d'attendre le vostre, lequel je pense ne pouvoir pas estre beaucoup dissemblable au mien.

            Au demeurant, hier vostre brave Henri me fit lhonneur de me venir faire mille caresses ceans et me donner les signes de l'hereditaire bienveüillance quil me portera a l'advenir, comme estant filz de pere et mere a qui je suis inviolablement,

            Monsieur mon Cosin,

Cosin et serviteur plus humble,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            Monsieur Le Grand est a Belley et me tient en suspens, par l'incertitude de son arrivee en ce diocæse, si j'auray la commodité d'aller a Thonon pour la mi aoust.

            A Neci, VI aoust 1603.

            A Monsieur

            Monsieur de Charmoysi.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Vuÿ, à Carouge (canton de Genève). [217]

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CXCVI. A M. Charles d'Albigny (Inédite). Il implore la continuation de sa protection pour la Sainte-Maison de Thonon

 

Annecy, 22 août 1603.

 

            Monsieur,

 

            Le R. Pere Cherubin, præsent porteur, m'a dit et fait entendre combien de zele Dieu vous a donné a l'advancement des affaires de la Sainte Maison de Thonon et le bon commencement que vous y aves fait donner. C'est cela, Monsieur, qui me fait esperer d'en voir bien tost tout d'une main un heureux accomplissement, pour lequel ledit P. Cherubin allant a Chamberi, je vous supplie, Monsieur, de continuer vostre faveur a ce saint œuvre affin que la conclusion s'en puisse prendre au plus tost, a faute delaquelle je voy l'establissement de l'eglise de Thonon demeurer en suspens.

            Je ne crains nullement de vous estre importun pour des semblables occasions qui tendent a la gloire de Dieu, delaquelle il vous a donné tant de jalousie et de sainte ambition. Je le prie quil vous comble de ses graces et suis,

            Monsieur,

Vostre serviteur tres humble,

FRANÇ., Evesque de Geneve.

            A Neci, 22 aoust 1603.

            A Monsieur

            Monsieur d'Albigni,

            Chevallier de l'Ordre de S. A. et son Lieutenant general deça les montz.

            A Chamberi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Bologne. [218]

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CXCVII. A M. Antoine de la Porte (Inédite). Recommandation en faveur d'un homme qui désirait affermer la terre de Duingt. —Plusieurs affaires d'intérêt seraient à terminer. — Encore un mot sur le payement de Thorens

 

Annecy, 22 août 1603.

 

            Monsieur,

 

            Cet honneste homme est bourgeois de cette ville, et reconneu de tous pour fort homme de bien. Il desire de prendre a ferme de Madame la terre de Duin, et je suis obligé de vous tesmoigner que ne pense pas que Madame puisse mieux remettre la susdite ferme qu'es mains d'un homme de ceste sorte. C'est pourquoy, si je suis creu, vous ne le laisseres pas revenir sans traitter avec luy, et mesme pour les prises des annees passees, desquelles il desire avoir honneste prix en payant argent content. Si Madame eut fait response a la lettre de monsieur le marquis de Lulin par laquelle il luy demandoit la susdite terre a achepter, je penserois qu'elle la voulut vendre ; mais ne l'ayant pas fait, j'estime qu'elle la veut garder, et en ce cas elle ne sçauroit mieux faire pour ce particulier que d'employer ce porteur.

            Vous aures sceu comme le seigneur Dom Amedeo de Savoye a remporté gain de cause contre Son Excellence pour Conflens, non obstant tout l'essay que je fis en mon voyage de Piemont de faire retarder l'issue du proces, dont ledit seigneur Dom Amé m'a sceu fort mauvais gré. Il seroit bon de donner ordre une fois pour toutes a tous ces affaires de deça, et mesme a celuy que Madame a avec les enfans de feu monsieur le chancelier Millet, [219] dequoy ayant escrit plus d'une fois, je m'estonne de n'en avoir nulle response.

            Madame pourra treuver estrange le retardement de son payement de Thorens ; mais il n'est pas croyable combien nous avons eu de difficultés jusques a present pour ces troubles des guerres, qui ne font que de finir. Croyés, je vous supplie, que je n'ay nul souci du monde que pour ce particulier, et que je ne laisse passer aucune occasion sans m'en empresser. J'attens response, et priant Dieu qu'il vous comble de ses graces, je suis toute ma vie,

            Monsieur,

Vostre serviteur tres affectionné,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            22 aoust.

            A Monsieur

            Monsieur de la Porte,

            Surintendant de la mayson de Madame la Duchessse de Mercœur.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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CXCVIII. Au Maire et aux Échevins de Dijon. Réponse à l'invitation qui lui est faite d'aller prêcher le Carême à Dijon.

 

Annecy, 22 août 1603.

 

            Messieurs,

 

            Ce m'est un'extreme faveur que vous ayes desiré de m'avoir en vostre ville pour le service de vos ames, et ne puis penser comme ce bon heur m'est arrivé que vous [220] sachies mon nom et que je suis au monde. Cela m'estonne d'autant plus que je me voy esloigné de le meriter, n'ayant rien en moy qui puisse respondre a l'opinion que vous aves de moy qu'une fort entiere affection a l'accroissement de la gloire de Dieu et a ceux qui la desirent, entre lesquelz sachant que vous tenes des premiers rangs, je vous supplie de croire que vous ne me sçauries faire voir aucun'occasion de vous rendre service que je ne m'y porte de tout mon cœur. En cette volonté, je m'essayeray de vaincre toutes les difficultés qui me pourroyent destourner de me rendre aupres de vous au teins que vous m'aves marqué en vostre lettre.

            Mais vous me permettres, s'il vous plait, de vous dire que si vous aviés aggreable que ce fut seulement pour le Caresme, je n'aurois a vaincre nulle difficulté, car je n'en rencontrerois pas une. Ce sera pour l'Advent que j'auray beaucoup a debattre pour m'eschapper des grandes incommodités qui se presentent contre l'extreme desir que j'ay de vous contenter ; et neanmoins, plus tost que de vous donner aucun sujet de croire que je veüille user d'aucune exception a vos volontés, je vous asseure des maintenant que si vous mesme ne me donnés le pouvoir de demeurer icy l'Advent, je n'y demeureray non plus que le Caresme, mays forceray tous les empeschemens pour me treuver en tous deux les tems en vostre ville. J'attendray donques de vous, par ce porteur, la declaration de vostre volonté, a laquelle, toutes considerations laissees, je me rangeray entierement. [221]

            Dieu vous veuille donner, Messieurs, le comble de ses graces, et a moy autant de pouvoir quil m'a donné d'affection de me faire connoistre

            Vostre serviteur plus humble en Jesus Christ,

FRANÇOIS, Evesque de Geneve.

            A Neci, 22 aoust 1603.

            A Messieurs

            Messieurs les Viconte majeur et Eschevins de la ville de Dijon.

 

Revu sur l'Autographe conservé aux Archives municipales de Dijon.

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CXCIX. A M. Jacques Excoffier, Curé de Chevenoz (Inédite). Ordre de biner. — Encouragement à se rendre plus capable de ses fonctions.

 

Thonon, 21 septembre 1603.

 

            Monsieur le Curé,

 

            Jay entendu que vous ne voulies continuer de dire deux Messes suy vant la permission que je vous en avoys donné, qui me fait vous dire que jusques a ce que je vous enleve le pouvoir vous ne cessies de servir Vincie comme vous aves de coustume. Je vous advertis aussy que prenies peyne a vous rendre plus cappable pour exercer telle charge, a quoy vous estes tenu. M'assurant donques que vous ne manqueres a bien rendre vostre devoir, je demeure, Monsieur le Curé,

Vostre plus affectionné en Jesuschrist,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Thonon, le 21 septembre 1603.

            A Monsieur

            Monsr le Curé de Chevenoz.

 

Revu sur l'original appartenant à M. l'avocat Coppier, à Chambéry. [222]

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CC. A M. Louis Bonier. Prière de lui envoyer le bilan des comptes de la Sainte-Maison.

 

Annecy, 23 octobre 1603.

 

            Monsieur,

 

            Voicy une lettre qui m'arrive de Monseigneur le Nonce de Turin, qui me conjure de luy envoyer « un picolo bilancio delli conti che sonno stati veduti in Tonone « circa le cose della Santa Casa, perchè gioverà molto appresso Sua Santità per ottenere molte gratie. » Sil ne tient qu'a cela, il me semble, Monsieur, que je les doy envoyer ; mais je ne puis si je ne l'ay, ni l'avoir que par vostre moyen, que j'implore a cet effect, et vous supplie de m'aymer tous-jours et croire que, priant Dieu pour vostre santé, je demeure toute ma vie,

            Monsieur,

Vostre serviteur plus humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, XXIII octobre 1603.

            A Monsieur

            Monsieur Bonier,

            Conseiller de S. A. et son Advocat Patrimonial en Savoye.

            A Chamberi.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. J. Pearson, à Londres. [223]

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CCI. A Monseigneur Charles Broglia, Archevêque de Turin. Affaires d'intérêt concernant la Sainte-Maison.

 

Annecy, 7 novembre 1603.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Non dubito punto che dal P. Cherubino haverà inteso V. S. Illma et Rma con quanta diligentia si sonno fatti i conti della Santa Casa di Tonone per quello che di qua dei monti si è trovato. Resterebbe di far anco quelli delle cose di là delli monti. Per il che mi ha preghato il Consiglio di detta Casa di supplicar a nome suo V. S. Illma et Rma che, come capo principalissimo delle cose di essa et Primicerio, si degni far render li conti al signor [224] Gabaleone, et commandarglie di dar prima dodeci ducatoni al signor de Prissy, che glie sonno da detta Casa legitimamente dovuti, sì come ne testificarà detto P. Cherubino. Et sopra tutto mi diede carico detto Consiglio di ringratiare humilmente V. S. Illma et Rma della molta carità et sollecitudine paterna che delle cose della Casa. Ella sin adesso ha havuta, et pregharla che si degni continuare : che è quanto ho da scriverglie in questa occasione.

            Et per fine, glie pregho dal Signor Iddio ogni vero contento.

            Di V. S. Illma et Rma,

Humilissimo servitore,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            In Annessi, alli 7 di Novembre 1603. [225]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Je ne doute point que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime n'ait appris par le P. Chérubin avec quel soin ont été faits les comptes de la Sainte-Maison de Thonon pour ce qui a été trouvé au deçà des monts. Reste à dresser ceux qui concernent les affaires d'au delà des monts. C'est pourquoi le Conseil de ladite Maison m'a demandé de supplier en son nom Votre Seigneurie de vouloir bien, en qualité de premier supérieur et de Primicier de cette institution, faire [224] rendre compte à M. Gabaleone et lui donner ordre de payer d'abord à M. de Prissy douze ducatons qui lui sont justement dus par cette Maison, ainsi que pourra l'attester le P. Chérubin. Le Conseil m'a surtout chargé de remercier très humblement Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime de la grande charité et de la paternelle sollicitude qu'Elle a témoignées jusqu'ici pour les affaires de cette Maison, la priant de vouloir bien continuer. C'est tout ce que j'ai à vous écrire dans la circonstance présente.

            En finissant, je vous souhaite du Seigneur notre Dieu tout vrai contentement.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy, le 7 novembre 1603. [225]

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CCII. Au Prieur et aux Religieux du Monastère de Sixt (Inédite). Désir de connaître les résultats obtenus par la visite épiscopale. — Assurance de dévouement

 

Annecy, 14 novembre 1603.

 

            Messieurs mes Freres en Jesus Christ,

 

            Je desire fort de sçavoir quelz effectz auront suivi les ordonnances faittes en nostre visite, tant de vostre costé que de celuy de monsieur l'Abbé. C'est pourquoy je vous prie de me faire ce bien de m'en donner advis entre cy et Noël, poinct par poinct, affin que si je doy contribuer quelque diligence a l'entiere execution d'icelles, je n'y manque par ignorance de la necessité.

            Monsieur de Saint Paul me dit que monsieur l'Abbé avoit laissé d'accenser l'abbaye, selon qu'il m'avoit donné parolle, pour quelques parolles laschees de vostre part, qui estonnerent les fermiers qui s'offroyent. Si cela est, vous aures occasion d'en tenir quitte ledit sieur Abbé, puisque quant a moy, cela ne m'importe point, pourveu que vous soyes payés comme il faut, qui est mon seul regard pour ce particulier. Ce que vous manquant, si vous m'en donnes advertissement, je ne feray aucune faute de [226] m'essayer d'y remedier, honteux que je serois de faire des ordonnances aux visites des autres monasteres, ainsy que nostre Saint Pere et Son Altesse le veulent, si a la premiere j'avois esté du tout inutile.

            Je me recommande a vos prieres desquelles, a la verité, j'ay bon besoin, et suis,

            Messieurs,

            Vostre tres humble confrere et serviteur en Jesus Christ,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, ce quatorziesme novembre mil six centz et trois.

            A Messieurs les Prieur et Religieux de Sixt.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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CCIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Envoi d'une attestation relative à la conversion des bailliages de Chablais, Gaillard et Ternier

 

Annecy, 15 novembre 1603.

 

            Monseigneur,

 

            J'envoye a Vostre Altesse l'attestation qu'elle desiroit de moy sur la conversion des peuples de Chablaix, Gaillart et Ternier. Je ne sçai si je l'auray dressee au gré de Vostre Altesse ; mais je sçai bien que je n'ay pas peu esgaler le merite du sujet par aucune sorte de narration, ni le desir que j'aurois de rendre tres humble obeissance aux commandemens et intentions de Vostre [227] Altesse. Elle me fera cette faveur, je l'en supplie tres humblement, de me donner le bonheur de sa grace, et je prie Nostre Seigneur pour la santé et prosperité de Vostre Altesse, de laquelle je suis,

            Monseigneur,

            Tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            A Annessi, 15 novembre 1603.

 

 

CCIV. A Sa Saintete Clement VIII (Minute). Exposé des causes qui ont provoqué l'apostasie du Chablais : pression exercée par les Genevois. — Envoi de missionnaires. — Zèle déployé par le duc de Savoie ; éloge de ce prince. — Conversion de toute la province

 

Annecy, 15 novembre 1603.

 

            Beatissime Pater,

 

            Cum rerum Christianarum firmitas a Sanctæ Sedis Apostolicæ sollicitudine, secundum Deum, pendeat, multum sane interest ut quæ in rem Ecclesiæ distinctis passim locis geruntur vere et ex fide apud eam proferantur, ne scilicet objecta summæ illius curæ pastorali, aut vera prò falsis, aut falsa pro veris exponantur. Quam ob causam, cum in hac diæcesi quæ Sedis Apostolicæ [228] voluntate mihi commissa est, maxima facta sit iis nostris temporibus rerum in melius mutatio, non debeo committere quin de vero illarum statu quam potero clare ac distincte, omnino autem ex ventate, apud Sedem Apostolicam narrationem deferam. Ea autem ut piena sit, paulo altius ordiar necesse est.

            Quo tempore Gallorum Rex, Franciscus primus, omnem propemodum Sabaudiam occupavit, Bernenses Helvetii, Lutherana ac Zuingliana lue non ita pridem infesti, in partes Sabaudiæ sibi viciniores irruptionem fecerunt, animosque civibus Genevensibus addiderunt ut Christi suavissimum jugum ac proprii Principis imperium excuterent, ac in istam seditionem democraticam qua nunc vexantur, speluncam scilicet latronum et exulum, infœlici mutatione degenerarent. Verum, ut a Gallorum armis initium duxerat Bernensium irruptio et tirannis in nostros Sabaudos, ita etiam pax, cum conditione rerum restituendarum in integrum, inter Henricum, Francisci Regis filium, et Emmanuelem Philibertum, [229] Sabaudiæ Ducem, ansarti dedit Bernensibus de restitutione provinciarum quas occupaverant serio cogitandi. Adduci tamen non potuerunt ut omnia quæ ceperant redderent, nec ut ea quæ restituere parati erant sine injusta conditione dimitterent. Quare, cum res non ferret ut tunc cum eis armis decerneretur, actum factumque est ut Dux reciperet quatuor illa quæ vocant balliagia Tononense, Terniense, Galliardense et Gayanum, sive Gexense, quæ quatuor ex partibus civitatem Gebennensem cingunt illique circum circa obvolvuntur ; hoc tamen addito pacto, nulla ut in eis Catholicæ religionis officia celebrarentur. Iniqua plane conditio, sed spe melioris eventus toleranda, et illorum temporum ac rerum constitutioni congruens.

            Inter hæc, Emmanuel Philibertus Dux, ut erat apprime Catholicus, nullum cogitandi finem facit quanam demum ratione illius conditionis vexationem redimere queat ; sed frustra, cum Divina Providentia non illi tantum honorem, sed Carolo Emmanueli, filio, destinasset. Cum ergo ante aliquot annos Bernenses et Genevenses cum Gallis copias [230] conjuxissent, fide priorum contractuum fracta, iterum in eadem balliagia armis impetum faciunt ; perfidia sane quoad dici potest plane fausta et opportuna, quando Dux, ex violatæ fidei occasione, inviolatæ fidei populos illos restituit. Cui tamen operi ne multorum hominum merita deessent, illud sine multis et diuturnis bellorum laboribus, multoque sparso hinc inde sanguine perfici non potuit, dum pro armorum vicissitudine varie ab utraque parte decertatum sit.

            Al tandem aliquando induciæ fiunt, cum Dux balliagia duo, Tononense et Terniense, jam teneret. Nulla mora : rebus vix sic stantibus, Carolus Emmanuel iniqua conditione liberatum se sentiens, in ipso propemodum induciarum articulo, Episcopum prædecessorem meum, cujus memoria in benedictione, statim monet ut Catholicos concionatores illis populis convertendis immittat, [et] velle se omnino Catholicam religionem illis restitui. Episcopus, mirum in modum gavisus, Terniensi balliagio duos concionatores, unum ex Dominicana familia, alterum ex [231] Societate Jesu addicit ; Tononensi autem duos e sua Cathedrali : Ludovicum de Sales, qui nunc Præpositus est ipsius Ecclesiæ, et me, nunc quidem Episcopum indignum, tunc autem Præpositum.

            Jam ergo, de eo quod vidi loquor et quod ut ita dicam manus meæ contrectaverunt, ut sim impudentissimus si mentior, imprudentissimus si rem nescio. Igitur, cum balliagia illa ingressi sumus, misera ubique rerum facies apparebat. Videmus enim sexaginta quatuor parrochias, in quibus, exceptis Ducis officiariis quos semper habuit Catholicos, ne centum quidem ex tot hominum millibus Catholici inveniebantur. Tempia partim diruta, partim nuda, nullibi nullibi Crucis signa, nullibi altaria, ac ubique fere omnia antiquæ et veræ fidei deleta vestigia. Ubique ministri, ut vocant, hoc est, hæresis doctores, domos evertentes, sua dogmata ingerentes, cathedras occupantes, turpis lucri gratia. Bernenses, Genevenses et id genus perditionis filii, per suos exploratores, [232] minis populum deterruere ab audiendis nostrorum concionibus : inducias nimirum istas inducias esse, pacem nondum constitutam, mox Ducem atque adeo sacerdotes expellendos armis, hæresim sartam tectam remansuram.

            Nostri tamen rem pro virili promovent, ac primarios primum viros aliquot ex hæresis vorticibus in communionis Catholicæ portum recipiunt, sexque variis locis erectæ [sunt] Catliolicorum parrochiæ : tres in Tononensi, tres item in Terniensi agro (cur autem plures non erigerentur, partim operariorum paucitas, partim quod non suppeteret unde sustentari possent, partim quia pace nondum firma, res adhuc incertæ videbantur), et e Patrum Capuccinorum Ordine novi et strenui adveniunt messores, qui alacritate et zelo multorum vices supplebant.

            Itaque ita biennium traducitur, cum Dux, in re quam vive gerebat præcordiis impatiens morarum, ipsemet venire, Tononenses qui præcipui videbantur convenire ac cum eis coram agere constituit. Idque accidit anno millesimo quingentesimo nonagesimo octavo, adeoque [233] fœliciter successit ut Illustrissimus et Reverendissimus Cardinalis Florentinus, a latere Sedis Apostolicæ Legatus, diebus aliquot interpositis adveniens, multa jam hominum millia viderit conversa esse, quibus quidem ipse partim absolutionem contulit, partim ab Episcopo prædecessore meo, partim etiam a me dari voluit, cum scilicet in tanta pœnitentium copia, omnibus diei horis paratus esse deberet aliquis qui ad caulas Christi redeuntes oves exciperet.

            Quem profecto tam insignem et ingentem animorum motum ut in supremum rerum omnium immobilem Motorem referre « dignum et justum est, » sic quoque ingenue fatendum illum Ducis zelo, tamquam optimo instrumento, vel maxime usum fuisse. Illis enim aliquot mensibus quibus Dux hinc conversioni procurandæ incubuit atque adeo Tononi moratus est, cor ejus peculiari quadam gratia in manu Dei esse videbatur, ut ad quodcumque vellet converteret illud ; cum sive publicis ad populum cohortationibus ac vocibus Catholico Principe dignis, sive privatis monitis ad eos qui videbantur hæresis majores columnæ, sive exemplis bonorum operum, [234] omnibus animi dotibus ac viribus, cum populo illo universo contenderet ut illum Ecclesiæ Catholicæ inferret referretque, constitutus scilicet Dux a Deo super plebem illam, prædicans præceptum ejus. Nec destitit unquam donec mutata rerum facie, veluti exacta hyeme et redeunte vere, ubique appareret « arbor decora et fulgida » vivificæ Crucis, ubique Ecclesiæ cantus, ut vox turturis audiretur in terra illa, et vineæ illæ instauratæ recentesque florentes darent odorem suum. Dicam intrepide, nusquam suavius, nusquam efficacius hoc nostro tempore hæreticorum tanta copia ad sanam fidem adducta est.

            Huc usque tamen pars ista maxima illorum populorum ad Ecclesiam reversa aliquot habebat immixtos utriusque sexus hæreticos, qui cæteris obstinatiores in errore permanebant. Quibus cum mederi aliter non posset Dux, ne reliquam plebem inficerent eos demum edicto publico discedere præcepit. Hujus edicti terrore perculsi, aliquot etiam conversi sunt, nimirum dum configitur spina, [235] et afflictio dat intellectum auditui. Ut nullum lapidem relinqueret Dux religiosissimus quem ipsemet suis, ut ita dicam, manibus non moverit, per blanditias, per minas, ut quoad per eum fieri posset populi illi converterentur ; et quod laude dignius est, magna consilii sui parte contra sentiente et consulente. Nam et recte memini interfuisse me Consilio super ea re habito, speciali nimirum mandato Principis accersitus, in quo plerique consiliariorum rem illam tunc aggredi tempus non esse, resque non ferre mordicus asserebant, neque sane sine probabili illarum quas Status appellant rationum momento, quibus tamen omnibus unam religionis rationem Dux sanctissime præposuit ac prætulit, idque videntibus, spectantibus ac frementibus Bernensium legatis, qui illis ipsis diebus ut id averterent solemnem egerint legationem. Verum balliagium Galliardense remanebat adhuc in potestate Genevensium, ex induciarum conditionibus, atque adeo ad illud nullus Catholicæ fidei patebat aditus ; at cum paulo post per pacis decreta redditum etiam [236] fuisset Duci, in illud immissi [sunt] operarii, Ducis expensis, ex Societate Jesu et cleri secularis sacerdotes qui exiguo tempore, magnis laboribus, maxima Dei gratia, rem propemodum omnem perfecerunt.

            Itaque, ut rem magnam paucis dicam, ante duodecim annos in sexaginta quatuor parrochiis urbis Genevæ vicinioribus, murisque illius, ut ita dicam, adjacentibus hæresis publice docebatur, ac ita universa occupabat ut mil lus Catholicæ religioni locus superesset. Nunc autem totidem iisdemque locis Ecclesia Catholica extendit palmites suos, ac ita viget ut nullus hæresi locus sit relictus ; cumque antea ne centum quidem viri in tot parrochiis Catholici apparerent, nunc ne centum quidem hæretici videantur, sed ubique Catholicæ fidei sacra fiunt celebranturque, adhibitis unicuique parrochiæ propriis curionibus. Sicque factum ut tria illa balliagia quæ ex pacis conditionibus Duci obtigerunt, omnino Ecclesiæ restituta sint, ac, quod caput est, ita in fide et religione recepta perseverent, ut nullis extremorum bellorum persecutionibus, nullis hæreticorum minis ab ea se dimoveri passi [237] sint. Qui sane unicus fere ac solus bellorum exactorum fructus huic diæcesi contigit.

            Superest vero, Pater Sanctissime, ut opus hoc, magnum profecto et acceptione dignum, Ducem tanti operis instrumentum efficax, diæcesim hanc universam multis nominibus miserandam, Sedes Apostolica intima sollicitudine ac gratia complectatur ac foveat ; idque imis summisque præcibus humillime a Vestræ Sanctitatis clementia expeto pariter et expecto, Christumque illi semper propitium præcor.

            Ut autem omnia quæ hic scripta sunt omnino ex veritate et sincera religione narrata esse non sit dubium, iis subscripsi sigillumque hujus episcopatus Gebennensis imprimendum curavi. Et quia plerique meæ Ecclesiæ Cathedralis canonici et alii spectatæ fidei et doctrinæ viri ea ipsa viderunt, imo etiam tetigerunt, cum illis populis erudiendis operam suam in Domino collocaverint, rerumque recte gestarum « pars magna » fuerint, eos quoque subscripsisse operæ pretium duxi, ut veritati [238] plurimorum testimonio roboratæ plurima quoque ac constans fides adhibeatur.

            Annessii, 15 Novembris 1603.

Beatissimo in Christo Patri et Domino,

Clementi VIII, Pontifici Maximo.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

 

 

            Très Saint Père,

 

            Après Dieu, c'est le Saint-Siège Apostolique, c'est sa vigilance qui assure la stabilité de la république chrétienne. Aussi importe-t-il beaucoup de lui faire un rapport consciencieux et fidèle des évènements qui intéressent l'Eglise en chaque pays ; sinon, quand on soumettra un exposé de faits à la sollicitude souveraine du Pontife, on pourra faire passer pour vrai ce qui est faux ou pour faux ce [228] qui est vrai. Or, le diocèse dont, par la volonté du Siège Apostolique, j'ai la garde, a vu de nos jours ses affaires s'améliorer très heureusement. Cette situation nouvelle, je dois l'exposer au Siège Apostolique ; je le ferai avec autant de clarté et de précision que possible, mais en tout cas, avec un souci absolu de la vérité. Pour être complet, il sera nécessaire de reprendre les choses d'un peu plus haut.

            Pendant que la Savoie presque tout entière était au pouvoir du roi de France François Ier, les Suisses Bernois, infectés depuis peu du venin de l'hérésie luthérienne et zwinglienne, se jetèrent sur ces quartiers de Savoie qui confinent à leur pays. Cédant à leurs persuasions, les habitants de Genève secouèrent le joug très suave du Christ et, du même coup, l'autorité de leur propre souverain. Ils en vinrent, par le plus malheureux des changements, à tomber jusqu'au fond de cette démocratie dont l'esprit séditieux agite à cette heure le pays, et en fait en quelque sorte une caverne de voleurs et de bannis. Or, comme les armes des Français avaient occasionné cette irruption des Bernois et leur domination si funeste à nos Savoisiens, par contre, quand la paix se fit entre Henri, fils de François Ier, et Emmanuel-Philibert, duc de Savoie, ce fut avec la condition de rétablir l'ancien [229] état de choses. C'est ce qui donna l'idée aux Bernois de songer sérieusement à restituer les provinces dont ils s'étaient rendus maîtres. Toutefois on ne put les amener à faire une entière restitution, et même les restitutions auxquelles ils se résignèrent étaient accompagnées d'une condition injuste. D'autre part, on n'était pas en mesure de se faire justice par la force des armes ; voici donc ce qui fut conclu et ce qui fut fait : le duc reprendrait ce qu'on appelle les quatre bailliages de Thonon, Ternier, Gaillard et Gay ou Gex, qui confinent à Genève de quatre côtés et s'étendent tout autour de cette ville, à la condition expresse toutefois qu'il ne s'y ferait aucun exercice de la religion catholique. Certes, la clause était tout à fait inique, mais on s'y résigna dans l'espérance de jours meilleurs ; d'ailleurs les circonstances des temps et des lieux n'en comportaient pas d'autre.

            Cependant le duc Emmanuel-Philibert, en bon et sincère Catholique qu'il était, pensait constamment, mais en vain, au moyen d'annuler cet article vexatoire du traité. Ce n'est pas à lui, mais à son fils Charles-Emmanuel, que la divine Providence réservait cette gloire insigne. En effet, il y avait quelques années que les Bernois et les Genevois avaient allié leurs troupes à celles de la France. Brisant [230] alors avec la parole donnée précédemment, ils envahirent de nouveau les quatre bailliages susdits. De leur part, c'était une pure perfidie, mais, le croirait-on ? elle nous fut propice et singulièrement profitable, car le duc s'autorisant de leur foi violée, rendit ces peuples à la foi chrétienne, celle-là inviolable. Comme si l'entreprise ne pouvait être exécutée sans le méritoire concours d'un grand nombre de personnes, elle coûta bien des labeurs, de longues guerres, sanglantes à la fois pour les deux partis, car les succès furent partagés selon la vicissitude des armes.

            Enfin la trêve fut résolue, quand déjà le duc occupait les deux bailliages de Thonon et de Ternier. Dès ce moment, encore que les choses fussent à peine assurées, Charles-Emmanuel se sentit délivré de la clause inique imposée par les hérétiques. Aussitôt, dans le temps même où se concluait la trêve, il pria l'Evêque mon prédécesseur, dont la mémoire est en bénédiction, d'envoyer à ces populations des prédicateurs catholiques pour les convertir, en affirmant sa volonté formelle de rétablir chez elles la religion catholique. Cette résolution causa au Prélat une joie inexprimable ; il envoya au bailliage de Ternier deux prédicateurs, l'un de la famille Dominicaine, [231] l'autre de la Compagnie de Jésus ; et au bailliage de Thonon, deux autres de son église cathédrale : Louis de Sales, qui en est maintenant le prévôt, et moi, qui en suis aujourd'hui l'évêque, quoique indigne, et qui, pour lors, en étais le prévôt.

            Je parle donc de ce que j'ai vu, et pour ainsi dire, de ce que mes mains ont touché ; le dernier des hommes si je dis le contraire de la vérité, le plus inconsidéré, si je ne la connais pas. A peine entrés dans ces bailliages, un spectacle attristant s'offrit partout à nos yeux. Nous avions devant nous soixante-quatre paroisses ; or, si l'on excepte les officiers catholiques du duc, qui n'en voulut jamais avoir que de tels, on n'eût pas trouvé une centaine de fidèles sur une population de plusieurs milliers d'âmes. Des temples la plupart détruits ou dépouillés ; plus, absolument plus de croix, plus d'autels, mais partout les vestiges de l'ancienne et vraie foi anéantis. Partout des ministres, comme on les appelle, c'est-à-dire des maîtres d'hérésie, pervertissant les familles, insinuant leur doctrine, envahissant les chaires, en vue d'un gain honteux. Les Bernois, les Genevois, et autres semblables enfants de perdition, terrorisaient le peuple, par le moyen de leurs [232] émissaires, pour les détourner de nos prédications. « La trêve, » disaient-ils, « n'est qu'une trêve, la paix n'est point conclue ; bientôt nous chasserons par les armes duc et prêtres, et notre parti, défiant toute insulte, restera seul triomphant. »

            Sans s'émouvoir, nos missionnaires poussèrent hardiment l'entreprise. Quelques-uns des principaux seigneurs furent par eux retirés du gouffre de l'hérésie, et ramenés au port de la communion catholique. Six paroisses furent érigées en divers lieux : trois dans le bailliage de Thonon et autant dans celui de Ternier (on ne put en établir davantage, faute d'ouvriers évangéliques, faute de fonds suffisants pour leur subsistance, et aussi parce que la paix n'ayant rien de stable, les choses flottaient dans l'incertitude), et l'Ordre des Capucins envoya de nouveaux aides, moissonneurs intrépides dont chacun, par son zèle infatigable, réalisait le travail de plusieurs.

            Deux années se passèrent donc de la sorte quand enfin le duc, dans une affaire qu'il avait si vivement prise à cœur, ne s'accommoda plus des retardements. Aussi se décida-t-il à venir lui-même à Thonon pour réunir les principaux de la ville et traiter en personne avec eux. Le voyage eut lieu en 1598 ; il fut couronné d'un tel succès que [233] l'Illustrissime et Révérendissime Cardinal de Florence, Légat a latere du Saint-Siège Apostolique, arrivant quelques jours après, y fut témoin de la conversion de plusieurs milliers de personnes. Une partie abjura entre ses mains ; il adressa les autres à l'Evêque mon prédécesseur ou à moi. Avec une telle multitude de pénitents, il fallait en effet qu'à toute heure un prêtre fût prêt pour accueillir ces brebis qui revenaient au bercail du Christ.

            Sans doute, « il est digne et juste » de rapporter au suprême, à l'immuable Moteur de toutes choses le mouvement si remarquable et si profond qui s'est fait dans les âmes ; mais, avouons-le sincèrement, Dieu a daigné se servir surtout du duc de Savoie et de son zèle, comme du principal instrument. Pendant les quelques mois que le prince s'occupa d'amener la conversion du pays, durant son séjour à Thonon, son cœur, par une grâce singulière, semblait être dans les mains de Dieu, tant il en suivait docilement les impressions. Tantôt il faisait publiquement des exhortations au peuple ; tantôt il entamait des conférences privées avec ceux qui passaient pour les plus fortes [234] colonnes de l'hérésie. L'exemple des bonnes œuvres, ses grandes qualités d'âme, ses meilleures ressources, il mettait tout en jeu dans ce corps à corps avec le peuple qu'il voulait ramener tout entier à l'Eglise Catholique. Il apparaissait vraiment comme le prince établi par Dieu sur son peuple, pour annoncer ses préceptes, et il ne se donna du repos que le jour où les affaires changèrent de face. Alors l'hiver ayant fui, le printemps souriait ; partout on voyait se dresser « l'arbre précieux et resplendissant » de la Croix vivifiante ; de toutes parts l'Eglise faisait entendre ses chants comme la voix de la tourterelle, et renouvelées, fleurissant de nouveau, les vignes exhalaient leur parfum. Je puis le dire avec assurance, nulle part, en ces temps-ci, le retour d'un aussi grand nombre d'hérétiques à la vraie foi ne fut marqué d'un tel caractère de douceur et de sincérité.

            Toutefois, pendant que la majeure partie de ces populations était rentrée dans l'Eglise, au milieu d'elles restèrent quelques hérétiques de l'un et de l'autre sexe, qui, plus obstinés que les autres, s'entêtaient dans leurs erreurs. Le duc redouta le danger de perversion pour le reste des habitants. Afin de le prévenir (n'ayant pas la possibilité de recourir à un autre moyen), il enjoignit aux obstinés, par un édit public, [235] de quitter le pays. Terrifiés par cet ordre sévère, quelques-uns se convertirent ; car les piquants des épines et de l'affliction donnent l'intelligence à l'ouïe. On le voit, il n'est pas de pierre que ce très zélé prince n'ait voulu, pour ainsi dire, remuer de ses propres mains : caresses, menaces, il n'a rien épargné de ce qui était en son pouvoir pour ramener ces peuples ; et, ce qui est encore plus digne d'éloges, il agissait ainsi à l'encontre des avis et des sentiments d'un grand nombre de ses conseillers. J'ai gardé le souvenir très précis d'une réunion à laquelle le prince m'avait spécialement convoqué. Plusieurs conseillers soutinrent obstinément que le moment n'était pas venu de rien entreprendre, que les évènements s'y opposaient. Certes, ils ne manquaient pas d'apporter de spécieuses raisons, de celles qu'on appelle raisons d'Etat ; mais toutes ces raisons cédèrent, et, devant la haute piété du prince, elles firent place à une seule raison : la raison de religion. La scène eut lieu sous les yeux des députés Bernois indignés ; car ils étaient venus précisément avec la mission officielle de parer ce coup. Pourtant le bailliage de Gaillard restait toujours aux mains des Genevois, d'après les articles de la trêve ; il était donc fermé à la foi catholique. Mais dès que la paix, peu de temps après, l'eut [236] remis au pouvoir du duc, celui-ci y envoya à ses frais des missionnaires de la Compagnie de Jésus et du clergé séculier. A eux tous, en peu de temps, avec de grands labeurs et avec la très grande grâce de Dieu, ils achevèrent presque la sainte entreprise.

            Pour résumer l'historique de cette grande œuvre en quelques mots, il y a douze ans, dans soixante-quatre paroisses voisines de Genève et, pour ainsi dire, sous ses murs, l'hérésie occupait des chaires publiques ; elle avait tout envahi ; à la religion catholique il ne restait plus un pouce de terrain. Aujourd'hui, dans les mêmes quartiers, l'Eglise Catholique étend de part et d'autre ses branches, avec des poussées si vigoureuses que l'hérésie n'y a plus de place. Jadis on avait peine à compter cent Catholiques entre toutes les paroisses réunies ; aujourd'hui on n'y verrait pas cent hérétiques. Partout l'on célèbre et l'on fréquente les mystères de la foi catholique ; chaque paroisse est pourvue de son curé ; enfin ces trois bailliages, que les clauses du traité ont remis au duc, sont tout à fait restitués à l'Eglise, et, ce qui importe le plus, c'est qu'après avoir recouvré la foi et la religion, leurs habitants ont persévéré sans que [237] ni les persécutions des dernières guerres, ni les menaces des hérétiques aient jamais pu les ébranler. Voilà bien, certes, le seul et unique avantage que les guerres passées ont valu à ce diocèse.

            Et maintenant, Très Saint Père, cette restauration catholique, importante à coup sûr et digne de considération, ce prince qui en a été l'heureux instrument, ce diocèse tout entier qui mérite la sympathie à tant de titres, attendent du Siège Apostolique, des marques sérieuses de sollicitude, des témoignages de tendresse et votre bienveillante protection. C'est avec de très humbles et très vives instances que je les sollicite de la clémence de Votre Sainteté, et, dans l'espoir de les obtenir, je prie le Christ de vous être toujours propice.

            Pour ne laisser planer aucun doute sur la vérité et la sincérité parfaites de ma relation, je l'ai signée moi-même au bas, et j'y ai fait apposer le sceau de l'évêché de Genève. En outre, plusieurs chanoines de mon Eglise cathédrale, et d'autres personnes d'une probité et d'une doctrine éprouvées ont vu et en quelque sorte touché les choses dont je vous fais le récit, car ils ont collaboré dans le Seigneur à l'instruction de ces peuples et ils ont été pour « une grande part » dans tout ce qui s'est fait. C'est pourquoi j'ai cru que leurs signatures ne seraient [238] pas sans utilité, car les faits attestés par un grand nombre de témoins obtiennent du même coup une grande et solide créance.

            Annecy, le 15 novembre 1603.

Au Très Saint Père et Seigneur dans le Christ,

Clément VIII, Souverain Pontife.

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CCV. A Monseigneur Paul Tolosa, Évêque de Bovino, Nonce Apostolique a Turin (Minute inédite). Tous les monastères de Savoie, ceux des Chartreux exceptés, ont besoin de réforme ; autorité requise à celui qui entreprendrait cette œuvre. — Utilité de l'intervention du Sénat. — Différentes mesures proposées. — Monastères à supprimer. — Situation anormale de ceux de Sixt et de Peillonnex.

 

Annecy, [fin 1603].

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore mio colendissimo,

 

            Rispondendo alla lettera scrittami ciè un pezzo da V. S. Illma et Rma circa la reformatione de'monasterii [239] di questa diocesi, io dirò con ogni sincerità et libertà il parere mio, già che per ubidienza, da V. S. Illma et Rma tal obligo mi viene imposto.

            È certo tanto inveterata [la rilassatezza] de tutti li monasterii di Savoya, eccettando però quelli delli Certosini, che un ordinario rimedio non sarebbe bastante a risanarli. Per questo sarebbe bisogno che il riformatore fosse di grande authorità et prudentia, et che havesse una amplissima facoltà di fare secondo le occurrenze ; et non solamente amplissima, [ma] absoluta et senza appellatione, perchè li monaci nel litigare sonno avvezzi et potenti. Et per scacciare ogni sorte di modo di scampare, sarebbe bisogno che Sua Altezza Serenissima [facesse] a ciò convenire il suo Senato di qua de' monti, chè senza quella interventione non si farebbe niente ; et questo potrebbe farsi senza prejudicio delle giurisditioni [240] ecclesiastiche, poichè quello braccio secolare non concorrerebbe che per provedere all' essecutione necessaria, dove fosse di bisogno.

            Sarebbe molto espediente, per quanto pare a me, che in certi monasterii si mettessero altri monaci, come di Fulliensi o Certosini ; in certi altri che vi si mettessero, in vece de' monaci, preti secolari o canonici. Et la ragione di questo mio parere è che parte delli monasterii sonno sottoposti a superiori i quali non essendo riformati, quantunque si riformassero li sudditi la reformatione durarebbe poco. Verbi gratia : habbiamo qui vicino il priorato di Talloyres, casa honoratissima quanto alla fondatione, et appresso Geneva il priorato di Contamina et la badia di Entremonti ; il primo è sottoposto [241] all'Abbate di Savigny in Francia, il secondo all'Abbate di Cluni, il terzo all'Abbate di San Rufo di Valenza. Hora, tutti questi superiori et li loro monasterii, come potranno conservare la disciplina et riformatione nelli sudditi, poichè essi non la osservano, neque quid sit reformatio sciunt ?

            Per questo dico che l' uno di questi duoi mezzi sarà necessario per lontanarne il scandalo loro : o vero mettervi altri monaci riformati, o farne collegiate secolari, o sottoporli, per il terzo, a qualche Congregatione riformata dell' Ordine del quale sonno, o per il quarto mezzo sottoporli all' Ordinario, sì come erano molti eccellenti monasterii anticamente, inanzi ch' havessero l'essentioni. Gli altri sarà necessario secolarizarli, come il monastero di Six, quello di Pellionex, del [242] Sepolcro, di questa terra, et simili ; perchè li Frati sonno Canonici regolari di Sant'Agostino, ma d'una certa Congregatione che non ha nè generale, nè provinciale, nò Capituli, nè visita, nè forma di fare voto espresso, nè Regola, nè Constitutioni. È vero che dal Vescovo sonno visitati quelli di Six et di Pellionex, et così li ho visitati, ma non ho potuto ridurli a Regola, poichè non ne hanno ; solamente li ho fatto osservare le Constitutioni ordinarie, come se fossero canonici secolari, aspettando che si possa pigliar conclusione migliore dell' essere loro…

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [243]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Je réponds à la lettre que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime m'a écrite il y a quelque temps relativement à la réforme [239] des monastères de ce diocèse. Voici ma pensée en toute sincérité et liberté, puisque l'obeissance que je dois à Votre Seigneurie m'oblige de la proposer. Il est certain que le relâchement de tous les monastères de Savoie, excepté toutefois ceux des Chartreux, est tellement invétéré qu'un remède ordinaire ne suffirait pas à les assainir. Pour réussir, il faudrait un réformateur de grande autorité et prudence, muni de tres amples pouvoirs dont il userait selon les occasions ; je dis non seulement très amples, mais absolus et sans appel, car les moines sont très expérimentés et habiles dans la chicane. Et pour leur enlever tout moyen de se soustraire à la réforme, il faudrait que Son Altesse Sérénissime fit intervenir dans cette affaire son Sénat de Savoie, car sans cette intervention on n'obtiendra rien. Ceci pourrait se faire sans préjudice des juridictions ecclésiastiques, [240] puisque le bras séculier n'interviendrait que pour faire exécuter au besoin les mesures jugées nécessaires.

            Il serait expédient, me semble-t-il, qu'en certains monastères on introduisît des Religieux d'une Congrégation différente, tels que des Feuillants ou des Chartreux, et qu'en d'autres on remplaçât les moines par des prêtres séculiers ou des chanoines. Voici la raison qui me porte à désirer cette mesure : une partie des monastères étant soumis à des supérieurs non réformés, la réforme, quand bien même leurs inférieurs l'accepteraient, ne pourrait être durable. Far exemple, nous avons près d'ici le prieuré de Talloires, maison de fondation très illustre, et, près de Genève, le prieuré de Contamine et l'abbaye d'Entremont ; le premier dépend de l'Abbé de Savigny en France, [241] le second de l'Abbé de Cluny, la troisième de l'Abbé de Saint-Ruph de Valence. Or, comment tous ces supérieurs et leurs monastères pourront-ils maintenir la discipline et la réforme chez leurs inférieurs, puisqu'ils ne l'observent pas eux-mêmes et qu'ils ignorent même ce qu'est la réforme ?

            C'est pourquoi, à mon avis, l'une de ces deux mesures serait nécessaire pour en éloigner le scandale : ou bien y placer d'autres moines réformés, ou en faire des collégiales séculières ; ou encore, comme troisième expédient, les soumettre à une Congrégation réformée de l'Ordre auquel ils appartiennent ; enfin, un quatrième moyen serait de les soumettre à l'Ordinaire, ainsi que l'étaient jadis plusieurs excellents monastères avant que les exemptions fussent en usage. Quant aux autres, tels que les monastères de Sixt, de Peillonnex, [242] du Sépulcre en cette ville, et semblables, il est nécessaire de les séculariser, vu que les moines sont Chanoines réguliers de Saint-Augustin, mais d'une certaine Congrégation qui n'a ni général, ni provincial, ni Chapitre, ni visite, ni forme expresse de vœu, ni Règle, ni Constitutions. Il est vrai que ceux de Sixt et de Peillonnex sont visités par l'Evêque ; c'est ainsi que je les ai visités moi-même, mais je n'ai pu les astreindre à l'observance de la Règle puisqu'ils n'en ont pas ; seulement je leur ai fait observer les Constitutions ordinaires, comme s'ils eussent été chanoines séculiers, en attendant que leur situation puisse être régularisée… [243]

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CCVI. A Madame de Boisy, sa mère. Allusion aux tribulations endurées durant la mission du Chablais. — Témoignages d'affection

 

[l603 .]

 

            Je vous escris cecy, ma tres chere et bonne Mere, en montant a cheval pour Chamberi. Ce billet n'est point cacheté, et je n'en ay aucune inquietude ; car, par la grace de nostre Dieu, nous ne sommes plus en ce fascheux tems ou il nous failloit cacher necessairement pour nous escrire en termes d'amitié, et pour nous dire quelque parole de consolation. O vive Dieu, ma bonne Mere ! Il est vray que le souvenir de ce tems la produit tous-jours quelque sainte douceur a ma pensee.

            Tenés vous joyeuse en Nostre Seigneur, ma bonne Mere, et sçachés s'il vous plaist que vostre pauvre filz se porte bien, par la divine misericorde, et se prepare de [244] vous aller voir le plus tost et le plus longuement qu'il luy sera possible, car je suis tout a vous. Je le doy, et vous le sçaves que je suis

Vostre filz,

FRANÇOIS, Evesque.

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CCVII. A un prélat (Fragment inédit). Difficultés que suscite une mesure récemment imposée.

 

[Annecy, 1603-1604 .]

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Vengo ogni giorno tuttavia tanto affaticato delle difficoltà et inconvenienti che nascono della (sic) necessità da poco tempo in qua posta, di non lasciar passare le semplici signature senza spedire le Bolle per li beneficii minori, che io sono sforzato di ricorrere di nuovo alla carità di V. S. Illma et Rma, supplicandola che si degni…

 

Revu sur l'Autographe conserve à la Visitation d'Annecy. [245]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Je suis chaque jour tellement fatigué des difficultés et contre-temps que provoque la mesure imposée depuis peu, de ne pas laisser passer les simples signatures sans expédier les Bulles pour les petits bénéfices, que je me vois contraint de recourir de nouveau à la charité de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, la suppliant de daigner… [245]

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CCVIII. A Monseigneur Gisbert Masius, Évêque de Bois-Le-Duc (Minute). Union créée entre les deux Prélats par les persécutions qu'ils endurent de la part des hérétiques. — Recommandation en faveur de Rodolphe van Dunghen ; éloge de ce personnage.

 

1603-1604.

 

            Perillustrissimo ac Reverendissimo in Christo Patri et Domino,

            D. Gisberto, Episcopo Buscoducensi,

            Franciscus, indignus Gebennensis Episcopus et Princeps, salutem in Christo plurimam.

 

            Quam fuerit in usu inter priscos illos Ecclesiæ Pastores scriptionis epistolarum officium, nemo sane est qui nesciat ; et tu, Reverendissime Pater, id omnium minime ignoras : charitas mutua sola scribendi causa, cujus sacrum perfectionis vinculum nulla locorum distantia solvit. [246]

            Ea ergo mihi primo causa scriptionis satis esse visa est, quæ majoribus unica propemodum esse solebat ; præsertim cum non tantum dignitatis ecclesiasticæ, sed etiam afflictionis (contrario licet genere) communione conjungamur. Nam tu quidem, Reverendissime Domine, ab hæreticis, ut audio, obsidione conclusus, civitate sola potiris ; ego contra, ab hæreticis exclusus, sola propemodum careo civitate. Dissimile, sed non inæquale malum, exilium et carcer, ut me tibi jure Christiano visitationis, te mihi hospitalitatis officia persolvere sit æquum. Me ergo tu, quo possum modo, per litteras nimirum salutatus, lastis, opinor, excipies oculis, et pro tua charitate complecteris.

            Accedit et alia scriptionis causa, commendandi scilicet D. Rudolphum, filium Joannis a Dunghen, tuæ diœcesis virum, qui et ipse primus Reverendissimæ Paternitatis Vestræ colendæ animum injecit, cum inter multas [247] laudes, quibus te dignum sæpe prædicat, hanc adjiceret, multam quidem suorum civium erga Principes suos devotionem, tua tamen præsertim opera effectum quod urbs illa jam toties [tam] inusitatis quoque stratagematibus tentata, in hostium potestatem nondum venisset ; illud nimirum tuum esse eloquium ac vim dicendi, ut cum buccinæ clangore muri Hierichuntini sint eversi, tubæ tuæ evangelicæ sonitu Buscoducensia mœnia et propugnacula sarta tecta hucusque permanserint.

            Cum ergo discessurus addidisset hic tuarum virtutum cultor, existimare se, si aliquod vitæ suæ apud nos laudabiliter actæ testimonium ad te deferret, plurimum hoc illi in omni vitæ genere subsidii allaturum ; ego, pro ea qua præsentem complexus sum amicitia, non potui quin et discedenti hoc amoris officium lubens impenderem, eumque tibi, quanto possum studio, commendarem. Jam [248] triennium fere in domo ac contubernio illustris et clarissimi viri Antonii Fabri, ducatus Gebennensis Præsidis, vixit, mensæ ejusdem et sermonis ac disciplinæ particeps : quo toto tempore mitto quanta cura jurisprudentiam et li littras coluerit ; sed quod apud me caput est, pietatis et religionis officia semper diligentissime amplexus est, ut nunc redeuntem sicut omni virtutum et pietatis genere onustam navim institoris videre liceat. Quod et tibi, Reverendissime Pater, gratissimum fore non ambigo, et hominis plurimum diligendi causam per se acceptissimam. Si quid tamen ad hæc meum adjicere potest suffragium, illud sponte ac lubens confero ; et me tibi, Reverendissime Pater, tuisque omnibus rationibus ac voluntatibus addico et dico.

            Bene vale et Christum habeto propitium, meque illius misericordiæ precibus pro tua charitate concilia. [249]

 

 

 

            A l'Illustrissime et Révérendissime Père et Seigneur en Jésus-Christ,

            Monseigneur Gisbert, Evêque de Bois-le-Duc,

            François, indigne Evêque et Prince de Genève, présente mille salutations dans le Christ.

 

            C'était l'usage parmi les anciens prélats de l'Eglise de s'écrire des lettres : tout le monde le sait, et vous, Révérendissime Père, vous l'ignorez moins que personne. Ces relations épistolaires s'inspiraient d'un seul motif : la charité mutuelle, ce lien sacré de la perfection, qu'aucune distance ne saurait détruire. [246]

            Ce sentiment, le mobile à peu près unique de nos Pères, a suffi pour me décider à vous écrire, surtout quand une dignité ecclésiastique toute semblable, et un sujet d'affliction tout pareil, quoique en sens inverse, établissent entre nous un singulier rapprochement. Les hérétiques, à ce qu'on dit, Révérendissime Seigneur, vous tiennent bloqué dans votre ville assiégée, et vous n'avez que votre seule cité épiscopale en votre possession. Quant à moi, c'est tout le contraire ; en me chassant, les hérétiques m'ont presque tout laissé, à l'exception de ma ville épiscopale. Pour être différents, l'exil et la prison sont deux maux qui s'équivalent. Aussi, en strict droit chrétien, si j'ai le devoir de vous rendre visite, vous avez celui de me faire un accueil hospitalier. Je pense donc que si je vous salue par lettres (et le puis-je faire autrement ?), vous me recevrez d'un air souriant et vous m'embrasserez selon les effusions de votre charité.

            J'ai d'ailleurs une autre raison de vous écrire : je veux vous recommander M. Rodolphe, fils de Jean van Dunghen, votre diocésain. C'est lui qui le premier m'a donné l'idée de rendre mes devoirs à Votre Révérendissime Paternité. Il se plaît souvent à dire que vous [247] méritez de grandes louanges, principalement pour ceci : ses concitoyens, si attachés qu'ils soient à leurs princes, doivent surtout à votre vigilance de n'avoir pas vu leur ville tomber au pouvoir des ennemis, malgré les stratagèmes inouïs tant de fois employés pour la séduire. En vérité, votre parole et votre éloquence ont un singulier effet : jadis, au bruit strident des trompettes, les murs de Jéricho tombèrent ; mais au son de votre voix, pareille à un clairon évangélique, Bois-le-Duc a vu ses murailles et ses défenses se tenir debout et demeurer jusqu'ici hors de toute atteinte.

            Cet homme, qui rend un tel hommage à vos mérites, me fit savoir, étant sur son départ, que s'il pouvait vous présenter une attestation de la vie honorable qu'il a menée parmi nous, cela lui serait, en toutes circonstances, d'une précieuse utilité. Je lui ai témoigné trop d'amitié pendant qu'il était ici pour lui refuser, maintenant qu'il nous quitte, cette marque d'affection. Aussi je vous le recommande volontiers et avec toutes les instances possibles. Pendant près de [248] trois années il a vécu sous le toit et dans l'intimité de l'illustre et si fameux Antoine Favre, président du duché de Genevois : il a été son commensal, il a joui de ses entretiens et de ses leçons. Il n'est pas besoin de dire avec quel zèle il s'est appliqué, pendant tout ce temps, au droit et aux belles-lettres ; mais ce qui importe davantage à mes yeux, il a embrassé avec une exactitude scrupuleuse et qui ne s'est jamais démentie, les devoirs de la piété et de la religion. Il me semble donc le voir retourner maintenant vers vous pourvu d'une rare provision de vertus et de piété, semblable au navire d'un marchand qui revient avec une riche cargaison. Tout ceci, Révérendissime Père, vous fera sans doute un très grand plaisir, et je suis sûr aussi que vous accorderez volontiers vos sympathies à un homme si digne d'être aimé. Si mon suffrage peut être de quelque valeur après tout ce que je viens de dire, je le lui donne de grand cœur. Et quant à moi, Révérendissime Père, je me déclare entièrement dévoué à votre personne, à tous vos intérêts, ainsi qu'à votre bon plaisir.

            Jouissez d'une santé parfaite, et que le Christ vous soit propice ; puissé-je, à la faveur de vos charitables prières, obtenir sa miséricorde ! [249]

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CCIX. A M. Antoine Dunant, Curé d'Abondance. Ordre de transférer à d'autres jours des aumônes générales.

 

1603-1604 .

 

            Monsieur,

 

            J'entens que l'on fait certaines aumosnes generales en Abondance et La Chapelle le jour mesme de Pentecoste, au moyen dequoy plusieurs circonvoysins abandonnent les offices de leurs parroisses, et ceux du lieu sont fort distraitz de leurs devoirs et devotions au prejudice de lhonneur qui est deu a un jour de si grande solemnité. C'est pourquoy je vous prie de faire transferer ladite aumosne en un autre jour moins celebre, affin que l'un des biens n'empesche point l'autre. Mais il faut que cela se face sans replique, et partant je desire que vous vous y employes vivement.

            Et me recommandant a vos prieres, je demeure…

            A Monsr le Curé d'Abondance.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [250]

 

Année 1604

 

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CCX. A M. Antoine des Hayes. Félicitations pour le pardon accordé à un contradicteur. — Remerciements. — Désir de terminer sans procès un différend avec l'Archevêque de Bourges. — Le Saint n'abandonne jamais l'étude de la théologie. — Affaire d'intérêt. — Estime pour les Pères Jésuites : joie de les savoir rentrés en France.

 

Annecy, 16 janvier 1604.

 

            Monsieur,

 

            J'ay despuis peu receu deux de vos lettres. La premiere m'advertit de l'ennuy que vous a fait un secretaire au traitté des offices de Montargis. Je participeray tous-jours a tous les evenemens aggreables et desaggreables qui vous toucheront ; mais je me res-jouis de cettuy-ci qui vous a donné sujet de prattiquer la charité chrestienne au pardon que vous aves fait a celuy qui, sans sujet, avoit prattiqué la desloyauté mondaine en vostre endroit. C'est en cette action en laquelle gist le plus grand effort de la [251] force et constance d'un genereux esprit, et qui attire le plus la faveur du Ciel. Vivés tous-jours comme cela, Monsieur, et parmi l'orage de la mer ou vous estes, regardés perpetuellement vostre port. Il m'a fallu dire ce mot pour vous tesmoigner l'ayse que je reçois de vostre vray bien parmi les phantosmes de vostre mal apparent ; mais le bon est qu'apres tout cela la victoire vous demeure, comme indubitablement elle fera tous-jours, et cela me donne encor du contentement selon le monde et selon Dieu.

            Vostre seconde lettre me donne advis de quelques bons offices qu'avés pris la peyne de faire pour les affaires de Gex en mon nom, lesquelz ont esté faitz si a propos que non plus, sur les difficultés que Monsieur Fremyot, Archevesque de Bourges, me fait au relaschement des biens ecclesiastiques qu'il avoit obtenuz du Roy par surprise, au prejudice de la concession que Sa Majesté en avoit faitte precedemment a l'Eglise et aux curés. Car si je ne puis par autre voye chevir de ce saint dessein, sur le souvenir que Sa Majesté a de cette affaire et de sa promesse par vostre moyen, je recourray a elle pour faire faire un commandement absolu audit Archevesque, plustost que de plaider a Dijon, comme j'ay fait ci devant, considerant bien que les proces entre gens de la qualité de laquelle luy et moy sommes ne peuvent estre que scandaleux. Je ne puis encor rien dire pertinemment de la volonté dudit seigneur Archevesque que je ne me sois abouché avec luy, comme j'espere faire restant a Dijon ce Caresme, ou j'ay accordé d'aller plus pour cette seule affaire que pour nulle autre ; estimant que j'y seray d'ailleurs asses inutile, principalement maintenant que [252] la presence des Jesuites ne laisse cette ville la en aucune necessite d'assistence spirituelle. Neanmoins, la parole ayant esté donnee avant leur retour, et les necessités de mon diocese le requerant, je m'essayeray de cooperer avec eux a l'œuvre de Nostre Seigneur, estudiant tous-jours en theologie, comme il a pleu au Roy de me faire resouvenir, comme n'ayant nul autre desir que celuy la, ni aucune autre occupation qui me soit agreable. J'espere que Sa Majesté n'aura jamais soit de penser autrement de moy ni de mes deportemens.

            M. de la Porte est en ces quartiers, qui prendra quelque argent de nous, ainsy qu'il m'escrit, et que Madame de Mercœur m'a commandé de luy donner en deduction de nostre dette envers elle. Je ne laisseray pas de presser le plus que je pourray pour en envoyer de dela, mays il faut que je vous confesse la verité : c'est icy un pauvre païs et auquel il est malaysé de treuver des sommes apres tant de remuemens et troubles.

            J'ay appris que M. de Berulle m'a fait l'honneur de m'envoyer le livre que je desirois ; mais je ne doute point qu'il l'aura confié a mon frere, qui n'en aura pas eu le soin proportionné au prix que je fay de tout ce qui part dudit seigneur de Berulle, de la bienveuillance duquel je suis autant jaloux que nul autre. J'escris sur ce sujet a mon frere, affin que, s'il ne l'a perdu, je le puisse avoir par la premiere commodité.

            Je me suis extremement res-joui du bon succes des affaires des Peres Jesuites en France, a laquelle, comme vous sçaves, je desire et souhaitte toute bonne et sainte prosperité, qui ne luy peut jamais arriver que par la renaissance de son ancienne vertu et pieté, a laquelle cette excellente Compaignie peut infiniment contribuer, estant favorisee du zele de Sa Majesté comme elle va estre, a ce qu'on me dit.

            Je ne sçay comme je doy vous remercier de tant de faveurs que vous me faites ; l'amas des obligations en est [253] si grand que j'en ay l'esprit et le cœur tout saysis. Je prie continuellement Nostre Seigneur pour vostre santé et contentement, et suis inviolablement,

            Monsieur,

Vostre tres humble et fidelle serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            16 janvier 1604.

            L'argent de bon qui doit estre a Gex, les pensions des ministres payees, est entre les mains des ministres mesmes qui opiniastrent autant pour ne le rendre pas que pour aucun article de leur foy ; mais je verray si a Dijon je pourray y mettre du remede.

A Monsieur des Hayes,

Gentilhomme de la Mayson du Roy,

Escuyer de Monsieur le Duc de Genevois et de Nemours.

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CCXI. A un inconnu (Minute inédite). Réponse aux reproches adressés au Saint, relativement au séjour qu'il projetait de faire hors de la Savoie

 

Annecy, février 1604.

 

            Monsieur,

 

            Je vous remercie tres humblement du soin qu'il vous plait tesmoigner a mon bien par l'advis que le bon Pere [254] Recteur m'a donné de vostre part. Et ne vy jamais mon esprit party au choix de deux inconveniens, comme je l'ay eu en ceste occasion ; mais ayant tout consideré, j'ay fait election de celluy qui pouvoit recepvoir plus de remede et qui ne tumboit pas si droittement sur le service des ames, aymant mieux m'exposer a la mercy de l'opinion des bons qu'a la cruauté de la calomnie des mauvais. Pleut a Dieu que l'advis me fust arrivé en un tems auquel j'eusse peu regaigner ma liberté sans la perte de tant d'affaires ecclesiastiques ; j'eusse bien tost treuvé la resoulution. J'accuse fort vollontier la pauvreté de mon esprit, qui, regardant touttes choses en leur face naturelle, n'a sceu penetrer jusques a ce succes.

            Si Dieu m'accompagne, Monsieur, je reviendray bien tost appres Pasques, avec un dessein inviollable de ne jamais sortir du diocese, je ne dis plus sans le congé, mais bien sans le commandement de Son Altesse, et espere que les jours suyvans jugeront les precedens de [255] ma vie et que le dernier les jugera tous. Le Pere Recteur me fera ce bien de vous dire plus de particularités sur ce suject, et je prieray Dieu pour vostre prosperité, demeurant sans fin,

            Monsieur,

Vostre tres humble serviteur.

 

 

CCXII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). Annonce de son prochain départ pour Dijon. — Protestation de fidélité

 

Annecy, février 1604.

 

            Monseigneur,

 

            Il y a quelque tems que monsieur de Villette m'asseura de la part de Vostre Altesse qu'elle auroit aggreable que j'allasse a Dijon ce Caresme et que j'y preschasse, pour y avoir plus de faveur aux affaires ecclesiastiques de Gex que je dois traitter avec la court de Parlement de ce pays la. Sur ceste asseurance je m'y en vay, Monseigneur, toujours esgal a moy mesme au desir extreme que j'ay de rendre tres humble service et obeissance a Vostre Altesse, avec touttes les preuves d'un'inviollable fidellité. Je n'y seray que le moins que je pourray, comme y estant hors de l'air de ma tranquilité.

            Que pleut a Dieu, Monseigneur, que les nouvelles qui courent il y a quelques moys de deça de la restitution de Gex a Vostre Altesse ne soyent autant certaines qu'elles sont desirables ; j'en auroy ce particulier contentement de voir la sainte religion asseuree en tout mon diocese, sans employer ny tant de peine ni tant de soing comme je suis obligé de faire maintenant. [256]

            Je fay en toutte humilité la reverence a Vostre Altesse et prie Dieu pour sa prosperité, desirant l'honneur d'estre toutto ma vie advoüé,

            Monseigneur,

            Son tres humble et tres obeissant serviteur et orateur.

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CCXIII. A Sa Sainteté Clément VIII (Minute). Difficultés que présente l'administration de la partie française du diocèse de Genève. — Le Saint contraint de se rendre à Dijon y prêchera le Carême

 

Annecy, fin février 1604.

 

            Beatissimo Padre,

 

            Frà le molte miserie di questa diocesi, una è la divisione della giurisditione temporale di essa, essendo che, se bene la maggior parte è sottoposta al Serenissimo Duca di Savoya, nientedimanco una parte notabilissima è sotto alla corona di Francia. Et da questa diversità de Principi nasce in me una necessità di trattar et star bene con ambidue, et con li loro luogotenenti et Parlamenti, o vero Senati ; nel che non ho poca difficoltà, massime dalla banda di Francia, essendo che loro sanno ch' io [257] sonno Savoyardo et che della Savoya sonno feudatario. Et perchè il Parlamento di Digione è superiore di quella parte della diocesi che è in Francia, cinque difficoltà in questa mutatione ho da trattare con esso.

            La prima è per conto del balliagio di Gex, per li beni ecclesiastici del quale (se bene sonno pochi, perchè in tre luoghi soli vi si fa essercitio catholico) bisogna litigare con un Consigliere di esso Parlamento. La seconda, del modo di visitare quella parte della diocesi, perchè è prohibito di cavare alcun denario dal popolo, nè per fabriche di chiesa, nè per altro. La terza, che quelli popoli nuovamente separati dalla Savoya domandano un vicario foraneo. La quarta, che se bene per li ufficii fatti con diligentia dall' Illmo signor Nuntio Apostolico di Francia non si tratta più di stabilir l'essercitio heretico nel luogo di Sessel, tuttavia vengo avvertito che se io [258] non dò particolare informatione delle circonstanze che debbono impedire tal stabilimento, non sarà la cosa sradicata, ma solamente quietata. Et la quinta, che molti Catholici di Gex che per via dell'editto della libertà, che chiamano, potrebbono haver l'essercitio catholico nelle loro parrochie, non hanno chi proponga le loro suppliche, nè chi ne faccia la sollecitatione.

            Per questo, Beatissimo Padre, son sforzato di andare, doppo di haver havuta licentia da Sua Altezza di Savoya, in detto Digione, fuori della diocesi, ma capo della parte della diocesi che hora è in Francia ; dove io farò quel tanto che Iddio mi concederà in servitio di quelle negotiationi sopra scritte, et del tutto darò raguaglio ad ambiduoi l' Illmi signori Nunzii di Vostra Santità, di Francia et di Savoya. Non crederò giamai che Vostra Beatitudine debba riprovar questa poca absentia che son sforzato di fare per li bisogni della diocesi, laquale io lascio molto ben provista nelle cose spirituali et spero di rivedere fra duoi mesi ; massime perchè quelli signori di quella città, sapendo la necessità mia di andare costì, mi hanno pregato di volervi fare le prediche quadragesimali, et stimando [259] che quella fatica giovarebbe a cavar con più prestezza et favore li negotii miei dalle mani loro, ho liberamente acconsentito. Nientedimeno non ho voluto lasciar di dirne conto a Vostra Santità, sì come io desidero di fare di tutte le mie attioni, lequali dal beneplacito Apostolico in tutto et per tutto hanno da esser regolate.

            Et così, chiedendo la santa benedittione da Vostra Beatitudine, bascioli con humiltà li santi piedi.

F. V. di G.

 

 

            Très Saint Père,

 

            Parmi les nombreuses difficultés que présente l'administration de ce diocèse, l'une des plus considérables vient de ce qu'il est soumis à deux juridictions temporelles différentes ; bien qu'il soit en grande partie sous la domination du Sérénissime duc de Savoie, néanmoins une partie très considérable est soumise à la couronne de France. Cette diversité de souverains m'oblige nécessairement à traiter et à demeurer en bonne intelligence avec tous deux, ainsi qu'avec leurs représentants et leurs Parlements ou Sénats ; ce qui ne me cause pas peu d'embarras, surtout à l'égard de la France, où l'on sait que je [257] suis savoyard et feudataire de la Savoie. Or, parce que la partie de ce diocèse qui appartient à la France relève du Parlement de Dijon, je dois traiter avec lui pour cinq chefs différents.

            La première question est relative au bailliage de Gex ; quoique les biens ecclésiastiques soient peu considérables dans ce bailliage (l'exercice du culte catholique n'ayant été rétabli que dans trois lieux seulement), il faut néanmoins plaider contre un conseiller dudit Parlement. La seconde concerne la manière de visiter cette partie du diocèse, car il est défendu d'exiger aucun argent du peuple, soit pour la bâtisse des églises, soit pour autre chose. La troisième difficulté vient de ce que ces populations, récemment détachées de la Savoie, demandent un vicaire forain. La quatrième est celle-ci : grâce à la diligente intervention de Mgr l'Illustrissime Nonce de France, il n'est plus question d'établir le culte hérétique à Seyssel ; toutefois, à [258] moins que je ne donne un mémoire particulier des circonstances qui doivent en empêcher l'établissement, ce projet ne sera point abandonné, mais seulement ajourné. Et en cinquième lieu, bon nombre de Catholiques de Gex qui, moyennant l'édit appelé de liberté, pourraient obtenir l'exercice de la religion dans leurs paroisses, n'ont personne pour présenter leurs requêtes ni pour en solliciter l'entérinement.

            C'est pourquoi, Très Saint Père, après m'être muni de l'autorisation de Son Altesse de Savoie, je suis contraint d'aller à Dijon, ville située hors de mon diocèse, mais dont relève cette partie du diocèse appartenant à la France. Là je travaillerai, selon que Dieu m'en donnera le moyen, à l'arrangement des affaires indiquées ci-dessus, et je rendrai compte de tout aux deux Nonces de Votre Sainteté en France et en Savoie. Jamais je ne pourrai croire que Votre Béatitude doive désapprouver cette courte absence que je suis contraint de faire pour les besoins du diocèse. Je le laisse fort bien pourvu de secours spirituels, et j'espère le revoir dans deux mois. Surtout les notables de Dijon, sachant que je devais me rendre dans leur ville, m'ont prié d'y prêcher [259] le Carême. J'y ai volontiers consenti, pensant que cet apostolat contribuerait à terminer plus promptement et plus heureusement les affaires que j'ai avec eux. Néanmoins je n'ai pas voulu manquer de rendre compte à Votre Sainteté de cette détermination, comme je désire faire de toutes mes actions, qui doivent en tout et partout être réglées par le bon plaisir apostolique.

            Je sollicite donc la sainte bénédiction de Votre Béatitude et je baise très humblement ses pieds sacrés.

F. E. de G.

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CCXIV. A M. Jacques de Vallon. Condoléances sur la mort de son père.

 

Annecy, fin février 1604.

            Monsieur mon Cosin,

 

            Je puis dire que ce fut sans ma faute que nous laissasmes retourner vostre laquais sans response a la lettre que vous aves pris la peyne de m'escrire. M. Deage fut celuy qui me trompa, ayant luy mesme le premier esté trompé par sa surdité ; car il me dit que vostre laquais [260] estoit sorti de la ville le soir pour faire son partement plus matin, qui me garda d'escrire comme je devois.

Je suis trop long a faire cette excuse, mays pardonnés moy. Ce que je crains [est] le deschet de l'opinion que vous m'asseures vous aves de mon affection, laquelle, si elle pouvoit croistre, s'augmenteroit tous les jours comme vous en faites naistre en tout tems de nouveaux sujetz, comme est la patience qu'il vous a pleu avoir a ma priere a l'endroit de M. de Bellecombe ; de laquelle ne voulant plus abuser, Monsieur, on ne vous priera point de la continuer plus avant, [craignant] de la voir employer avec vostre incommodité et sans leur prouffit, puisqu'ilz ne s'en sont servis a faire l'appointement que vous desires.

            J'ay sceu le trespas de monsieur vostre pere, mon Oncle, bien tost apres qu'il fut advenu, et en ressentis les afflictions que je devois a l'amitié de laquelle il avoit tous-jours honnoré nostre mayson et a la perte que vous aves faitte, laquelle je sçeus bien [apprehender] par la memoire de celle que peu d'annees auparavant j'avois l'ait moy mesme sur un pareil sujet. Je n'attendis pas, croyés le bien je vous supplie, de recommander son ame a Nostre Seigneur que vous m'en eussies adverti, mais luy rendis ce devoir sur le champ a la premiere nouvelle ; et n'eusse pas retardé non plus a vous escrire pour vous faire la ceremonieuse offrande du service de nostre mayson et du mien en particulier, si je n'eusse sceu que vous nous croyes tout vostres pour une bonne fois, sans qu'il soit necessaire d'en renouveller si souvent [261] les reconnoissances. Et quant aux consolations, je sçai qui vous estes, et ma cousine aussi, et laisse au bon Jesus, lequel vous aves en vostre esprit, a vous faire cet office. J'en dis de mesme de M. du Villars mon cousin…

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CCXV. A la Baronne de Chantal

 

26 avril 1604 .

 

            Dieu, ce me semble, m'a donné a vous ; je m'en asseure toutes les heures plus fort. C'est tout ce que je vous puis dire ; recommandés moy a vostre bon Ange. [262]

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CCXVI. La même. Le désir de la sainteté et l'amour de la viduité sont pour une veuve les deux supports de l'édifice spirituel : comment les affermir. — Amour de Dieu et de la sainte Eglise. — Devoir de prier pour les pasteurs et prédicateurs. —Envoi d'un écrit de dévotion.

 

Annecy, 3 mai 1604.

 

            Madame,

 

            C'est tous-jours pour vous asseurer davantage que j'observeray soigneusement la promesse que je vous ay faite de vous escrire le plus souvent que je pourray. Plus je me suis esloigné de vous selon l'exterieur, plus me sens-je joint et lié selon l'interieur. Je ne cesseray jamais de prier nostre bon Dieu qu'il luy plaise de parfaire en vous son saint ouvrage, c'est a dire le bon desir et dessein [263] de parvenir a la perfection de la vie chrestienne ; desir lequel vous deves cherir et nourrir tendrement en vostre cœur, comme une besoigne du Saint Esprit et une estincelle de son feu divin.

J'ay veu un arbre planté par le bienheureux saint Dominique a Romme : chacun le va voir et cherit pour l'amour da plantateur ; c'est pourquoy, ayant veu en vous l'arbre du desir de sainteté que Nostre Seigneur a planté en vostre ame, je le cheris tendrement, et prens playsir a le considerer plus maintenant qu'en presence, et je vous exhorte d'en faire de mesme et de dire avec moy : Dieu vous croisse, o bel arbre planté ; divine semence celeste, Dieu vous veuille faire produire vostre fruit a maturité, et lhors que vous l'aures produit, Dieu vous veuille garder du vent qui fait tomber les fruitz en terre, ou les bestes vilaines les vont manger. Madame, ce desir doit estre en vous comme les orangers de la coste marine de Gennes, qui sont presque toute l'annee chargés [264] de fruitz, de fleurs et de feuilles tout ensemble ; car vostre desir doit tous-jours fructifier par les occasions qui se presentent d'en effectuer quelque partie tous les jours, et neanmoins il doit ne jamais cesser de souhaitter des nouveaux objetz et sujetz de passer plus avant, et ces souhaitz sont les fleurs de l'arbre de vostre dessein ; les feuilles seront les frequentes reconnoissances de vostre imbecilité, qui conservent et les bonnes œuvres et les bons desirs : c'est la l'une des colomnes de vostre tabernacle.

            L'autre est l'amour de vostre viduité, amour saint et desirable pour autant de raysons qu'il y a d'estoilles au ciel, et sans lequel la viduité est mesprisable et fause. Saint Paul nous commande d'honnorer les vefves qui sont vrayement vefves ; mays celles qui n'ayment pas leur viduité ne sont vefves qu'en apparence, leur cœur est marié. Ce ne sont pas celles desquelles il est dit : Benissant je beniray la vefve ; et ailleurs, que Dieu est le juge, protecteur et defenseur des vefves. Loüé soit Dieu, qui vous a donné ce cher et saint amour ; faites le croistre tous les jours de plus en plus, et la consolation vous en accroistra tout de mesme, puisque tout l'edifice de vostre bonheur est appuyé sur ces deux colomnes. Regardés au moins une fois le moys si l'une ou l'autre est point esbranlee, par quelque devote meditation et consideration pareille a celle de laquelle je vous envoye une copie, et que j'ay communiquee avec quelque fruit a des autres ames que j'ay en charge. Ne vous lies pas toutefois a cette mesme meditation, car je ne la vous envoye pas a cet effect, mais seulement pour vous faire voir a quoy doit tendre l'examen et espreuve de soy mesme que vous deves faire tous les moys, affin que vous sachies vous en prevaloir plus aysement. Que si vous aymes mieux repeter cette mesme meditation, elle ne vous sera pas inutile. Mais je dis, si vous l'aymes mieux, car en tout et par tout je desire que vous ayés une sainte liberté d'esprit touchant les moyens de vous perfectionner ; pourveu que les deux colomnes en soyent conservees et affermies, il n'importe pas beaucoup comment.

            Gardés vous des scrupules et vous reposes entierement [265] sur ce que je vous ay dit de bouche, car je l'ay dit en Nostre Seigneur. Tenes vous fort en la presence de Dieu par les moyens que vous sçaves. Gardés vous des empressemens et inquietudes, car il n'y a rien qui nous empesche plus de cheminer en la perfection. Jettés doucement vostre cœur es playes de Nostre Seigneur, et non pas a force de bras ; ayés une extreme confiance en sa misericorde et bonté qu'il ne vous abandonnera point, mays ne laissés pas pour cela de vous bien prendre a sa sainte Croix.

            Apres l'amour de Nostre Seigneur je vous recommande celuy de son espouse l'Eglise, de cette chere et douce colombe laquelle seule peut pondre et faire esclorre les colombeaux et colombelles a l'Espoux. Loués Dieu cent fois le jour d'estre « fille de l'Eglise, » a l'exemple de la Mere Therese qui repetoit souvent ce mot a l'heure de sa mort avec une extreme consolation. Jettés vos yeux sur l'Espoux et sur l'Espouse, et dites a l'Espoux : O que vous estes Espoux d'une belle Espouse ! et a l'Espouse : Hé, que vous estes Espouse d'un divin Espoux ! Ayés grande compassion a tous les pasteurs et predicateurs de l'Eglise, et voyés comme ilz sont espars sur toute la face de la terre, car il n'y a province au monde ou il n'y en ayt plusieurs. Priés Dieu pour eux affin qu'en se sauvant ilz procurent fructueusement le salut des ames ; et en cet endroit, je vous supplie de ne jamais m'oublier, puisque Dieu me donne tant de volonté de ne jamais vous oublier aussi.

            Je vous envoye un escrit touchant la perfection de la vie de tous les Chrestiens. Je l'ay dressé non pour vous, mays pour plusieurs autres ; neanmoins vous verrés en quoy vous le pourrés faire valoir pour vous. Escrives-moy, je vous supplie, le plus souvent que vous pourres, avec toute la confiance que vous sçaures ; car l'extreme desir que j'ay de vostre bien et advancement me donnera de l'affliction si je ne sçay souvent a quoy vous en estes. [266] Recommandés moy a Nostre Seigneur, car j'en ay plus de besoin que nul homme du monde. Je le supplie qu'il vous donne abondamment son saint amour, et a tout ce qui vous appartient.

            Je suis sans fin et vous supplie me tenir pour

            Vostre serviteur tout asseuré et dedié en Jesus Christ,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le jour Sainte Croix 1604

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CCXVII. A la Présidente Brulart. En quoi consiste la perfection propre aux femmes du monde : s'unir à Dieu par la méditation, l'usage des Sacrements, les pieuses lectures et les fréquentes oraisons jaculatoires. — S'unir au prochain par l'affabilité, les œuvres de miséricorde, la condescendance envers ses proches. — Rendre la piété aimable en la rendant utile et agréable à tous.

 

Annecy, 3 mai 1604.

 

            Madame,

 

            Je ne vous puis pas donner tout a coup ce que je vous ay promis, car je n'ay pas asses d'heures franches pour mettre tout ensemble ce que j'ay a vous dire sur le sujet que vous avés desiré vous estre expliqué par moy. Je vous le diray a plusieurs fois, et outre la commodité que j'en auray, vous aurés aussi cellela, que vous aures du tems pour bien remascher mes advis. [267]

            Vous avés un grand desir de la perfection chrestienne : c'est le desir le plus genereux que vous puissies avoir, nourisses-le et le faittes croistre tous les jours. Les moyens de parvenir a la perfection sont divers selon la diversité des vocations ; car les Religieux, les vefves et mariés doivent tous rechercher cette perfection, mais non pas par mesme moyen. A vous, Madame, qui estes mariee, les moyens sont de vous bien unir a Dieu et a vostre prochain et a ce qui despend d'eux.

            Le moyen pour s'unir a Dieu ce doit estre principalement l'usage des Sacremens et l'orayson. Quant a l'usage des Sacremens, vous ne devés nullement laisser escouler aucun moys que vous ne communiyes, et mesme dans quelque tems, selon le progres que vous aurés fait au service de Dieu et selon le conseil de vos peres spirituelz, vous pourres vous communier plus souvent. Mais quant a la Confession, je vous conseilleray bien de la frequenter encor plus, principalement sil vous arrivoit quelque imperfection delaquelle vostre conscience fut affligee, comm'il en arrive bien souvent au commencement de la vie spirituelle. Neanmoins, si vous n'avies pas les commodités requises pour se confesser, la contrition et repentance suppleeroit.

            Quant a l'orayson, vous la devés fort frequenter, specialement la meditation, a laquelle vous estes assés propre, ce me semble. Faittes en donques tous les jours une petite heure le matin avant que de sortir, ou bien avant le souper, et gardés vous bien de la faire ni apres le disner ni apres le souper, car cela gasteroit vostre santé. Et pour vous ayder a la bien faire, il faut qu'avant icelle vous sachies le point sur lequel vous devés mediter, affin que, commençant l'orayson, vous ayes vostre matiere preste. Et a cet effect, il faut que vous ayés les autheurs qui ont couché les pointz des meditations sur la vie et mort de Nostre Seigneur, comme Grenade, Bellintani, [268] Capillia, Bruno, dans lesquelz vous choysirés la meditation que vous voudrés faire, et la lirés attentivement pour vous en resouvenir au tems de l'orayson, et n'avoir autre chose a faire que de les remascher, suyvant tous-jours la methode que je vous mis par escrit en la meditation que je vous donnay le Jeudy Saint.

            Outre cela, faittes souvent des oraysons jaculatoires a Nostre Seigneur, et ce a tous (sic) les heures que vous pourres et en toutes compaignies, regardant tous-jours Dieu dans vostre cœur et vostre cœur en Dieu. Prenes playsir a lire les livres que Grenade a fait de l'orayson et meditation, car il ni en a point qui vous instruise mieux ni avec plus de mouvemens. Je voudroy quil ne se passast aucun jour sans que vous donnassies une demi heure ou un'heure a la lecture de quelque livre spirituel, car cela vous serviroit de prædication. Voyla les principaux moyens de se bien unir avec Dieu.

            Quant a ceux qui servent pour se bien unir avec le prochain, ilz sont en grand nombre, mais je n'en diray que quelques-uns. Il faut considerer le prochain en Dieu, qui veut que nous l'aymions et caressions. C'est l'advis de saint Paul, qui ordonne aux serviteurs de servir Dieu en leurs maistres et leurs maistres en Dieu. Il faut s'exercer en cet amour du prochain, le caressant extérieurement ; et, bien qu'il semble au commencement que c'est a contre cœur, il ne faut point laisser pour cela, car ceste repugnance de la partie inferieure en fin sera vaincue de l'habitude et bonn'inclination qui sera produite par la repetition des actions. Il faut rapporter a ce point les oraysons et meditations, car apres avoir demandé l'amour de Dieu il faut tous-jours demander [269] celuy des prochains, et particulierement de ceux ausquelz nostre volonté n'a null'inclination.

            Je vous conseille de prendre quelquefois la peyne de visiter les hospitaux, consoler les malades, considerer leurs infirmités, attendrir vostre cœur sur icelles et prier pour eux en leur faysant quelqu'assistence. Mais en tout ceci prenes garde soigneusement que monsieur vostre mari, vos domestiques et messieurs vos parens ne soyent point offencés par des trop longs sejours aux eglises, des trop grans retiremens et abandonnement du soin de vostre mesnage, ou, comm'il arrive quelquefois, vous rendant contrerolleuse des actions d'autruy ou trop desdaigneuse des conversations ou les regles de devotion ne sont pas si exactement observees ; car en tout cela il faut que la charité domine et nous esclaire, pour nous faire condescendre aux volontés du prochain en ce qui ne sera point contraire aux commandemens de Dieu.

            Vous ne devés pas seulement estre devote et aymer la devotion, mais vous la deves rendre aymable a un chacun. Or, vous la rendres aymable si vous la rendes utile et aggreable. Les malades aymeront vostre devotion silz en sont charitablement consolés ; vostre famille, si elle vous reconnoist plus soigneuse de son bien, plus douce aux occurrences des affaires, plus amiable a reprendre, et ainsy du reste ; monsieur vostre mari, sil void que a mesure que vostre devotion croist vous estes plus cordiale en son endroit et plus soüefve en l'affection que vous luy portés ; messieurs vos parens et amis, silz reconnoissent en vous plus de franchise, de support, de condescendence a leurs volontés qui ne seront pas contraires a celle de Dieu. Bref, il faut, tant qu'il est possible, rendre nostre devotion attrayante.

            J'ay fait un petit advertissement sur le sujet de la perfection de la vie chrestienne, dont je vous envoye une copie que je desire estre communiquee a Madame du Puis d'Orbe. Prenes-la en bonne part, comm'aussi cette lettre, qui sort d'un'ame qui est entierement affectionnee a vostre bien spirituel, et qui ne desire rien plus que de voir l'œuvre de Dieu parfait en vostr'esprit. [270]

            Je vous supplie de me donner quelque part en vos prieres et Communions, comm'aussi je vous asseure que je vous feray toute ma vie part aux miennes et seray sans fin,

            Madame,

Vostre serviteur plus affectionné en Jesus Christ,

FRANÇS, E. de Geneve.

            3 mai 1604.

            A Madame

            Madame la Præsidente Brulart.

            A Dijon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Maison-Mère des Religieux des SS. Cœurs, dits de Picpus, à Paris.

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CCXVIII. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Moyens à employer pour la réforme de son monastère : bons exemples, douceur, fidélité aux exercices spirituels.

 

Annecy, 3 mai 1604.

 

            Madame,

 

            J'ay envoyé a madame la presidente Brulart, vostre seur un escrit que je desire vous estre communiqué ; non pas que celuy que je vous ay donné ne suffise pour vous et pour ce tems, mais affin que vous ayés tous-jours plus d'esclaircissement en vostre esprit, a l'advancement duquel je me sens tant obligé que je ne suis de rien plus desireux en ce monde, non seulement pour cette grande confiance que Dieu vous a donnee en mon endroit, mays [271] aussi pour celle qu'il me donne que vous servires beaucoup a sa gloire. N'en doutés point, Madame, et ayés bon courage.

            Je suis infiniment consolé du playsir que vous prenes a lire les Œuvres et la Vie de la Mere Therese, car vous verrés le grand courage qu'elle eut a reformer son Ordre, et cela vous animera sans doute a reformer vostre Monastere, ce qui vous sera bien plus aysé qu'il ne fut pas a elle, puisque vous estes Superieure perpetuelle. Mais tenes la methode que je vous ay dite, de commencer par l'exemple ; et bien qu'il vous semblera prouffiter peu au commencement, ayés neanmoins de la patience, et vous verrés ce que Dieu fera. Je vous recommande sur tout l'esprit de douceur, qui est celuy qui ravit les cœurs et gaigne les ames. Tenes bon et ferme en ce commencement a bien faire tous vos exercices, et prepares vous aux tentations et contradictions ; car le malin esprit vous en suscitera infiniment pour empescher le bien qu'il prevoit devoir sortir de vostre resolution ; mais Dieu sera vostre protecteur. Je l'en supplie de tout mon cœur et l'en supplieray tous les jours de ma vie.

            Je vous prie de me recommander a sa misericorde, et croire que je suis, autant que vous le sçauries desirer et que je puis,

            Madame,

Vostre serviteur tres affectionné en Jesus Christ,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le jour Sainte Croix, 3 mai 1604.

            Mon compagnon m'a dit en chemin que vous desiries [272] venir a Saint Claude et qu'a cette occasion j'auray le bien de vous voir. Je vous prie qu'en ce cas la je le sçache avant le tems, affin que je me puisse treuver en lieu et loysir propre a vostre consolation.

            A Madame l'Abbesse du Puis d'Orbe.

            En son Monastere.

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CCXIX. A un Calviniste (Minute). Sans certaines conditions les conférences sont infructueuses. — Les hérétiques doivent prouver leurs négations. — Prières pour les morts. — Canonicité des Livres des Machabées et de l'Apocalypse. — Promesse de ne pas refuser une conférence avec les Genevois s'ils la demandent.

 

[Annecy, mai 1604.]

 

            Monsieur,

 

            Mon dessein ne fut pas d'entrer en aucune conference avec vous ; la prochaine necessité de mon despart m'en ostoit entierement l'occasion. Si les conferences ne se [273] font bien conditionnees et accompagnees de loysir et de commodités de les parachever, elles sont infructueuses. Je ne regarde qu'a la gloire de Dieu et le salut du prochain ; ou cela ne peut estre procuré, je ne fay point de conference.

            Vous sçavés bien ce que je veux dire quand je parle du Livre des Maccabees II en a deux, et deux font un cors de livre. Je ne prendray pas la peyne de vous en dire d'avantage, car je ne piquotte point. Il est vray que nous disons et affermons, et que vous niés et rejettés. L'Eglise a tous-jours esté combattue par cette mesme façon ; mais vos negatives doivent estre preuvees par une mesme sorte de preuve qu'est celle que vous exigés de nous, car c'est a celuy qui nie de preuver, quand il nie contre la possession et que sa negative sert de fondement a son intention. Les jurisconsultes vous le tesmoigneront, puisque c'est d'eux que la maxime est tiree : vous n'en refuseres pas l'explication.

            La priere pour les trespassés a esté faitte par toute l'ancienne Eglise, Calvin mesme le reconnoist ; les Peres l'ont preuvee par l'authorité du Livre des Maccabees et l'usage general de leurs predecesseurs. Voyés la fin et le commencement du livre de saint Augustin, qu'il a fait sur ce sujet. Nous marchons sur leurs pas et suivons leurs traces. Ni les Livres des Maccabees, ni l'Apocalipse n'ont pas esté si tost reconneus que les autres ; l'un et l'autre neanmoins le fut esgalement au Concile de Carthage, ou saint Augustin assista. On a douté loysiblement de quelques Livres canoniques pour un tems, desquelz il n'est pas loysible de douter maintenant ; les passages que j'ay cités sont si expres qu'ilz ne peuvent estre divertis a autre sens.

            Je vous conjure, par les entrailles de Jesus Christ, de vouloir meshuy lire et l'Escriture et les anciens Peres avec un esprit deschargé de preoccupations : vous verrés [274] que les parties principales et essentielles de la face de l'Eglise ancienne sont entierement conservees en celle qui est maintenant. On me dit que Dieu a mis en vous beaucoup de dons de nature ; n'en abusés pas pour forclorre ceux de la grace, et consideres attentivement les qualités de la part en laquelle vous desires conferer.

            Il ne seroit pas possible de faire avec proffit des conferences par escrit entre nous, nous sommes trop esloignés de sejour ; et que pourrions nous escrire qui n'ait esté repeté cent fois ? Si la commodité le permettoit, croyes que je ne la refuserois pas, non plus que je ne la refuseray pas aux sieurs ministres de Geneve, mes voysins, quand il la desireront en bons termes.

            Conferes a vostre salut l'attentive meditation sur nos raysons et sur les anciens Peres, et j'y confereray mes pauvres et chetives prieres, que je presenteray a la misericorde de nostre Sauveur, auquel et pour l'amour duquel je vous offre mon service et suis

Vostre serviteur bien humble,

FRANÇ., E. de Geneve.

 

Revu en partie sur l'Autographe conservé à la Visitation de Soleure.

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CCXX. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Pauvreté du prieuré de Bellevaux. — Le Prieur est digne des libéralités de Son Altesse

 

Annecy, 29 mai 1604.

 

            Monseigneur,

 

            J'ay receu commandement de Vostre Altesse de luy donner advis certain de l'estat du prieuré et monastere de Bellevaux, par ce que sil est si miserable que l'on [275] luy a fait entendre, elle veut relascher les decimes au Prieur. J'obeis donques a la voulonté de Vostre Altesse, et sur une particuliere connoissance que j'ay de la verité, je la puis asseurer que ce monastere, qui fust jadis asses celebre, est presque ruiné quant aux bastimens, et tellement appauvri quant au revenu qu'il ne sçauroit de long tems rendre cent ducatons annuels a son Prieur ; et pour la presente annee, ayant receu un grand degast par la tempeste, il n'y a pas, a beaucoup pres, dequoy supporter les charges. A quoy adjoustant l'indigence du nouveau Prieur et le desir quil a de resider et bien faire son devoir, la conclusion ne peut estre sinon que Vostre Altesse fera une sainte aulmosne d'exercer sa liberalité en ce sujet.

            Je fay tres humblement la reverence a Vostre Altesse, priant Nostre Seigneur quil multiplie ses faveurs et sur elle et sur ses desirs, et demeurant, comme je dois,

            Monseigneur,

            Tres humble et tres-obeissant serviteur et orateur de Vostre Altesse,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le 29 may 1604.

            A Son Altesse.

 

Revu sur l'original appartenant au comte Olivieri, à Turin. [276]

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CCXXI. A la Baronne de Chantal. Il rassure Chantal sur l'inquiétude qu'elle éprouve de l'avoir consulté à l'insu de son directeur. — L'unité de direction ne doit pas nuire à la liberté d'esprit. — Lettre reçue de l'Archevêque de Bourges

 

Annecy, 14 juin 1604.

 

            Madame,

 

            Ce m'a esté une tres grande consolation d'avoir eü la lettre que vous m'escrivites le 30 de may. Toutes ses parties sont aggreables : la souvenance que vous avés de moy en vos prieres, car cela tesmoigne vostre charité ; le memoire que vous avés des sermons que j'ay fait ce Caresme, car encor que de mon costé il ni aÿe eu autre chose qu'imperfection, si est ce que ç'a tous-jours esté parole de Dieu, delaquelle le souvenir ne peut que vous estre fort utile ; le desir que vous aves de la perfection, car c'est un bon fondement pour l'obtenir. Tout cela donques me console, comm'aussi ce que vous m'escrivés que le Reverend Pere que le Seigneur vous a baillé pour directeur avoit treuvé fort bon que pendant mon sejour a Dijon vous m'aves communiqué vostr'ame, et que mesme il ne treuveroit pas mauvais que vous me donnassies quelquefois de vos lettres.

            Madame, si vous vous en resouvenés, je vous dis bien cela mesme, quand vous me dites que vous craignés de [277] l'avoir offencé ayant receu les petitz advis que je vous donnay verbalement sur le sujet de vostre affliction interieure qui vous troubloit en la sainte orayson. Car je vous dis qu'en cela vous ne sçauries avoir fait faute, puisque le mal vous pressoit et vostre medecin spirituel estoit absent ; que cela n'estoit pas changer de directeur, ce que vous ne pouviés faire sans perte bien grande, mais que c'estoit seulement se soulager pour l'attendre ; que mes advis ne s'estendoyent que sur le mal present, qui requeroit un remede present, et partant ne pouvoyent nullement prejudicier a la conduitte generale de vostre premier directeur. Et quant au scrupule que vous aviés de m'avoir demandé mon advis pour l'addresse de toute vostre vie, je vous dis que vous n'aviés non plus contrevenu aux loix de la submission que les ames devotes doivent a leur pere spirituel, par ce que mes conseilz ne seroyent rien plus qu'un escrit spirituel duquel la pratique seroit tous-jours mesuree par le discernement de vostre directeur ordinaire, selon que la presence de son œil et la plus grande lumiere spirituelle, avec la plus entiere connoissance qu'il a de vostre capacité, luy donnent le moyen de le mieux faire que je ne puis, estant ce que je suis ; joint que les advis que je pensois vous donner seroyent telz quilz ne pouvoyent estre que bien [278] accordans avec ceux du Pere directeur. Mays quand vous m'eustes nommé le personnage, resouvenés vous, je vous supplie, que je vous dis avec pleyne confiance qu'il me connoissoit et m'avoit fait le bien de me promettre un jour son amitié, et que je m'asseurois quil ne treuveroit point mauvaise la communication que vous avies eüe avec moy, tant je le tenois de mes amis. Vous voyes donq, Madame, que je jugeay fort bien de tout cela, et n'employay guere de tems ni de consideration pour me resoudre a ce jugement. Je me res-jouis donques que vous ayes reconneu combien il est veritable que ceux qui sont bien accordans en l'intention du service de Dieu ne sont jamais guere esloignés d'affections et conceptions.

            Je loüe infiniment le respect religieux que vous portes a vostre directeur et vous exhorte de soigneusement y perseverer ; mais si faut il que je vous die encor ce mot. Ce respect vous doit sans doute contenir en la sainte conduite a laquelle vous vous estes si heureusement rangee, mais il ne vous doit pas gehenner, ni estouffer la juste liberté que l'Esprit de Dieu donne a ceux quil possede. Pour certain, ni recevoir les advis et enseignemens des autres, ni recourir a eux en l'absence du directeur, n'est nullement contraire a ce respect, pourveu que le directeur et son authorité soit tous-jours præferé. Beni soit Dieu. [279]

            Je vous ay voulu resouvenir de tout ce que je vous ay dit en presence, et y adjouster ce que j'ay pensé en escrivant pour vous representer pour un bon coup mon opinion sur ce scrupule ; et si, j'ose bien me promettre que si vous la proposes a vostre directeur la premiere fois que vous le verres, il se treuvera autant conforme avec moy en cet endroit comm'il l'a esté en l'autre. Mais je laisse cela a vostre discretion, de luy proposer ou non ; bien vous supplieray-je de le saluer a mon nom et l'asseurer de mon service. Je l'ay longuement honnoré avant que de l'avoir veu ; l'ayant veu, mon affection s'en est accreùe, et m'estant apperceu du fruit quil a fait a Dijon (car vous n'estes pas seule), je luy ay donné et voué autant de cœur et de service quil en sçauroit desirer de moy. Je vous cheris en luy et luy en vous, et l'un et l'autre en Jesus Christ.

            Monsieur l'Archevesque m'a escrit une lettre si excessive en faveurs que ma misere en est accablee ; il le faut pardonner a sa courtoisie et naturelle bonté, mais je m'en plains a vous par ce que cela me met en danger de vanité. Vous ne m'escrives pas de la santé de monsieur vostre pere, et toutefois j'en suis extrement desireux ; ni de monsieur vostre oncle que je vous avois supplié de saluer de ma part.

            Au demeurant, puisque le Pere directeur vous permet de m'escrire quelquefois, faites le, je vous prie, de bon cœur, encor que cela vous donnera de la distraction, car ce sera charité. Je suis en un lieu et en une occupation qui me rend digne de quelque compassion, et ce m'est consolation de recevoir, parmi la presse de tant de fascheuses et difficiles affaires, des nouvelles de vos semblables ; [280] ce m'est une rosee. Je vous tesmoigne par cette longueur combien mon esprit aggree la conversation du vostre. Dieu nous face la grace de vivre et mourir en son amour et sil luy plait, pour son amour. Je l'en supplie, et vous salue bien humblement, donnant la sainte benediction a vos petitz enfans, si vous estes a Chantal ; car si vous estes a Dijon je ne le voudrois entreprendre en la presence de monsieur leur oncle, bien que leur petit agenouillement et vostre demande me fit faire une pareille laute a mon despart.

            Dieu soit vostre cœur et vostre ame, Madame, et je suis

Vostre plus humble et affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            14 juin 1604.

            A Madame

            Madame la Baronne de Chantal.

 

Revu sur l'Autographe conservé dans la salle Capitulaire de Notre-Dame, à Paris.

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CCXXII. A M. Charles d'Albigny. Opportunité de quelques modifications dans les lois relatives à l'immunité des églises

 

Annecy, 20 juin 1604.

 

            Monsieur,

 

            Le desir que vous avés que les soldatz puissent estre tirés des lieux sacrés pour estre chastiés selon leurs demerites est fort juste et propre a la conservation du bien publiq. J'ay eu tant de distractions pour ne l'avoir pas voulu permettre, que j'ay bien occasion aussi de mon [281] costé de souhaitter que les loix de l'immunité des eglises soyent moderëes a cet effect. Ce n'est neanmoins pas a moy de le faire, qui suis sujet ; c'est pourquoy j'ay supplié Monsieur le Nonce de m'en faire venir un petit mot de declaration qui me descharge de leur rigueur, laquelle, ce me semble, n'est pas sortable en ce tems, en ce lieu, en ces occasions.

            Je vous supplie, Monsieur, d'avoir aggreable que j'attende puisque ma condition le requiert, en laquelle je prie Dieu tous les jours pour vous, et suis,

            Monsieur,

Vostre serviteur plus humble,

FRANÇS, H. de Geneve.

            20 juin 1604.

            A Monsieur Monsieur d'Albigni,

            Chevallier de l'Ordre de S. A. et son lieutenant general deça les mons.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Florence, dans l'oratoire privé de Mgr Donat Velluti-Zati, duc San Clemente, évêque de Pescia (Toscane).

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CCXXIII. A la Baronne de Chantal. Encore l'unité de direction et la liberté qu'elle comporte ; comment l'entendait sainte Thérèse, et comment il faut la pratiquer à son imitation. — Protestation d'entier dévouement. — Combien sont indissolubles les liens formés par la charité. — Secret que doit garder le pénitent sur ce qui est dit en confession. — Chercher un remède à la tristesse et à l'ennui dans les plaies de Notre-Seigneur. — Mystérieuse formation du Christ dans l'âme chrétienne

 

Annecy, 24 juin 1604.

 

            Madame,

 

            L'autre lettre vous servira pour contenter le bon Pere a qui vous desires la pouvoir monstrer. J'y ay fourré [282] beaucoup de choses pour empescher le soupçon qu'il eut peu prendre qu'elle fut escritte a dessein, et l'ay neanmoins escritte avec toute verité et sincerité, ainsy que je doy tous-jours faire ; mais non pas avec tant de liberté comme cellecy, en laquelle je desire vous parler cœur a cœur.

            Je suis bien d'accord avec ceux qui vous ont voulu donner du scrupule, quil est expedient de n'avoir qu'un pere spirituel, l'authorité duquel doit estre en tout et par tout præferee a la volonté propre, et mesme aux advis de tout autre particuliere personne ; mais cela n'empesche nullement le commerce et communication d'un esprit avec un autre, ni d'employer les advis et conseilz que l'on reçoit d'ailleurs. Peu auparavant que je receusse vos lettres, un soir je prins en main un livre qui parle de la bonne Mere Therese, pour delasser mon ame des travaux de la journée, et je treuvay qu'ell'avoit fait vœu d'obeissance particuliere au P. Gracian, de son Ordre, pour faire toute sa vie ce quil luy ordonneroit qui ne seroit contraire a Dieu ni a l'obeissance des superieurs [283] ordinaires de l'Eglise et de son Ordre. Outre cela, elle ne laissoit pas d'avoir tous-jours quelque particulier et grand confident auquel elle se communiquoit, et duquel elle recevoit les advis et conseilz pour les prattiquer soigneusement, et s'en prævaloir en tout ce qui ne seroit contraire a l'obedience vouée ; dont elle se treuva fort bien, comm'elle mesme a tesmoigné en plusieurs endroitz de ses escritz. C'est pour vous dire que l'unité de pere spirituel ne forclost point la confiance et communication avec un autre, pourveu que l'obeissance promise demeure ferme en son rang et soit præferee.

            Arrestés vous-la, je vous supplie, et ne vous mettes nullement en peyne en quel degré vous me devés tenir, car tout cela n'est que tentation et vaine subtilité. Que vous importe-il de sçavoir si vous me pouves tenir pour vostre pere spirituel ou non, pourveu que vous sachies quell'est mon ame en vostre endroit et que je sache quell'est la vostre au mien ? Je sçai que vous aves une entiere et parfaitte confiance en mon affection ; de cela je n'en doute nullement, et en reçoi de la consolation. Sachés aussi, je vous supplie, et croyes-le bien, que j'ay une vive et extraordinaire volonté de servir vostre esprit de toute l'estendue de mes forces. Je ne vous sçaurois pas expliquer ni la qualité ni la grandeur de cett'affection que j'ay a vostre service spirituel ; mais je vous diray bien que je pense qu'ell'est de Dieu et que pour cela je la nourriray cherement, et que tous les jours je la voy croistre et s'augmenter notablement. Sil m'estoit bien [284] seant je vous en dirois davantage, et avec verité, mais il faut que je m'arreste la. Maintenant, ma chere Dame, vous voyes asses clairement la mesure avec laquelle vous me pouves employer, et combien vous pouves avoir de confiance en moy. Faites valoir mon affection, usés de tout ce que Dieu m'a donné pour le service de vostre esprit : me voyla tout vostre, et ne penses plus sous quelle qualité ni en quel degré je le suis. Dieu m'a donné a vous ; tenes moy pour vostre en luy et m'appelles ce quil vous plaira, il n'en importe.

            Encor faut il que je vous die, pour coupper chemin a toutes les repliques qui se pourroyent former en vostre cœur, que je n'ay jamais entendu quii y eut nulle liayson entre nous qui portast aucune obligation, sinon celle de la charité et vraÿe amitié chrestienne, delaquelle le lien est appellé par saint Paul le lien de perfection, et vrayement il l'est aussi, car il est indissoluble et ne reçoit jamais aucun relaschement. Tous les autres liens sont temporelz, mesme celuy des vœuz d'obeissance, qui se rompt par la mort et beaucoup d'autres occurrences ; mais celuy de la charité croit avec le tems et prend nouvelles forces par la duree. Il est exempt du tranchant de la mort, de laquelle la faux fauche tout sinon la charité : La dilection est aussi forte que la mort et plus dure que l'enfer, dit Salomon. Voyla, ma bonne Seur (et permettes moy que je vous appelle de ce nom, qui est celuy par lequel les Apostres et premiers Chrestiens exprimoyent l'intim'amour qu'ilz s'entreportoyent), voyla nostre lien, voyla nos chaysnes, lesquelles plus elles nous serreront et presseront, plus elles nous donneront de l'ayse et de la liberté. Leur force n'est que suavité, leur violence n'est que douceur ; rien de si pliable que cela, rien de si ferme que cela. Tenes moy donques pour bien estroittement lié avec vous, et ne vous souciés pas d'en sçavoir d'avantage, sinon que ce lien n'est contraire a aucun autre lien, soit de vœu soit de mariage. Demeurés donques entierement en repos de ce costé-la. Obeisses a vostre premier conducteur filialement et librement, et servés vous de moy charitablement et franchement. [285]

            Je respons a un autr'article de vostre lettre. Vous aves eu crainte de tumber en quelque duplicité quand vous aves dit que vous m'avies communiqué vostre esprit et que vous m'avies demandé quelques advis. Je suis consolé que vous aves en horreur la finesse et duplicité, car il ni a guere de vice qui soit plus contraire a l'embonpoint et grace de l'esprit. Mais si est ce que ce n'eut pas esté duplicité, puisque si en cela vous avies fait quelque faute a cause du scrupule que vous avies en me communicant vostre cœur et me demandant des instructions, vous l'avies suffisamment effacee par apres pour n'estre plus obligee de le dire a personne. Neanmoins je loüe vostre candeur et me resjouïs que vous l'aÿés dit, comm'aussi tout le reste, bien que vous devés estre ferme en la resolution que je vous donnay, que ce qui se dit au secret de la Pœnitence est tellement sacré quil ne se doit pas dire hors d'icelle. Et quicomque vous demande si vous aves dit ce que vous aves dit avec le seau (sic) tressaint de la Confession, vous luy pouves hardiment et sans peril de duplicité dire que nanni : il ni a nulle difficulté en cela. Mais bien, beni soit Dieu ; j'aime mieux que vous excedies en naïfveté que si vous en manquiés. Toutefois, un autre coup, demeurés ferme, et tenes pour non dit et totalement tëu ce qui est couvert du voyle sacramentai. Et ce pendant ne vous mettes nullement en scrupule, car vous n'aves point offencé le disant, bien qu'a l'adventure vous eussies mieux fait le celant, a cause de la reverence du Sacrement, qui doit estre si grande qu'hors iceluy il ne soit rien mentionné de ce qui s'y dit. Je me resouviens bien ou vous me parlastes sur ce sujet la premiere fois.

            Vous me dites que peut estre auray-je le bien de vous voir environ la septembre. Ce me sera un'extreme consolation, comm'aussi de voir madame Brulart et madamoyselle de Vilars. Le sachant, je m'essayeray de vous donner autant de loysir quil me sera possible, et prieray Dieu [286] particulierement affin que je vous puisse estre autant utile a toules comme je suis affectionné. J'ay reprins la plume plus de douze fois pour vous escrire ces deux feüilles, et sembloit que l'ennemi me procuroit des distractions et affaires pour m'empescher de ce faire. Interpretés a bien cette longueur, car j'en ay usé pour eschapper, sil m'est possible, les repliques et scrupules qui naissent asses volontiers es espritz de vostre sexe. Gardes vous en, je vous supplie, et ayes bon courage.

            Quand il vous surviendra quelqu'ennuy, ou interieur ou exterieur, prenes entre vos bras vos deux resolutions et colomnes de l'edifice, et, comme une mere sauve ses enfans d'un danger, portés-les es playes de Nostre Seigneur et le pries quil les vous garde et vous avec elles, et attendés la dedans ces sainte cavernes jusques a ce que la tempeste soit passee. Vous aures des contradictions et amertumes ; les tranchees et convulsions de l'enfantement spirituel ne sont pas moindres que celles du corporel : vous aves essaÿé les unes et les autres. Je me suis souventesfois animé parmi mes petites difficultés par les paroles de nostre doux Sauveur qui dit : La femme, quand elle enfante, a une grande detresse ; mais apres l'enfantement elle oublie le mal passé parce qu'un enfant luy est né. Je pense qu'elles vous consoleront aussi, si vous les consideres et repetes souvent. Nos ames doivent enfanter non pas hors d'elles mesmes mais en elles mesmes, un enfant masle, le plus doux, gracieux et beau qui se peut desirer. C'est le bon Jesus qu'il nous faut enfanter et produire en nous mesmes ; vous en estes grosse, ma chere Seur, et beni soit Dieu qui en est le Pere. Je parle comme cela, car je sçay vos bons desirs ; mais courage, car il faut bien souffrir pour l'enfanter. L'Enfant aussi merite bien qu'on endure pour l'avoir et pour estre sa mere.

            C'est trop vous entretenir ; je m'arreste, priant ce celeste [287] Enfant qu'il vous rende digne de ses graces et faveurs, et nous face mourir pour luy, ou au moins en luy. Madame, pries-le pour moy, qui suis fort miserable et accablé de moy mesme et des autres, qui est une charge intolerable si Celuy qui m'a des-ja porté avec tous mes pechés sur la Croix ne me porte encores au Ciel. Au demeurant, je ne dis jamais la sainte Messe sans vous et ce qui vous touche de plus pres ; je ne communie point sans vous, je suis en fin autant vostre que vous sçauries souhaitter. Gardes vous des empressemens, des melancholies, des scrupules. Vous ne voudries pour rien du monde offencer Dieu, c'est bien asses pour vivre joyeuse.

            Ma bonne mere est vostre servante, et tous ses enfans vos serviteurs ; elle vous remercie tres humblement de vostre bienveuillance. Mon frere se sent infiniment obligé a la souvenance que vous aves de luy et la contrechange par la continuelle memoire qu'il a de vous a l'autel ; il est absent, maintenant que j'escris. Je desire sçavoir le nom et l'aage de vos enfans, parce que je les tiens pour miens selon Dieu.

            Je n'ose pas presser les dames que vous me nommes du voyage parce qu'il ne me seroit pas seant ; je le desire neanmoins, et me console en l'esperance que j'en ay.

            Madame,

Vostre serviteur plus humble et entierement dedié en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve. Amen.

            Le jour saint Jan, 1604.

 

Revu en grande partie sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [288]

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CCXXIV. A Sa Sainteté Clément VIII. Recommandation en faveur d'André de Sauzéa proposé pour l'évêché de Belley

 

Annecy, 15 juillet 1604.

 

            Beatissimo Padre,

 

            È vacante un pezzo fa la diocæsi Bellicense, contigua a questa di Geneva, et al Re Christianissimo molte persone sonno state proposte acciò si degnasse favorirle appresso la Santa Sede in questa occasione ; fra le quali ciè un sacerdote francese, Andrea de Sauzea, huomo di molte qualità, buon theologo et predicatore zelante, et di costumi lodevoli. Et perchè quella Chiesa vacante, [289] se bene è molto povera, è nientedimeno di importanza per essere vicina all' heresia et su le frontiere, et che al bene di questa di Geneva conduce molto la salute di quella : per questo, Padre Beatissimo, sapendo io che Vostra Beatitudine, la quale ha una sollecitudine essattissima in provedere le chiese cathedrali, vuole usare di speciale providentia Apostolica alla provisione di detta Chiesa Bellicense, ardisco, vile et indegna creatura ch'io sono, di supplicarla che sia servita di voler assai gratificare quel theologo sopranominato, ad honor del Signor Iddio et beneficio delle anime. Nè questo desidero per interesse mio particolare, poichè non ho conosciuto quel personaggio se non doppo che da [290] un anno in qua egli ha fatto alquante prædiche in questa dioæsi di Geneva, con molto gusto et frutto degli uditori.

            Riceva Vostra Beatitudine questa mia supplica con quella sua suavissima clementia che a me diede confìdenza di scriverle sopra questo negotio. Et basciando i sacri piedi Apostolici, chiedo la sua santissima benedittione.

            Di Vostra Beatitudine,

Umilissimo et indegno servo,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            In Annessi, alli 15 di Luglio 1604.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [291]

 

 

 

            Très Saint Père,

 

            Le diocèse de Belley, limitrophe de celui de Genève, est sans titulaire depuis quelque temps. Plusieurs candidats ont été proposés au roi très chrétien afin d'être par lui recommandés au Saint-Siège. On distingue entre autres, un prêtre français, André de Sauzéa : c'est un homme plein de qualités, bon théologien, prédicateur zélé et de mœurs irréprochables. Or, quoique cette Eglise vacante soit très [289] pauvre, elle est néanmoins importante, car elle se trouve dans le voisinage des hérétiques et sur les frontières ; le bien de ce diocèse peut contribuer beaucoup à celui du diocèse de Genève. C'est pourquoi, Très Saint Père, sachant que Votre Béatitude pourvoit avec une très diligente sollicitude les églises cathédrales et qu'Elle veut user d'une bienveillance apostolique toute spéciale à l'égard de l'Eglise de Belley, j'ose, quelque chétif et indigne que je sois, la supplier de favoriser le théologien susnommé, pour l'honneur du Seigneur notre Dieu et le bien des âmes. Ce n'est pas un intérêt personnel qui me sollicite, [290] puisque je ne connais ce personnage que depuis un an ; il a fait plusieurs prédications dans ce diocèse de Genève, au grand avantage et à la satisfaction des auditeurs.

            Que Votre Béatitude reçoive ma requête avec cette très suave clémence qui m'a donné confiance de lui écrire sur cette affaire. C'est en luisant vos pieds sacrés et apostoliques que je demande votre sainte bénédiction.

            De Votre Béatitude,

Le très humble et indigne serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            A Annecy, le 15 juillet 1604. [291]

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CCXXV. A M. Charles d'Albigny. Règlement d'une affaire d'intérêt concernant la Sainte-Maison

 

Sales, 11 août 1604.

 

            Monsieur,

 

            Le seigneur chevalier Lobet m'a treuvé chez ma mere, ou je n'ay sceu luy donner autre satisfaction que de vous supplier bien humblement, comme je fay, qu'il vous playse, Monsieur, de faire examiner ses pretentions autant comme il se peut sommairement, en la presence des seigneurs officiers de Son Altesse qui ont charge de la conservation des biens de la Sainte Mayson ; et je donne des a present mon consentement a tout ce qui sera advisé et treuvé raysonnable pour terminer cette affaire. Je diray bien neanmoins que je pense plus a propos que la Mayson retienne le tiltre en donnant une pension sortable a la valeur du prieuré, comme seroit de la moytié ou autrement, ainsy qu'il sera jugé ; et cela fait, a cette prochaine feste de Nostre Dame de septembre, tout le Conseil de la Mayson se treuvant a Thonon il pourra ratifier le traitté.

            Je ne voy point d'autre moyen de servir en cette affaire le seigneur Lobet, eu esgard a la haste qu'il a de s'en retourner en Piemont, et puisque les affaires de cette Sainte Mayson ne sont pas au pouvoir de moy seul, qui, en cette occasion et en tout'autre, feray tous-jours joindre [292] ma volonté a vos desirs, comme doit celuy qui, priant Dieu pour vostre prosperité, sera toute sa vie…

            A Sales, le 11 aoust 1604.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Biblioteca Civica.

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CCXXVI. A M. Claude de Blonay. Difficulté que présente la nomination à un bénéfice

 

Sales, 11 août 1604.

 

            Monsieur,

 

            J'estois icy quand ce porteur a esté a Neci. Je voy seulement une difficulté : c'est quil me dit que Nové est de la presentation de Montjou ; ce qu'estant, sans doute monsieur le Prævost remuera quelque chose sur cette nouvelle provision, sinon que la pauvreté du benefice le face desfier de treuver homme capable. Il sera bon, re me semble, de tenir la chose secrette pour quelque tems, cependant que je feray chercher dans les visites quid juris et que je penseray aux remedes propres. Si j'ay le bien de voir monsieur d'Abondance je traitteray fort et ferme de Saint Gingoulf, et m'essayeray de faire qu'il soit accomodé de quelque revenu.

            Je m'attens d'aller pour la septembre a Thonon, et la, [293] selon vostre advis, je m'essayeray d'obtenir la courtoysie de monsieur Muneri, delaquelle vous m'escrivés. Je suis,

            Monsieur,

Vostre confrere plus humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XI aoust 1604.

            A Monsieur

            Monsieur de Blonnay.

 

Revu sur l'Autographe conservé au château de Marin (Chablais), Archives de Blonay.

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CCXXVII. A Monseigneur Antoine de Revol, Évêque de Dol. Témoignages d'affection. — Carême prêché à Dijon. — Eloge des Dijonnais : fruits de salut opérés parmi eux. — Conversions dans le pays de Gex. — Replique Chrestienne du ministre La Faye. — Le Saint hésite à la réfuter

 

Annecy, 14 août 1604.

 

            Monsieur,

 

            La derniere lettre que je receus de vous fut celle par laquelle vous me fistes l'honneur de m'advertir que vous avies receu la sainte consecration, et que vous vous retiries aupres de vostre troupeau. Ce me fut une bien grande consolation, laquelle je vous tesmoignay par la response que je vous fis ; car je n'eusse pas peu m'en empescher, j'en estois touché tres vivement. Mais, a ce que M. Favier m'a fait sçavoir, vous n'aures pas receu ma lettre. Ne croyés jamais, je vous supplie, Monsieur, que ni la memoire ni la reconnoissance du devoir que j'ay a la bienveuillance quil vous a pleu de me promettre me puisse defaillir : non, sans doute. Je suis par tout le reste de mon ame fort imbecille et foible ; mais j'ay l'affection fort tenante et presque immuable a l'endroit de ceux qui me donnent le bonheur de leur amitié, comme je croy fermement que vous aves fait. Que si vous n'aves [294] pas receu de mes lettres si souvent que j'eusse souhaitté, attribués-le a toute autre sorte de manquement plustost qu'a celuy de l'affection. Mais non plus sur ce sujet ; nostre communication doit estre franche, entiere et familiere.

            Je vous diray donq, Monsieur, que, despuis les dernieres nouvelles que vous aves euës de moy, j'ay esté perpetuellement parmi les travaux et traverses que le monde fait naistre en ma charge, et me semble que cette annee m'a esté encor plus aspre que celle du noviciat ; mays je puis dire aussi que nostre bon Maistre m'a beaucoup assisté de ses saintes consolations, qui m'ont fortifié en sorte que je puis dire d'avoir nagé parmi les eaux d'amertume sans en avoir avalé une seule goutte. Que Dieu est bon ! Il connoist bien mon infirmité et ma delicatesse ; c'est pourquoy il ne me permet point de seulement gouster les eaux de Mara que premierement il ne les ayt adoucies par le bois sacré de son assistence et consolation.

            Voyla, Monsieur, en general ce que j'ay fait. Ce Caresme j'ay presché a Dijon, ou j'avois de bonnes et importantes affaires pour cest evesché, lesquelles j'ay, par ce moyen, terminees avec tout l'heur que je pouvois desirer. Je ne rencontray jamais un si bon et gratieux peuple, ni si doux a recevoir les saintes impressions. Il s'y est fait quelque fruit, nonobstant mon indignité, non seulement pour ceux qui m'ont attentivement escouté, mais aussi pour moy, qui ay reconneu en plusieurs personnes tant de vraye pieté que j'en ay esté esmeu. Quelques huguenotz se sont convertis ; quelques gens douteux et chancelans se sont affermis ; plusieurs ont fait des confessions generales, mesme a moy, tant ilz avoyent de confiance en mon affection ; plusieurs ont pris nouvelle forme de vivre, tant ce peuple est bon. Encor vous diray-je cecy : j'y ay reconneu plusieurs centaines de personnes laïques et seculieres qui font une vie fort parfaitte, et, parmi le tracas des affaires du monde, font tous les jours leur meditation et saintz exercices de l'orayson mentale.

            A mon retour, en suitte de ce que j'y avois traitté et [295] qui avoit esté le sujet qui m'avoit fait sortir de mon diocese, je vins a Gex, ou M. le baron de Lux et quelques uns de cette court de Parlement estoyent arrivés pour, de la part du Roy, affermir l'establissement de l'exercice catholique que les huguenotz avoyent totalement esbranlé, et resoudre de plusieurs difficultés que l'esprit chicaneur de l'heretique y avoit fait naistre. Plusieurs parroisses, a cette occasion, vinrent demander l'exercice de la sainte Eglise, qui jusques a l'heure n'avoyent pas osé ; et le Roy du despuis le leur a accordé, bien que l'execution en soit un petit retardee pour des considerations que la malice du tems donne.

            Le ministre La Faye, de Geneve, a fait un livre expres contre moy ; il n'espargne pas la calomnie. Il laisse a part la grande multitude de mes imperfections, qui sont sans doute blasmables, et ne me censure que de celles que je n'ay point, par la grace de Dieu : d'ambition, d'oysiveté exterieure, luxe en chiens de chasse et escuries, et semblables folies, qui sont non seulement esloignees [296] de mon affection, mays incompatibles avec la necessité de mes affaires et la forme de vie que ma charge m'impose. Or, beni soit Dieu qu'il ne sçait pas mes maladies, puisqu'il ne les voudroit guerir que par la mesdisance. Je bransle a sçavoir si je doy respondre, et n'estoit l'opinion de mes amis qui me combat, je serois resolu a la negative ; mesme que j'ay en main quelque petite besoigne qui sera sans doute plus utile que celle la, et je suis si tourmenté de la multiplicité des sollicitudes que je n'ay nul loysir d'estudier.

            Monsieur, je pense que vous connoistres par cette lettre combien est grande l'asseurance que je prens en vostre amitié, puisque je suis si long et si libre a vous dire ces menusailles de mon particulier, lesquelles ne vous peuvent estre presentees que sous une extreme confiance de vostre bonté. Mais les anciens Evesques n'en faysoyent pas moins, et la communication que vous me permettes d'avoir avec vous m'est d'autant plus douce que nous sommes plus esloignés l'un de l'autre ; car je pense que c'est de la largeur ou longueur du royaume de France. Permettes moy, je vous supplie, que je desire de sçavoir presque aussi particulierement de vos nouvelles comme je vous en dis des miennes, mais sur tout si vous ne montes pas en chaire, ou au moins si vous ne faites pas de sermons a l'autel ; et pardonnés moy, Monsieur, si c'est trop.

            Je me resjouis que M. Soulfour soit nostre commun respondant ; cette entremise, a mon advis, est fort aggreable. Dieu, par sa bonté, nous rende dignes de l'office auquel il nous appelle. Je ne suis jamais a l'autel que je ne l'en supplie, et nommement pour vous, Monsieur, de qui je me prometz un riche contreschange, a qui je bayse tres humblement les mains, et suis inviolablement,

            Monsieur,

Vostre indigne et moindre frere et tres asseuré serviteur,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            A Neci, la veille de l'Assomption, 14 aoust 1604.

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CCXXVIII. A M. Jean-François de Blonay. Prochain pèlerinage à Saint-Claude. — Invitation à transmettre à l'Abbé d'Abondance

 

Annecy, 18 août 1604.

 

            Monsieur,

 

            Je me resjouis fort des bonnes nouvelles de monsieur d'Abondance et de l'establissement des Feüillans. Il me treuvera en toutes occasions son fort affectionné serviteur ; mais voicy un inconvenient. Je partiray irremissiblement le 23 de ce mois pour aller a Saint Claude rendre un viel vœu que j'y ay et que ma mere a fait pour moy en une de mes maladies ; le 24 j'y seray, le 25 j'y arresteray, et ne pense pas estre icy que le 27 au soir. Je deliberois de revenir a Sales, mais je change fort volontier d'advis et me treuveray icy le 27, pour y donner une chambre a monsieur d'Abondance selon nostre petitesse. Je vous prie de l'y semondre en mon nom, mais bien vivement ; et sii arrive devant moy, monsieur Deage le recevra et vous aussi.

            Je suis, Monsieur,

Vostre confrere plus affectionné et bien humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

            XVIII aoust 1604.

            Monsieur le Vicaire respond au reste. Je differerois [298] bien mon voyage, mais j'ay des autres assignations qui ne me laissent libre que ce tems-la pour le faire.

            A Monsieur

            Monsieur de Blonnay,

            Prieur de St Paul.

 

Revu sur l'Autographe conservé au château de Marin (Chablais), Archives de Blonay.

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CCXXIX. A Monseigneur André Frémyot, Archevêque de Bourges. Obligation pour un Evêque de prêcher son peuple. — Des trois conditions nécessaires au prédicateur.— Fin qu'il doit se proposer : instruire et émouvoir. — Objet de la prédication : l'Ecriture Sainte expliquée selon les quatre sens dont elle est susceptible ; la doctrine des Pères et des Docteurs, les exemples des Saints ; interpréter le « grand livre » de la création. — Eviter les citations mythologiques. — Des comparaisons et des allégories. — Disposition des matières ; différentes méthodes à adopter selon la diversité des genres : sermons sur les mystères et les vertus, homélies, panégyriques. — La forme : du style et de l'action. — Pressante exhortation à prêcher ; rien n'est impossible à l'amour.

 

Sales, 5 octobre 1604.

 

            Monseigneur,

 

            Il n'est rien d'impossible a l'amour ; je ne suis qu'un chetif et malotru predicateur, et il me fait entreprendre de vous dire mon advis de la vraye façon de prescher. Je ne sçai si c'est l'amour que vous me portes qui tire cette eau de la pierre, ou si c'est celuy que je vous porte [299] qui fait sortir des roses de l'espine. Permettes-moy ce mot d'amour, car je parle a la chrestienne, et ne treuvés pas estrange que je vous promette des eaux et des roses ; car ce sont des epithetes qui conviennent a toute doctrine catholique, pour mal ageancee qu'elle soit. Je vay commencer : Dieu y veuille mettre sa bonne main.

 

            Pour parler avec ordre, je considere la predication en ses quattre causes : l'efficiente, la finale, la materielle et la formelle ; c'est a dire, qui doit prescher, pour quelle fin l'on doit prescher, que c'est que l'on doit prescher et la façon avec laquelle on doit prescher.

            Nul ne doit prescher qu'il n'aye trois conditions : une bonne vie, une bonne doctrine, une legitime mission.

            Je ne dis rien de la mission ou vocation ; seulement je remarque que les Evesques ont non seulement la mission, [300] mais ilz en ont les sources ministerielles, et les autres predicateurs n'en ont que les ruysseaux. C'est leur premiere et grande charge ; on le leur dit en les consacrant. Ilz reçoivent a cet effect une grace speciale en la consecration laquelle ilz doivent rendre fructueuse. Saint Paul en cette qualité s'escrie : Malheur a moy si je n'evangelize. Le Concile de Trente : « C'est, » dit il, « le principal devoir de l'Evesque que de prescher. » Cette consideration nous doit donner courage, car Dieu en cet exercice nous assiste specialement ; et c'est merveille combien la predication des Evesques a un grand pouvoir au prix de celle des autres predicateurs. Pour abondans que soyent les ruysseaux, on se plaist de boire a la source.

            Quant a la doctrine, il faut qu'elle soit suffisante, et n'est pas requis qu'elle soit excellente. Saint François n'estoit pas docte, et neanmoins grand et bon predicateur, et en nostre aage, le bienheureux Cardinal Borromee n'avoit de science que bien fort mediocrement : toutefois il faisoit merveilles. J'en sçai cent exemples. Un grand homme de lettres (et c'est Erasme) a dit que le meilleur moyen d'apprendre et de devenir sçavant c'est d'enseigner ; en preschant on devient prescheur. Je veux seulement dire ce mot : le predicateur sçait tous-jours asses quand il ne veut pas paroistre de sçavoir plus que ce qu'il sçait. Ne sçaurions-nous bien parler du mystere de la Trinité ? n'en disons rien. Ne sommes nous pas asses versés pour expliquer l'In principio de saint Jan ? laissons-le la ; il ne manque pas d'autres matieres plus utiles. Il n'est pas question qu'on fasse tout.

            Quant a la bonne vie, elle est requise en la façon que dit saint Paul de l'Evesque, et non plus ; de façon qu'il n'est pas besoin que nous soyons meilleurs pour estre predicateurs que pour estre Evesques. C'est donq des-ja autant de fait : Oportet, dit saint Paul, Episcopum esse irreprehensibilem.

            Mays je remarque que non seulement il faut que [301] l'Evesque et predicateur ne soit pas vicieux de peché mortel, mays de plus qu'il esvite certains pechés venielz, voire mesme certaines actions qui ne sont pas peché. Saint Bernard, nostre Docteur, dit ce mot : « Nugæ secularium sunt blasphemiæ clericorum. » Un seculier peut joüer, aller a la chasse, sortir de nuict pour aller aux conversations, et tout cela n'est point reprehensible, et, fait par recreation, n'est nullement peché. Mais en un Evesque, en un predicateur, si ces actions ne sont assaysonnees de cent mille circonstances qui malaysement se peuvent rencontrer, ce sont scandales et grans scandales. On dit : Ilz ont bon tems, ilz s'en donnent a cœur joye. Allés apres cela prescher la mortification ; on se mocquera du prescheur. Je ne dis pas qu'on ne puisse jouer a quelque jeu bien honneste une fois ou deux le moys par recreation ; mais que ce soit avec une grande circonspection.

            La chasse, elle est interdite du tout. J'en dis de mesme des despenses superflues en festins, en habitz, en livres ; es seculiers ce sont superfluités, es Evesques ce sont des grans pechés. Saint Bernard nous instruit disant : Clamant pauperes post nos : « Nostrum est quod » expenditis, « nobis crudeliter eripitur quidquid inaniter expenditur. » Comme reprendrons nous les superfluités du monde si nous faysons paroistre les nostres ?

            Saint Paul dit : Oportet Episcopum esse hospitalem. L'hospitalité ne consiste pas a faire des festins, mais a recevoir volontier les personnes a table, telle que les Evesques la doivent avoir et que le Concile de Trente determine : Oportet mensam Episcoporum esse frugalem. J'excepte certaines occasions que la prudence et charité sçavent bien discerner. [302]

            An demeurant, on ne doit jamais prescher sans avoir celebré la Messe ou la vouloir celebrer. Il n'est pas croyable, dit saint Chrysostome, combien la bouche qui a receu le Saint Sacrement est horrible aux demons. Et il est vray ; il semble qu'on puisse dire apres saint Paul : An experimentum quæritis ejus qui loquitur in me Christus ? On a beaucoup plus d'asseurance, d'ardeur et de lumiere. Quamdiu sum in mundo, dit le Sauveur, lux sum mundi. Chose certaine, que Nostre Seigneur estant en nous reellement, il nous donne claireté, car il est la lumiere. Aussi, les disciples d'Emmaüs ayans communié, eurent les yeux ouvertz.

Mais au fin moins faut il estre confessé, suyvant ce que Dieu dit, au rapport de David : Peccatori autem dixit Deus : Quare tu enarras justitias meas et assumis testamentum meum per os tuum ? Et saint Paul : Castigo corpus meum et in servitutem redigo, ne cum aliis prædicaverim ipse reprobus efficiar. Mays c'est trop sur ce point.

 

            La fin est la maistresse cause de toutes choses ; c'est elle qui esmeut l'agent a l'action, car tout agent agit et pour la fin et selon la fin. C'est elle qui donne mesure a la matiere et a la forme : selon le dessein qu'on a de bastir une grande ou une petite mayson, on prepare la niatiere, on dispose l'ouvrage.

            Quelle donques est la fin du predicateur en l'action de prescher ? Sa fin et son intention doit estre de faire ce que Nostre Seigneur est venu pour faire en ce monde ; et voicy ce qu'il en dit luy mesme : Ego veni ut vitam habeant, et abundantius habeant. La fin donques du [303] predicateur est que les pecheurs mortz en l'iniquité vivent a la justice, et que les justes qui ont la vie spirituelle l'ayent encores plus abondamment, se perfectionnans de plus en plus, et, comme il fut dit a Hieremie, ut evellas et destruas les vices et les pechés, et ædifices et plantes les vertuz et perfections. Quand donques le predicateur est en chaire, il doit dire en son cœur : Ego veni ut isti vitam habeant, et abundantius habeant.

            Or, pour chevir de cette pretention et dessein, il faut qu'il face deux choses : c'est enseigner et esmouvoir. Enseigner les vertuz et les vices : les vertuz pour les faire aymer, affectionner et prattiquer ; les vices pour les faire detester, combattre et fuir. C'est, tout en somme, donner de la lumiere a l'entendement et de la chaleur a la volonté. C'est pourquoy Dieu envoya aux Apostres, le jour de la Pentecoste, qui fut le jour de leur consecration episcopale, ayans des-ja eu la sacerdotale le jour de la Cene, des langues de feu ; affin qu'ilz sceussent que la langue de l'Evesque doit esclaircir l'entendement des auditeurs et eschauffer leurs volontés.

            Je sçai que plusieurs disent que, pour le troisiesme, le predicateur doit delecter ; mays quant a moy, je distingue, et dis qu'il y a une delectation qui suit la doctrine et le mouvement. Car qui est cette ame tant insensible qui ne reçoive un extreme playsir d'apprendre bien et saintement le chemin du Ciel, qui ne ressente une consolation extreme de l'amour de Dieu ? Et pour cette delectation, elle doit estre procuree ; mais elle n'est pas distincte de l'enseigner et esmouvoir, c'en est une dependance. Il y a une autre sorte de delectation qui ne depend pas de l'enseigner et esmouvoir, mays qui fait son cas a part et bien souvent empesche l'enseigner et l'esmouvoir. C'est un certain chatouillement d'oreilles, qui provient d'une certaine elegance seculiere, mondaine et prophane, de certaines curiosités, ageancemens de traitz, de parolles, de [304] motz, bref, qui depend entierement de l'artifice : et quant aelle cy, je nie fort et ferme qu'un predicateur y doive penser ; il la faut laisser aux orateurs du monde, aux charlatans et courtisans qui s'y amusent. Ilz ne preschent pas Jesus Christ crucifié, mais ilz se preschent eux mesmes. Non sectamur lenocinia rhetorum, sed veritates piscatorum .

            Saint Paul deteste les auditeurs prurientes auribus, et par consequent les predicateurs qui leur veulent complaire. Cela est un pedantisme. Au sortir du sermon je ne voudrois point qu'on dist : O qu'il est grand orateur ! o qu'il a une belle memoire ! o qu'il est sçavant ! o qu'il dit bien ! Mais je voudrois que l'on dist : O que la penitence est belle ! o qu'elle est necessaire ! Mon Dieu, que vous estes bon, juste ! et semblable chose ; ou que l'auditeur, ayant le cœur saysi, ne peust tesmoigner de la suffisance du predicateur que par l'amendement de sa vie. Ut vitam habeant, et abundantius habeant.

 

            Saint Paul dit en un mot a son Timothee : Prædica Mot. Il faut prescher la parole de Dieu. Prædicate Evangelium, dit le Maistre. Saint François, duquel aujourd'huy nous faysons la feste, explique cela, commandant a ses Freres de prescher les vertuz et les vices, l'enfer et le Paradis. Il y a suffisamment dequoy eu l'Escriture Sainte pour tout cela, il n'en faut pas davantage.

            Se faut-il donq point servir des Docteurs chrestiens et des livres des Saintz ? Si faut, a la verité. Mais qu'est-ce autre chose la doctrine des Peres de l'Eglise que l'Evangile expliqué, que l'Escriture Sainte exposee ? Il y a a dire entre l'Escriture Sainte et la doctrine des Peres comme entre une amande entiere et une amande cassee, [305] de laquelle le noyau peut estre mangé d'un chacun, ou comme d'un pain entier et d'un pain mis en pieces et distribué. Au contraire donq il faut s'en servir, car ilz ont esté les instrumens par lesquelz Dieu nous a communiqué le vray sens de sa Parole.

            Mais des histoires des Saintz s'en peut on pas servir ? Mais, mon Dieu, y a il rien de si utile, rien de si beau ? Mais aussi, qu'est autre chose la vie des Saintz que l'Evangile mis en œuvre ? Il n'y a non plus de difference entre l'Evangile escrit et la vie des Saintz qu'entre une musique notee et une musique chantee.

            Et des histoires prophanes, quoy ? Elles sont bonnes, mais il s'en faut servir comme l'on fait des champignons, fort peu, pour seulement resveiller l'appetit ; et lhors encor faut il qu'elles soyent bien apprestees, et, comme dit saint Hierosme, il leur faut faire comme faisoyent les Israëlites aux femmes captives quand ilz les vouloyent espouser : il leur faut rogner les ongles et couper les cheveux, c'est a dire les faire entierement servir a l'Evangile et a la vraye vertu chrestienne, leur ostant ce qui se treuve de reprehensible es actions payennes et prophanes, et faut, comme dit la sainte Parolle, separare pretiosum a vili. En la valeur de Cesar l'ambition doit estre separee et remarquee ; en celle d'Alexandre, la vanité, la fierté et superbe ; en la chasteté de Lucrece, sa desesperee mort.

            Et des fables des poëtes ? O de celles la point du tout, si ce n'est si peu et si a propos, et avec tant de circonstances, comme contrepoisons, que chacun voye qu'on n'en veut pas faire profession ; et tout cela si briefvement que ce soit asses. Leurs vers sont utiles : les Anciens les ont parfois employés, pour devotz qu'ilz fussent, mesmes jusques a saint Bernard, lequel je ne sçay pas ou il les avoit appris. Saint Paul fut le premier a citer Aratus et Menander. Mays quant aux fables, je n'en ay jamais rencontré en pas un sermon des Anciens, sauf une seule [306] d'Ulysses et des syrenes employee par saint Ambroyse en un de ses sermons. C'est pourquoy je dis, ou du tout point, ou si peu que rien. Il ne faut pas mettre l'idole de Dagon avec l'Arche d'alliance.

            Et des histoires naturelles ? Tres bien, car le monde, fait par la parole de Dieu, ressent de toutes pars cette parole ; toutes ses parties chantent la louange de l'Ouvrier. C'est un livre qui contient la parole de Dieu, mais en un langage que chacun n'entend pas. Ceux qui l'entendent par la meditation font fort bien de s'en servir, comme faisoit saint Anthoine, qui n'avoit nulle autre bibliotheque. Et saint Paul dit : Invisibilia Dei per ea quæ facta sunt intellecta conspiciuntur ; et David : Cœli enarrant gloriam Dei. Ce livre est bon pour les similitudes, pour les comparaysons a minori, ad majus et pour mille autres choses. Les anciens. Peres en sont pleins, et l'Escriture Sainte en mille endroitz : Vade ad formicam ; Sicut gallina congregat pullos suos ; Quemadmodum desiderat cervus ; Quasi struthio in deserto ; Videte lilia agri ; et cent mille semblables.

            Mais sur tout, que le predicateur se garde bien de raconter des faux miracles, des histoires ridicules, comme certaines visions tirees de certains autheurs de basse ligne, choses indecentes et qui puissent rendre nostre ministere vituperable et mesprisable.

            Voyla ce qu'il me semble touchant la matiere en gros ; reste neanmoins a dire en particulier des parties de la matiere du sermon.

            La premiere partie de cette matiere ce sont les passages de l'Escriture, lesquelz a la verité tiennent le premier [307] rang et font le fondement de l'edifice ; car en fin nous preschons la parole, et nostre doctrine gist en l'authorité. Ipse dixit, Hæc dicit Dominus, disoyent tous les Prophetes. Et Nostre Seigneur mesme : Doctrina mea non est mea, sed ejus qui misit me. Mais il faut, tant qu'il est possible, que les passages soyent naïfvement et clairement bien interpretés. Or, on peut bien user des passages de l'Escriture, les expliquant en l'une des quattre manieres que les Anciens ont remarquees :

            Littera facta docet ; quid credas, allegoria ;

            Quid speres, anagoge ; quid agas, tropologia.

Il n'y a pas trop bonne quantité, mais il y a de la rime, et encor plus de rayson.

            Pour le regard du sens litteral, il se doit puiser dans les commentaires des Docteurs, c'est tout ce qu'on en peut dire ; mays c'est au predicateur de le faire valoir, de peser les motz, leur proprieté, leur emphase. Comme, par exemple, hier j'expliquois en ce village le commandement : Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde, ex tota anima, ex tota mente . Je pensois avec nostre saint Bernard : ex toto corde, c'est a dire courageusement, vaillamment, fervemment, par ce qu'au cœur appartient le courage ; ex tota anima, c'est a dire affectueusement, par ce que l'ame entant qu'ame est la source des passions et affections ; ex tota mente, c'est a dire spirituellement, discretement, par ce que mens, c'est l'esprit et partie superieure de l'ame, a laquelle appartient le discernement et jugement pour avoir le zele [308] secundum scientiam et discretionem . Ainsy ce mot diligere doit estre pesé, par ce qu'il vient de eligo et represente naïfvement le sens litteral, qui est qu'il faut que nostre cœur, nostre ame et nostre esprit choisissent et preferent Dieu entre toutes choses, qui est le vray amour appreciatif duquel les theologiens interpretent ces paroles.

            Quand il y a diversité d'opinions entre les Peres et Docteurs il se faut abstenir d'apporter les opinions qui doivent estre refutees, car on ne monte pas en chaire pour disputer contre les Peres et Docteurs catholiques ; il ne faut pas reveler les infirmités de nos maistres et ce qui leur est eschappé comme hommes, ut sciant gentes quoniam homines sunt . Mais on peut bien apporter plusieurs interpretations, les louant et faysant valoir toutes l'une apres l'autre, comme je fis, le Caresme passé, de six opinions et interpretations des Peres sur ces paroles : Dicite quia servi inutiles sumus , et dessus ces autres paroles : Non est meum dare vobis ; car, si vous vous en resouvenes, je tiray de chacune de tres bonnes consequences, mais je teus celle de saint Hilaire, ce me semble ; ou si je ne le fis, je fis faute, et le devois faire, parce qu'elle n'estoit pas probable.

            Pour le sens allegorique, il faut que le predicateur observe quatre ou cinq pointz. Le premier est de tirer un sens allegorique qui ne soit point trop forcé, comme font ceux qui allegorisent toutes choses ; mais faut qu'il soit naïfvement tiré, sortant de la lettre, comme saint Paul fait, allegorisant d'Esaü et Jacob au peuple Juif et Gentil, de Sion ou Jerusalem a l'Eglise.

            Secondement, ou il n'y a pas une tres grande apparence que l'une des choses ayt esté la figure de l'autre, il ne faut pas traitter les passages l'un comme figure de [309] l'autre, mais simplement par maniere de comparayson ; comme, par exemple, le genevrier sous lequel Helie s'endormit de detresse est interpreté allegoriquement par plusieurs de la Croix ; mais moy j'aymerois mieux dire ainsy : Comme Helie s'endormit sous le genevrier, ainsy nous devons reposer sous la Croix de Nostre Seigneur par le sommeil de la sainte meditation ; et non pas : Ainsy qu'Helie signifie le Chrestien, le genevrier signifie la Croix. Je ne voudrois pas asseurer que l'un signifie l'autre, mays je voudrois bien comparer l'un a l'autre, car ainsy le discours est plus ferme et moins reprehensible.

            Tiercement, il faut que l'allegorie soit bienseante ; en quoy sont reprehensibles plusieurs qui allegorisent la defense faitte en l'Escriture a la femme de ne point prendre l'homme par ses parties deshonnestes, au Deuteronome, chapitre XXV : Si habuerint inter se jurgium viri duo, et unus contra alterum rixari cæperit, volensque uxor alterius eruere virum suum de manu fortioris, miseritque manum et apprehenderit verenda ejus, abscides manum illius, nec flecteris super eam ulta misericordia ; et disent qu'elle represente le mal que fait la Synagogue de reprocher aux Gentilz leur origine, et qu'ilz n'estoyent pas enfans d'Abraham. Cela peut avoir de l'apparence ; mais il n'a pas de la bienseance a cause que cette defense porte une imagination dangereuse en l'esprit de l'auditeur.

            Quartement, il ne faut point faire d'allegories trop grandes, car elles perdent leur grace par la longueur et semblent [tendre] a l'affectation.

            Cinquiesmement, il faut que l'application se face clairement et avec grand jugement, pour rapporter dextrement les parties aux parties.

            Il faut presque observer les mesmes regles au sens anagogique et tropologique ; dont l'anagogique rapporte les histoires de l'Escriture a ce qui se passera en l'autre vie, et le tropologique les rapporte a ce qui se passe en l'ame et conscience. J'en mettray un exemple qui servira pour tous les quatre sens. [310]

            Ces paroles de Dieu parlant d'Esaù et Jacob : Duæ gentes sunt in utero tuo, et duo populi ex utero tuo dividentur, populusque populum superabit, et major serviet minori, en Genese, XXV, litteralement s'entendent des deux peuples sortis, selon la chair, d'Esaü et de Jacob, c'est a sçavoir les Idumeens et les Israëlites, dont le moindre, qui fut celuy des Israëlites, surmonta le plus grand et l'aisné, qui fut le peuple d'Idumee, au tems de David.

            Allegoriquement, Esaü represente le peuple Juif, qui fut l'aisné en la connoissance de salut ; car les Juifz furent les premiers preschés. Jacob represente les Gentilz, qui furent les puisnés ; et neanmoins les Gentilz ont en fin surmonté les Juifz.

            Analogiquement, Esaü represente le cors, qui est l'aisné ; car avant que l'ame fust creée, le cors fut fait et en Adam et en nous. Jacob signifie l'esprit, qui est puisné. En l'autre vie l'esprit surmontera et dominera sur le cors, lequel servira pleinement a l'ame et sans contradiction.

            Tropologiquement, Esaü c'est l'amour propre de nous mesmes ; Jacob, l'amour de Dieu en nostre ame. L'amour propre est l'aisné, car il est né avec nous ; l'amour de Dieu est puisné, car il s'acquiert par les Sacremens et penitence ; et neanmoins il faut que l'amour de Dieu soit le maistre, et quand il est en une ame, l'amour propre sert et est inferieur.

            Or, ces quattre sens donnent une grande, noble et bonne matiere a la predication, et font merveilleusement bien entendre la doctrine : c'est pourquoy il s'en faut servir, mays avec les mesmes conditions que j'ay dit estre requises a l'usage du sens allegorique.

            Apres les sentences de l'Escriture, les sentences des Peres et Conciles tiennent le second rang ; et pour le [311] regard d'icelles, je dis seulement que, si ce n'est bien rarement, il faut les choisir courtes, aiguës et fortes. Les predicateurs qui en alleguent de longues allanguissent leur ferveur et l'attention de la pluspart des auditeurs, outre le danger auquel ilz s'exposent de manquer de memoire. Les courtes sentences et fortes sont comme celle de saint Augustin : « Qui fecit te sine te, non » salvabit « te sine te ; » et l'autre : Qui pœnitentibus veniam promisit, tempus pœnitendi non promisit ; et semblables. En vostre saint Bernard il y en a une infinité ; mais il faut, les ayant citees en latin, les dire en françois avec efficace, et les faire valoir, les paraphrasant et deduisant vivement.

            S'ensuyvent les raysons qu'une belle nature et un bon esprit peut fort bien employer ; et pour celles ci, elles se treuvent chez les Docteurs, et particulierement chez saint Thomas plus aysement qu'ailleurs. Estans bien deduites, elles font une fort bonne matiere. Si vous voules parler de quelque vertu, allés a la Table de saint Thomas, voyés ou il en parle, regardés ce qu'il dit ; vous treuveres plusieurs raysons qui vous serviront de matiere : mays au bout de la, il ne faut pas employer cette matiere sinon qu'on puisse fort clairement se faire entendre, au moins aux mediocres auditeurs.

            Les exemples ont une force merveilleuse et donnent un grand goust au sermon ; il faut seulement qu'ilz soyent propres, bien proposés et mieux appliqués. Il faut choisir des histoires belles et esclattantes, les proposer clairement et distinctement, et les appliquer vivement, comme font les Peres proposans l'exemple d'Abraham qui immole son filz, pour monstrer que nous ne devons rien espargner pour faire la volonté de Dieu ; car ilz remarquent tout ce qui peut rendre recommandable l'obeissance d'Abraham. Abraham, disent-ilz, viel ; Abraham, [312] qui n'avoit que ce filz si beau, si sage et vertueux et si aymable ; et neanmoins, sans replique, sans murmurer et hesiter, il le mene sur le mont, et veut bien luy mesme de ses propres mains l'immoler. Et certes, ilz font l'application encores plus vive. Et toy, Chrestien, tu es si tenant, si froid, si peu resolu a immoler, je ne dis pas ton filz ni ta fille, ni tous tes biens, ni une grande partie, mais un seul escu pour l'amour de Dieu a secourir les pauvres, une seule heure de tes passetems pour servir Dieu, une seule petite affection, etc.

            Mais il faut prendre garde a ne faire pas des descriptions vaines et flacques, comme font plusieurs escoliers qui, en lieu de proposer l'histoire naïfvement et pour les mœurs, se mettront a descrire les beautés d'Isaac, l'espee tranchante d'Abraham, l'enceinte du lieu du sacrifice et semblables choses' impertinentes. Il ne faut estre aussi ni si court que l'exemple ne penetre pas, ni si long qu'il ennuye.

            Il faut aussi se garder de faire des introductions de colloques entre les personnes de l'histoire, sinon qu'elles soyent tirees des parolles de l'Escriture, ou tres probables. Comme en cette histoire : qui introduit Isaac se lamentant sur l'autel, implorant la compassion paternelle pour s'eschapper de la mort, ou bien Abraham disputant en soy mesme et se plaignant, il fait mal et tort a la valeur et resolution de l'un et de l'autre. Ainsy ceux qui par la meditation ont rencontré des colloques, doivent observer deux regles en la predication : l'une, de voir s'ilz sont solidement fondés sur une apparente probabilité ; l'autre, de ne point les proposer fort longs, car cela refroidit et le predicateur et l'auditeur.

            Les exemples des Saintz sont admirables, et sur tout de ceux de la province ou on presche, comme de saint Bernard a Dijon.

            Il reste un mot a dire des similitudes : elles ont une efficace incroyable a bien esclairer l'entendement et a esmouvoir la volonté. On les tire des actions humaines, passant de l'une a l'autre ; comme de ce que font les bergers a ce que doivent faire les Evesques et pasteurs, [313] comme fit Nostre Seigneur en la parabole de la brebis perdue ; des histoires naturelles, des herbes, plantes, animaux, et de la philosophie, et en fin de tout. Les similitudes des choses triviales, estans subtilement appliquees, sont excellentes ; comme Nostre Seigneur fait en la parabole de la semence. Celles qui sont tirees des histoires naturelles, si l'histoire est belle et l'application belle, c'est un double lustre ; comme celle de l'Escriture de la renovation ou rajeunissement de l'aigle, par nostre penitence.

            Or, il y a un secret en ceci qui est extremement proufitable au predicateur : c'est de faire des similitudes tirees de l'Escriture, de certains lieux ou peu de g'ens les sçavent remarquer ; et ceci se fait par la meditation des paroles.

            Exemple : David parlant du mondain, dit : Periit memoria eorum cum sonitu. Je tire deux similitudes de deux choses qui se perdent avec le son. Quand on casse un verre, en se cassant il perit en sonnant ; ainsy les mauvais perissent avec un peu de bruit ; on parle d'eux a leur mort. Mais comme le verre cassé demeure du tout inutile, ainsy ces miserables, sans espoir de salut, demeurent a jamais perduz. L'autre : quand un grand riche meurt, on sonne toutes les cloches, on luy fait des grandes funerailles ; mais, passé le son des cloches, qui le benit ? qui parle de luy ? Personne. Saint Paul parlant de celuy qui n'a point de charité et fait quelques œuvres, il dit que factus est sicut æs sonans, aut cymbalum tinniens. On tire une similitude de la cloche, qui appelle les autres a l'eglise et n'y entre point ; car ainsy un homme qui fait des œuvres sans charité, il edifie les autres et les incite au Paradis, et il n'y va point luy mesme.

            Or, pour rencontrer ces similitudes, il faut considerer les motz, s'ilz sont point metaphoriques ; car quand ilz [314] le sont, tout aussi tost il y a une similitude a qui les sçait bien descouvrir. Par exemple : Viam mandatorum tuorum cucurri cum dilatasti cor meum ; il faut considerer ce mot dilatasti et celuy de cucurri, car il se prend par metaphore. Or maintenant, il faut voir les choses qui vont plus viste par dilatation, et vous en treuveres quelques unes, comme les navires quand le vent estend leurs voiles. Les navires donques qui chomment au port, si tost que le vent propice les saysit aux voiles et qu'il les emplit et fait enfler, elles singlent. Et certes, ainsy le peuple. Lhors que le vent favorable du Saint Esprit entre dans nostre cœur, nostre ame court et single dans la mer des commandemens. Et certes, qui observera cecy fera fructueusement beaucoup de belles similitudes, esquelles similitudes il faut observer la decence a ne dire rien de vil, abject et sale.

            Apres tout cela, je vous advise qu'on se peut servir de l'Escriture par application avec beaucoup d'heur, encores que bien souvent ce qu'on en tire ne soit pas le vray sens ; comme saint François disoit que les aumosnes estoyent « panis Angelorum, » parce que les Anges les procuroyent par leurs inspirations, et applique le passage : Panem Angelorum manducavit homo. Mays en cecy il faut estre discret et sobre.

 

            Il faut tenir methode sur toutes choses ; il n'y a rien qui ayde plus le predicateur, qui rende sa predication plus utile et qui aggree tant a l'auditeur. J'appreuve que la methode soit claire et manifeste, et nullement cachee, comme font plusieurs qui pensent que ce soit un grand coup de maistre de faire que nul ne connoisse leur methode. Dequoy, je vous prie, sert la methode si on ne la voit et que l'auditeur ne la connoisse ?

            Pour vous ayder en cecy, je vous diray que, ou vous [315] voules prescher quelque histoire, comme de la Nativité, Resurrection, Assomption, ou quelque sentence de l'Escriture, comme : Omnis qui se exaltat humiliabitur , ou tout un Evangile ou il y a plusieurs sentences, ou la vie de quelque Saint avec quelque sentence.

            Quand on presche une histoire, on se peut servir de l'une de ces methodes : 1. Considerer combien de personnages il y a en l'histoire que vous voules prescher ; puys, de chacun tirer quelque consideration. Exemple : En la Resurrection je voy les Maries, les Anges, les gardes du sepulchre et nostre doux Sauveur. Es Maries j'y voy la ferveur et diligence ; es Anges, la joye et jubilation en leurs habitz blancz et en leur lumiere ; es gardes je voy la foiblesse des hommes qui entreprennent contre Dieu ; en Jesus je voy la gloire, le triomphe de la mort, l'esperance de nostre resurrection.

            2. On peut prendre en un mystere le point principal, comme en l'exemple precedent, la resurrection ; puys considerer ce qui a precedé ce point la et ce qui s'en est ensuyvi. La resurrection est precedee de la mort, de la descente aux enfers, de la delivrance des Peres qui estoyent au sein d'Abraham, de la crainte des Juifz qu'on ne desrobbe le cors ; la resurrection, en cors bienheureux et glorieux. Ce qui s'ensuit, c'est le tremble-terre, la venue et apparition des Anges, la recherche des dames, la response des Anges ; et en toutes ces parties il y a merveilles a dire, et par bon ordre.

            3. On peut en tous mysteres considerer ces pointz : qui ? pourquoy ? comment ? Qui resuscite ? Nostre Seigneur. Pourquoy ? pour sa gloire, pour nostre bien. Comment ? glorieux, immortel, etc. Qui est nay ? le Sauveur. Pourquoy ? pour nous sauver. Comment ? pauvrement, nud, froid, en un estable, petit enfant.

            4. Apres avoir proposé par une petite paraphrase l'histoire, on peut quelquefois en tirer trois ou quattre considerations. La premiere, qu'est ce qu'il en faut [316] apprendre pour edifier nostre foy ; la seconde, pour accroistre nostre esperance ; la troisiesme, pour enflammer nostre charité ; la quatriesme, pour imiter et executer. En l'exemple de la Resurrection : Pour la foy, nous voyons la toute puissance de Dieu, un cors passer au travers de la pierre, estre devenu immortel, impassible et tout spiritualisé. Combien est ce que nous devons estre fermes a croire qu'au Saint Sacrement ce mesme cors n'occupe point de place, ne peut estre offencé par la fraction des especes, et qu'il y est en une façon spirituelle, quoy que reelle. Pour l'esperance : Si Jesus Christ est resuscité, nous resusciterons, dit saint Paul ; il nous a frayé le chemin. Pour la charité : Tout resuscité qu'il est, il converse neanmoins encor en terre pour instruire l'Eglise, et retarde de prendre possession du Ciel, lieu propre des cors resuscités, pour nostre bien. O quel amour ! Pour l'imitation : Il est resuscité le troisiesme jour ; o Dieu, que ne resuscitons-nous par la contrition, confession et satisfaction ? Il force la pierre ; vainquons toutes difficultés.

            Quand vous voules prescher une sentence, il faut considerer a quelle vertu elle se rapporte, comme par exemple : Qui se humiliat exaltabitur ; voyla le sujet de l'humilité bien clair. Mais il y a d'autres sentences ou le sujet n'est pas si descouvert, comme : Quomodo huc intrasti non habens vestem nuptialem ? Voyla la charité ; mays vous la voyes couverte d'une robbe, car la robbe nuptiale c'est la charité. Ainsy donques, ayant descouvert en la sentence que vous voules manier la vertu a laquelle elle vise, vous pourres reduire vostre sermon a methode, considerant en quoy gist la vertu, les vrayes marques d'icelle, ses effectz et le moyen de l'acquerir ou exercer ; qui a tous-jours esté ma methode, et j'ay esté consolé d'avoir rencontré le livre du Pere Rossignol, Jesuite, conforme a cette methode. Le livre est [317] intitulé : De Actionibus Virtutum, imprimé a Venise ; il vous sera fort utile.

            Il y a une autre methode, monstrant combien cette vertu dont il s'agit est honnorable, utile et delectable ou playsante, qui sont les trois biens qui se peuvent desirer. Encores peut-on traitter autrement : c'est a sçavoir, des biens que cette vertu donne et des maux que le vice opposé apporte ; mais la premiere est la plus utile.

            Quand on traitte un Evangile ou il y a plusieurs sentences, il faut regarder celles sur lesquelles on se veut arrester, voir de quelles vertuz elles traittent, et en dire succinctement selon ce que j'ay dit d'une seule sentence, et les autres les parcourir et paraphraser. Mais cette façon de passer sur tout un Evangile sentencieux est moins fructueuse, d'autant que le predicateur ne pouvant s'arrester que fort peu sur chacune sentence, ne peut les bien demesler, ni inculquer a l'auditeur ce qu'il desire.

            Quand on traitte de la vie d'un Saint la methode est diverse. Celle que j'ay tenue en l'orayson funebre de Monsieur de Mercure est bonne parce qu'elle est de saint Paul : Ut pie erga Deum, sobrie erga seipsum, juste erga proximum vixerit ; et rapporter les pieces de la vie du Saint chacune a son rang. Ou bien de considerer ce qu'il fit agendo, qui sont ses vertuz ; patiendo, ses souffrances, soit de martyre ou de mortification ; orando, ses miracles. Ou bien de considerer comme il a combattu le diable, le monde, la chair : la superbe, l'avarice, la concupiscence, qui est la division de saint Jan : Omne, dit il, quod est in mundo, aut est concupiscentia carnis, etc. Ou bien, comme je fis a Fonteynes, sur saint Bernard : comme il faut honnorer Dieu en son [318] Saint et le Saint en Dieu ; comme il faut servir Dieu a l'imitation de son Saint ; comme il faut prier Dieu par l'intercession de son Saint ; et ainsy effleurer la vie du Saint dont on parle, et mettre chaque chose en son lieu.

            Voyla bien asses de methodes pour commencer ; car apres un peu d'exercice vous en feres d'autres qui vous seron propres et meilleures. Il me reste a dire pour la methode, que je mettrois volontier les passages de l'Escriture les premiers, les raysons secondement, les similitudes troisiesmement, et quatriesmement les exemples, s'ilz sont sacrés ; car s'ilz sont prophanes, ilz ne sont pas propres a fermer un discours : il faut que le discours sacré soit terminé par une chose sacree. Item, la methode veut que le commencement du sermon jusques au milieu enseigne l'auditeur, et que despuis le milieu jusques a la fin il l'esmeuve. C'est pourquoy les discours affectifz doivent estre logés a la fin.

            Mais apres tout ceci, il faut que je vous die comme il faut remplir les pointz de vostre sermon, et voir comment. Par exemple, vous voules traitter de la vertu d'humilité, et vous aves disposé vos pointz en cette sorte : 1. En quoy gist cette vertu ; 2. ses marques ; 3. ses effectz ; 4. moyen de l'acquerir. Voyla vostre disposition. Pour remplir de conceptions, vous chercheres en la table des autheurs les motz humilitas, humilis, superbia, superbus, et verrés ce qu'ilz en disent ; et treuvant des descriptions ou definitions, vous les mettres sous le tiltre : « En quoy gist cette vertu, » et tascheres de bien esclaircir ce point, monstrant en quoy gist le vice contraire.

            Pour remplir le second point, vous verrés humilitas ficta en la table, humilitas indiscreta, et semblables ; et par la vous monstreres la difference entre la fause et vraye humilité. S'il y a des exemples de l'une et de l'autre, vous les apporteres ; et ainsy des autres deux pointz. Intelligenti pauca. [319]

            Les autheurs ou ces matieres se treuvent sont saint Thomas saint Antonin, Guillelmus Episcopus Lugdunensis, in Summa de virtutibus et vitiis, Summa prædicantium Philippi Diez et tous ses Sermons, Osorius, Grenade en ses Œuvres spirituelles, Hylaret en ses Sermons, Stella in Lucam, Salmeron et Barradas, Jesuites, sur les Evangiles. Saint Gregoire entre les Anciens excelle, et saint Chrysostome avec saint Bernard.

            Mais il faut que je die mon opinion. Entre tous ceux qui ont escrit des sermons, Diez m'aggree infiniment : il va a la bonne foy, il a l'esprit de predication, il inculque bien, explique bien les passages, fait de belles allegories et similitudes, des hypotyposes nerveuses, prend l'occasion de dire admirablement, et est fort devot et clair. Il luy manque ce qui est en Osorius, qui est l'ordre et la methode, car il n'en tient point ; mays il me semble qu'il se le faut rendre familier au commencement. Ce que je dis, non pour m'en estre fort servi, car je ne l'ay veu qu'apres beaucoup de tems, mays parce que je le connois tel, et me semble que je ne me trompe pas. Il y a un Espagnol qui a fait un gros livre qui s'appelle Sylva Allegoriarum, lequel est tres utile a qui le sçait bien [320] manier, comme aussi les Concordances de Benedicti. Voyla, ce me semble, le principal de ce qui me vient maintenant en memoire pour la matiere.

 

            Monsieur, c'est icy ou je desire plus de creance qu'ailleurs, parce que je ne suis pas de l'opinion commune, et que neanmoins ce que je dis c'est la verité mesme.

            La forme, dit le Philosophe, donne l'estre et l'ame a la chose. Dites merveilles, mais ne les dites pas bien, ce n'est rien ; dites peu et dites bien, c'est beaucoup. Comme donq faut il dire en la predication ? Il se faut garder des quanquam et longues periodes des pedans, de leurs gestes, de leurs mines, de leurs mouvemens : tout cela est la peste de la predication. Il faut une action libre, noble, genereuse, naïfve, forte, sainte, grave et un peu lente. Mais pour l'avoir que faut-il faire ? En un mot, parler affectionnement et devotement, simplement et candidement et avec confiance ; estre bien espris de la doctrine qu'on enseigne et de ce qu'on persuade. Le souverain artifice c'est de n'avoir point d'artifice. Il faut que nos paroles soyent enflammees, non pas par des cris et actions desmesurees, mais par l'affection interieure ; il faut qu'elles sortent du cœur plus que de la bouche. On a beau dire, mais le cœur parle au cœur, et la langue ne parle qu'aux oreilles.

            J'ay dit qu'il faut une action libre, contre une certaine action contrainte et estudiee des pedans. J'ay dit noble, contre l'action rustique de quelques uns qui font profession de battre des poings, des piedz, de l'estomach contre la chaire, crient et font des hurlemens estranges, et souvent hors de propos. J'ay dit genereuse, contre ceux qui ont une action craintifve, comme s'ilz parloyent a leurs peres, et non pas a leurs disciples et enfans. J'ay dit naïfve, contre tout artifice et affectation. J'ay dit forte, [321] contre certaine action morte, molle et sans efficace. J'ay dit sainte, pour forclorre les muguettes courtisanes et mondaines. J'ay dit grave, contre certains qui font tant de bonnetades a l'auditoire, tant de reverences et puys tant de petites charlateries, monstrans leurs mains, leur surplis, et faysans telz autres mouvemens indecens. J'ay dit un peu lente, pour forclorre une certaine action courte et retroussee, qui amuse plus les yeux qu'elle ne bat au cœur.

            Je dis de mesme du langage, qui doit estre clair, net et naïf, sans ostentation de motz grecz, hebreux, nouveaux, courtisans. La tisseure doit estre naturelle, sans preface, sans ageancemens. J'appreuve que l'on die premierement, au premier point, et secondement, au second, affin que le peuple voye l'ordre.

            Il me semble que nul, mais sur tout les Evesques, ne doivent user de flatterie envers les assistans, fussent ilz rois, princes et Papes. Il y a bien certains traitz propres a s'acquerir la bienveüillance, dont on peut user parlant la premiere fois a son peuple. Je suis bien d'advis qu'on tesmoigne le desir qu'on a de son bien, qu'on commence par des salutations et benedictions, par des souhaitz de le pouvoir bien ayder au salut ; de mesme a sa patrie : mais cela briefvement, cordialement et sans paroles attiffees. Nos anciens Peres et tous ceux qui ont fait du fruit se sont abstenuz de tous fatras et jolivetés mondaines. Ilz parlent cœur a cœur, esprit a esprit, comme bons peres aux enfans. Les ordinaires appellations doivent estre, mes freres, mon peuple (si c'est le vostre), mon cher peuple, Chrestiens auditeurs.

            L'Evesque doit donner a la fin la benediction, le bonnet en teste, et icelle achevee, saluer le peuple. On doit finir par des parolles courtes, plus animees et vigoureuses. J'appreuve le plus souvent la recollection ou recapitulation, apres laquelle on dit quatre ou cinq motz de ferveur, ou par maniere d'orayson, ou par maniere d'imprecation. Il est bon d'avoir certaines exclamations familieres et judicieusement prononcees et employees, comme : O Dieu, bonté de Dieu, o bon Dieu, Seigneur Dieu, vray Dieu, eh, helas, ah, mon Dieu ! [322]

            Pour la preparation au sermon, j'appreuve qu'elle se fasse des le soir, et que le matin on medite pour soy ce que l'on veut dire aux autres. La preparation faitte aupres du Saint Sacrement a grande force, dit Grenade, et je le croy.

            J'ayme la predication qui ressent plus a l'amour du prochain qu'a l'indignation, voire mesme des huguenotz, qu'il faut traitter avec grande compassion, non pas les flattant, mais les deplorant.

            Il est tous-jours mieux que la predication soit courte que longue, en quoy j'ay failli jusques a present : que je m'amende. Pourveu qu'elle dure demi heure, elle ne peut estre trop courte.

            Il ne faut point tesmoigner de mescontentement, s'il est possible ; mais au moins point de cholere, comme je fis le jour de Nostre Dame quand on sonna avant que j'eusse achevé. Ce fut une faute, sans doute avec plusieurs autres. Je n'ayme point les plaisanteries et sobriquetz ; ce n'en est pas le lieu.

            Je finis disant que la preédication c'est la publication et declaration de la volonté de Dieu faitte aux hommes par celuy qui est la, legitimement envoyé, affin de les instruire et esmouvoir a servir sa divine Majesté en ce monde, pour estre sauvés en l'autre.

 

            Monsieur, que dires vous de cela ? Pardonnés moy, je vous supplie ; j'ay escrit a course de plume, sans aucun soin ni de paroles ni d'artifice, porté du seul desir de vous tesmoigner combien je vous suis obeissant. Je n'ay point cité les autheurs que j'ay allegués en certains endroitz ; c'est que je suis aux chams, ou je ne les ay pas. Je me suis allegué moy mesme ; mais c'est, Monsieur, parce que vous voules mon opinion et non celle des autres. Et quand je la prattique moy mesme, pourquoy ne le diray-je pas ?

            Il faut, avant que je ferme cette lettre, que je vous conjure, Monsieur, de ne la point faire voir a personne duquel les yeux me soyent moins favorables que les vostres, et que j'adjouste ma tres humble supplication que [323] vous ne vous laissies emporter a nulle sorte de consideration qui vous puisse empescher ou retarder de prescher : plus tost vous commenceres, plus tost vous reuscires. Et prescher souvent ; il n'y a que cela pour devenir maistre. Vous le pouves, Monsieur, et vous le deves. Vostre voix est propre, vostre doctrine suffisante, vostre maintien sortable, vostre rang tres illustre en l'Eglise. Dieu le veut, les hommes s'y attendent ; c'est la gloire de Dieu, c'est vostre salut : hardiment, Monsieur, et courage, pour l'amour de Dieu.

            Le Cardinal Borromee, sans avoir la dixiesme partie des talens que vous aves, presche, edifie, se fait saint. Nous ne devons pas chercher nostre honneur, mais celuy de Dieu ; et laissés faire, Dieu cherchera le nostre. Commencés, Monsieur, une fois aux Ordres, une autre fois a quelque Communion : dites quattre motz, et puys huit, et puys douze, jusques a demi heure ; puys montés en chaire. Il n'est rien d'impossible a l'amour. Nostre Seigneur ne demanda pas a saint Pierre : Es-tu sçavant ou eloquent ? pour luy dire : Pasce oves meas ; mais : Amas me ? Il suffit de bien aymer pour bien dire. Saint Jan mourant ne sçavoit que repeter cent fois en un quart d'heure : « Mes enfans, aymés vous les uns les autres, » et avec cette provision il montoit en chaire : et nous faysons scrupule d'y monter si nous n'avons des myrobolans d'eloquence ! Laissés dire a qui alleguera la suffisance de Monsieur vostre predecesseur : il commença une fois comme vous.

            Mais mon Dieu, Monsieur, que dires vous de moy qui vay si simplement avec vous ? L'amour ne se peut taire [324] ou il y va de l'interest de celuy qu'on ayme. Monsieur, vous ay juré fidelité, et l'on souffre beaucoup d'un serviteur fidelle et passionné. Vous alles, Monsieur, a vostre troupeau : hé, que ne m'est il loysible de courir jusques la pour vous assister, comme j'eus l'honneur de faire a vostre premiere Messe ! Je vous y accompagneray par mes vœux et desirs. Vostre peuple vous attend pour vous voir et estre veu et reveu de vous ; de vostre commencement ilz jugeront du reste : commencés de bonne heure a faire ce qu'il faut faire tous-jours. O qu'ilz seront edifiés quand ilz vous verront souvent a l'autel sacrifier pour leur salut ; avec vos curés traitter de leur edification, et en chaire parler de la parolle de reconciliation et prescher !

            Monsieur, je ne fus jamais a l'autel sans vous recommander a Nostre Seigneur ; trop heureux si je suis digne que quelquefois vous m'y porties en vostre memoire. Je suia et seray toute ma vie, de cœur, d'ame, d'esprit,

            Monsieur,

            Vostre tres humble serviteur et tres petit et obeyssant frere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Du 5 octobre 1604.

            J'ai eu honte relisant cette lettre, et si elle estoit plus courte je la referois ; mais j'ay tant de confiance en la solidité de vostre bienveüillance, que la voyla, Monsieur, telle qu'elle est. Pour l'amour de Dieu, aymés moy tous-jours, et me tenes pour autant vostre serviteur qu'homme qui vive, car je le suis. [325]

 

CCXXX. Au President Bénigne Frémyot. Intimité avec l'Archevêque de Bourges. — Affection pour toute la famille du Président. — Comment il faut se préparer à la mort : se détacher peu à peu des choses de la terre. — Considérations à faire chaque jour. — Ce qu'est la sagesse pour les jeunes gens et ce qu'elle doit être pour les vieillards. — Choix de lectures. — Triple baiser à donner au Crucifix.

 

Sales, 7 octobre 1604.

 

            Monsieur,

 

            La charité est esgalement facile a donner et a recevoir les bonnes impressions du prochain ; mais si a sa generale inclination on adjouste celle de quelque particuliere amitié, elle se rend excessive en cette facilité. Monsieur de Bourges et madame de Chantal, vos chers et dignes [326] enfans, m'ont sans doute esté trop favorables en la persiasion qu'ilz vous ont faitte de me vouloir du bien ; car je voy bien, Monsieur, par la lettre qu'il vous a pleu de m'escrire, qu'ilz y ont employé des couleurs desquelles ma chetifve ame ne fut onques teinte. Et vous, Monsieur, n'aves pas esté moins aysé ni, comme je connois, moins ayse de leur donner une ample et liberale creance. La charité, dit l'Apostre, croit tout et se res-jouit du bien. En cela seul ilz n'auront pas sceu passer la mesure a dire, ni vous, Monsieur, a croire que je leur ay voüé toutes mes affections, qui vous sont par ce moyen acquises, puisqu'il sont vostres avec tout ce qu'ilz ont.

            Permettes moy, Monsieur, que je laisse courir ma plume a la suitte de mes pensees pour respondre a vostre lettre. C'est bien la verité que j'ay reconneu en Monsieur de Bourges une si naïfve bonté et d'esprit et de cœur que je me suis relasché a conferer avec luy des offices de nostre commune vocation, avec tant de liberté que, revenant a moy, je n'ay sceu qui avoit usé de plus de simplicité, on luy a m'escouter, ou moy a luy parler. Or, Monsieur, les .amitiés fondees sur Jesus Christ ne laissent pas d'estre respectueuses pour estre un peu fort simples et a la bonne foy. Nous nous sommes bien couppé de la besoigne l'un a l'autre ; nos desirs de servir Dieu et son Eglise (car je confesse que j'en ay, et luy ne sçauroit dissimuler qu'il n'en soit plein) se sont, ce me semble, aiguisés et animés par le rencontre.

            Mais, Monsieur, vous voules que je continue de mon costé cette conversation, et sur ce sujet, par lettres. Je vous asseure que si je voulois je ne m'en sçaurois empescher ; et de fait, je luy envoye une lettre de quattre feuilles, et toute de cette estoffe. Non, Monsieur, je n'apporte plus nulle consideration a ce que je suis moins que luy, ni a ce qu'il est plus que moy et en tant de façons : « Amor æquat amantes. » Je luy parle fidellement et uveo toute la confiance que mon ame peut avoir en celle [327] que j'estime des plus franches, rondes et vigoureuses en amitié. Et quant a madame de Chantal, j'ayme mieux ne rien dire du desir que j'ay de son bien eternel que d'en dire trop peu. Mais M. le President des Comptes, vostre bon frere, ne vous a-il point dit qu'il m'aymoit aussi bien fort ? Je vous diray bien au moins que je m'en tiens pour tout asseuré. Il n'est pas jusques au petit Celse Benigne et a vostre Aymee qui ne me connoissent et qui ne m'ayent caressé en vostre mayson. Voyés, Monsieur, si je suis vostre, et par combien de liens. J'abuse de vostre bonté a vous desployer si grossierement mes affections ; mais, Monsieur, quicomque me provoque en la contention d'amitié, il faut qu'il soit bien ferme, car je ne l'espargne point.

            Si faut-il que je vous obeisse encores en ce que vous me commandes de vous escrire les principaux pointz de vostre devoir. J'ayme mieux obeir au peril de la discretion, que d'estre discret au peril de l'obeissance. Ce [328] m'est, a la verité, une obeissance un petit aspre ; mays vous jugeres bien qu'elle en vaut mieux. Vous excedes bien en humilité a me faire cette demande : pourquoy ne me sera-il loysible d'exceder en simplicité a vous obeir ?

            Monsieur, je sçai que vous aves fait une longue et tres honnorable vie, et tous-jours tres constante en la sainte Eglise Catholique ; mais au bout de la, ç'a esté au monde et au maniement de ses affaires. Chose estrange, mais que l'experience et les autheurs tesmoignent : un cheval, pour brave et fort qu'il soit, cheminant sur les passees et alleurs du loup s'engourdit et perd le pas. Il n'est pas possible que vivans au monde, quoy que nous ne le touchions que des piedz, nous ne soyons embroüillés de sa puossiere. Nos anciens peres, Abraham et les autres, presentoyent ordinairement a leurs hostes le lavement des piedz ; je pense, Monsieur, que la premiere chose qu'il faut faire c'est de laver les affections de nostre ame pour recevoir l'hospitalité de nostre bon Dieu en son Paradis.

            Il me semble que c'est tous-jours beaucoup de reproche aux mortelz de mourir sans y avoir pensé ; mais il est double a ceux que Nostre Seigneur a favorisés du « Bien de la viellesse. » Ceux qui s'arment avant que l'alarme se donne le sont tous-jours mieux que les autres qui, sur l'effroy, courent ça et la au plastron, aux cuissars et au casquet. Il faut tout a l'ayse dire ses adieux au monde, et retirer petit a petit ses affections des creatures.

            Les arbres que le vent arrache ne sont pas propres pour estre transplantés parce qu'ilz laissent leurs racines en terre ; mays qui les veut porter en une autre terre, il [329] faut que dextrement il desengage petit a petit toutes les racines l'une apres l'autre. Et puisque de cette terre miserable nous devons estre transplantés en celle des vivans, il faut retirer et desengager nos affections l'une apres l'autre de ce monde. Je ne dis pas qu'il faille rudement rompre toutes les alliances que nous y avons contractees (il faudroit a l'adventure des effortz pour cela) ; mais il les faut descoudre et desnouer. Ceux qui partent a l'improuveuë sont excusables de n'avoir pas pris congé des amis et de partir en mauvais equipage, mais non pas ceux qui ont sceu l'environ du tems de leur voyage. Il se faut tenir prestz ; ce n'est pas pour partir devant l'heure, mays pour l'attendre avec plus de tranquillité.

            A cet effect, je croy, Monsieur, que vous aures une incroyable consolation de choisir de chasque jour une heure pour penser, devant Dieu et vostre bon Ange, a ce qui vous est necessaire pour faire une bienheureuse retraitte. Quel ordre a vos affaires s'il failloit que ce fust bien tost ? Je sçai que ces pensees ne vous seront pas nouvelles ; mais il faut que la façon de les faire soit nouvelle en la presence de Dieu, avec une tranquille attention, et plus pour esmouvoir l'affective que pour esclairer l'intellective.

            Saint Hierosme a plus d'une fois rapporté a la sapience des vielles gens l'histoire d'Abisag, Sunamite, dormant sur l'estomach de David, non pour aucune volupté mais seulement pour l'eschauffer. La sagesse et consideration de la philosophie accompagne souvent les jeunes gens : c'est plus pour recreer leur esprit que pour creer en leurs affections aucun bon mouvement ; mais entre les bras des anciens, elle n'y doit estre que pour leur donner de la vraye chaleur de devotion. J'ay veu et joui de vostre belle bibliotheque : je vous presente, pour vostre leçon spirituelle sur ce propos, saint Ambroyse, De bono mortis, saint Bernard, De interiori domo, et plusieurs homelies esparses de saint Chrysostome.

            Vostre saint Bernard dit que l'ame qui veut aller a Dieu doit premierement bayser les piedz du Crucifix, purger ses affections et se resoudre a bon escient de se [330] retirer petit a petit du monde et de ses vanités ; puys bayser les mains, par la nouveauté des actions qui suit le changement des affections ; et en fin le bayser en la bouche, s'unissant par un amour ardent a cette supreme Bonté. C'est le vray progres d'une honneste retraitte.

            On dit qu'Alexandre le Grand, singlant en haute mer, descouvrit luy seul et premierement l'Arabie Heureuse a l'odeur des bois aromatiques qui y sont ; aussi, luy seul y avoit sa pretention. Ceux qui pretendent au païs eternel, quoy que singlans en la haute mer des affaires de ce monde, ont un certain pressentiment du Ciel qui les anime et encourage merveilleusement ; mays il faut se lenir en prouë et le nés tourné de ce costé la.

            Nous nous devons a Dieu, a la patrie, aux parens, aux amis. A Dieu premierement, puis a la patrie ; mais premierement a la celeste, secondement a la terrestre. Apres cela a nos proches ; mays « nul ne vous est si proche que vous mesme, » dit nostre Seneque chrestien. En fin aux amis : mais n'estes vous pas le premier des vostres ? Je remarque que saint Paul dit a son Timothee : Attende tibi et gregi ; primo tibi, deinde gregi, dit il.

            C'est bien assés, Monsieur, si ce n'est trop pour cette annee, laquelle s'enfuit et s'escoule de devant nous, et dans ces deux moys prochains nous fera voir la vanité de sa duree, comme ont fait toutes les precedentes qui ne durent plus. Vous m'aves commandé que toutes les annees je vous escrive quelque chose de cette sorte : me voyla quitte pour celle ci, en laquelle je vous supplie d'oster le plus de vos affections de ce monde que vous pourres, et, a mesure que vous les arracheres, de les transplanter au Ciel. Et pardonnés moy, je vous en conjure par vostre propre humilité, si ma simplicité a esté [331] si extravagante en son obeissance que de vous escrire avec tant de longueur et de liberté sur un simple commandement, et avec une entiere connoissance que j'ay de vostre extreme suffisance, qui me devoit ou retenir au silence ou en une exacte moderation. Voyla des eaux, Monsieur ; si elles sortent d'une maschoire d'asne, Samson ne laissera pas d'en boire.

            Je prie Dieu qu'il comble vos annees de ses benedictions, et suis d'une affection totalement filiale,

            Monsieur,

Vostre serviteur plus humble et obeissant,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 7 octobre 1604, a Sales.

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CCXXXI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Envoi d'un écrit sur l'oraison. — Méditer de préférence la Vie et la Passion du Sauveur ; auteurs à consulter. — Combien est utile la méditation des fins dernières ; elle doit se terminer par des actes de confiance. — Exercices spirituels à faire chaque jour. — Formulaire pour la Confession dressé par le Saint en faveur de l'Abbesse. — Moyens à employer pour la réforme de son monastère : « quatre artifices » pour inspirer l'esprit d'obéissance. — Vie commune. — Clôture, gardienne de la chasteté. — En cette œuvre procéder avec douceur. — A quel âge admettre les jeunes filles à la première Communion

 

Sales, 9 octobre 1604.

 

            Madame,

 

            J'ay longuement retenu vostre laquay Philibert, mais ç'a esté parce que je n'ay jamais eu un seul jour a moy, encor que je fusse aux chams ; car la charge que j'ay porte tout par tout son martyre avec soy, et ne puis pas dire qu'une seule heure de mon tems soit a moy, sinon celles ausquelles je suis a l'Office : tant plus desiré-je d'estre tres estroittement recommandé a vos prieres. [332]

            Je vous envoye, ma chere Fille (et voyla le mot que vous voules et que mon cœur me dicte), un escrit touchant lu façon de faire l'orayson mentale qui me semble la plus aysee et utile. Je vous ay mis quelques autres exercices et des oraysons jaculatoires. Cela suffira bien pour vous enseigner la forme qu'il faut tenir a passer la journee. Je desire que vous la communiquies a madame la Presidente vostre seur, et a madame de Chantal, car je pense qu'elle leur sera utile.

            Quant a la matiere de vos meditations, je desire que pour l'ordinaire ce soit sur la Vie et Mort de Nostre Seigneur, car ce sont les plus aysees et les plus proufitables. Les livres que je vous conseille, ce sont Bruno, Jesuite ; Capiglia, Chartreux ; Bellintani, Capucin ; mais sur tout Grenade, au Vray Chemin, pour ce commencement. Bruno et Capiglia vous pourront servir pour les festes et Dimanches, et les autres deux le long de la semaine. Mais quoy que vous voyies [en] ces autheurs qui sont excellens, ne vous departes point de la forme que je vous ay envoyee.

            Faites tous-jours l'entree de l'orayson en vous mettant en la presence de Dieu, l'invoquant et proposant le mystere ; et apres les considerations, faites tous-jours les actes des affections, non pas de toutes, mays de quelques unes, et les resolutions ; apres cela l'action de graces, l'offre, la priere ; en fin lisés bien le petit memorial que je vous envoye et le prattiqués.

            Quant a la meditation de la mort, du jugement et de l'enfer, elle vous sera fort utile, et vous en treuveres les matieres en Grenade bien au long. Mais, ma Fille, je vous prie, que toutes ces meditations la des quatre fins se finissent toutes par l'esperance et confiance en Dieu, et non pas par la crainte et l'effroy ; car quand elles finissent par la crainte elles sont dangereuses, sur tout celles de la mort et de l'enfer. Il faut donq, qu'ayant consideré [333] la grandeur des peynes, et l'eternité, et vous estant excitee a la crainte d'icelles et fait resolution de mieux servir Dieu, vous vous representies le Sauveur en croix, et, recourant a luy les bras estenduz, vous l'allies embrasser par les piedz, avec des acclamations interieures pleines d'esperance : O port de mes esperances, ah, vostre sang me garentira ; Je suis vostre, Seigneur, et vous me sauveres. Retires vous en cette affection, remerciant nostre Sauveur de son sang, l'offrant a son Pere pour vous delivrer et le priant qu'il vous l'applique. Mais ne faillés pas a tous-jours finir par l'esperance, autrement vous ne retireries nul prouffit de telles meditations. Et tenés cette regie perpetuellement, que jamais vous ne deves finir vostre orayson qu'avec confiance ; car c'est la vertu la plus requise pour impetrer de Dieu, et celle qui l'honnore le plus. Vous pourres donq faire ces meditations des quatre fins de l'homme tous les trois mois une fois, et ce en quatre jours.

            Pour l'ordre de prier la journee, il me semble de vous avoir asses esclaircie en ce petit memorial que je vous envoye. Je vous le diray neanmoins icy un petit plus particulierement. Sçachant que vous estes fort matineuse, je dis que le matin, estant levee, vous deves faire vostre meditation, et l'exercice du matin que j'ay appellé preparation, a la charge que le tout ne durera au plus que trois quartz d'heure, ne desirant pas que la meditation et l'exercice arrivent a une heure. Apres cela vous pouves disposer de vos affaires de ce jour-la jusques a l'Office, s'il y a du tems.

            A la Messe, je vous conseille plustost de dire vostre Chapelet qu'aucune autre priere vocale ; et, le disant, vous le pourres rompre quand il faudra observer les pointz que je vous ay marqué, a l'Evangile, au Credo, a l'Eslevation, et puis reprendre ou vous aves laissé. Et ne doutés nullement qu'il n'en sera que mieux dit par toutes ces interruptions ; et si vous ne le pouves achever a la Messe, ce sera a quelque heure du jour, et ne sera besoin que de poursuivre ou vous aures laissé.

            Au repas, j'appreuverois que vous observassies de faire [334] dire le Benedicite et les Graces ecclesiastiques qui sont a la fin du Breviaire ; et cela vous le pourres introduire au meste tems que vous introduires le Breviaire de Trente, ou devant, s'il vous semble, et, petit a petit, faire que chaque Dame le die a son tour ; car l'Eglise ne l'a pas fait mettre sinon a fin que nous l'observions. Estant a Annessy, je l'observe tous-jours. Un petit devant le souper il vous seroit fort utile de prendre demi quart d'heure de recueillement a remascher la meditation du matin, sinon qu'a cette heure-la on dist Complies au Monastere.

            Le soir avant que d'aller coucher, j'appreuve que si l'eglise n'est point esloignee de vos chambres, ni trop incommode, vous y allies toutes ensemble, et qu'estans arrivees et mises a genoux et en la presence de Dieu, la semainiere fasse l'office de l'examen de conscience en cette sorte : Pater noster, et dire secrettement le reste ; Ave Maria et Credo, et a la fin : carnis resurrectionem, vitam æternam. Amen. Puis toutes ensemble le Confiteor jusques a mea culpa, et s'arrester un petit demii quart d'heure a faire l'examen, puis achever mea culpa, et le reste, Misereatur et Indulgentiam. Apres cela les Litanies de Nostre Dame, et apres, l'orayson de Nostre Dame, ou celle qui est apres : Visita, quæsumus, Domine, habitationem, et ce qui s'ensuit. Apres cela : In pace in idipsum ; les autres respondent : Dormiam et requiescam. Benedicamus Domino ; Deo gratias. Requiescant in pace. Et des cette heure-la, que chacune se retire a sa celle, apres s'estre saluees toutes ensemble.

            Au demeurant, ma chere Dame, sur tout il faut que vous la premiere, et puis les autres, tenies un ordre non seulement pour les Offices, mais aussi pour s'aller coucher et lever ; autrement vous ne pourres pas continuer en santé : et cela s'observe en toutes assemblees. Les veillees du soir sont dangereuses pour la teste et l'estomach. Je conseillerois que le disner ne fust point plus tard que dix heures, ni le souper que six, ni le coucher que de neuf a dix, et le lever entre quatre et cinq, si quelque complexion particuliere ne requiert davantage de tems pour dormir ou n'en puisse pas tant dormir. Mais [334] il faut que, pour n'en pas tant dormir, la cause soit bien reconneuë ; car entre les filles, il semble que six heures soyent presque requises, et voulant faire autrement on demeure sans vigueur le long de la journee.

            Ne faites point l'orayson mentale apres disner, si ce n'est quatre heures apres, ni jamais apres souper. Aux jours de jeusne on peut faire collation a sept heures ; et pour le regard du jeusne, pour vous, il suffira de commencer par le vendredy et vous en contenter pour quelque tems, et mesmement parce qu'il faut que vous soyes avec les autres et qu'il faut les conduire petit a petit.

            Estant malade, ne faites point d'autre orayson que jaculatoire, et ayés soin de vous, obeissant soigneusement au medecin, et croyes que c'est une mortification aggreable a Dieu ; et quand vos Seurs le seront, soyes fort affectionnee a les visiter, secourir et faire servir et consoler. Mesme s'il y en a de maladives, monstrés leur une tendre compassion, les dispensant aysement des charges de l'Office, selon que vous jugeres convenable, car cela les gaignera infiniment.

            Pour le regard des Communions et Confessions, je treuve bon que ce soit tous les huit jours, et que le soir du samedi vous adjousties au Visita l'orayson du Saint Sacrement. Je vous envoye un petit formulaire de Confession que j'ay dressé expres pour vous. Je n'y metz pas tout, mays seulement ce que j'ay creu a propos pour vostre instruction. Vous le pourres communiquer a madame Bruslart et de Chantal, et aux Religieuses que vous verres disposees a en faire prouffit. Je n'ay pas icy les livres qui en traittent, et peut estre le disent-ilz mieux que moy ; mais il n'importe : si vous le treuves ailleurs, tant mieux.

            Quant a la reformation de vostre Mayson, ma chere Fille, il faut que vous ayes un cœur grand et qui dure. Je vous voy dedans, sans doute ; si Dieu vous donne sa grace et quelques annees de vie, ce sera vous qui seres employee de la divine Providence a cette sacree besoigne, et sans beaucoup de peyne. Cela me plaist que vous estes peu de filles, la multitude engendre confusion. Mais comment commenceres vous ? [336]

            Voyci mes pensees. L'exacte reformation d'un monastere de filles consiste en l'obedience bien observee, la pauvreté et la chasteté. Il vous faut bien garder de donner ni peu ni prou aucune alarme de vouloir reformer ; car cela ferroit que tous les espritz chatouilleux dresseroyent leur larmes contre vous et se roidiroyent. Sçaves vous ce qu'il faut faire ? Il faut que d'elles mesmes elles se reformement sous vostre conduitte et qu'elles se lient a l'obeissance et pauvreté. Mais comme quoy ? Allés de loin a loin, gaignés ces jeunes plantes qui sont la et leur inspirés l'esprit d'obeissance ; et pour ce faire usés de trois ou quatre artifices.

            Le premier c'est de leur commander souvent, mais des choses fort petites, douces et legeres, et ce devant les autres ; et puis, la dessus, les en louer modestement, et les appeller a l'obeissance avec des termes d'amour : Ma chere Seur, ou Fille, et semblables ; et plustost leur dire avant que de le faire : Si je vous prie de ceci ou de cela, le feres-vous pas bien pour l'amour de Dieu ?

            Le second c'est de leur jetter devant des livres propres a cela, et entr'autres il y en a trois admirables que je vous conseille d'avoir, et quelquefois leur en lire a part les pointz plus sortables. Ce sont : Platus, Du Bien de l'Estat religieux, lequel est traduit en françois et impunie a Paris ; Le Gerson des Religieux, composé par le Pere Pinel, imprimé a Lion et a Paris ; Le Desirant ou Thresor de Devotion, imprimé a Paris et a Lion. Item, parler souvent de l'obedience, non pas comme la desirant d'elles, mays comme desirant de la rendre a quelqu'un. Par exemple : Mon Dieu, que les [337] Abbesses qui ont des Superieures qui leur commandent, ou bien des Superieurs, sont bien plus ayses ! elles ne craignent point de faillir, elles ne font rien qu'a propos, toutes leurs actions sont bien plus aggreables a Dieu ; et semblables petites amorces.

            Le troysiesme c'est de commander si doucement et amiablement qu'on rende l'obeissance aymable ; et, apres qu'elles vous auront obei, adjouster : Dieu vous veuille recompenser de cette obeissance. Et ainsy vous tenir fort humble.

            Le quatriesme c'est de faire profession vous mesme de ne vouloir rien faire que par l'advis et conseil de vostre pere spirituel, auquel neanmoins vous n'attribueres nullement aucun tiltre de commandement, ni a ce que vous feres par sa direction aucun tiltre d'obeissance, de peur d'exciter des contradictions, et que les malins ne suscitent des jalousies en l'esprit de ceux qui sont Superieurs de vostre Monastere, car cela gasteroit tout. Et je suis experimenté de semblables accidens pour les avoir veuz advenir en France, en des Monasteres ou il n'y a pas eu peu de peyne d'apayser ces orages.

            J'en dis de mesme de la pauvreté. Il faut les y conduire petit a petit, en sorte qu'inspirees en cette douce façon, dans quelque tems toutes leurs pensions soyent mises ensemble en une bourse, de laquelle on tirera tout ce qui sera necessaire, esgalement et a propos, selon la necessité d'une chacune, comme il se fait en plusieurs monasteres de France que je sçay. Mais pourtant il ne faut donner nulle alarme de tout cela, ains les y conduire par des douces et souëfves inspirations, a quoy aussi serviront les livres susditz.

            Quant a la chasteté il faut commencer ainsy : tesmoigner vous mesme que vous n'estes jamais si contente que quand vous estes seule avec elles ; qu'il vous semble que c'est la plus grande consolation d'estre ainsy en vostre conversation particuliere entre vous autres Seurs ; que vous voudries que chacun demeurast en son lieu, les mondains chez eux et vous avec elles ; qu'aussi bien les mondains ne viennent aux monasteres que pour en tirer, [338] ou pour en faire des contes ça et la et se mocquer des Religieuses ; et semblables petites inspirations. Mays que ce soit en sorte qu'il semble que vous ne le dites que pour vostre particulier, et vous verres que, petit a petit, elles seront bien ayses de retrancher les sorties au monde et les entrees des mondains ; et en fin, un jour (il suffira bien si c'est apres une annee, voire deux) vous feres passer cela en constitution et en ordre, car c'est en fin la gardienne de la chasteté que la clausure.

            Je suis consolé de sçavoir que presque tout est de jeunesse, car cet aage est propre a recevoir les impressions. Au monastere de Montmartre, pres Paris, les jeunes, avec leur Abbesse encores plus jeune, ont fait la reformation.

            Quand vous rencontreres des difficultés et contradictions, ne vous essayes pas de les rompre, mais gauchisses dextrement et pliés ; avec la douceur et le tems, si toutes ne se disposent pas, ayés patience, et avancés le plus que vous pourres avec les autres. Ne tesmoignes pas de vouloir vaincre ; excusés en l'une son incommodité, en l'autre son aage, et dites le moins qu'il vous sera possible que c'est faute d'obeissance. Mais dites moy, estimés vous peu ce que vous aves des-ja fait pour l'Office, pour la table, pour le voile et semblables choses ? Seigneur Jesus ! Nostre Seigneur demeura trois ans et demi a former le college de ses douze Apostres, encores y avoit il et un traistre et beaucoup d'imperfections quand il mourut. Il faut avoir un cœur de longue haleyne ; les grans desseins ne se font qu'a force de patience et de longueur de tems ; les choses qui croissent en un jour se perdent en un autre. Courage donq, ma bonne Fille, Dieu sera avec nous.

            Ma Fille, j'appreuve la charité que vous voules faire a cette pauvre creature esgaree, pourveu qu'elle revienne avec esprit de reconnoissance et penitence ; et si elle vient en cette sorte, elle treuvera plus doux que sucre et miel d'estre reculee au dernier rang et de ne point avoir part aux honneurs de la Mayson, jusqu'a ce que les vertuz qu'elle pourra faire paroistre en contreschange [339] des fautes passees la puissent relever aux autres honneurs, horsmis le rang, qu'il est bien raysonnable qu'elle perde absolument. En particulier, je suis bien d'advis que vous relevies son esprit avec douceur et que vous invities a en faire de mesme toutes les Dames, car l'Apostre dit tout net que les plus spirituelz doivent relever les defaillans en esprit de douceur, quand ilz viennent en esprit de penitence. Ainsy faut-il mesler la justice avec la bonté, a la façon de nostre bon Dieu, a fin que la charité soit exercee et la discipline observee.

            Je treuverois bon que l'exercice de l'examen ne se fist qu'une grosse demie heure ou trois quartz d'heure apres souper, et que pendant les trois quartz d'heure on fist un peu de recreation a deviser honnestement, voire a chanter des chansons spirituelles, au moins pour ce commencement.

            Vos jeunes filles doivent estre communiees pour le plus tard a onze ans, presupposant qu'elles ayent la connoissance qu'ordinairement l'on a en ce tems la. Et la premiere fois qu'elles communient, il est bon de prendre vous mesme la peyne de les bien instruire de la reverence qu'elles y doivent porter, et de leur faire marquer le jour et l'an en leur Breviaire pour en remercier Dieu toutes les annees suivantes.

            Voyla, ce me semble, que je vous ay respondu a tout ce que vous me demandies, Madame ma chere Seur. Il me reste a vous dire que, sans ceremonie, je suis entierement vostre et de toute vostre Abbaye, ou j'espere voir un jour fleurir de toutes pars la sainte devotion ; en ce que je pourray, je contribueray et ce que Dieu me donnera d'esprit et mes foibles prieres. Je ne manque jamais de vous loger amplement en la memoire de la sainte Messe, et croyes que si vous vous desires pres de moy, je me desire bien aussi pres de vous. Mais nous sommes asses pres, puisque Dieu nous joint au desir de le servir ; demeurons en Dieu, et nous serons ensemble. Je le supplie de tout mon cœur qu'il vous fortifie de plus en plus en son amour, avec toutes mesdames vos Religieuses, que je saluë et prie de ne point m'oublier en leurs [340] oraysons, mays de me donner quelques uns des souspirs de devotion qu'elles jettent au Ciel, ou est leur esperance. Amen.

            Je suis, Madame ma tres chere Seur,

Vostre frere et serviteur en Jesus Christ,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Sales, le jour de saint Denys 1604.

            Prenes en bonne part, je vous prie, ma façon d'escrire si grossiere ; je n'escris qu'a…

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CCXXXII. A la même. Promesse de l'aider dans la réforme de son monastère. — Recourir aux conseils du P. de Villars. — Demande de prières pour l'Evêque de Saluces récemment décédé. — Livres qu'il serait utile à l'Abbesse de consulter. — Mme de Boisy projette de placer sa fille au Puits-d'Orbe

 

Sales, 13 octobre 1604.

 

            Madame ma tres chere Seur et Fille en Nostre Seigneur,

 

            Je vous veux mettre icy quelques pointz a part, que je desire vous estre particuliers. Je vous supplie par les entrailles de Nostre Seigneur de croire, sans aucunement douter, que je suis entierement et irrevocablement au service de vostre ame, et que je m'y employeray de toute l'estendue de mes forces, avec toute la fidelité que vous sçauries jamais souhaitter. Dieu le veut, et je le connois fort bien ; je ne puis rien dire davantage. Sur ce bon fondement j'appliqueray mon esprit et mes prieres a penser en tout ce qui sera utile et requis pour faire une parfaitte reformation de tout vostre Monastere ; ayés seulement un grand courage et plein d'esperance. C'est tout ce qu'il nous faut pour le present, car vous seres assaillie sans [341] doute ; mais avec l'esprit d'une douce vaillance nous chevirons de ce bon dessein, Dieu aydant. Et pour le present, il faut bien establir l'interieur de vos Seurs et le vostre sur tout, car c'est la vraye et solide methode ; et dans quelque tems nous establirons l'exterieur, a l'edification de plusieurs ames. Croyés que j'y penseray a bon escient.

            Quant au desir que vous aves de refaire vos vœux entre mes mains et m'en envoyer un escrit, puisque vous estimes que cela vous donnera tant de repos, j'en suis content, pourveu que vous adjousties a l'escrit cette condition, a l'endroit ou vous parleres de moy : « sauf l'authorité de tous legitimes Superieurs ; » et ne faut pas que rien de cela se sçache.

            J'escris a Monsieur vostre pere et le mien une lettre propre, a mon advis, pour gaigner son esprit a nostre dessein, lequel je ne luy depeins pas si grand comme il est parce que cela le rebuteroit luy estant proposé tout a coup, et petit a petit il le goustera indubitablement. Je me dispense un peu de vous en cette lettre-la, mais vous sçaves bien que ce n'est tout que pour la gloire de Dieu et vostre bien, a quoy je regarde sans plus en tout cecy. Je sçai que vous me tenes pour trop vostre pour interpreter aucune chose venante de moy qu'a bien et a droitte intention. Il faut avoir patience en ce qu'il veut ses opinions estre suivies, car il fait tout par exces d'amitié, et j'espere qu'ainsy comme je luy escris nous gaignerons beaucoup sur luy. J'escris un mot a Madame vostre seur, que je ne puis qu'aymer extremement, estant ce qu'elle est. Monsieur vostre pere me semble le desirer par la lettre qu'il m'a escritte.

            J'ay bien peur que l'escrit de la meditation ne soit si mal fait que vous ne sachies pas le lire ; vous prendres la peyne, s'il vous plaist, de le faire mettre au net pour le pouvoir lire avec plus de fruit. J'estois si indisposé quand je le fis escrire, que je ne peus y mettre la main pour l'escrire, me contentant de le dicter.

            Il n'y a nulle apparence humaine que je puisse jamais avoir la consolation de voir le Puis d'Orbe ; mais le grand desir duquel je suis porté a vostre service spirituel me [342] fait esperer que Nostre Seigneur m'y conduira par sa providence quand il en sera tems, si ma chetifve cooperation est requise a vostre bon dessein.

            Perseverés a faire lire a la table, et mesme quelquefois en vostre chambre, en compaignie de vos Seurs. Il faut disposer petit a petit la matiere de l'entiere reformation, et la plus grande preparation c'est de rendre les cœurs doux, traittables et desireux de la perfection. Prevales-vous de l'assistence du bon Pere de Villars, lequel, en response du billet que je vous donnay a Saint Claude, m'escrit qu'il aura un particulier soin de vous servir. Vous feres bien de vous arrester aux devotions que je vous ay presentees et de ne point varier sans m'en advertir ; Dieu aura aggreable vostre humilité en mon endroit et vous les rendra fructueuses.

            Monsieur l'Evesque de Saluces, est decedé despuis peu. C'estoit l'un des plus grans serviteurs de Dieu qui l'ust de cet aage, et de mes plus intimes amis ; il fut fait Evesque en un mesme jour avec moy. Je vous demande un Chapelet pour son repos, car je sçai que si je fusse trespassé devant luy, il m'en eust fait faire la charité [343] comme cela par tout ou il eust eu du credit. Si j'eusse eu le tems a moy, je vous eusse escrit en meilleur ordre ; mais tout ce que j'escris ce n'est que par morceaux, selon le loysir que je puis avoir. Croyés que j'ay bien besoin de vos prieres.

            Les livres que vous pouves avoir pour le present, sont : Platus, Du Bien de l'Estat de religion ; Le Gerson des Religieux, de Luc Pinel ; Paul Morigie, De l'institution et commencement des Religions ; les Œuvres de Grenade, imprimees nouvellement a Paris ; Bellintani, De l'Orayson mentale, les Meditations de Capiglia, Chartreux ; celles de saint Bonaventure ; Le Desirant ; les Œuvres de François Arias et sur tout l'Imitation de Nostre Dame ; les Œuvres de la Mere Therese ; le Catechisme spirituel de Cacciaguerre et ses autres Œuvres. Cela vous suffira, ou une partie, avec ceux que je sçai que vous aves des-ja.

            Dieu, ma tres chere Seur, soit vostre conducteur, protecteur et conservateur, vostre pretention et vostre confiance. Amen.

Vostre serviteur tres asseuré en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Madame, j'oubliois presque de vous dire que ma mere et moy avons fait un projet de vous envoyer apres l'hiver prochain ma jeune seur que vous vistes a Saint Claude, [344] en intention que si Dieu la favorise de l'inspiration d'estre Religieuse, elle le soit, le tems estant venu, par vostre grace et assistence ; trop heureuse qu'elle sera d'arriver en cette Mayson-la a mesme tems que la devotion s'y allumera. Que si elle n'est pas digne de ce lieu, ou moy de ce contentement, au moins aura-elle ce bonheur, ou qu'elle aille, d'avoir esté en si bon lieu. Et le tout se fera, Dieu aydant, sans aucune incommodité de personne, sinon celle de son esprit. Voyés, Madame ma chere Seur, si nous voulons nous obliger bien estroittement a vostre service ; cela dit sans ceremonie.

            Le 13 octobre 1604.

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CCXXXIII. A la Présidente Brulart. Quand faudrait-il refaire une confession générale. — Qu'est-ce que la dévotion. — Deux choses qu'une chrétienne doit observer « pour estre vrayement devote. » — Promptitude requise dans leur observance ; quelques réflexions pour l'acquérir. — Pratiques proposées pour chaque jour. — Il faut rendre la dévotion « fort avmable, » surtout à notre famille

 

Sales, [13 octobre] 1604.

 

            Madame,

 

            Ce m'a esté un extreme contentement d'avoir eu et veu vostre lettre ; je voudrois bien que les miennes vous en peussent donner un reciproque, et particulierement pour le remede des inquietudes qui se sont eslevees en vostre esprit despuis nostre separation. Dieu me veuille inspirer.

Je vous ay dit une fois, et m'en resouviens fort bien, que j'avois treuvé en vostre confession generale toutes [345] les marques d'une vraye, bonne et solide confession, et que jamais je n'en avois reçeu qui m'eust plus entierement contenté. C'est la vraye verité, Madame ma chere Seur ; et croyes qu'en telles occasions je parle fort purement. Que si vous aves omis quelque chose a dire, considerés si ç'a esté a vostre escient et volontairement ; car en ce cas la, vous devries sans doute refaire la confession, si ce que vous auries omis estoit peché mortel, ou que vous pensassies a cette heure la que ce le fust. Mais si ce n'est que peché veniel, ou que vous l'ayes omis par oubliance et defaut de memoire, ne doutés point, ma chere Seur ; car, au peril de mon ame, vous n'estes nullement obligee de refaire vostre confession, ains suffira de dire a vostre confesseur ordinaire le point que vous aures omis : de cela j'en respons. N'ayés pas crainte non plus de n'avoir pas apporté tant de diligence qu'il failloit a vostre confession generale ; car je vous redis fort clairement et asseurement que si vous n'aves point fait d'omission volontaire, vous ne deves nullement refaire la confession, laquelle, pour vray, a esté tres suffisamment faitte ; et demeurés en paix de ce costé la. Que si vous en conferes avec le Pere Recteur, il vous en dira le mesme, car c'est le sentiment de l'Eglise nostre mere.

            Toutes les regles du Rosaire et du Cordon n'obligent nullement ni a peché mortel ni a veniel, ni directement ni indirectement ; et, ne les observant pas, vous ne pecheres non plus que de laisser une autre sorte de bien a faire. Ne vous en mettes donq nullement en peyne, mays serves Dieu gayement et en liberté d'esprit.

            Vous me demandes le moyen que vous deves tenir pour acquerir la devotion et paix de l'esprit. Ma chere Seur, vous ne me demandes pas peu ; mais je m'essayeray de vous en dire quelque chose, car je vous le dois. Mais remarqués bien ce que je vous diray. La vertu de devotion n'est autre chose qu'une generale inclination et promptitude de l'esprit a faire ce qu'il connoist estre aggreable a Dieu ; c'est cette dilatation de cœur de laquelle David [346] disoit : J'ay couru en la voye de vos commandemens quand vous aves estendu mon cœur. Ceux qui sont simplement gens de bien cheminent en la voye de Dieu ; mays les devotz courent, et quand ilz sont bien devotz, ilz volent. Maintenant je vous diray quelques regles qu'il faut observer pour estre vrayement devote.

            Il faut avant toutes choses observer les commandemens generaux de Dieu et de l'Eglise, qui sont establis pour tout fidelle chrestien, et sans cela il n'y peut avoir aucune devotion au monde : cela, chacun le sçait. Outre les commandemens generaux, il faut soigneusement observer les commandemens particuliers qu'un chascun a pour le regard de sa vocation ; et quicomque ne le fait, quand il feroit resusciter les mortz, il ne laisse pas d'estre en peché, et damné, s'il y meurt. Comme, par exemple, il est commandé aux Evesques de visiter leurs brebis, les enseigner, redresser, consoler : que je demeure toute la semayne en orayson, que je jeusne toute ma vie, si je ne fay cela je me pers. Qu'une personne face miracle estant en estat de mariage, et qu'elle ne rende pas le devoir de mariage a sa partie ou qu'elle ne se soucie point de ses enfans, elle est pire qu'infidelle, dit saint Paul ; et ainsy des autres.

            Voyla donq deux sortes de commandemens qu'il faut soigneusement observer pour fondement de toute devotion ; et neanmoins la vertu de devotion ne consiste pas a les observer, mais a les observer avec promptitude et volontier. Or, pour acquerir cette promptitude, il faut employer plusieurs considerations.

            La premiere, c'est que Dieu le veut ainsy, et est bien la rayson que nous fassions sa volonté, car nous ne sommes en ce monde que pour cela. Helas, tous les jours nous luy demandons que sa volonté soit faitte, et quand ce vient a la faire nous avons tant de peyne ! Nous nous offrons a Dieu si souvent, nous luy disons a tous coupz : Seigneur, je suis vostre, voyla mon cœur ; et quand il nous veut employer nous sommes si lasches ! Comme pouvons-nous dire que nous sommes siens si nous ne voulons accommoder nostre volonté a la sienne ? [347]

            La deuxiesme consideration c'est de penser a la nature des commandemens de Dieu, qui sont doux, gratieux et souëfves, non seulement les generaux, mays encores les particuliers de la vocation. Et qu'est ce donques qui vous les rend fascheux ? Rien, a la verité, sinon vostre propre volonté, qui veut regner en vous a quel prix que ce soit ; et les choses que peut estre elle desireroit si on ne les luy commandoit, luy estant commandees elle les rejette. De cent mille fruitz delicieux, Eve choisit celuy qu'on luy avoit defendu, et sans doute que si on le luy eust permis elle n'en eust pas mangé. C'est, en un mot, que nous voulons servir Dieu, mais a nostre volonté et non pas a la sienne. Saül avoit commandement de gaster et ruyner tout ce qu'il rencontreroit en Amalech : il ruyna tout, horsmis ce qui estoit de pretieux, qu'il reserva et en fit sacrifice ; mais Dieu declaira qu'il ne veut nul sacrifice contre l'obeissance. Dieu me commande de servir aux ames, et je veux demeurer a la contemplation : la vie contemplative est bonne, mais non pas au prejudice de l'obeissance. Ce n'est pas a nous de choysir a nostre volonté ; il faut voir ce que Dieu veut, et si Dieu veut que je le serve en une chose, je ne doy pas vouloir le servir en une autre. Dieu veut que Saül le serve en qualité de roy et cappitaine, et Saül le veut servir en qualité de prestre : il n'y a nulle difficulté que celle cy est plus excellente que celle la ; mais neanmoins Dieu ne se paye pas de cela, il veut estre obei.

            C'est grand cas, Dieu avoit donné de la manne aux enfans d'Israël, une viande tres delicieuse ; et les voyla qu'ilz n'en veulent pas, mais recherchent en leurs desirs les aulx et les oignons d'Egipte. C'est nostre chetifve nature qui veut tous-jours que sa volonté soit faitte, et non pas celle de Dieu. Or, a mesure que nous aurons moins de propre volonté, celle de Dieu sera plus aysement observee.

            3. Il faut considerer qu'il n'y a nulle vocation qui n'ayt ses ennuis, ses amertumes et degoustemens ; et, qui plus est, si ce n'est ceux qui sont pleinement resignés en la volonté de Dieu, chascun voudroit volontier changer sa [348] condition a celle des autres : ceux qui sont Evesques voudroyent ne l'estre pas ; ceux qui sont mariés voudroyent ne l'estre pas, et ceux qui ne le sont le voudroyent estre. D'ou vient cette generale inquietude des espritz, sinon d'un certain desplaysir que nous avons a la contrainte, et une malignité d'esprit qui nous fait penser que chascun est mieux que nous ? Mais c'est tout un : quicomque n'est pleinement resigné, qu'il tourne deça et dela, il n'aura jamais repos. Ceux qui ont la fievre ne treuvent nulle place bonne ; ilz n'ont pas demeuré un quart d'heure en un lict qu'ilz voudroyent estre en un autre : ce n'est pas le lict qui en peut mais, c'est la fievre qui les tourmente par tout. Une personne qui n'a point la fievre de la propre volonté se contente de tout ; pourveu que Dieu soit servi, elle ne se soucie pas en quelle qualité Dieu l'employe : pourveu qu'il face sa volonté divine, ce luy est tout un.

            Mais ce n'est pas tout. Il faut non seulement vouloir faire la volonté de Dieu, mais pour estre devot, il la faut faire gayement. Si je n'estois pas Evesque, peut estre que, sachant ce que je sçay, je ne le voudrois pas estre ; mais l'estant, non seulement je suis obligé de faire ce que cette penible vocation requiert, mais je doy le faire joyeusement, et doy me plaire en cela et m'y aggreer. C'est le dire de saint Paul : Chascun demeure en sa vocation devant Dieu. Il ne faut pas porter la croix des autres, mais la sienne ; et pour porter chascun la sienne, Nostre Seigneur veut qu'un chascun se renonce soy mesme, c'est a dire a sa propre volonté. Je voudrois bien ceci et cela, je serois mieux ici et la : ce sont tentations. Nostre Seigneur sçait bien ce qu'il fait ; faysons ce qu'il veut, demeurons ou il nous a mis.

            Mais, ma bonne Fille (permettes moy que je vous parle selon mon cœur, car je vous ayme comme cela), vous voudries avoir quelque petite prattique pour vous conduire. Outre ce que j'ay dit qu'il failloit considerer, 1. faites la meditation tous les jours, ou le matin avant disner, ou bien une heure ou deux avant le souper, et ce, sur la Vie et Mort de Nostre Seigneur ; et a cest [349] effect, serves vous de Bellintani, Capucin, ou de Bruno, Jesuite. Vostre meditation ne doit estre que d'une grosse demi heure, et non plus, au bout de laquelle adjoustés tous-jours une consideration de l'obeissance que Nostre Seigneur a exercee a l'endroit de Dieu son Pere, car vous treuveres que tout ce qu'il a fait il l'a fait pour complaire a la volonté de son Pere ; et la dessus, esvertues vous de vous acquerir un grand amour de la volonté de Dieu.

            2. Avant que de faire ou vous preparer a faire aucune des choses de vostre vocation qui vous faschent, pensés que les Saintz ont bien fait gayement d'autres choses plus grandes et fascheuses : les uns ont souffert le martyre, les autres ont souffert le deshonneur du monde. Saint François et tant de Religieux de nostre aage ont baysé et rebaysé mille fois des ladres et ulcerés ; les autres se sont confinés es desers ; les autres, sur les galeres avec les soldatz ; et tout cela pour faire chose aggreable a Dieu. Et qu'est ce que nous faysons qui approche en difficulté a cela ?

            3. Pensés souventesfois que tout ce que nous faysons a sa vraye valeur de la conformité que nous avons avec la volonté de Dieu : si qu'en mangeant et beuvant, si je le fay parce que c'est la volonté de Dieu que je le face, je suis plus aggreable a Dieu que si je souffrois la mort sans cette intention la.

            4. Je voudrois que souvent parmi la journee vous invoquassies Dieu affin qu'il vous donnast l'amour de vostre vocation, et que vous dissies comme saint Paul quand il fut converti : Seigneur, que voules vous que je face ? Voules vous que je vous serve au plus vil ministere de vostre mayson ? Ah, je me reputeray encor trop heureuse : pourveu que je vous serve, je ne me soucie pas en quoy ce sera. Et venant au particulier de ce qui vous faschera, dites : Voules vous que je face telle et telle chose ? Helas, Seigneur, encor n'en suis je pas digne ; je le feray tres volontier : et ainsy, que vous vous humilies fort. O mon Dieu, quel thresor vous acquerres, plus grand sans doute que vous ne sçauries estimer. [350]

            5. Je voudrois que vous considerassies combien de Saintz et Saintes ont esté en vostre vocation et estat, et qu'ilz s'y sont tous accommodés avec une grande douceur et resignation, tant au Nouveau qu'en l'Ancien Testament : Sara, Rebecca, sainte Anne, sainte Elizabeth, saintee Monique, sainte Paule et cent mille ; et que cela vous anime, vous recommandant a leurs prieres.

            Il faut aymer ce que Dieu ayme : or, il ayme nostre vocation ; aymons-la bien aussi, et ne nous amusons pas a penser sur celle des autres. Faysons nostre besoigne ; a chascun sa croix n'est pas trop. Meslés doucement l'office de Marthe a celuy de Magdeleine ; faites diligemment le service de vostre vocation, et souvent revenes a vous mesme et vous mettes en esprit aux piedz de Nostre Seigneur, et dites : Mon Seigneur, soit que je coure, soit que je m'arreste, je suis toute vostre, et vous a moy ; vous estes mon premier Espoux, et tout ce que je feray, c'est pour l'amour de vous, et cecy et cela.

            Vous verrés l'exercice de l'orayson que j'envoye a Madame du Puis d'Orbe : tirés-en une copie, et vous en prevalés, car je le desire. Il me semble que, faysant le matin une demi heure d'orayson mentale, vous deves vous contenter d'ouÿr tous les jours une Messe, et, parmi la journee, lire une demi heure de quelque livre spirituel, comme de Grenade ou de quelque autre bon autheur. Le soir, faire l'examen de conscience, et, le long de la journee, faire des oraysons jaculatoires. Lisés fort le Combat spirituel, je vous le recommande. Les Dimanches et festes vous pourres, outre la Messe, ouÿr Vespres (mais cela sans adstriction) et le sermon.

            N'oubliés pas de vous confesser tous les huict jours et quand vous aures quelque grand ennuy de conscience. Pour la Communion, si ce n'est au gré de Monsieur vostre mari, n'excedes point pour le present les limites de ce que nous en dismes a Saint Claude : demeurés ferme, et communiés spirituellement ; Dieu recevra en conte la preparation de nostre cœur.

            Souvenes vous de ce que je vous ay si souvent dit : laites honneur a nostre devotion ; rendes la fort aymable [351] a tous ceux qui vous connoistront, mays sur tout a vostre famille ; faites que chascun en die du bien. Mon Dieu, que vous estes heureuse d'avoir un mari si raysonnable et souple ! vous en devés bien louer Dieu. Quand il vous surviendra quelque contradiction, resignés vous fort en Nostre Seigneur, et vous consolés sçachant que ses faveurs ne sont que pour les bons ou pour ceux qui se mettent en chemin de le devenir.

            Au demeurant, sçachés que mon esprit est tout vostre. Dieu sçait si jamais je vous oublie, ni toute vostre famille, en mes foibles prieres ; je vous ay tres intimement gravee en mon ame. Dieu soit vostre cœur et vostre vie !

FRANÇS, E. de Geneve.

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CCXXXIV. A la Baronne de Chantal. Marques de la volonté de Dieu dans le choix d'un directeur. — « Lien admirable » établi par Dieu entre les deux Saints. — Remèdes aux tentations contre la foi. — Exercices de piété à remplir chaque jour : méditation, audition de la Messe, oraisons jaculatoires, prières du soir, lecture spirituelle. — Usage du jeûne et de la discipline. — Fréquente Communion. — Pour l'éducation de ses enfants agir « a la façon des Anges. » — Assistance des pauvres et des malades. — Devoirs envers son père et son beau-père. — De l'esprit de liberté : il est insinué dans le Pater. — Signes auxquels on peut le reconnaître ; défauts qui lui sont opposés. — Exemple de plusieurs Saints. — Professer une grande dévotion envers saint Louis. — Mort de l'Evêque de Saluces

 

Sales, 14 octobre 1604.

 

VIVE JESUS

 

            Madame,

 

            Pleust a nostre bon Dieu que j'eusse autant de moyen de me bien faire entendre par cest escrit comme j'en ay de volonté ; je m'asseure que pour une partie de ce que vous desires sçavoir de moy vous series consolee, et particulierement pour les deux doutes que l'ennemy vous [352] suggere sur lo choix que vous aves fait de moy pour estre vostre pere spirituel. Mais je m'en vay vous dire ce que je pourray, pour exprimer en peu de paroles ce que je pense vous estre necessaire sur ce sujet.

            Pour le premier, le choix que vous aves fait a toutes les marques d'une bonne et legitime eslection ; de cela n'en doutés plus, je vous supplie. Ce grand mouvement d'esprit qui vous y a porté presque par force et avec consolation ; la consideration que j'y ay apporté avant que d'y consentir ; ce que ni vous ni moy ne nous en sommes pas fiés a nous mesmes, mais y avons appliqué le jugement de vostre confesseur, bon, docte et prudent ; ce que nous avons donné du loysir aux premieres agitations de vostre conscience pour se refroidir si elles eussent esté mal fondees ; ce que les prieres non d'un jour ni de deux, mais de plusieurs mois ont precedé, sont indubitablement des marques infallibles que c'estoit la volonté de Dieu.

            Les mouvemens de l'esprit malin ou de l'esprit humain sont bien d'autre condition. Ilz sont terribles et vehemens, mais sans constance. La premiere parole qu'ilz jettent a l'oreille de l'ame qui en est agitee c'est de n'ouïr point de conseil, ou, si elle en oyt, que ce soyent des conseilz de gens de peu et sans experience. Ilz pressent, ilz veulent qu'on trousse marché avant que de l'avoir traitté, et se contentent d'une courte priere, qui ne sert que de pretexte pour establir des choses les plus importantes.

            Il n'y a rien de pareil en nostre fait. Ce n'a esté ni vous ni moy qui en avons fermé le traitté ; ç'a esté un troysiesme, qui en cela n'a peu regarder qu'a Dieu seul. La difficulté que j'y apportay au commencement, qui ne procedoit que de la consideration que j'y devois appliquer, vous doit entierement resoudre ; car cryés bien que ce n'estoit pas faute de tres grande inclination a vostre service spirituel (je l'avois indicible), mais parce qu'en chose de telle consequence je ne voulois suivre ni vostre desir ni mon inclination, ains Dieu et sa provividence. Arrestes-vous la, je vous supplie, et ne disputés [353] plus avec l'ennemy en ce sujet ; dites luy hardiment que c'est Dieu qui l'a voulu et qui l'a fait. Ce fut Dieu qui vous embarqua en la premiere direction, propre a vostre bien en ce tems la ; c'est Dieu qui vous a portee a celle ci, laquelle, bien que l'instrument en soit indigne, il vous rendra fructueuse et utile.

            Pour le second, ma tres chere Seur, sçachés que, comme je viens de dire, des le commencement que vous conferastes avec moy de vostre interieur Dieu me donna un grand amour de vostre esprit. Quand vous vous declarastes a moy plus particulierement, ce fut un lien admirable a mon ame pour cherir de plus en plus la vostre, qui me fit vous escrire que Dieu m'avoit donné a vous, ne croyant pas qu'il se peust plus rien adjouster a l'affection que je sentois en mon esprit, et sur tout en priant Dieu pour vous. Mays maintenant, ma chere Fille, il y est survenu une certaine qualité nouvelle qui ne se peut nommer, ce me semble ; mais seulement son effect est une grande suavité interieure que j'ay a vous souhaitter la perfection de l'amour de Dieu et les autres benedictions spirituelles. Non, je n'adjouste pas un seul brin a la verité, je parle devant le Dieu de mon cœur et du vostre. Chasque affection a sa particuliere difference d'avec les autres ; celle que je vous ay a une certaine particularité qui me console infiniment, et, pour dire tout, qui m'est extremement prouffitable. Tenes cela pour une tres veritable verité et n'en doutés plus. Je n'en voulois pas tant dire, mais un mot tire l'autre, et puis je pense que vous le mesnageres bien.

            Grand cas ce me semble, ma Fille : la sainte Eglise de Dieu, a l'imitation de son Espoux, ne nous enseigne point de prier pour nous en particulier, mais tous-jours pour nous et nos freres Chrestiens : « Donnés nous, » dit elle, « accordés nous, » et en semblables termes qui en comprennent plusieurs. Il ne m'estoit jamais arrivé, sous cette forme de parler generale, de porter mon esprit a aucune personne particuliere : despuis que je suis sorty de Dijon, sous cette parole de nous, plusieurs particulieres personnes qui se sont recommandees a moy me viennent [354] en memoire ; mais vous, presque ordinairement la premiere, et quand ce n'est pas la premiere, qui est rarement, c'est la derniere pour m'y arrester davantage. Se peut-il dire plus que cela ? Mais, a l'honneur de Dieu, que ceci ne se communique point a personne ; car j'en dis un petit trop, quoy qu'avec toute verité et pureté. En voyla bien asses pour respondre cy apres a toutes ces suggestions, ou au moins pour vous donner courage de vous mocquer de leur autheur et luy cracher au nés. Je vous diray le reste un jour, ou en ce monde ou en l'autre.

            Pour le troysiesme, vous me demandes les remedes au travail que vous donnent les tentations que le malin vous fait contre la foy et l'Eglise ; car c'est cela que j'entens. Je vous en diray ce que Dieu me donnera. Il faut, en cette tentation, tenir la posture que l'on tient en celle de la chair : ne disputer ni peu ni prou, mais faire comme faysoyent les enfans d'Israël des os de l'Aigneau pascal, qu'ilz ne s'essayoient nullement de rompre, mays les jettoyent au feu. Il ne faut nullement respondre ni faire semblant d'entendre ce que l'ennemy dit ; qu'il clabaude tant qu'il voudra a la porte, il ne faut pas seulement dire : Qui va la ? Il est vray, ce me dires-vous, mais il m'importune, et son bruit fait que ceux de dedans ne s'entendent pas les uns les autres a deviser. C'est tout un ; patience, il se faut parler par signes : il se faut prosterner devant Dieu et demeurer la devant ses piedz ; il entendra bien, par cette humble contenance, que vous estes sienne et que vous voules son secours, encores que vous ne puissies pas parler. Mays sur tout tenes vous bien fermee dedans, et n'ouvres nullement la porte, ni pour voir qui c'est ni pour chasser cet importun ; en fin il se lassera de crier et vous laissera en paix. Il en seroit tantost tems, me dires-vous.

            Je vous prie, ayés un livre intitulé De la Tribulation, composé par le P. Ribadeneira en espagnol et traduit en françois (le Pere Recteur vous dira ou il est imprimé), [355] et le lisés soigneusement. Courage donques, le tems en sera tantost : pourveu qu'il n'entre point, il n'importe. C'est cependant un tres bon signe que l'ennemy batte et tempeste a la porte, car c'est signe qu'il n'a pas ce qu'il veut. S'il l'avoit eu, il ne crieroit plus ; il entreroit et s'arresteroit. Notés cela pour ne point entrer en scrupule.

            Apres ce remede je vous en donne un autre. Les tentations de la foy vont droit a l'entendement pour l'attirer a disputer, a resver et songer la dessus. Sçaves vous ce que vous feres pendant que l'ennemy s'amuse a vouloir escalader l'intellect ? Sortés par la porte de la volonté et luy faites une bonne charge ; c'est a dire, comme la tentation de la foy se presente pour vous entretenir : Mais comment se peut faire cecy ? mais si cecy, mais si cela ? faites qu'en lieu de disputer avec l'ennemy par le discours, vostre partie affective s'eslance de vive force sur luy, et mesme joignant a la voix interieure l'exterieure, criant : Ah traistre, ah malheureux, tu as laissé l'Eglise des Anges, et tu veux que je laisse celle des Saintz ! Desloyal, infidelle, perfide, tu presentas a la premiere femme la pomme de perdition, et tu veux que j'y morde. Arriere, o Satan ; il est escrit : Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu. Non, je ne disputeray point, ni contesteray. Eve voulant disputer se perdit ; Eve le fit et fut secluitte. Vive Jesus en qui je croy vive l'Eglise a laquelle j'adhéré ! et semblables paroles enflammees. Il en faut dire aussi a Jesus Christ et au Saint Esprit, telles qu'il vous suggerera, et mesme a l'Eglise : O mere des enfans de Dieu, jamais je ne me separeray de vous ; je veux mourir et vivre en vostre giron.

            Je ne sçai si je me fay bien entendre. Je veux dire qu'il faut se revancher avec des affections et non pas avec des raysons, avec des passions et non pas avec des considerations. Il est vray qu'en ce tems de tentation la pauvre volonté est toute seche ; mays tant mieux, ses coupz seront tant plus terribles a l'ennemy, lequel voyant qu'en lieu de retarder vostre advancement il vous donne sujet d'exercer mille affections vertueuses, et particulierement de la protestation de la foy, il vous laissera en fin finale. [356]

            En troysiesme lieu, il sera bon d'appliquer quelquefois cinquante ou soixante coupz de discipline, ou trente, selon que vous seres disposee. C'est grand cas comme cette recette s'est treuvee bonne en une ame que je connois. C'est sans doute que le sentiment exterieur divertit le mal et l'affliction interieure, et provoque la misericorde de Dieu ; joint que le malin voyant que l'on bat sa partisane et confederee, la chair, il craint et s'enfuit. Mais de ce troysiesme remede il en faut user moderement, et selon le prouffit que vous en verrés reuscir par l'experience de quelques jours.

            Au bout de tout cela, ces tentations ne sont que des afflictions comme les autres, et faut s'accoiser sur le dire de la Sainte Escriture : Bienheureux est qui souffre la tentation, car ayant esté esprouvé, il recevra la couronne de gloire. Sachés que j'ay veu peu de personnes avoir esté avancees sans cette espreuve, et faut avoir patience ; nostre Dieu, apres les bourrasques, envoyera le calme. Mais sur tout serves-vous du premier et second remede.

            Pour le quatriesme point, je ne veux point changer les offres que vous fistes la premiere fois que vous voüastes, ni la place qui vous fut donnee, ni tout le reste.

            Quant a vos prieres quotidiennes, voyci mon advis. Le matin, faites la meditation avec la preparation, telle que je l'ay marquee en l'escrit que j'envoye a cette intention. Adjoustés le Pater noster, l'Ave Maria, le Credo, le Veni Creator Spiritus, l'Ave maris Stella, l'Angele Dei et une courte orayson pour les deux saintz Jan et les deux saintz François d'Assise et de Paule, que vous treuveres dans le Breviaire, ou peut estre les aves vous des-ja dans le livret que vous penses m'envoyer. Salués tous les Saintz avec cette oraison vocale : « Sainte Marie et tous les Saintz, veuilles interceder pour nous vers Nostre Seigneur, affin que nous obtenions d'estre aydés et sauvés par Celuy qui vit et regne es siecles des siecles. Amen. » Sancta Maria et omnes Sancti, intercedi te pro nobis ad Dominum, ut nos mereamur ab eo adjuvari et salvari qui vivit et regnat in sæcula [357] sæculorum. Amen. Ayant salué les Saintz qui sont au Ciel, dites un Pater noster et l'Ave pour les fidelles trespassés et un autre pour tous les fidelles vivans. Ainsy vous aures visité toute l'Eglise, dont l'une des parties est au Ciel, l'autre en terre et l'autre sous terre, comme saint Paul et saint Jan tesmoignent. Cela vous tiendra une heure bien ronde.

            Oyés tous les jours la Messe, quand il se pourra, en la façon que j'ay descritte en l'escrit de la meditation, et, soit a la Messe, soit le long du jour, je desire que le Chapelet se dise tous les jours, le plus affectueusement qui se peut. Le long du jour, force oraysons jaculatoires, et particulierement celles des heures, quand elles sonnent : c'est une devotion utile.

            Le soir, avant souper, j'appreuve un petit de recollection, avec cinq Pater noster et Ave Maria aux playes de Nostre Seigneur. Or, la recollection se pourra faire avec une entree de l'ame en l'une des cinq playes de Nostre Seigneur pour cinq jours ; le sixiesme, dans les espines de sa couronne, et le septiesme, dans son costé percé, car il faut commencer la semaine par la et la finir de mesme ; c'est a dire, les Dimanches il faut revenir a ce cœur.

            Le soir, environ une heure ou une heure et demie apres souper, vous vous retireres et dires le Pater noster, l'Ave, le Credo ; cela fait, le Confiteor jusques a mea culpa ; puis l'examen de conscience, apres lequel vous acheveres le mea culpa, et dirés les Litanies de Nostre Dame de l'eglise de Lorette ; ou bien, par ordre, les sept Litanies de Nostre Seigneur, de Nostre Dame, des Anges, et ainsy des autres, telles qu'elles sont en un livre fait expres. Il est vray qu'il est malaysé a treuver, ce me semble, et partant, ne les treuvant pas, celles de Nostre Dame suffiront. Cela vous tiendra pres d'une demi heure. Tous les jours, une bonne demi heure de leçon spirituelle. C'est bien asses pour tous les jours ; les festes vous y pourres adjouster d'estre a Vespres et dire l'Office de Nostre Dame.

            Mais si vous aves grand goust aux prieres que ci devant [358] vous aves faites, ne changés pas, je vous prie, et s'il vous advient de laisser quelque chose de ce que je vous ordonne, ne vous mettes point en scrupule, car voyci la regie generale de nostre obeissance escritte en grosses lettres :

            IL FAUT TOUT FAIRE PAR AMOUR ET RIEN PAR FORCE ; IL FAUT PLUS AYMER L'OBEISSANCE QUE CRAINDRE LA DESOBEISSANCE.

            Je vous laisse l'esprit de liberté, non pas celuy qui forclost l'obeissance, car c'est la liberté de la chair ; mais celuy qui forclost la contrainte et le scrupule ou empressement. Si vous aymes bien fort l'obeissance et sousmission, je veux que s'il vous vient occasion juste ou charitable de laisser vos exercices, ce vous soit une espece d'obeissance, et que ce manquement soit suppleé par l'amour.

            Je desire que vous ayes une traduction françoise de toutes les prieres que vous dires ; non pas que je veuille que vous les disies en françois, ains en latin, car elles vous rendront plus de devotion ; mais c'est que je veux que vous en ayes aucunement le sens, mesme les Litanies du Nom de Jesus, de Nostre Dame et des autres. Mais l aites tout cecy sans empressement et avec esprit de douceur et d'amour.

            Vos meditations seront sur la Vie et Mort de Nostre Seigneur. J'appreuve que vous employés les Exercices de Taulere, les Meditations de saint Bonaventure et celles de Capiglia ; car c'est en fin tous-jours la vie de Nostre Seigneur que ses Evangiles. Mais il faut reduire le tout a la maniere que je vous envoye dans l'escrit. Les meditations des quatre fins de l'homme vous seront utiles, a la charge que vous les finissies tous-jours par un acte de confiance en Dieu, ne vous representant jamais ni la mort ni l'enfer d'un costé, que la Croix ne soit de l'autre, pour, apres vous estre excitee a la crainte par l'un, recourir a l'autre par confiance. L'heure de la meditation ne soit que de trois quartz au plus. J'ayme les cantiques spirituelz, mais chantés avec affection. [359]

            Pour l'asnesse, j'appreuve le jeusne du vendredi et le souper sobre du samedi. J'appreuve qu'on la matte le long de la semaine, non tant au retranchement des viandes (la sobrieté estant gardee) comme au retranchement du choix d'icelles. J'appreuve que neanmoins on la flatte quelquefois, en luy donnant a manger de l'avoyne que saint François luy donnoit pour la faire aller viste : c'est la discipline, qui a une merveilleuse force, en piquant la chair, de resveiller l'esprit ; seulement deux fois la semaine.

            Vous ne deves pas relascher de la frequence de la Communion, sinon que vostre confesseur le vous commande. J'ay cette consolation particuliere les festes de sçavoir que nous communions ensemble.

            Pour le cinquiesme point, c'est la verité que je cheris d'une tres particuliere dilection et nostre Celse Benine et tout le reste de vos enfans. Puisque Dieu vous a donné ce cœur de les desirer totalement au service de Dieu, il les faut nourrir a ce dessein, leur inspirant souëfvement des pensees conformes a cela. Ayés les Confessions de saint Augustin, et lisés soigneusement des le huitiesme Livre ; vous verrés sainte Monique vefve, avec le soin de son Augustin, et plusieurs choses qui vous consoleront.

            Quant a Celse Benine, il faut que ce soit avec des motifz genereux, et qu'on luy plante dans sa petite ame des pretentions au service de Dieu toutes nobles et vaillantes, et luy ravaler fort les apprehensions de la gloire purement mondaine ; mays cela petit a petit. A mesure qu'il croistra, nous penserons aux particularités requises, Dieu aydant. Ce pendant prenes garde, non seulement pour luy, mais pour ses seurs, qu'ilz ne dorment que seulz, le plus qu'il se pourra, ou avec des personnes esquelles vous puissies avoir autant de juste confiance comme en vous mesme. Il n'est pas croyable combien cet advis est utile ; l'experience me le rend recommandable tous les jours.

            Si Françoise veut de son gré estre Religieuse, bon ; [360] autrement je n'appreuve pas qu'on previenne sa volonté par des resolutions, mais seulement, comme celle de toutes les autres, par des inspirations soüefves. Il nous faut le plus qu'il est possible agir dans les espritz comme les Anges font, par des mouvemens gracieux et sans violence. Cependant j'appreuve bien que vous en facies nourrir en la Religion du Puis d'Orbe, en laquelle j'espere que la devotion va refleurir bien tost a bon escient, et je veux que vous cooperies a cette intention. Mais a toutes ostés-leur la vanité de l'ame : elle naist presque avec le sexe. Je sçai que vous aves les Epistres de saint Hierosme en françois : voyés celle qu'il escrit de Pacatula, et les autres pour la nourriture des filles ; elles vous recreeront. Il faut neanmoins user de moderation ; j'ay tout dit quand j'ay dit des inspirations soüefves.

            Je voy que vous deves deux mille escuz : le plus que vous pourres, hastes-en le payement, et gardés sur tout de retenir rien de personne, tant qu'il vous sera possible. Faites quelques petites aumosnes, mays avec grande humilité. J'ayme la Visitation des malades, des vieux, et des femmes principalement, et des jeunes quand ilz le sont bien fort. J'ayme la Visitation des pauvres, specialement des femmes, avec grande humilité et debonnaireté.

            Pour le sixiesme point, j'appreuve que vous partagies vostre sejour aupres de monsieur vostre pere et de monsieur vostre beau pere, et que vous vous exercies a procurer le bien de leur ame a la façon des Anges, comme j'ay dit. Si le sejour de Dijon est un petit plus grand, il n'importe ; c'est aussi vostre premier devoir. Taschés de [361] vous rendre tous les jours plus aggreable et humble a l'un et l'autre des peres, et procurés leur salut en esprit de douceur. Sans doute que l'hyver vous sera plus propre a Dijon.

            J'escris a monsieur vostre pere ; et parce qu'il m'avoit commandé de luy escrire quelque chose pour le salut de son ame, je l'ay fait avec beaucoup de simplicité, peut estre trop. Mon advis gist en deux pointz : l'un, qu'il face une generale reveuë de toute sa vie, pour faire une penitence generale ou confession, c'est une chose sans laquelle nul homme d'honneur ne doit mourir ; l'autre, qu'il s'essaye petit a petit de se desprendre des affections du monde, et luy en dis les moyens. Je luy propose cela, a mon advis, asses clairement et doucement, et avec ce terme, qu'il faut non pas du tout rompre les liens d'alliance qu'on a aux affaires du monde, mais les descoudre et desnoüer. Il vous monstrera la lettre, je n'en doute point ; aydés-le a l'entendre et a la prattiquer.

Vous luy deves une grande charité a l'acheminer a une fin heureuse, et nul respect ne vous doit empescher de vous y employer avec une humble ardeur, car c'est le premier prochain que Dieu vous oblige d'aymer ; et la premiere partie que vous deves aymer en luy c'est son ame, et en son ame, la conscience, et en la conscience, la pureté, et en la pureté, l'apprehension du salut eternel. J'en dis de mesme du beau pere.

            Peut estre que monsieur vostre pere, ne me connoissant pas, treuvera ma liberté mauvaise ; mais faites moy connoistre a luy, et je m'asseure qu'il m'aymera pour cette liberté plus que pour autre chose. J'escris a Monsieur de Bourges une lettre de cinq feuilles, ou je luy marque la façon de prescher, et avec cela je m'espanche a luy dire mon advis de plusieurs parties de la vie d'un Archevesque. Or, pour celuy la, je ne doute point qu'il ne l'ayt aggreable. En fin, que voules vous plus ? pere, frere, oncle, enfans, tout cela m'est infiniment a cœur.

            Pour le septiesme point, de l'esprit de liberté, je vous diray que c'est. Tout homme de bien est libre des actions de peché mortel et n'y attache nullement son affection : [362] voyla une liberté necessaire a salut ; je ne parie pas de celle la. La liberté de laquelle je parie c'est la liberté des enfans bienaymés. Et qu'est ce ? C'est un desengagement du cœur chrestien de toutes choses, pour suivre la volonté de Dieu reconneuë. Vous entendres aysement ce que je veux dire si Dieu me donne la grace de vous proposer les marques, signes, effectz et occasions de cette liberté.

            Nous demandons a Dieu, avant toutes choses, que son nom soit sanctifié, que son royaume advienne, que sa volonté soit faite en la terre comme au Ciel. Tout cela n'est autre chose sinon l'esprit de liberté ; car, pourveu que le nom de Dieu soit sanctifié, que sa Majesté regne en nous, que sa volonté soit faite, l'esprit ne se soucie d'autre chose.

            Premiere marque. Le cœur qui a cette liberté n'est point attaché aux consolations, mais reçoit les afflictions avec toute la douceur que la chair peut le permettre. Je ne dis pas qu'il n'ayme et qu'il ne desire les consolations, mais je dis qu'il n'engage pas son cœur en icelles. Deuxiesme marque. Il n'engage nullement son affection aux exercices spirituelz ; de façon que si, par maladie ou autre accident, il en est empesché, il n'en conçoit nul regret. Je ne dis pas aussi qu'il ne les ayme, mays je dis qu'il ne s'y attache pas. 3. Il ne perd gueres sa joye, parce que nulle privation ne rend triste celuy qui n'avoit son cœur attaché nulle part. Je ne dis pas qu'il ne la perde, mais c'est pour peu.

            Les effectz de cette liberté sont une grande suavité d'esprit, une grande douceur et condescendance a tout ce qui n'est pas peché ou danger de peché ; c'est cette humeur doucement pliable aux actions de toute vertu et charité. Exemple : Une ame qui s'est attachee a l'exercice de la meditation, interrompés la, vous la verres sortir avec du chagrin, empressee et estonnee. Une ame qui a la vraye liberté sortira avec un visage esgal et un cœur gracieux a l'endroit de l'importun qui l'aura incommodee, car ce luy est tout un, ou de servir Dieu en meditant, ou de le servir en supportant le prochain ; [363] l'un et l'autre est la volonté de Dieu, mais le support du prochain est necessaire en ce tems la. Les occasions de cette liberté sont toutes les choses qui arrivent contre nostre inclination ; car quicomque n'est pas engagé en ses inclinations ne s'impatiente pas quand elles sont diverties.

            Cette liberté a deux vices contraires : l'instabilité et la contrainte, ou la dissolution et la servitude. L'instabilité d'esprit ou dissolution est un certain exces de liberté par lequel on veut changer d'exercice, d'estat de vie, sans rayson ni connoissance que ce soit la volonté de Dieu. A la moindre occasion on change d'exercice, de dessein, de regie ; pour toute petite occurrence on laisse sa regie et sa louable coustume, et par la, le cœur se dissipe et se perd, et est comme un verger ouvert de tous costés, duquel les fruitz ne sont pas pour le maistre mais pour tous passans.

            La contrainte ou servitude est un certain manquement de liberté par lequel l'esprit est accablé ou d'ennuy ou de cholere quand il ne peut faire ce qu'il a desseigné, encor qu'il puisse faire chose meilleure. Exemple : Je desseigne de faire la meditation tous les jours au matin ; si j'ay l'esprit d'instabilité ou dissolution, a la moindre occasion du monde je differeray au soir : pour un chien qui ne m'aura laissé dormir, pour une lettre qu'il faudra escrire, bien que rien ne presse. Au contraire, si j'ay l'esprit de contrainte ou servitude, je ne laisseray pas ma meditation ores qu'un malade ayt grandement besoin de mon assistence a cette heure la, ores que j'aye un depesche de grande importance et qui ne puisse estre bien differé ; et ainsy des autres sujetz.

            Il me reste a vous dire deux ou trois exemples de cette liberté, qui vous feront mieux connoistre ce que je ne sçay pas dire. Mais premierement il faut que je vous die qu'il faut observer deux regles pour ne point chopper en cet endroit. C'est qu'une personne ne doit jamais laisser ses exercices et les communes regles des vertus sinon qu'il voye la volonté de Dieu de l'autre costé. Or, la volonté de Dieu se manifeste en deux façons : par la necessite et par la charité. Je veux prescher ce Caresme en un petit [364] lieu de mon diocese. Si cependant je deviens malade ou que je me rompe la jambe, je n'ay que faire de regretter et m'inquieter de ne point prescher, car c'est chose certaine que la volonté de Dieu est que je le serve en souffrant et non pas en preschant. Que si je ne suis pas malade, mais il se presente une occasion d'aller en un autre lieu ou, si je ne vay, ilz se feront huguenotz, voyla la volonté de Dieu asses declairee pour me faire doucement contourner mon dessein.

            La deuxiesme regie est que, lhors qu'il faut user de liberté par charité, il faut que ce soit sans scandale et sans injustice. Par exemple, je sçay que je serois plus utile quelque part bien loin de mon diocese : je ne dois pas user de liberté en cela, car je scandalizerois et ferois injustice, parce que je suis obligé icy. Ainsy, c'est une fause liberté aux femmes mariees de s'esloigner de leurs maris sans legitime rayson, sous pretexte de devotion et charité. De maniere que cette liberté ne prejudicie jamais aux vocations ; au contraire, elle fait que chascun se plaist en la sienne, puisque chascun doit sçavoir que c'est la volonté de Dieu qu'on y demeure.

            Maintenant je veux que vous consideries le Cardinal Borromee qu'on va canoniser dans peu de jours. C'estoit l'esprit le plus exacte, roide et austere qu'il est possible d'imaginer ; il ne beuvoit que de l'eau et ne mangeoit que du pain ; si exacte que, despuis qu'il fut Archevesque, en vingt quatre ans, il n'entra que deux fois en la mayson de sus freres, estans malades, et deux fois dans son jardin : et neanmoins, cet esprit si rigoureux, mangeant souvent avec les Suisses ses voysins, pour les gaigner a mieux faire, il ne faisoit nulle difficulté de faire deux carouz [365] ou brindes avec eux a chasque repas, outre ce quii avoit beu pour sa soif. Voila un trait de sainte liberté en l'homme le plus rigoureux de cet aage. Un esprit dissolu en eut fait trop ; un esprit contraint eut pensé pecher mortellement ; un esprit de liberté fait cela par charité.

            Spiridion, un ancien Evesque, ayant receu un pelerin presque mort de faim en tems de Caresme et en un lieu ou il ni avoit aucune chose que de la chair salee, il fit cuire cette chair et la præsente au pelerin. Le pelerin n'en vouloit pas manger, non obstant sa necessité ; Spiridion, qui n'en avoit nulle nécessité, en mange luy le premier par charité, affin d'oster par son exemple le scrupule du pelerin. Voyla une charitable liberté d'un saint homme.

            Le P. Ignace de Loyole, qu'on va canoniser, le Mercredi Saint, mange de la chair sur la simpl'ordonnance du medecin, qui le jugeoit expedient pour un petit de mal quil avoit. Un esprit de contrainte se fut fait prier trois jours.

            Mais je vous veux præsenter un soleil au pris de tout cela, un vray esprit franc et libre de tout engagement, et qui ne tient qu'a la volonté de Dieu. J'ay pensé souvent quell'estoit la plus grande mortification de tous les Saintz de la vie desquelz j'ay eu connoissance, et apres plusieurs considerations je treuvay celle ci. Saint Jan Baptiste alla au desert a l'aage de cinq ans, et sçavoit que nostre Sauveur et le sien estoit nay tout proche de luy, c'est a dire une journee ou deux ou trois, comme cela. Dieu sçait si ce cœur de saint Jan, touché de l'amour de son Sauveur des le ventre de sa mere, eut desiré de jouïr de sa douce præsence. Il passe neanmoins vint et cinq ans la au desert, sans venir une seule fois pour voir [366] Nostre Seigneur et, sortant, s'arreste a cathechiser sans Venir a Nostre Seigneur, et attend quil vienne a luy. Apres cela, l'ayant baptisé, il ne le suit pas, mais demeure a faire son office. O Dieu, quelle mortification d'esprit. Estre pres de son Sauveur et ne le voir point, l'avoir si prochre et n'en jouïr point. Et qu'est-ce cela sinon avoir son esprit desengagé de tout, et de Dieu mesme, pour luire la volonté de Dieu et le servir ; laisser Dieu pour

Dieu, et n'aymer pas Dieu pour l'aymer tant mieux et plus purement ? Cest exemple estouffe mon esprit de sa grandeur.

            J'ay oublié a dire que non seulement la volonté de Dieu se connoit par la necessité et charité, mais par l'obedience ; de façon que celuy qui reçoit un commandement doit croire que c'est la volonté de Dieu. N'est ce pas trop ? mais mon esprit court plus viste que je ne veux, porté de l'ardeur de vous servir.

            Pour le huitiesme point, resouvenes vous du jour du bienheureux Roy saint Louïs, jour auquel vous ostastes de rechef ou de nouveau la couronne de vostre royaume a vostre propre esprit pour la mettre aux pieds du Roy Jesus ; jour auquel vous renouvelastes vostre jeunesse comme l'aigle, vous plongeant dans la mer de la pœnitence, jour fourrier du jour æternel pour vostr'ame. Resouvenes vous que sur les grandes resolutions que vous declairastes de vouloir estre toute a Dieu de cors, de cœur, d'esprit, je dis Amen de la part de toute l'Eglise nostre mere, et a mesme tems la Sainte Vierge, avec tous les Anges et Bienheureux, firent retentir au Ciel leur grand Amen et Alleluya. Resouvenes vous de faire estat que tout le passé n'est rien et que tous les jours il [367] vous faut dire avec David : Tout maintenant je commence a bien aymer mon Dieu. Faites beaucoup pour Dieu et ne faites rien sans amour ; appliques tout a cet amour, manges et beuvés pour cela.

            Ayes devotion a saint Louÿs et admires en luy cette grande constance. Il fut Roy a douz'ans, eut neuf enfans, fit perpetuellement la guerre ou contre les rebelles ou contre les ennemis de la foy, vescut passé 40 ans Roy ; et, au bout de la, apres sa mort, son confesseur, saint homme, jura que, l'ayant confessé toute sa vie, il ne l'avoit treuvé estre tombé en peché mortel. Il fit deux voyages outre mer ; en tous deux il fit perte de son armee, et au dernier il mourut de peste, apres avoir longuement visité, secouru, servi, pensé (sic) et gueri les pestiferés de son armee, et meurt gay, constant, avec un verset de David en bouche. Je vous donne ce Saint pour vostre special patron pour toute cett'annee ; vous l'aures devant vos yeux avec les autres sus nommés. L'annee qui vient, sil plait a Dieu, je vous en donneray un autre, apres que vous aures bien proffité en l'escole de cettuyci.

            Pour le neufviesme point, croyes de moy deux choses : l'une, que Dieu veut que vous vous servies de moy, et n'en doutes point ; l'autre, que en ce qui sera pour vostre salut, Dieu m'assistera de la lumiere qui me sera necessaire pour vous servir ; et, quand a la volonté, il me l'a des-ja donnee si grande qu'elle ne peut l'estre d'avantage. J'ay receu le billet de vos vœux, que je garde et regarde soigneusement commun juste instrument de nostre alliance toute fondee en Dieu, et laquelle durera a l'æternité, moyennant la misericorde de Celuy qui en est l'autheur.

            Monsieur l'Evesque de Saluces, l'un de mes plus intimes amis et des plus grans serviteurs de Dieu et de l'Eglise qui fut au monde, est decedé despuis peu, avec un regret incroyable de son peuple, qui n'avoit joüy de ses travaux qu'un an et demi ; car nous avions esté faitz Evesques ensemble et tout d'un jour. Je vous demande trois Chapeletz pour son repos, asseuré que je suis que [368] sil m'eut survescu il m'eut procuré une charité pareille vers tous ceux ou il eut eu credit.

            Vous m'escrives en un endroit de vostre lettre en façon qu'il semble que vous tenes pour resolu que nous nous reverrons un jour. Dieu le veuille, ma tres chere Seur, mais pour mon regard je ne voy rien devant mes yeux qui me puisse faire esperer d'avoir liberté d'aller de dela ; je vous en dis la rayson en confiance estant a Saint Claude. Je suis icy lié pieds et mains ; et pour vous, ma bonne Seur, l'incommodité du voyage passé ne vous estonne-elle point ? Mais nous verrons entre cy et Pasques ce que Dieu voudra de nous ; sa sainte volonté soit tousjours la nostre. Je vous prie de benir Dieu avec moy des effectz du voyage de Saint Claude ; je ne vous les puis dire, mais ilz sont grans. Et a vostre premier loysir, escrives-moy l'histoire de vostre porte de saint Claude, et croyés que ce n'est point par curiosité que je la vous demande.

            Ma mere vous est tellement acquise que rien plus. J'ay esté consolé de voir que vous appelles de si bon cœur Madame du Puis d'Orbe seur ; c'est une grand'ame, si ell'est bien assistee, et Dieu se servira d'elle a la gloire de son nom. Aydes-la et la visites par lettres ; Dieu vous en sçaura gré. Si je me veux croire je ne finiray [369] point cette lettre, escritte sans autre soin que de vous respondre. Je la veux pourtant finir, vous demandant une grand'assistence de vos prieres ; et que j'en suis necessiteux ! Je ne prie jamais sans vous avoir pour une partie du sujet de mes supplications ; je ne salue jamais mes Anges que je ne salue le vostre ; rendes moy la pareille, et vostre Celse Benine aussi, pour lequel je prie tous-jours et pour toute vostre compaignie. Croyes bien que je ne les oublie point, ni feu monsieur leur pere vostre mari, en la sainte Messe.

            Dieu soit vostre cœur, vostr'esprit, vostre ame, ma tras chere Seur, et je suis en ses entrailles,

Vostre serviteur tres dedié,

FRANÇS, E. de Geneve.

            … avec liberté par ce que c'est par homme...

            Pries quelquesfois pour la reduction de ma miserable Geneve.

            A Sales, le XIIII octobre 1604. [370]

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CCXXXV. A Sa Saintete Clement VIII (Minute). Décadence de l'observance régulière dans la plupart des monastères de Savoie. — Recours au Saint-Siège pour obtenir l'introduction des Feuillants au monastère d'Abondance

 

Annecy, 27 octobre 1604.

 

            Beatissime Pater,

 

            Bonis Religiosis melius nihil esse, malis nihil pejus, et veteres dixerunt, et hac ætate ita compertum est ut de illis cum Hieremia dici merito possit : Si ficus sint bonæ, bonas valde esse ; si malæ, malas valde. Nulla vero urbis Catholici diæcesis malarum istarum ficuum nocumentis adeo patet quam ista Gebennensis, qua nulla magis bonarum ficuum proventu recreanda foret. Hic enim, Pater Beatissime, in ipsa certaminis acie constituti, inimicorum vires cominus experimur, quorum ingenium est ex moribus nostrorum depravatis Ecclesisæ illibatam doctrinam carpere, ac infirmas populi mentes [371] dejicere. Quo nomine eo magis dolendum est, inter multa Monasteria variorum Ordinum quæ in hac diæcesi sunt ædificata, vix unum reperiri in quo religiosa disciplina labefactata, imo potius conculcata penitus non fuerit ; ut ne quidem vestigium veteris illius cœlestis flammæ appareat, adeo obscuratum est aurum et mutatus color ejus optimus.

            Cui quidem malo nullo præsentiore remedio medicinam fieri posse existimant periti rerum æestimatores, quam si ex reformatis et recenti Spiritus Sancti igne accensis et inflammatis Congregationibus viri Religiosi adducantur, et in locum eorum (ut modestissime dicam) qui terram hactenus perperam occupaverunt, sufficiantur. Hoc Consilio adductus est Vespasianus Agacia ut Monasterium Sanctæ Mariæ de Abundantia, cujus ille Abbas commendatarius existit, Religiosis Sancti Bernardi Fuliensibus, quorum bonus odor multis jam in locis manavit, si qua fieri posset opera attribueret et committeret, amotis inde sex monachis, omnibus propemodum senio ac disciplinæ religiosæ crassissima ignorantia, non laborantibus modo, sed pene confectis. Res sane bona et [372] omni acceptione digna, ut pro spinis flores in hortum Eclesiæ inferantur.

            Id autem ut succederet, omnia cum Generali Fuliensis illius Congregationis parata ac delineata sunt quæ in eam rem necessaria videbantur ; ita ut nihil præter unum, sed illud quidem maximum ac præcipuum, desiderari posse videatur : Sedis nimirum Apostolicæ beneplacitum quo omnia hæc et fiant et facta constent ac firmentur. Cum autem hujus rei utilitas in hanc ovilis Dominici partem cujus curam Apostolica vestra providentia mihi demandavit primum derivanda sit, non debui committere quin ego quoque humillimis ad pedum oscula precibus a Beatitudine Vestra efflagitem, ut suam paternam et [373] Apostolicam gratiam huic negotio liberaliter impertiri dignetur.

            Christus Dominus Sanctitatem Vestram quam diutissime nobis servet incolumem.

Beatitudinis Vestræ,

Indignus et humillimus servus,

F. E. G.

            Annessii Allobrogum, XXVII Octobris 1604.

            Beatissimo in Christo Patri et Domino,

            Domino Clementi VIII, Pontifici Maximo.

 

 

 

            Très Saint Père,

 

            Il n'est rien de meilleur que les bons Religieux, rien de pire que les mauvais. Les anciens l'ont dit, et de nos jours l'expérience le vérifie si bien qu'on pourrait justement citer à ce propos la parole de Jérémie : Si les figues sont bonnes, elles sont très bonnes ; mauvaises, elles sont très mauvaises. Or, de toute la chrétienté, le diocèse le plus exposé au fléau des mauvaises figues c'est celui de Genève, et pourtant nul n'aurait plus besoin de se refaire par une cueillette d'excellentes ligues. Ici, Très Saint Père, placés au front même de la bataille, nous subissons les premiers chocs de l'ennemi, dont c'est précisément la tactique de profiter de la dépravation des nôtres pour s'en prendre à la pure doctrine de l'Eglise et pour démoraliser les esprits faibles, [371] Certes, il est très affligeant qu'entre plusieurs monastères de divers Ordres établis dans ce diocèse, on n'en puisse à peine trouver un seul où la discipline ne soit ébranlée, et même tout à fait foulée aux pieds, en sorte qu'on ne voit plus même un vestige de l'antique et céleste ferveur, tant l'or s'est obscurci, tant son vif éclat s'est altéré.

            Le meilleur remède à ce mal, au dire de personnes éclairées, c'est de choisir dans les Congrégations nouvellement réformées, embrasées et enflammées du feu du Saint-Esprit, de vrais Religieux afin de les substituer à ceux qui, pour ne rien dire de plus, ont occupé indignement la terre. Dans cette pensée, Vespasien Aiazza, abbé commendataire de Notre-Dame d'Abondance, a projeté d'attribuer et de remettre ce Monastère aux Religieux Feuillants de Saint-Bernard, dont la bonne odeur s'est répandue dans beaucoup d'endroits, après en avoir banni six moines qui, presque tous usés de vieillesse, végètent comme ensevelis dans la plus grossière ignorance de la discipline [372] monastique. Œuvre excellente, œuvre digne de toute louange, de transplanter dans le jardin de l'Eglise des fleurs à la place des épines !

            Pour assurer le succès de l'entreprise, toutes les dispositions jugées nécessaires ont été prises et concertées avec le Général des Feuillants. Il ne reste plus maintenant qu'une chose à obtenir, mais c'est la plus sérieuse, elle est capitale : je veux dire l'approbation du Siège Apostolique, grâce à laquelle tout sera effectué et ensuite fermement consolidé. L'utilité de cet établissement rejaillira sur cette portion du bercail du Seigneur dont votre sollicitude apostolique m'a confié la garde. Aussi ai-je cru de mon devoir, en baisant les pieds [373] de Votre Béatitude, de la supplier très humblement qu'Elle daigne favoriser cette affaire de sa paternelle et apostolique bienveillance.

            Que le Christ souverain nous conserve le plus longtemps possible Votre Sainteté dans une santé parfaite.

De Votre Béatitude,

Indigne et très humble serviteur,

F. E. de G.

            Annecy en Savoie, 27 octobre 1604.

            Au Très Saint Père et Seigneur dans le Christ, le Souverain Pontife Clément VIII.

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CCXXXVI. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Requête pour obtenir que les Feuillants soient mis en possession de l'abbaye d'Abondance. — Recommandation en faveur du chanoine Nouvellet

 

Annecy, 27 octobre 1604.

 

            Monseigneur,

 

            Je sçai des long tems combien Vostre Altesse desire la reformation des monasteres de deça les mons, et qu'ell'a tous-jours jugé que le meilleur moyen d'y parvenir c'estoit d'oster par voye raysonnable les moynes et [374] Religieux qui, jusques a present, s'y sont mal comportés, et y mettre en leur place des autres Religieux des Congregations reformees. C'est pourquoy je ne doute nullement que Vostre Altesse n'ayt fort aggreable le dessein que le sieur Abbé d'Abondance a fait d'introduire en son monastere les bons Peres de Saint Bernard, lesquelz, par leur bonne vie et doctrine, repareront les ruines que les autres ont faittes par leur mauvais exemple. Je dois neanmoins en faire ma tres humble supplication a Vostre Altesse, comme celuy qui en recevra autant de consolation que les peuples de ce diocæse en recevront d'ædification.

            Permettes moy, Monseigneur, que je supplie encor Vostre Altesse que le bon docteur monsieur Nouvelet puisse avoir la præbende theologale d'Evians comme les autres theologaux præcedens l'ont eue, puisqu'il ne la meritera pas moins qu'eux, et que cette pauvre ville n'en a pas moins necessité maintenant qu'ell'a eu ci devant. Je confesse que le sieur Abbé est si extremement chargé de despences quil luy sera malaysé de la payer ; mais, Monseigneur, sil playsoit a Vostre Altesse d'ordonner que ses pensionnaires y contribuassent chascun quelque partie, il ni auroit plus nulle difficulté. Je l'en supplie avec tout'humilité et confiance en son saint zele au bien des ames de ses sujetz.

            Je prie Dieu qu'il multiplie ses faveurs en Vostre Altesse, a laquelle faysant tres humblement la reverence je demeure,

            Monseigneur,

            Son tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, XXVII octobre 1604.

            A Son Altesse.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [375]

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CCXXXVII. Au même. Procès intenté par le Prévôt du Grand Saint-Bernard au sujet de la cure des Allinges. — Le Saint implore la protection de Son Altesse

 

Annecy, 31 octobre 1604.

            Monseigneur,

 

            La cure des Alinges, qui ne fut onques a la disposition du Praevost de Montjou, a esté legitimement conferee a un fort honneste prestre lequel, des le commencement du restablissement de la sainte religion en ces quartiers la, y a tres utilement travaillé. Je ne fus pas plus tost en cette charge que le sieur Praevost de Montjou m'a fait appeller pardevant Monsieur l'Archevesque de Tharantayse, et avec moy ledit curé, pour voir rompre toutes les provisions faittes de laditte cure par feu Monsieur l'Evesque mon praedecesseur, de devote memoire. J'ay respondu, Monseigneur, et suis tous-jours prest a respondre. Et neanmoins, le sieur Praevost de Montjou m'envoye une lettre de Vostre Altesse qui me deffend de l'attaquer en proces. Monseigneur, il a tort, et c'est a moy de supplier tres humblement Vostre Altesse de luy commander de ne point troubler l'establissement des curés de Chablaix, qui a tant cousté et de peynes et de soin au zele de Vostre [376] Altesse. Il a des-ja esté condamné devant les officiers de Vostre Altesse ; il a neanmoins recouru a Sa Sainteté, laquelle a deputé Monsieur de Tharantayse, devant lequel il me fait appeller, et ou, j'espere, son tort sera reconnu sil ne cesse de nous travailler.

            Vostre Altesse a la Mayson de Saint Bernard en sa protection, mais elle n'a pas moins sous sa grace et singuliere faveur cette miserable evesché de Geneve, pour conserver, avec ses commandemens, les droitz de l'un'et de l'autre ; qui est tout ce que je puis souhaitter en cette occasion particuliere, en laquelle j'ay trois grans advantages. C'est quil s'agist non de mes actions, mais de celles de feu Monsieur mon prædecesseur, que Vostre Allesse a tous-jours jugé fort homme de bien ; je suis defendeur et en possession, et mon adversaire en cette cause a esté tous-jours condamné jusques a present. Avec ces raysons, je me prometz que Vostre Altesse aura aggreables mes procedures, et qu'en sachant les fondamens (sic), elle commandera au sieur Prævost de cesser et faire cesser les siennes.

            Je prie Nostre Seigneur quil comble Vostre Altesse et sa couronne de toute felicité et prosperité, et luy faysant tres humble reverence, je demeure, comme je doy et veux toute ma vie,

            Monseigneur,

            Tres humble et tres-obeissant serviteur et orateur de Vostre Altesse,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le XXXI octobre 1604.

            A Son Altesse.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [377]

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CCXXXVIII. A M. Pierre-Léonard de Roncas Baron de Chatel-Argent. Même sujet.

 

Annecy, 31 octobre 1604.

 

            Monsieur,

 

            Je viens de recevoir une lettre de Son Altesse par laquelle elle me commande que je ne poursuive plus le proces qui est entre monsieur de Montjou d'une part, et le curé des Alinges et moy de l'autre. Je proteste, Monsieur, que ledit sieur Prævost tient tort de l'audience du Prince ; car je ne l'ay jamais tiré en instance et ne pensois guere en luy quand, tout aussi tost que je fus en cette charge, il me fit citer et le pauvre curé, auquel il a fait faire de la despense fort hors de propos, et a moy aussi. J'ay de l'advantage par tout, car ledit sieur de Montjou a esté condamné devant les officiers de Son Altesse, et je suis defendeur et en possession, et respons non de mes actions mais de celles de feu Monsieur de Geneve mon prædecesseur, et en faveur d'un curé qui, des le fin commencement, a servi fort utilement a la gloire de Dieu en cette parroisse la. Je m'asseure que sur ces fondemens Son Altesse aura aggreables mes procedures, et n'approuvera pas celles de mon adversaire, lequel ayant de gayeté de cœur, ce semble, choysi le parti de l'assaillant et l'exerceant de tout son pouvoir, ne doit pas ni ne peut, sans avoir tort de moy, me faire prohiber celuy du defendant. [378]

            Monsieur, j'ay veu que la lettre qu'il a pleu a Son Altesse m'envoyer estoit sortie de vostre main, qui m'a fait croire que je devoys vous supplier de prendre en protection mon droit pour ce sujet, comme je vous supplie bien humblement, me resouvenant que vous m'aves fait l'honneur de m'aimer il y a long tems, et me promettant la mesme faveur encor maintenant que je suis,

 

            Monsieur,

Vostre serviteur plus humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXXI octobre 1604, a Neci.

            A Monsieur

            Monsieur de Chastelargent,

            Conseiller et Secretaire d'Estat de S. A.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de la Grande Maîtrise des Saints Maurice et Lazare.

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CCXXXIX. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. L'Abbé d'Abondance n'est pas en mesure de fournir une pension à M. Nouvellet. — Prière au prince de vouloir bien intervenir

 

Annecy, 12 novembre 1604.

 

            Monseigneur,

 

            Le bon homme monsieur Nouvelet avoit esté prouveu de la charge theologale d'Evian, et par consequent de la præbende dïcelle. Mais monsieur l'Abbé d'Abondance se treuve fort empesché a la vouloir payer, d'autant quil entre en une bonne despense pour introduire les Peres Feuillans en son Abbaye, et que d'ailleurs il est fort chargé de pensions ; il dit neanmoins que si ceux qui ont les pensions vouloyent supporter charitablement la moytié de laditte praebende, il contribueroit volontiers l'autre moytié. [379]

            Mais cela ne se peut ni attendre ni esperer sinon de la bonté et providence de Vostre Altesse qui le commandast a l'Abbé et aux pensionnaires, en faveur des ames qui en seroyent assistees et du bon monsieur Nouvelet, duquel la pauvreté seroit soulagee et la viellesse consolee, et qui ne respire ni devant Dieu ni devant les hommes que la grandeur et sainte prosperité de Vostre Altesse, de Messeigneurs ses enfans et de la posterité, pour laquelle je prie aussi tous les jours sa divine Majesté, comm'estant,

            Monseigneur,

            Tres humble et tres obeissant serviteur et orateur de Vostre Altesse,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XII novembre 1604, a Neci.

            A Son Altesse.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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CCXL. A la Baronne de Chantal. Conseils relatifs au règlement d'une affaire d'intérêt. — D'une certaine impuissance spirituelle et des tentations qui en dérivent. — Lutte entre la partie supérieure et la partie inférieure de l'âme. — Combattre les désirs empressés. — Indifférence à pratiquer dans l'acceptation des croix. — On peut se plaindre à Notre-Seigneur. — Choix de lectures. — Avis sur la manière de faire l'aumône. — Joie du Saint dans l'attente d'une grande épreuve. — Respect dû à un ancien directeur. — Deux sortes de bonnes volontés : l'une qui remplit l'enfer, l'autre le Paradis

 

Annecy, 21 novembre 1604.

 

            Madame ma tres chere Seur,

 

            Nostre glorieuse et tressainte Maistresse et Reyne, la Vierge Marie, de laquelle nous celebrons aujourdhuy la Presentation, veuille presenter nos cœurs a son Filz et nous donner le sien. Vostre messager m'est arrivé au [380] plus fort et malaysé endroit que je puisse presque rencontrer en la navigation que je fay sur la mer tempestueuse de ce diocæse, et n'est pas croyable combien vos lettres m'ont apporté de consolation. Je suis seulement en peyne si je pourray tirer de la presse de mes affaires le loysir quil faut pour vous respondre si tost comme je desire et si bien comme vous attendés. Je diray ce que je pourray tumultuayrement, et sil me reste quelque chose apres cela, je vous l'escriray dans bien peu de tems par homme de connoissance qui va a Dijon et revient.

            Je vous remercie de la peyne que vous aves prise a me desduire l'histoire de vostre porte de saint Claude, et prie ce beni Saint, tesmoin de la sincerité et integrité de cœur avec laquelle je vous cheris en Nostre Seigneur et commun Maistre, quil impetre de sa sainte bonté l'assistence du Saint Esprit qui nous est necessaire pour bien entrer au repos du tabernacle de l'Eglise. C'est asses dit une fois pour toutes : ouÿ, Dieu m'a donné a vous ; je dis uniquement, entierement, irrevocablement.

            Pour vostre proces, je vous diray qu'en ayant conferé avec un des excellens hommes qui vivent, affin quil m'aydast a m'en bien esclarcir, j'ay rencontré, ce me semble, le nœud de l'affaire pour vous bien et solidement conseiller pour nostre ame, qui est a Dieu et delaquelle, pour l'amour d'icelluy, il nous faut estre fort jaloux. C'est que j'ay veu que le contract des moulins et la transaction de la succession ont esté faitz a mesme jour, mesme heure, par le mesme notaire, en la mesme mayson, devant les mesmes tesmoins. Cela les rend correspectifz l'un a l'autre, et dela s'ensuit que, voulant faire casser et rompre celuy des moulins a cause de l'enorme lesion, il faut aussi rompre et casser celuy de la transaction qui luy est correspectif, et laysser les affaires au mesme estat auquel elles estoyent avant la transaction et l'achapt des [381] moulins. Car, puisque vous voules oster les quatorse mille francz a celuy a qui ilz avoyent esté donnés pour le faire transiger, il est bien raysonnable que la transaction quil a faitte pour les avoir soit aussi gastee. Vous voules reprendre ce que vous luy avés donné, qui est la somme de 14000 francz ; rendes luy aussi ce que vous avés de luy a cette consideration, qui est la cession de cette succession. Que si il ni avoit nul droit en ce tems-la, il n'en aura non plus maintenant.

            En cette façon je ne voy pas quil y ait rien a craindre pour nostre chere ame, car vous ne luy faites nul tort de reprendre ce que vous luy aves donné, luy rendant ce quil vous a donné. Je ne suis pas bien asseuré si je dis bien en ceci, parce qu'a l'adventure n'ay-je pas bien conceu le fait avec toutes ses circonstances ; car je suis extramement dur a l'intelligence de ces choses-la. C'est pourquoy, en ayant conferé avec des personnes entendantes au mestier et consciencieuses, desquelles vous ne manques pas a Dijon, si mon opinion n'est pas jugee bonne ne la suivés pas, mais la leur, car je le desire ainsy, bien que j'espere que j'auray bien deviné, selon la proposition que vous m'en avés faitte. Prenes garde, en la poursuite du proces, de ne point relascher de la pure et entiere charité du prochain, et faittes les sollicitations religieusement ; et, moyennant cela, ne vous laysses nullement inquieter d'aucun scrupule, car il ni a nul danger.

            Je ne vous diray plus rien du doute que vous avies si Dieu vouloit ou ne vouloit pas ce qui se passa a Saint Claude ; car, puisque sa bonté s'est inclinee jusques aux aureilles de vostre cœur pour s'en declairer a vous, il n'est plus quæstion que vous en douties. Pour moy, il ne me seroit pas possible, quand je le voudrois, d'en entrer en aucune difficulté.

            Je viens a vostre croix, et ne sçai si Dieu m'aura bien ouvert les yeux pour la voir en ses quattres boutz. Je le souhaitte infiniment et l'en supplie, affin que je vous puisse dire quelque chose bien a propos. C'est une certaine impuissance, ce me dites vous, des facultés ou parties [382] de vostre entendement qui l'empesche de prendre le contentement de la consideration du bien, et, ce qui vous fasche le plus, c'est que, voulant lhors prendre resolution, vous ne sentes point la solidité accoustumee, ains vous rencontrés une certaine barriere qui vous arreste tout court ; et de la vient le torment des tentations de la foy. C'est bien dit, ma chere Fille, vous vous exprimés bien ; Je ne sçai si je vous entens bien. Vous adjoustés que neanmoins la volonté, par la grace de Dieu, ne veut que la simplicité et fermeté en l'Eglise, et que vous mourries volontiers pour la foy d'icelle.

            O Dieu soit beni, ma chere Fille, l'infirmité n'est pas a la mort, mais affin que Dieu soit glorifié en icelle. Vous aves deux peuples au ventre de vostre esprit, comm'il fut dit a Rebecca ; l'un combat contre l'autre, mais en fin le plus jeune surmontera l'aisné. L'amour propre ne meurt jamais que quand nous mourons, il a mille moyens de se retrancher dans nostre ame, on ne l'en sçauroit desloger ; c'est l'aisné de nostr'ame, car il est naturel, ou au moins connaturel ; il a une legion de carabins avec luy, de mouvemens, d'actions, de passions ; il est adroit et sçait mille tours de souplesse. De l'autre costé, vous aves l'amour de Dieu, qui est conceu apres et est puisné ; il a aussi ses mouvemens, inclinations, passions, actions. Ces deux enfans en un mesme ventre s'entrebattent comm'Esau et Jacob ; c'est pour quoy Rebecca s'ecrie : M'estoit il pas mieux de mourir que de concevoir avec tant de douleurs ? De ces convulsions s'ensuit un certain degoustement qui fait que vous ne savoures pas les meilleures viandes. Mais que vous importe-il de savourer ou ne savourer pas, puis que vous ne laissés pas de bien manger ? Sil me failloit perdre l'un des sentimens, je choysirois que ce fut le goust, comme moins necessaire, voire mesme que l'odorat, ce me semble. Croyes-moy, ce n'est que le goust qui vous manque, ce n'est pas la veüe. Vous voyes, mais sans contentement ; vous maschés le pain comme si c'estoyent des estouppes, sans goust ni saveur. Il vous semble que vos resolutions sont sans force par ce qu'elles ne sont pas [383] gaÿes ni joyeuses, mais vous vous trompés, car l'Apostre saint Paul bien souvent n'en avoit que de cette sorte-la. La pauvre Lia est un petit chassieuse et laide, mais il faut que vostre esprit couche avec elle avant que d'avoir la belle Rachel. Et courage, car elle ne laissera pas de faire des beaux enfans et des œuvres aggreables a Dieu. Mais je m'arreste trop.

            Vous ne vous sentes pas ferme, constante, ni bien resolue. Il y a quelque chose en moy, ce dites vous, qui n'a jamais esté satisfait, mais je ne sçaurois dire que c'est. Je le voudrois bien sçavoir, ma chere Fille, pour vous le dire ; mais j'espere qu'un jour, vous oyant a loysir, je l'apprendray. Cependant, seroit-ce point peut estre une multitude de desirs qui fait des obstructions en vostre esprit ? J'ay esté malade de cette maladie. L'oyseau attaché sur la perche se connoit attaché et sent les secousses de sa detention et de son engagement seulement quand il veut voler ; et tout de mesme, avant qu'il aye ses aisles il ne connoit son impuissance que par l'essay du vol. Pour un remede donques, ma chere Fille, puisque vous n'aves pas encor vos aysles pour voler et que vostre propre impuissance met une barriere a vos effortz, ne vous debattes point, ne vous empressés point pour voler ; ayes patience que vous ayes des aisles pour voler comme les colombes. Je crains infiniment que vous n'ayes un petit trop d'ardeur a la proÿe, que vous ne vous empressies et multipliies les desirs un petit trop dru. Vous voyes la beauté des clartés, la douceur des resolutions ; il vous semble que presque presque vous les tenes, et le voysinage du bien vous en suscite un appetit demesuré, et cet appetit vous empresse et vous fait eslancer, mais pour neant ; car le Maistre vous tient attachee sur la perche, ou bien vous n'aves pas encor vos aisles, et ce pendant vous amaigrisses par ce continuel mouvement du cœur et alanguisses continuellement vos forces. Il faut faire des essays, mais moderés, mais sans se debattre, mais sans s'eschauffer.

            Examines bien vostre procedure en cet endroit ; peut estre verres vous que vous bandes trop vostr'esprit au [384] desir de ce souverain goust qu'apporte a l'ame le ressentiment de la fermeté, constance et resolution. Vous aves la fermeté, car qu'est ce autre chose fermeté que vouloir plus tost mourir qu'offencer ou quitter la foy ? mais vous n'en aves pas le sentiment, car si vous l'avies vous auries mille joÿes. Or sus, arrestes vous, ne vous empresses point ; vous verres que vous vous en treuveres mieux et vos aisles s'en fortifieront plus aysement. Cest empressement donques est un defaut en vous, et c'est ce je ne sçai quoy qui n'est pas satisfait, car c'est un defaut de resignation. Vous vous resignes bien, mais c'est avec un mais ; car vous voudries bien avoir ceci et cela, et vous debates pour l'avoir. Un simple desir n'est pas contraire a la resignation ; mais un pantelement de cœur, un debattement d'aysles, un'agitation de volonté, une multiplication d'eslancemens, cela indubitablement est faute de resignation. Courage, ma chere Seur ; puisque nostre volonté est a Dieu, sans doute nous sommes a luy. Vous avés tout ce quil faut, mais vous n'en avés nul sentiment ; il ni a pas grande perte en cela. Sçavés vous ce quil faut faire ? Il faut prendr'en gré de ne point voler, puisque nous n'avons pas encor nos aisles.

            Vous me faites resouvenir de Moyse. Le saint homme, arrivé sur le mont de Phasga, il vit toute la terre de promission devant ses yeux, terre a laquelle il avoit aspiré et esperé quarant'ans continuelz, parmi les murmurations et seditions de son armee et parmi les rigueurs des desers : il la vit et ni entra point, mais mourut en la voyant. Il avoit vostre verre d'eau aux levres et ne pouvoit boire. O Dieu, quelz souspirs devoit jetter cett'ame. Il mourut-la, plus heureux que plusieurs qui moururent en la terre de promission, puisque Dieu luy fit lhonneur de l'ensepulturer luymesme. Or sus, sil vous failloit mourir sans boire de l'eau de la Samaritaine, et qu'en seroit ce pour cela, pourveu que nostr'ame fut receue a boire æternellement en la source et fontaine de vie ? Ne vous empresses point a des vains desirs, et mesme ne vous empresses pas a ne vous empresser point. Alles doucement vostre chemin, car il est bon. [385]

            Saches, ma tres chere Seur, que je vous escris ces choses avec beaucoup de distractions, et que si vous les treuves embrouïllees ce ne sera pas merveille, car je le suis moymesme, mais, Dieu merci, sans inquietude. Voules vous connoistre si je dis vray que le defaut qui est en vous c'est de cett'entiere resignation ? Vous voules bien avoir une croix, mais vous voules avoir le choix ; vous la voudries commune, corporelle et de telle ou telle sorte. Et qu'est cela, ma Fille tres aymee ? Ah non, je desire que vostre croix et la mienne soit entierement croix de Jesuschrist et quand a l'imposition d'icelle et quant au choix. Le bon Dieu sçait bien ce quil fait et pourquoy ; c'est pour nostre bien sans doute. Nostre Seigneur donna le choix a David de la verge delaquelle il seroit affligé ; et, Dieu soit beni, mais il me semble que [je] n'eusse pas choysi, j'eusse laissé faire tout a sa divine Majesté. Plus une croix est de Dieu, plus nous la devons aymer.

            Or sus, ma Seur, ma Fille, mon ame (et ceci n'est pas trop, vous le sçaves bien), dites moy, Dieu n'est il pas meilleur que l'homme ? mais l'homme n'est il pas un vray neant en comparaison de Dieu ? Et neanmoins voyci un homme, ou plustost le plus vray neant de tous les neans, la fleur de toute la misere, qui n'ayme rien moins la confiance que vous aves en luy, encor que vous en ayes perdu le goust et le sentiment, que si vous en avies tous les senti mens du monde ; et Dieu n'aura-il pas aggreable vostre volonté bonne, encor qu'elle soit sans nul sentiment ? Je suis, disoit David, comm'une vessie sechee a la fumee du feu, qu'on ne sçauroit dire a quoy elle peut servir. Tant de secheresses qu'on voudra, tant de sterilités, pourveu que nous aymions Dieu.

            Mais avec tout cela vous n'estes pas encor au pais ou il ni a point de jour, car vous aves le jour par fois et Dieu vous visite. Est il pas bon a vostre advis ? Il me semble que cette vicissitude vous le rend bien savoureux. J'appreuve neanmoins que vous remonstriés a [386] nostre doux Sauveur, mais amoureusement et sans empressement, vostre affliction, et, comme vous dites, qu'au moins il se laisse treuver a vostre esprit ; car il se plait que nous luy racontions le mal qu'il nous fait et que nous nous plaignions de luy, pourveu que ce soit amoureusement et humblement, et a luy mesme, comme font les petitz enfans quand leur chere mere les a fouettés. Cependant il faut encor un petit souffrir, et doucement. Je ne pense pas qu'il y ayt aucun mal de dire a Nostre Seigneur : Venes dans nos ames ; non, cela n'a nulle apparence de mal.

            Ce Seigneur sçait si j'ay jamais communié sans vous des mon despart de vostre ville... Dieu veut que je le serve en souffrant les sterilités, les angoisses, les tentations, comme Job, comme saint Paul, et non pas en preschant. Servés Dieu comme il veut ; vous verres qu'un jour il fera tout ce que vous voudres et plus que vous ne sçauries vouloir. Les livres que vous lires demi heure sont Grenade, Gerson, la Vie de Jesus Christ mise en françois, du latin de Ludolphe Chartreux, la Mere Therese, le Traitté de l'Affliction, que je vous ay marqué en la precedente lettre. Hé, serons nous pas un jour tous ensemble au Ciel a benir Dieu eternellement ? Je l'espere et m'en res-jouïs.

            La promesse que vous fistes a Nostre Seigneur de ne jamais rien refuser de ce qui vous seroit demandé en son nom, ne vous sçauroit obliger sinon a le bien aymer ; c'est a dire que vous pourries l'entendre en telle façon que la prattique en seroit vicieuse, comme si vous donnies plus qu'il ne faut et indiscretement. Cela donq s'entend en observant la vraye discretion, et, en ce cas la, ce n'est [387] non plus que de dire que vous aymeres bien Dieu et vous accommoderes a vivre, dire, faire et donner selon son gré.

            Je garde les livres des Psaumes, et vous remercie de la musique, en laquelle je n'entens rien du tout, bien que je l'ayme extremement quand elle est appliquee a la louange de Nostre Seigneur.

            Vrayement, quand vous voudres que je depesche et que je treuve du loysir sans loysir pour vous escrire, envoyés moy ce bon homme [Rose] ; car, sans mentir, il m'a pressé si extremement que rien plus, et ne m'a point voulu donner de relasche, pas seulement d'un jour ; et vous dis bien que je ne voudrois pas estre juge en un proces duquel il fust solliciteur.

            Je ne puis laisser le mot de Madame, car je ne veux pas me croire plus affectionné que saint Jan l'Evangeliste, qui neanmoins en l'Epistre sacree qu'il escrit a la sainte dame Electa l'appelle Madame ; ni estre plus sage que saint Hierosme, qui appelle bien sa devote Eustochium Madame. Je veux bien neanmoins vous defendre de m'appeller Monseigneur ; car encor que c'est la coustume de deça d'appeller ainsy les Evesques, ce n'est pas la coustume de dela, et j'ayme la simplicité.

            La Messe de Nostre Dame que vous voules vouer pour toutes les semaines le pourra bien estre, mais je desire que ce ne soit que pour une annee, au bout de laquelle vous revoüeres, s'il y eschoit ; et commencés le jour de la Conception Nostre Dame, jour de mon sacre, et auquel je fis le grand et espouvantable vœu de la charge des ames et de mourir pour elles s'il estoit expedient. Je devrois trembler m'en resouvenant. J'en dis de mesme du Chapelet et de l'Ave maris Stella.

            Je n'ay observé ni ordre ni mesure a vous respondre ; mais ce porteur m'en a levé le moyen. J'attens de pied coy une grande tempeste, comme je vous ay escrit au commencement, et pour mon particulier, mais joyeusement ; et, regardant en la providence de Dieu, j'espere que ce sera pour sa plus grande gloire et mon repos, et beaucoup d'autres choses. Je ne suis pas asseuré qu'elle arrive, je n'en suis que menacé. Mais pourquoy vous dis-je [388] ceci ? Et pour ce que je ne m'en sçaurois empescher ; il faut que mon cœur se dilate avec le vostre comme cela ; et puisqu'en cett'attente j'ay de la consolation et de l'esperance de bonheur, pourquoy ne vous le dirois-je pas ? mais a vous seule, je vous prie.

            Je prie soigneusement pour nostre Celse Benigne et pour toute la petite trouppe de filles ; je me recommande aussi a leurs prieres. Resouvenes vous de prier pour ma Geneve, affin que Dieu la convertisse. Item, resouvenes vous de vous comporter avec un grand respect et honneur en tout ce qui regardera le bon Pere spirituel que vous sçavés ; et mesme traittant avec ses disciples et enfans spirituelz, quilz ne reconnoissent que la vraye douceur et humilité en vous. Si vous recevies quelques reproches, tenes vous douce, humble, patiente et sans autre mot que de vraye humilité, car il le faut.

            Dieu soit a jamais vostre cœur, vostre esprit, vostre repos, et je suis,

            Madame,

Vostre tres dedié serviteur en Nostre Seigneur,

F.

            Ma mere malade vous salue humblement et vous offre son tres humble service et de toute sa mayson. Je suis si pressé que j'ay transposé les pages, mais vous les remettres par la marque. A Dieu soit honneur et gloire.

            Jour de la Presentation de Nostre Dame, 21 novembre 1604.

            J'adjouste ce matin, jour sainte Cecile, que le proverbe tiré de nostre saint Bernard : L'enfer est plein de bonnes volontés ou desirs, ne vous doit nullement troubler. Il y a deux sortes de bonnes volontés. L'une dit : Je voudrois bien faire, mais il me fasche et ne le feray pas ; l'autre dit : [Je] veux bien faire, mais je n'ay pas tant de pouvoir que de vouloir, c'est cela qui m'arreste. La premiere remplit l'enfer, la seconde le Paradis. La [389] premiere volonté ne fait que commencer a vouloir et desirer, mais elle n'acheve pas de vouloir ; ses desirs n'ont pas asses de courage, ce ne sont que des avortons de volonté, c'est pourquoy elle remplit l'enfer. Mais la seconde produit des desirs entiers et bien formés, et c'est pour celle la que Daniel fut appellé homme de desirs.

            Nostre Seigneur vous veuille donner la perpetuelle assistence de son Saint Esprit, ma Seur et Fille tres aymee.

            A Madame

            Madame la Baronne de Chantal.

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CCXLI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Ce qu'il faut faire quand on éprouve de la difficulté à méditer. — Les longues veilles du soir « debilitent le cerveau. » — Comment on peut servir Dieu dans les maladies. — « Baume pretieux » pour les adoucir. — Lectures proposées. — Obéissance au médecin. — Dignité royale des malades. — « Dequoy les Anges nous portent envie. » — La Messe et la Communion au temps de maladie

 

Annecy, vers le 22 novembre 1604.

 

            Ma très chere Seur,

 

            Nostre Seigneur vous veuille donner son Saint Esprit, pour faire et souffrir toutes choses selon sa volonté. Vostre homme [Rose] me presse si fort de le depescher que je ne sçai si je pourray vous respondre entierement ; au moins vous diray je quelque chose, selon que Dieu m'en donnera la grace.

            J'ay esté consolé que [Philibert] arriva si a propos avec mes lettres. Tous vos degoustemens ne m'estonnent point ; ilz cesseront un jour, Dieu aydant, et si bien vous aves donné peu de satisfaction a ce bon Pere, [390] je m'asseure qu'il ne s'en troublera point ; car je le tiens pour capable de connoistre les divers accidens d'une ame qui commence a cheminer au chemin de Dieu. Pour moy, ma chere Seur et Fille, ne doutés nullement, vous ne sçauries m'estre importune ; et si Nostre Seigneur m'avoit autant donné de liberté et de commodité de vous assister commne j'en ay de volonté et d'affection, vous ne me verries jamais las de vous servir a la gloire de Dieu, car jo suis pleinement vostre, et vous ne sçauries avoir trop d'asseurance de moy pour ce regard.

            Touchant la meditation, je vous prie de ne point vous affliger si parfois, et mesme bien souvent, vous n'y estes pas consolee ; mais poursuivés doucement et avec humilité et patience, sans pour cela violenter vostre esprit, Serves-vous du livre quand vous verres vostre esprit las ; c'est a dire lises un petit et puis medités, et puis relises encor un petit et puis medités, jusques a la fin de vostre demie heure. La Mere Therese en usa ainsy du commencement, et dit qu'elle s'en treuva fort bien. Et puisque nous parlons confidemment, j'adjousteray que je l'ay ainsy essayé et m'en suis bien treuvé. Tenes pour regie que la grace de la meditation ne se peut gaigner par aucun effort d'esprit ; mays il faut que ce soit une douce et bien affectionnee perseverance, pleine d'humilité.

            Tous vos autres exercices vous les continueres en la façon que je vous les ay marqués. Pour le coucher je ne changeray point d'opinion, s'il vous plait ; mais si le lict vous desplait et que vous n'y puissies pas tant demeurer que les autres, je vous permettray bien de vous lever une heure plus matin ; car, ma chere Seur, il n'est pas croyable combien les longues veilles du soir sont dangereuses et combien elles debilitent le cerveau. On ne le sent pas en jeunesse, mais on le ressent tant plus par apres, et plusieurs personnes se sont rendues inutiles par ce moyen la.

            Je viens a vostre jambe malade et qu'il faut ouvrir. Ce ne sera pas sans des douleurs extremes ; mais mon Dieu, quel sujet est-ce que sa bonté vous donne de probation en ses commandemens ! O courage, ma chere Seur ; [391] nous sommes a Jesus Christ, voyla qu'il vous envoye ses livrees. Faites estat que le fer qui ouvrira vostre jambe soit l'un des cloux qui perça les pieds de Nostre Seigneur. O quel honneur ! Il a choysi pour luy ces sortes de faveurs, et les a tant cheries qu'il les a portees en Paradis ; et voyla qu'il vous en fait part.

            Et vous me dites que vous me laisses a penser comme vous servires Dieu pendant le tems que vous seres sur le lict ! Et suis content d'y penser, ma bonne Fille. Sçaves vous ce que je pense ? A vostre advis, ma chere Seur, quand fut-ce que nostre Sauveur fit le plus grand service a son Pere ? Sans doute que ce fut estant couché sur l'arbre de la croix, ayant pieds et mains percés ; ce fut la le plus grand acte de son service. Et comme le servoit il ? En souffrant et en offrant ; ses souffrances estoyent une odeur de suavité a son Pere. Et voyla donques le service que vous feres a Dieu sur vostre lict : vous souffrires et offrires vos souffrances a sa Majesté. Il sera sans doute avec vous en cette tribulation, et vous consolera. Voyla vostre croix qui vous arrive : embrassés-la, et la caressés pour l'amour de Celuy qui vous l'envoye. David affligé disoit a Nostre Seigneur : J'ay fait le muet et n'ay dit mot, parce que c'est vous, o mon Dieu, qui m'aves fait ce mal que je souffre. Comme s'il disoit : Si un autre que vous, o mon Dieu, m'avoit envoyé cette affliction, je ne l'aymerois pas, je la rejetterois ; mais puisque c'est vous, je ne dis plus mot, je l'accepte, je la reçois, je l'honnore.

            Ne doutés point que je ne prie fort Nostre Seigneur pour vous, affin qu'il vous face part de sa patience, puisqu'il luy plait vous faire part de ses souffrances. Je le dois, je le feray, et seray en esprit pres de vous pendant tout vostre mal ; non, je ne vous abandonneray point. Mays voyci un baume pretieux pour adoucir vos douleurs. Prenes tous les jours une goutte ou deux du sang qui distille des playes des pieds de Nostre Seigneur et le faites passer par la meditation, et avec imagination trempés reveremment vostre doigt en cette liqueur et l'appliqués sur vostre mal, avec l'invocation du doux nom de Jesus, qui [392] est un huyle respandu, disoit l'Espouse aux Cantiques, et vous verrés que vostre douleur s'amoindrira.

            Pendant ce tems la, ma chere Fille, dispenses vous de l'Office pour tous les jours que les medecins vous le conseilleront, encor qu'il vous semblera que vous n'en ayes pas besoin : je vous l'ordonne comme cela au nom de Dieu. Si ces lettres vous arrivent avant le coup, faites chercher par tout le Traitté de Cacciaguerre, De la Tribulation, et le lises pour vous preparer ; si moins, faites-le vous lire paysiblement a quelqu'une de vos plus devotes pendant que vous seres au lict, et croyes moy, cela vous soulagera incroyablement. Jamais je ne fus si touché d'aucun livre que de celuy la, en une maladie tres douloureuse que j'eus en Italie. L'obeissance que vous rendres au medecin sera infiniment aggreable a Dieu, et mise en conte au jour du jugement.

            Je ne puis vous envoyer maintenant l'escrit de la Communion, car vostre homme me presse trop. Je vous l'envoyeray bien tost, car j'en auray commodité ; mays ce pendant vous treuveres dans Grenade tout ce qui est requis, et dans la Prattique spirituelle. O que j'ay esté consolé de voir que vous aves franchi toutes difficultés pour faire tout ce que je vous escrivis touchant vos vœux et la Confession. Ma chere Seur, il faut tous-jours faire comme cela, et Dieu sera glorifié en vous.

            Vous aures tres souvent de mes lettres et a toute occasion. Pendant que je vous penseray affligee dans le lict, [393] je vous porteray (mais c'est a bon escient que je parle), je vous porteray une reverence particuliere et un honneur extraordinaire, comme a une creature visitee de Dieu, habillee de ses habitz et son espouse speciale. Quand Nostre Seigneur fut a la croix il fut declairé Roy, mesme par ses ennemis ; et les ames qui sont en croix sont declairees reynes.

            Vous ne sçaves pas dequoy les Anges nous portent envie. Certes, de nulle autre chose que de ce que nous pouvons souffrir pour Nostre Seigneur, et ilz n'ont jamais rien souffert pour luy. Saint Paul, qui avoit esté au Ciel et parmi les felicités du Paradis, ne se tenoit pour heureux qu'en ses infirmités et en la Croix de Nostre Seigneur. Quand vous aures la jambe percee, dites a vos ennemis la parole du mesme Apostre : Au demeurant, que nul ne me vienne plus fascher ni troubler, car je porte les marques et signes de mon Seigneur en mon cors. O jambe laquelle estant bien employee vous portera plus avant au Ciel que si elle estoit la plus saine du monde ! Le Paradis est une montaigne a laquelle on s'achemine mieux avec les jambes rompues et blessees qu'avec les jambes entieres et saines.

            Il n'est pas bon de faire dire les Messes dans les chambres ; adorés des le lict Nostre Seigneur a l'autel et contentes vous. Daniel ne pouvant aller au Temple se tournoit de ce costé la pour adorer Dieu ; faites en de mesme. Mais je suis bien d'advis que vous communiies tous les Dimanches et bonnes festes au lict, autant que les medecins vous le permettront : Nostre Seigneur vous visitera volontier au lict de l'affliction.

            J'ay receu le billet joint a vostre lettre ; ne doutés nullement que je ne l'aye tres aggreable. Je l'accepte de tout mon cœur, et vous prometz que j'auray le soin de vous que vous desires, autant que Dieu m'en donnera de force et de pouvoir. Je prie sa divine Majesté qu'il vous comble de ses graces et benedictions, et toute vostre Mayson. [394] Dieu soit eternellement beni et glorifié sur vous, en vous et par vous. Amen.

            Je suis, ma tres chere Fille,

            Vostre serviteur tres affectionné en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Je vous supplie qu'il vous plaise faire recommander a Dieu un bon œuvre que je souhaitte voir accompli, et sur tout de le recommander vous mesme pendant vos tourmens ; car en ce tems la, vos prieres, quoy que courtes et de cœur, seront infiniment bien receuës. Demandés en ce tems la a Dieu les vertuz qui vous seront plus necessaires.

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CCXLII. A la Présidente Brulart. C'est la dévotion bien réglée que le Ciel bénit. — Il faut servir Dieu à la campagne aussi bien qu'à la ville

 

Annecy, vers le 22 novembre 1604.

 

            Madame,

 

            Je loüe Dieu de tout mon cœur de voir en vostre lettre le grand courage que vous aves de vaincre toutes les difficultés pour estre vrayement et saintement devote en vostre vocation. Faites le, et attendes de Dieu de grandes benedictions, plus sans doute en une heure d'une telle devotion, bien et justement reglee, qu'en cent jours d'une devotion bigearre, melancholique et dependante de vostre propre cervelle. Tenés ferme en ce train, et ne vous laisses nullement esbranler en cette resolution.

            Vous aves, ce me dites vous, un peu relasché de vos exercices aux chams. Et bien, il faut retendre l'arc et recommencer avec tant plus de soin ; mais une autre fois il ne faut pas que les chams vous apportent cette incommodité. Non, car Dieu y est aussi bien qu'en la ville. [395] Vous aves maintenant le petit escrit de la meditation, prattiqués le en paix et repos.

            Pardonnés moy, ma chere Dame, si je trousse un peu plus court ma lettre que vous ne desireries ; car ce bon homme Rose me tient tellement au collet pour le faire depescher qu'il ne me donne pas le loysir de pouvoir escrire. Je prie Nostre Seigneur qu'il vous donne une singuliere assistence en son Saint Esprit, affin que vous le servies de cœur et d'esprit selon son bon playsir. Priés-le pour moy, car j'en ay besoin, et jamais je ne vous oublie en mes foibles oraysons.

            Si monsieur vostre mary ne me tient pas pour son serviteur il a bien tort, car je le suis tres asseurement, et de tout ce qui vous appartient.

            Dieu soit a jamais avec vous et en vostre cœur. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

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CCXLIII. A la Baronne de Chantal (Inédite). Deux abus à éviter relativement au confesseur : s'attacher à sa conduite au point de « perdre la vraye liberté ; » en changer « sans propos. » — Remarques sur divers écrits et une sorte de testament spirituel. — Message pour Mme Brûlart. — Le Saint ne veut pas que ses lettres soient communiquées

 

Annecy, 7 décembre 1604.

 

            Madame,

 

            Je ne puis laisser partir aucun messager d'ici qui s'en aille de dela sans luy donner de mes lettres, et au moins pour vous. Cettuici aussi ne me donne pas loysir d'escrire qu'a vous.

            Despuis le despart de vostre homme j'ay feuilleté tous les escritz que vous m'avies envoyés, et ni ay rien treuvé qui ne soit bien bon, sinon le point qui regarde la confession, ou il est dit quil faut tous-jours changer de [396] confesseur. Cela est contraire a l'advis de tous les serviteurs de Dieu et a l'experience et a la rayson. Il faut donques ne point changer de confesseur quand l'on en a rencontré un bon, si ce n'est avec beaucoup de sujet. Il est vray que c'est un grand abus de tellement se lier a un confesseur que sil advient de n'en avoir pas la commodité, pour cela on s'en inquiete ou trouble ; car c'est s'attacher a l'instrument de nostre bien et non pas a l'ouvrier d'iceluy, qui est Dieu, et par consequent perdre la vraye liberté. Mais aussi, d'aller changeant sans propos c'est un'espece de dissolution, delaquelle il arrive que jamais la complexion de nostr'esprit n'est reconnëue par nostre medecin spirituel ; et comment donques nous sçaura-il gouverner ? Or bien, cela suffit. Tenes vous donques a vostre confesseur sans contrainte, et quand pour quelque sujet il le faudra changer, que ce soit sans dissolution.

            J'ay bien opinion que dedans ces escritz il y a plusieurs pointz de tres diffidile prattique, et qui font une abstraction d'esprit un petit excessive a qui voudroit les empoigner de haute lutte. Mais il faut aussi y apporter le remede convenable, qui est de ne point se roydir en leur exercice qu'avec advis et moderation, et apres qu'on aura fort usé les pointz plus aysés. Je n'ay pas loysir de vous en dire autre chose.

            J'ay veu le testament des deux Religieux, par lequel l'ame se donne toute a Dieu. Il est fort ample, et ne treuve que bon quil soit porté sur soy, et plus au cœur. C'est pour respondre a la petite marque que vous avés mis en marge. Je voy la dedans, ma tres chere Fille, que vous aves tout laissé a Dieu, pour estre exercee par toutes sortes d'aridités, tentations et secousses selon son bon playsir : resouvenés vous en bien. Mais voyla que vous me dirés : C'est que les testamens n'ont point d'effect que par la mort du testateur. Dieu donques nous face bien mourir sur sa sainte Croix, affin que nous soyons entierement siens. Mon Dieu, que vous estes obligee a l'amour de sa divine bonté ! Sans doute, toutes choses bien considerees, il vous a esté expedient d'estre conduite par ou vous aves esté conduite jusques a present ; mais [397] jusques a present. O que les sentiers de la providence que Dieu a des siens sont admirables et imperscrutables !

            Si cet homme ne passoit a Geneve je vous eusse renvoyé tous vos papiers ; mais je craindroys quil ne fut recherché la dedans, et qu'ilz les voulussent voir et s'en mocquassent, comm'ilz ont accoustumé de faire des choses qui ne sont pas a leur goust. Ce sera a la premiere commodité. Faites moy ce bien que de saluer en mon nom madame Brulart, a laquelle je ne puis escrire faute de loysir, et aussi n'ay je pas autre sujet que de la saluer. Tout maintenant j'ay receue une lettre de Monsieur de Bourges du 27 aoust ; je ne sçai ou ell'a esté jusques a present. Elle ne regarde qu'un affaire temporel ; je luy en feray response dans bien peu, ne desirant rien tant que de me conserver sa bonne grace.

            Vivons a Jesus Christ, ma chere Seur, soyons entièrement a luy. Ses sacrees mains nous ont basti et formés ; qu'elles facent de nous ce quil leur plaira. Et courage, nous ne nous sçaurions confier a des mains plus amies et favorables. J'attens tous les jours un assault, comme je vous escrivois par la derniere, mais il ne sçait venir. Mon Dieu qui connoist ma foiblesse ne la voudra pas espreuver, et se sera peut estre contenté de la menace. Pries le pour moy : quil me fortifie, et puis qu'il me charge.

            A monsieur vostre pere et oncle mille salutations. Ma chere Seur et ma Fille, tous les jours je donne vostre cœur a Dieu avec celuy de son Filz en la sainte Messe ; donnes luy le mien, et je vous advoüeray au jour du jugement. Dieu soit vostre amour, vostre cœur, vostre courage, et je suis,

            Ma tres chere Seur, Madame et ma Fille,

Vostre serviteur plus humble et dedié en Nostre Seigneur,

F.

            Je veux bien que vous communiquies mes advis qui regardent vostre conscience avec vostre confesseur, mais nompas mes lettres qui sont un petit trop naifves et [398] cordiales pour estre veües par des yeux autres que bien simples, et respondans a mon intention toute franche et ronde en vostre endroit.

            A Neci, VII decembre, veille de la Conception.

            Dieu benie nostre Celse Benine et ses trois seurs ; c'est ainsy que je les salue. Ma mere est tous-jours malade, mais sans danger.

            A Madame

            Madame la Baronne de Chantal (sic),

            chez Monsieur le Præsident Fremiot son Pere.

            A Dijon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Grande-Chartreuse.

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CCXLIV. A Messieurs du Conseil de la Sainte-Maison de Thonon. Envoi de quelques papiers

 

Annecy, 7 décembre 1604.

 

            Messieurs,

 

            Je vous envoye l'original que vous avés desiré de moy, avec quelques autres papiers qui regardent le mesme sujet, et ne sçai pourquoy les scindiques de Thonon prenent ce biais de nier une chose si claire et quilz ne peuvent ignorer. Je prie Nostre Seigneur quil vous donne abondamment l'assistence de son Saint Esprit, et suis,

            Messieurs,

Vostre serviteur plus humble en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            VII decembre 1604.

            A Messieurs

            Messieurs du Conseil de la Ste Mayson de Thonon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Genève, Bibliothèque publique. [399]

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CCXLV. A M. Charles d'Albigny (Inédite). Prière de vouloir bien donner audience à un nouveau converti

 

Annecy, 23 décembre 1604.

 

            Monsieur,

 

            Ce porteur, qui s'appelle Henri de la Rose (vulgo nativo), de Matisco, mais qui a vescu une grande partie de son aage a Geneve, est venu a moy pour recevoir l'absolution de son hæresie, laquelle je luy ay conferee. Au bout de la, il m'a parlé d'un affaire duquel je ne suis pas bien capable, mais que j'ay estimé digne de n'estre pas entierement mesprisé. C'est pourquoy je luy ay donné advis de passer jusques a vous, Monsieur, qui jugeres de sa proposition, laquelle, a ce quil m'a dit, il n'a communiqué a homme du monde que a moy, qui ne l'ay pas bien entendue.

            J'attens que le P. Recteur aille aupres de vous, Monsieur, pour vous esclarcir sur le sujet de vostre lettre dont il vous pleut m'honnorer, et cependant je suis pour toute ma vie,

            Monsieur,

Vostre serviteur tres humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXIII décembre 1604.

            A Monsieur

            Monsieur d'Albigni,

            Chevallier de l'Ordre de S. A. et son Lieutenant general deça les mons.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy. [400]

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CCXLVI. A M. Janus de la Faverge (Inédite). Réponse à une lettre de recommandation. — Souhaits de bonne année. — Le Saint se promet beaucoup de consolation du Carême qu'il doit prêcher à La Roche

 

Annecy, 30 décembre 1604.

 

            Monsieur mon Oncle,

 

            J'ay receu vostre lettre par les mains de ce mesme porteur, duquel le droit sera conservé fort soigneusement, non seulement pour le devoir que j'ay de rendre cet office a tous ceux de ce diocæse, mais aussi pour la recommandation que vous m'en faites, laquelle aura tous-jours autant de pouvoir sur moy que null'autre. Si monsieur le Præsident eüt esté icy, j'eusse sur le champ essayé de faire ce que vous desirés de moy vers luy, comme je le feray, Dieu aydant, tout aussi tost quil sera de retour de Chamberi qui sera, comm'il m'escrit, aux Rois.

            Je ne voy l'heure en laquelle je me rendray au pres de vous et de vostre ville, pour le contentement que j'en prætens. Le vous puisse je rendre en quelque façon reciproque, et je l'espere de la bonté de Dieu, lequel je supplie de tout mon cœur vous donner bon commencement, meilleur progres et tres bonne fin de cette nouvelle annee qui nous arrive. Son Saint Esprit veuille tous-jours vous consoler de ses benedictions, avec madame ma bonne tante et seur, et toute vostre suitte ; et je suis de tres grand'affection,

            Monsieur mon Oncle,

Vostre serviteur, neveu et compere bien humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 30 decembre 1604.

            A Monsieur mon Oncle,

            Monsieur de la Faverge.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte de Foras,

château de Thuyset, près de Thonon. [401]

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CCXLVII. A un inconnu (Fragment inédit)

 

[1604.]

 

            Monsieur,

 

            Entre plusieurs embarassemens qui rendent ma charge pesante, j'en a y un pour les cures de Saint Sergue, Perrigni, Fessi, Lully, Brenthonoz et Lulin, desquelles les portions congrues furent tirees par feu Monsieur mon prædecesseur, en partie sur les revenuz de l'abbaye d'Aux, d…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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CCXLVIII. A Monseigneur André Frémyot, Archevêque de Bourges. (Fragment). Envoi d'un règlement de vie. Dans quel esprit l'observer. — Savoir y déroger pour servir le prochain. — Ne jamais lui sacrifier « la tressainte liberté d'esprit. »

 

[1604 ].

 

            Monseigneur,

 

            C'est pour vous obeir que je vous envoye ce pauvre escrit, lequel, pour la plus grande partie de ses pointz, vous sera inutile. Ce n'est pas certes qu'il ne fust desiderale que nos maysons episcopales fussent dans ce [402] reglement, nous sçavons ce que saint Paul en dit ; mais je sçay par mon experience qu'il faut s'accommoder a la necessité du tems, du lieu, de l'occasion et de nos occupations. Je vous confesse que je n'ay point de scrupule de me desregler de mon reglement quand c'est le service de mes brebis qui m'occupe, car alhors il faut que la charité soit plus forte que nos propres inclinations, pour bonnes que nostre amour propre nous les face voir ; et, en faysant cet escrit que je vous envoye, mon dessein a esté, non de me gesner, mais ouÿ bien de me regler, sans m'obliger a aucun scrupule de conscience, car Dieu me fait la grace d'aymer autant la tressainte liberté d'esprit que haïr la dissolution et le libertinage. En somme, Monseigneur, nous devons dire avec le grand Evesque d'Hippone : « Amor meus pondus meum. » ...

 

Revu sur un ancien Ms. de l'Année Suinte de la Visitation, conservé au Monastère d'Annecy.

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CCXLIX. A une inconnue (Inédite). Encouragements donnés à une résolution généreuse. — Offres charitables pour la seconder. — Un cœur attendri par la douleur est plus accessible à la grâce

 

[1602-1604 .]

 

            Je laisse a part tout le reste de vostre lettre pour louer, benir et remercier Dieu de la resolution quil a planté en vostre ame : je le prie de nourrir et arrouser de ses benedictions ceste plante. J'ay tous-jours esté avec vostre [403] cœur des hier, et luy ay souhaitté ce qui luy est arrivé ; bien plus, mon cœur m'avoit presque dit ce qui est descendu dans le vostre. L'amour fait quelquefois des præsages par la force de la simpathie. Aussi ay renversé sans dessus dessous mon entendement et mes livres et ceux de mes amis pour treuver quelque facilitation au dessein que je presageois vous devoir advenir, et ay treuvé que tout est aysé et revient a bien a ceux que Dieu veut tant aymer que de se faire aymer par eux. Nous n'aurons pas besoin d'aller a Romme pour aller en Hierusalem, c'est a dire en la paix de nos consciences ; Dieu a estendu sa main jusques icy pour nous embrasser.

            Je me resoudray encor plus avant de ce que nous aurons a faire et, l'ayant bien dressé par ordre, je vous tesmoigneray que les offres que je vous fis partoyent [d'une] volonté bien asseuree a vostre service. Mais si faut il que je vous die ce mot : le rocher d'Horeb estoit vif et dur ; sil jetta de l'eau ce ne fut point par mollesse, ce fut que Dieu le toucha. Ce n'est pas pusillanimité d'avoir tesmoigné dans les yeux le coup que l'on ressent au cœur. Que sil y a de l'extraordinaire, tant plus doit on croire que le coup vient d'en haut, puysque les coups ordinaires n'ont pas ce pouvoir. La terre seche ne reçoit pas si a propos le soc ni la semence ; Dieu fait pleuvoir pour semer sa grace.

            Courage, Madame ; ce seroit une vraye et prodigieuse pusillanimité en un'ame bien nee de quitter une telle resolution que celle que vous aves receu ; Dieu, qui vous l'a donnee, ne la retirera jamais si vous ne la chassés. Conservés la donques, et croyes que je suis au grand jamais et tous-jours.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de San Vito al Tagliamento (Vénétie). [404]

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Minutes écrites par Saint François de Sales pour diverses personnes

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CCL. Au Duc de Nemours, pour un père de famille (Inédite). Instances à l'effet d'obtenir que son fils lui soit rendu

 

[1596-1599 .]

 

            Monseigneur,

 

            Je vous remercie en toute humilité de la faveur avec laquelle il vous a pleu m'escrire pour me rendre doux et leger le besoin que j'ay, sur mes vieux jours, de mon filz, lequel, puysqu'il trouveroit pardeça plus de guerre qu'il ne luy seroit necessaire pour acquerir de la reputation en sa propre patrie, ne peut avoir autre sujet d'arrester d'avantage a venir me servir que vostre commandement. Mays, Monseigneur, vous pouves [405] tousjours avoir tout autant de serviteurs aupres de vous quil vous plaira d'en recevoir, et je ne puis me voir soulagé d'autre filz que de celluy la. Je vous supplie donq tres humblement que la mesme bonté avec laquelle il vous plait de favoriser le filz de vostre bienveuillance, vous mette en consideration des necessités de la viellesse du pere, qui, priant Dieu pour vostre santé et prosperité, vous est et sera a jamais, comm'il a tousjours esté et doit estre,

            Monseigneur,…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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CCLI. A Sa Sainteté Clément VIII pour les Catholiques de Thonon. Actions de grâces pour la bienveillance spéciale que leur témoigne le Souverain Pontife

 

Thonon, octobre 1599.

 

            Sanctissime Pater,

            Quod nos oves non ita pridem errantes, nunc autem ad caulas Christi reversas, tanta sollicitudine ac charitate complectatur Sanctitas Tua, sicuti ex litteris amantissimorum nostri virorum qui in Urbe versantur, ac præsertim ex Archiepiscopi Viennensis ad nos adventu [406] cognovimus, illud ipsum est procul dubio, quod ab iis qui nos per Evangelium in Christo genuerunt statim initio audivimus : unum esse nimirum in terris Pastorem maximum, cui sic absolute, sic indistincte suas oves Christus commiserit, ut planum sit « non aliquas designasse, sed assignasse omnes, » cuique proinde, præter instantiam quotidianam, sollicitudo sit omnium Ecclesiarum.

            Principatum namque Apostolici sacerdotii et zelum tali congruentem fastigio in Beatitudine Tua agnoscimus, quam propterea Petri, cujus tenes sedem, vices etiam in eo vel maxime sustinere lætamur, quod ovibus non præesse tantum, sed præsertim prodesse velie videamus ; omnibus sane, nobis autem seorsim quam impensissime. Qui ob id, ad pedes Beatitudinis Tuæ provoluti, gratias agimus quantas possumus maximas, præcamurque ut ea beneficia quibus jam nostram hanc provinciam nosque auctiores facere animo destinavit Apostolico, pergat [407] promovere, neve suam clementiam ullo unquam tempore nobis deesse patiatur. Sic enim fiet ut quemadmodum munere, sic immortalibus meritis sit beatissima.

            Ita Deus immortalis Beatitudinem Tuam quam diutissime Ecclesiæ suæ servet incolumem.

            Sanctitatis Tuæ,

Humillimi servi ac devotissimi in Christo filii,

THONONENSES INCOLÆ CATHOLICI.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [408]

 

 

 

            Très Saint Père,

            Nous donc, jadis brebis égarées, revenues maintenant à la bergerie du Christ, nous voici l'objet de la sollicitude et de l'affection de Votre Sainteté. C'est par les lettres de nos dévoués amis de Rome, c'est surtout de la bouche de l'Archevêque de Vienne, arrivé parmi [406] nous, que nous en avons reçu l'assurance. Nous voyons là, justifié sans aucun doute, l'enseignement recueilli à l'origine, des lèvres de ceux qui nous ont engendrés à Jésus-Christ par l'Evangile : c'est qu'il n'y a sur la terre qu'un Pasteur suprême, auquel le Christ a confié ses brebis, mais si absolument et si indistinctement qu'il est de toute évidence qu'il « ne lui en a pas désigné quelques-unes en particulier, mais qu'il les lui a remises toutes ; » et c'est pourquoi celui-ci, en portant le poids de ses préoccupations quotidiennes, doit veiller avec un soin attentif sur toutes les Eglises.

            Aussi reconnaissons-nous dans Votre Béatitude la primauté du sacerdoce catholique, avec le zèle qui convient à une dignité si auguste. De Pierre, Elle occupe le siège, mais Elle imite aussi et de très près la conduite, car il est consolant de voir qu'Elle ne veut pas seulement commander aux brebis, mais qu'Elle tient surtout à les assister, toutes sans doute, mais nous autres en particulier, avec un absolu dévouement. C'est pourquoi, prosternés aux pieds de Votre Béatitude, nous lui rendons les plus vives actions de grâces. Qu'Elle daigne continuer, nous l'en supplions, à nous et à toute cette province, les bienfaits dont votre âme apostolique s'est plu déjà à nous [407] enrichir. Qu'Elle ne souffre pas que sa bienveillance vienne jamais à nous manquer. Ainsi, non seulement en vertu de votre charge, mais encore par vos immortels mérites, vous aurez droit à la bienheureuse félicité.

            Dans cette vue, que Dieu immortel daigne conserver le plus longtemps possible à son Eglise les jours de Votre Béatitude !

            Nous sommes, de Votre Sainteté,

Les serviteurs très humbles et très dévoués fils dans le Christ,

LES HABITANTS CATHOLIQUES DE THONON. [408]

 

Minutes écrites pour Monseigneur de Granier

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CCLII. A Monseigneur Bonaventure Secusio, Patriarche de Constantinople, Nonce Extraordinaire en France (Inédite). Instances pour obtenir que le Nonce intervienne auprès du roi de France en faveur du Chablais.

 

Septembre 1600.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore,

 

            È fama publica nella diocesi di Geneva che Sua Maestà Christianissima ha concesso con la republica di Berna et Geneva che habbino da pigliar, guardare et possedere li balliaggi di Chablais et Ternier ; il che succedendo si rovinarebbe affatto l'essercitio catholico in quelle bande, [409] dove sono da cento et più parrochie, parte catholiche antiche, et andarebbono tolti quelli popoli dall' obedienza della santa Chiesa. Dal che nascerebbe grandissimo scandalo apresso tutti li buoni et grandissimo disgusto alla Santità del Papa, la quale ha tanta sollecitudine di quelli balliaggi, che ad utile loro particolare vi mantiene apresso della Camera Apostolica una missione di Giesuiti, et vi mandò è già un pezzo il Signor Gribaldo, che fu già Arcivescovo di Vienna, per vedere se vi fosse commodità d'erigere Università di studi ; il quale Arcivescovo vi è ancora per provedere all' essecutione di detto dissegno. Et per quella provincia si è eretta in Roma una particolare Congregatione di Prelati, chiamata della Promotione della fede, della quale il Signor Cardinal Aldobrandino è Prefetto, et si è destinato il Signor Cardinal Baronio per Protettore di essa.

            Onde si supplica V. S. Illma et Rma che si degni trattarne colla Maestà del Re Christianissimo, acciò si degni [410] far gratia a quelli popoli di non darli nelle mani di quelle republiche heretiche ; o se in ogni modo li vuol dare, li dia con questa conditione, che per conto della religione non vi sia fatta innovatione veruna, ma siano lasciati nel stato nel quale si ritrovano adesso…

            All' Illmo et Rmo Sigre et Patron mio osservandissimo, Il Sigre Nuntio Apostolico apresso il Re Christianissimo.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

 

 

            Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Le bruit s'est répandu, dans le diocèse de Genève, que Sa Majesté très Chrétienne a conclu avec la république de Berne et de Genève un accord, par lequel elle autorise celle-ci à saisir, garder et posséder les bailliages de Chablais et de Ternier. S'il est vrai, ce serait la ruine totale du culte catholique en cette région ; plus de cent paroisses, [409] pour une partie anciennement catholiques, se verraient ainsi soustraites à l'obéissance de la sainte Eglise. Il en résulterait un grand scandale pour tous les bons et une grande douleur pour le Pape. Sa Sainteté entoure d'une telle sollicitude ces bailliages que pour leur utilité Elle entretient une mission de Pères Jésuites sur les revenus de la Chambre Apostolique. Depuis longtemps Elle y a député Mgr Gribaldi, ancien Archevêque de Vienne, pour examiner s'il serait possible d'y établir une Université ; ledit Archevêque s'y trouve encore, afin de pourvoir à l'exécution de ce dessein. De plus, une Congrégation spéciale de Prélats, appelée de la Promotion de la foi, a été érigée à Rome en faveur de cette province ; M. le Cardinal Aldobrandino en est Préfet, et M. le Cardinal Baronius en a été nommé Protecteur.

            C'est pourquoi on supplie Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime de vouloir bien traiter des affaires du Chablais avec Sa Majesté le roi très chrétien, afin qu'il daigne faire à ces peuples la [410] grâce de ne pas les livrer entre les mains de ces républiques hérétiques ; ou, si absolument il veut les livrer, que ce soit du moins sous cette réserve, que nulle innovation ne sera faite en ce qui concerne la religion, mais que toutes choses seront maintenues dans l'état où elles se trouvent maintenant…

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CCLIII. Au Cardinal François de Joyeuse. Les Bernois prétendent s'emparer des bailliages de Thonon et de Ternier. — Coup-d'œil rétrospectif sur l'apostasie et sur la conversion de ces provinces. — Demande de la protection du Cardinal auprès du roi de France.

 

[Septembre-octobre 1600.]

 

            Monseigneur,

 

            Me sentant chargé du soin du plus important evesché de tout ce voysinage, ce m'a esté une incroyable consolation d'avoir sceu que vous esties aupres de Sa Majesté, [411] car je ne doutois pas qu'une sayson si pleyne de difficultés ne fit naistre beaucoup d'occasions esquelles ceste pauvre et tant affligee Eglise que Dieu m'a confiee auroit extreme necessité d'ayde et d'appuy ; et ne pouvois d'ailleurs souhaitter un appuy et asseurance plus ferme et solide que d'une telle colomne du tressaint Siege Apostolique que vous estes. Je loue donq Dieu qui nous a establi pardeça ceste pierre de refuge ; et, pour employer ceste faveur, je vous supplie, Monseigneur, d'avoir aggreable que je luy represente une des plus importantes necessités de ceste Eglise.

            J'entens un gros bruit qui porte que les Bernois taschent par toutes voyes d'avoir congé de Sa Majesté de se saysir des balliages de Thounon (sic) et Ternier, qui sont de mon diocæse ; je me sens obligé en ma conscience de vous representer la dommageable consequence qui s'ensuivroit d'une telle saysie. Il y a environ soixante et cinq ans que les Bernois se saysirent de ces mesmes balliages et de celluy de Gex, et ne les eurent pas plus tost, qu'a vive force ilz y planterent l'hæresie, delaquelle ces pauvres ames demeurerent empestees, jusques a ce qu'appres, par la grace de Dieu, y avoir fait [412] prescher la foy catholique trois annees continuellement, en fin, des trois annees en ça, ces peuples pour la plus part (qui revient a quatorse ou quinze mill'ames) ont esté ramenés au giron de l'Eglise, sous l'expresse et formelle authorité du Saint Siege Apostolique. De laquelle reduction, Monseigneur le Cardinal de Medicis, pour lhors Legat a latere, a esté non seulement tesmoin, mais fut encor luy mesme instrument, en ayant conferé l'absolution a un tres grand nombre des convertis. Dequoy ayant fait recit a Sa Sainteté, elle m'envoya un Brief apostolique affin que je reprinse les revenus ecclesiastiques de ces balliages et, par tout ou il me sembleroit, je restablisse les eglises, y constituant absolument des curés, pasteurs et prædicateurs. Ce que j'estois sur le point de faire, et cependant avois des-ja, des le passage de mondit Seigneur Legat, establi par tout des pasteurs par provision.

            Despuys, Sa Sainteté y avoit envoyé et entretenu a ses propres despens une mission de Religieux Jesuites pour avancer tous-jours tant plus ceste sainte œuvre, qu'elle jugeoit si digne d'estre favorisee qu'elle avoit mesme dressé dés quelques moys en ça une Congregation a Romme pour cest effect, delaquelle Monseigneur le Cardinal Aldobrandino, son neveu, estoit le chef, et avoit fait protecteur particulier de l'œuvre Monseigneur le Cardinal Baronio, avec dessein d'y dresser une Université. Si que il sembloit que Dieu voulut particulierement esclairer de son œil de misericorde ceste province, apres tant de tenebres lesquelles l'avoyent obscurcie si long tems.

            Or, Monseigneur, puysque la providence de Dieu, sans laquelle rien ne se fait icy bas, ouvre aux armes du Roy [413] le passage et chemin a ces balliages, il me semble que je vous dois supplier tres humblement et par les entrailles de Jesus Christ, comme je fais, de prendre en singuliere protection aupreès de Sa Majesté la conservation de ces saintes nouvelles plantes, lesquelles sont autant plus cheres a l'Eglise leur mere, a ceux qui les ont plantees et a Sa Sainteté, qui les a arrousees de tant de bienfaitz, qu'elles sont encor tendres et exposees a beaucoup de vens. Entre lesquelz, le plus aspre et dangereux pour elles, pour tous les bons, qui leur peut arriver, seroit celuy duquel il court des-ja certain bruit, venant, a l'adventure, de ceux qui sont ennemis de leur conscience, ennemis de toute l'Eglise tressainte, pour le service delaquelle je supplie le grand Pere de famille de vous conserver longuement, et faire vivre saintement en toute prosperité, selon la volonté de Celuy qui m'en donne une d'estre eternellement

            Vostre tres humble et tres obeissant serviteur.

            A Monseigr

Monseigr l'Illustrissime et Rme

            Monseigr le Cardinal de Joieuse.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin. [414]

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CCLIV. A M. Nicolas de Sancy. Encore les affaires du Chablais. — Remerciements pour l'assurance donnée relativement au maintien de la religion catholique dans cette province. — Il n'est pas possible d'accorder au baron du Villars les bénéfices ecclésiastiques qu'il sollicite pour son fils.

 

Annecy, 6 novembre 1600.

 

            Monsieur,

 

            Je viens de recevoir la lettre que vous m'escrivistes a Geneve le XIIIIe d'octobre, laquelle, quoy que tard, m'est arrivee fort a souhait pour avoir veu au fin commencement d'icelle que le Roy vous depeschant de dela pour son service, vous commanda de tenir main de tout vostre pouvoir a ce que l'exercice de la religion fut maintenu en son integrité, selon l'ordre et acheminement que j'y avois ci devant donné. Dequoy je me suis d'autant plus res-joüy en Jesus Christ que tout a l'heure j'avois eu advis comme asseuré que l'exercice de l'heresie se devoit restablir a Thonon sous vostre permission ; ce que toutefois je ne voulois ni pouvois me persuader, tant pour la ferme creance que j'ay en la franchise avec laquelle vous chemines au service de Dieu, qu'aussi pour les saintes intentions que Sa Majesté tres Chrestienne a touchant ce point, comm'elle me declaira ouvertement estant en ceste ville ; sans l'asseurance desquelles j'eusse imploré le credit que nostre Saint Pere a en son endroit, ainsi que je dois et que Sa Sainteté m'a commandé de faire a toutes les occasions qui se presenteront pour le bien de ces nouvelles plantes qui luy sont si cheres. Vous m'aves donques infiniment obligé par ceste nouvelle asseurance que vous me faites que tout demeurera en son integrité, [415] sans alteration d'aucun nouveau meslange ; dont je vous remercie bien humblement.

            Et touchant la provision de la cure de Saint Mathieu et doyenné de Vullionnex, que vous desiries de moy en faveur du filz de monsieur le baron du Villars, je vous prie, Monsieur, de faire consideration de l'estat auquel je suis touchant les benefices de ces balliages. Sa Sainteté sachant fort distinctement la disposition de ces pauvres peuples, me depescha un Brief expres et bien ample par lequel elle me charge de desunir tous les benefices, tant curés qu'autres, des balliages de Thonon et Ternier, lesquelz jusques a l'heure avoyent estés unis a la Milice de Saint Lazare. Et outre ce, de prendre sur tous autres benefices desdits balliages, de quelle qualité qu'ilz fussent, et sur tous biens dependantz de l'Eglise, ce qui seroit necessaire pour les portions des curés et prædicateurs, en cas que les benefices de Saint Lazare ne fussent suffisans, avec tout pouvoir d'unir les parroisses ensemble ou les diviser selon que je jugerois a propos.

            Or, Monsieur, j'estois sur le point de voir la derniere execution de ceste volonté du Saint Siege quand ces troubles de guerre survindrent, et, en consideration de la ruine de beaucoup d'eglises et du peu de revenu des autres, j'avois presque par tout uni plusieurs parroisses en une, selon les distances et autres circonstances des lieux, et entr'autres j'avois joint les cures de Vullionnex, Confignon et Bernex, tant pour la commodité des revenuz que par ce que l'eglise de Vullionnex est en masures ; et du tout j'ay envoyé au Saint Siege distincte et vraye instruction. Si que je suis obligé a suyvre ce qu'une fois pour tout j'en ay ordonné apres meure deiberation, puisque l'advis en est allé jusques aux mains des superieurs, et que d'ailleurs malaysement se pourroit il mieux faire. Mays sur tout, apres que j'auray levé du doyenné de Vullionnex la portion necessaire pour le curé de Bernex en supplément de ce qui manquera d'ailleurs, je n'en puis [416] aucunement disposer au præjudice du tiers qui s'est tous-jours maintenu en possession avec provision de Romme. Qui me fait vous supplier, Monsieur, de prendre en bonne part si je ne rapporte au contentement de monsieur du Villars ce que vous desiries, puys quil tient au pouvoir que je n'ay plus et non a l'affection, laquelle j'y ay tres entiere, quand ce ne seroit que pour lhonneur que je porteray tous-jours a tout ce qu'il vous plaira me recommander.

            Ce qu'attendant de tesmoigner par effect quand il plaira a sa divine Bonté m'en donner le pouvoir, je la prieray vous donner, Monsieur, longue et heureuse vie en la benediction de sa sainte grace.

            Vostre bien humble et affectionné serviteur.

            D'Annessi, ce 6 de novembre 1600.

            A Monsieur

Monsieur de Sancy, Conseiller d'Estat, Colonnel des Suisses,

Capitaine de cinquante hommes d'armes

et commandant au duché de Chablaix et balliage de Ternier pour Sa Majesté.

 

Revu sur l'Autographe conservé au presbytère de Bernex (canton de Genève).

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CCLV. Au Baron François du Villars. Raisons qui ne permettent pas de donner au fils de ce seigneur la cure et le doyenné de Vuillonnex.

 

Annecy, 6 novembre 1600.

 

            Monsieur,

 

            J'ay tous-jours porté dans le cœur beaucoup de desir d'aggreer a tous vos semblables, et a vous particulierement des que j'eu le bien de jouir plus famillierement de [417] vostre conversation, au tems que vous me remettes en memoire par vostre lettre ; qui me rend autant plus de regret me voyant les mains liees et me treuvant hors de pouvoir au sujet pour lequel vous m'escrives avec tant de courtoisie, et que monsieur de Sanci me recommande si affectionnement, puis que quant a la cure je suis engagé dans l'ordre que j'en ay pieça envoyé au Saint Siege Apostolique, par lequel ell'est unie avec celles de Bernex et de Confignon. Et quant au doyenné, je ne sçaurois rompre la provision de Romme faitte pour monsieur d'Angeville, ni faire chose quelcomque a son præjudice sans l'ouir juridiquement avec connoissance de cause.

            Je me prometz tant de vostre vertu, que je luy propose la rayson ainsi simplement, estimant qu'elle la recevra de bon cœur. Faittes moy donq ce bien, Monsieur, et croyes, je vous prie, qu'en toutes occasions ou j'auray le pouvoir esgal a la volonté vous me rencontreres tous-jours prompt et prest pour le contentement de vos desirs ; de quoy je prie Dieu me mettre bien tost en main les occasions et vous donner, Monsieur, heureuse et longue vie en sa grace et protection.

            Vostre tres affectionné serviteur.

            A Monsieur

            Monsieur le baron du Vilars.

 

Revu sur l'Autographe conservé au presbytère de Bernex (canton de Genève). [418]

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CCLVI. A M. Nicolas de Sancy. Violences exercées contre les Catholiques en l'absence de M. de Sancy. — Recours à l'autorité de celui-ci pour obtenir la répression définitive des protestants

 

Annecy, [janvier] 1601.

 

            Monsieur,

 

            Soudain que je me suis apperceu de vostre retour es balliages desquelz vous aves le gouvernement, je me suis deliberé de vous faire les plaintes lesquelles pendant vostre absence j'ay esté contraint addresser ailleurs. Les huguenotz, sachans bien quilz n'oseroyent en vostre præsence user de la violence quilz ont accoustumé d'employer a l'advancement de leur hæresie, ne vous eurent pas si tost perdu de vëue qu'ilz font sortir de Geneve des ministres et autres telles gens, non seulement pour precher publiquement, mais aussi pour honnir et profaner nos eglises, renverser nos autelz et desrobber les cloches et autres meubles sacrés, comm'ilz ont fait a Veyri, Saint Julien et en deux lieux de Chablais, injurians et menaçans les personnes. Au moyen dequoy, ayans contrains quelques uns des pasteurs catholiques d'absenter, sur tout en Ternier, ilz veulent maintenant usurper leurs places.

            Or, Monsieur, je sçai ce que Sa Majesté en a resolu, car elle m'en a donné sa parole qui doit servir de mille asseurances. Je sçai ce que vous m'en aves escrit, en quoy [419] je prens toute confiance. Il reste, Monsieur, qu'estant maintenant sur les lieux, vous facies prendre une finale resolution ausditz huguenotz et ministres de ne plus nous troubler ni attaquer l'Eglise, soit en ses personnes ou en ses choses. Je vous en supplie et conjure par lhonneur et fidelité que vous deves a Jesuschrist, et encor de me donner advis s'il sera besoin que je recoure derechef pour cest effect au Roy, de la bonté et parole duquel je me prometz toute justice, mesmement estant appuyé sur le credit de Sa Sainteté que j'imploreray, resolu que je suis de ne m'espargner en rien pour la bergerie qui m'a esté confiee.

            Je me tiens asseuré de vostre faveur en ceste occasion, laquelle attendant je prie Dieu quil vous doint, Monsieur, le comble de ses graces et benedictions.

            A Monsr de Sancy.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

CCLVII. A Sa Sainteté Clément VIII (Inédite). Les Jésuites en Chablais : toute la province bénéficie de leur apostolat. — Avec le concours de quelques auxiliaires, ils ont évangélisé le bailliage de Gaillard. — Un collège de la Compagnie de Jésus à Thonon serait une puissante citadelle opposée à l'hérésie. — Reste la conversion plus difficile du pays de Gex. — Il faudra y employer les mêmes Religieux, secondés par une élite de missionnaires séculiers

 

Ville-en-Sallaz, mi-juillet 1601.

 

            Beatissime Pater,

 

            Etsi rem Christianam quæ in hac provincia fœlicissime promovebatur bellorum nuper grassantium sevitia non [420] mediocriter turbaverit, tamen quamprimum, Beatitudinis Vestræ Apostolicis auspiciis, tot malorum hiems et imber abiit et recessit, vinea hæc longe suavius dedit odorem suum, ficusque uberiores protulit grossos suos. Sunt enim in oppido Tononiensi sex e Societate Jesu Religiosorum, qui populum concionibus docent, excipiendis confessionibus instant, et pueros, cum litterarum primordiis tum fidei rudimentis, ingenti totius provinciæ bono et lætitia instituunt. Ex iis duo, ipso Pentecostes sacro die, adjunctis aliquot ex secularibus sacerdotibus qui jamdudum in agro Tononiensi operi evangelico incubuerant, in loca Genevæ viciniora (quæ omnia balliagii de Gagliard nomine veniunt), non minus opportuno quam fœlici ausu irruptionem fecerunt, tanta [421] Dei optimi maximi voluntate et animorum contentione ut quinque hebdomadarum spatio plus quam quingenti utriusque sexus hominibus ex hæresis horrendo baratro sint erepti et in album Catholicorum restituti.

            Pro quibus sane successibus, tibi in primis, secundum Deum, gratias quantas possum maximas agere debeo, Pater Beatissime ; quandoquidem non tua tantum cura, quæ semper erga hanc dicecesim magna fuit, sed etiam tua liberalitate et Apostolica charitate tuisque impensis manipulum illum Societatis Jesu, [quem] Missionem appellant, habemus, illiusque opere biennio integro fruimur et gaudemus. Verum quia in dies, quæ Salvatoris est benignitas, messis hæc fit latior, nec plures ex illo Jesuitarum manipulo, vinea Tononiensi avocari possunt quin grave sentiat damnum, Beatitudinem Vestram, quæ Domini messis vices in terris gerit, enixe rogo ut rursum mittat operarios in messem. Et quidem, si quo modo fieri queat, nihil utilius huic provinciæ contingere potest [422] quam si collegium Societatis Jesu in oppido ipso Tononiensi construatur et erigatur ; ex eo namque, non modo nunc aliquot Religiosi in omnes hujus diocæsis partes excurrere possent, sed etiam deinceps plerique et sacerdote * et juvenes veluti ex Seminario prodirent, qui circum circa per vicos et oppida Evangelium inferrent ; atque ita validam haberemus arcem ex qua veluti ex opposito contra Genevensis et Lausanensis collegiorum insanos impetus dimicaremus. Est enim oppidum Tononiense inter utramque civitatem situm, ut si qui sit in eo ambidexter miles, utramque possit impetere.

            At vero, quia ut collegium hujusmodi erigatur, nec tam cito, nec tam facile fieri, forsitan fieri potest, et segetes jam sunt albæ ad messem, interim dum majora Sanctitas Vestra moliatur, satis huic operi fieri posset ut in duplicatum campum duplicatum deinceps mittat operariorum numerum, et Missionem hanc ad Apostolicum duodenarium numerum conferat. Quod quam e re [423] hac Christiana futurum sit, ex eo satis manifestum est quod non modo parta tueri, sed pedetentim perdita quærere neque jam quæsitas arces tantum propugnare, sed quærendas expugnare hoc tempore debemus. Nam præter balliaggia Tononiense, Ternense et Gagliardense, quæ jam plurimo labore parta tueri sane sit sequissimum, superest balliagium Gaianum, quod ut est valde latum, ita difficillimæ est expugnationis ; est enim inter Bernensium et Genevensium ditiones situm, veluti inter letiferas paludes, quarum pestilentibus aquis ita alluitur ut vix sanari posse videatur, nisi prius injecto in aquas ipsas salutifero Crucis ligno. Et nihilominus Francorum Rex cui ea pars hujus diæcæsis cum reliqua quæ ultra Rodanum est ex pacis conditionibus obtigit, Catholicæ fidei ritus ibi restitui omnino quantum audio decrevit ea tamen lege (Interim [ut] appellant) ut hæresi quoque suus supersit locus. Qua sane unicuique male sentiendi [424] faciendive libertate concessa, mirum in modum crescit Evangelii promulgandi difficultas, cui ferendæ viribus opus est et viris egregie cordatis. Quare si aliquot mihi e Societate Jesu suppetant homines docti, ut esse soient, quibus adjungam Ecclesiæ hujus meæ Præpositum ac item nonnullos alios ex canonicis aliisque sacerdotibus quos ad id aptiores existimaverim, operæ prætium etiam in tanta difficultate spero sane te facturum, Pater Beatissime, te, inquarti, quem mihi authoritate Apostolica, generali veluti concursu, cooperantem agnosco. Ita etiam, ne liberalitate et ope destituo patiaris Tuam Beatitudinem precor quam humillime et obtestor in Christo Domino, quem canis et votis tuis sanctissimis propitium totis visceribus exopto.

            Pedes Apostolicos osculor.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Rennes. [425]

 

 

            Très Saint Père,

 

            La cause chrétienne faisait dans cette province de consolants progrès, lorsque les guerres récentes lui occasionnèrent par leur [420] violence de sérieuses entraves ; soudain Votre Béatitude Apostolique nous ménagea son intervention, et aussitôt, comme par enchantement, l'hiver et les pluies, cause de tant de désastres, s'enfuirent et prirent fin ; cette vigne répandit son parfum, mais il était bien plus doux ; le figuier poussa ses premières figues, mais elles étaient beaucoup plus belles. La cité de Thonon possède en effet six Religieux de la Compagnie de Jésus. Ils instruisent le peuple par leurs prédications, s'adonnent au ministère des confessions, et forment les enfants aux éléments des belles-lettres aussi bien qu'aux principes de la foi. C'est là un bienfait immense pour toute la province ; c'est pour elle un grand sujet de consolation. Deux d'entre eux, le jour même de la solennité de la Pentecôte, prirent quelques aides parmi les prêtres séculiers qui depuis longtemps se sont voués dans le champ des âmes de Thonon aux labeurs évangéliques, puis, ensemble, ils entrèrent soudainement dans les localités les plus voisines de Genève, comprises sous le nom de bailliage de Gaillard. C'était un coup d'audace dont le succès égala l'à-propos, car il y eut du côté de Dieu très [421] bon, très grand, une si particulière assistance, et parmi les âmes, un tel élan, qu'en l'espace de cinq semaines, plus de cinq cents personnes des deux sexes furent arrachées à l'horrible gouffre de l'hérésie, et leurs noms rétablis sur les registres de la catholicité.

            Pour toutes ces bonnes fortunes, après Dieu, c'est à vous assurément, Très Saint Père, c'est à vous que reviennent mes très profondes actions de grâces. Ce n'est pas seulement à votre bienveillance, laquelle a toujours été insigne envers ce diocèse, c'est encore à votre libéralité, à votre charité apostolique, c'est à vos largesses personnelles que nous devons de posséder parmi nous cette poignée de braves de la Compagnie de Jésus, qu'on appelle « la Mission. » C'est grâce à votre médiation que, depuis deux années entières, nous avons le bonheur de jouir de leurs travaux. Cependant, par la bénignité du Sauveur, le champ de la moisson s'agrandit de jour en jour ; d'autre part, sur cette petite troupe de Jésuites quelques hommes de plus ne peuvent être enlevés à la vigne de Thonon sans qu'elle en reçoive un grave préjudice. Je supplie donc instamment Votre Béatitude, qui remplace sur terre le Maître de la moisson, d'envoyer de nouveaux ouvriers au champ de la récolte ; car le plus grand service qu'on puisse [422] rendre à cette province, ce serait, si la chose est possible, de construire et d'ériger à Thonon même un collège de la Compagnie de Jésus. Dès maintenant il fournirait quelques Religieux qui s'occuperaient à parcourir tous les quartiers du diocèse. Dans la suite, la maison serait comme un Séminaire, d'où bon nombre de prêtres et de jeunes gens se répandraient de ci de là, à travers les bourgades et les villes pour y implanter l'Evangile. Nous aurions ainsi une puissante citadelle, d'où prenant l'offensive contre les communautés de Genève et de Lausanne, nous pourrions soutenir leurs furieuses attaques. Notre ville de Thonon est en effet placée de telle sorte entre ces deux dernières, qu'un soldat, s'il pouvait combattre des deux mains, pourrait les attaquer toutes deux en même temps.

            Toutefois, la fondation d'un collège de ce genre ne serait peut-être pas si prompte ni si facile à faire ; et pourtant les champs blanchissent déjà pour la moisson. Aussi, tandis que Votre Sainteté prépare de plus grands projets, il suffirait, en attendant, que dans ces deux chantiers Elle doublât les ouvriers, ce qui porterait la Mission au [423] nombre apostolique de douze. L'avantage qui en résulterait pour la cause chrétienne est assez évident. Non seulement, en effet, nous devons en ce moment garder les positions acquises, mais chercher à regagner pied à pied le terrain perdu ; non seulement défendre les citadelles conquises, mais tâcher d'en enlever de nouvelles. Pour conquérir les bailliages de Thonon, de Ternier et de Gaillard il a fallu des labeurs extraordinaires ; c'est donc un devoir strict de les défendre. Mais il en reste un autre, celui de Gex, lequel, à cause de sa grande étendue, sera d'une conquête très difficile. Situé entre les gouvernements de Berne et de Genève, comme entre deux marais pestilentiels, il s'abreuve à leurs eaux empoisonnées. Aussi semble-t-il presque impossible de l'assainir, si tout d'abord on ne jette dans les eaux elles-mêmes le bois salutaire de la Croix. Cette portion de mon diocèse, avec ce qu'il en reste au delà du Rhône, est échue au roi de France, en vertu du traité de paix. Il y a ordonné l'entier rétablissement du culte catholique, je l'entends dire du moins, mais sous la réserve (l'Intérim, comme on l'appelle,) qui tolère une place à l'hérésie. C'est, au fond, la liberté laissée à chacun de mal penser et d'agir [424] de même ; voilà ce qui multiplie étrangement les difficultés de propager l'Evangile. Pour y faire face, il faut des trésors d'énergie et des âmes intrépides. Si j'avais sous la main quelques hommes de la Compagnie de Jésus, instruits comme ils le sont d'ordinaire, je leur adjoindrais le Prévôt de mon Eglise, et aussi quelques chanoines et autres ecclésiastiques qui me sembleront le plus capables pour ce ministère. Je me plais à espérer, Très Saint Père, que, malgré de si délicates difficultés, l'importance de l'entreprise sera de vous justement appréciée, de vous, dis-je, dont l'autorité apostolique collabore en quelque sorte à mon œuvre par une providence générale. En reconnaissant ce précieux concours, j'ose aussi prier très humblement Votre Béatitude de ne pas nous priver de ses libéralités et de son assistance ; je l'en conjure dans le Christ Notre-Seigneur, à qui je demande, du fond de mon âme, d'être propice à votre vieillesse et à vos très saints désirs.

            Je baise vos pieds apostoliques. [425]

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CCLVIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Inédite). Plaintes contre les syndics de Thonon qui refusent de remettre aux Jésuites le prieuré de Saint-Hippolyte ; combien il est urgent d'obtenir cette cession

 

Ville-en-Sallaz, 30 juillet 1601.

 

            Monseigneur,

 

            Ce pendant que par l'heureuse reprise que Vostre Altesse fait de la possession de son balliage de Galliard, l'Eglise va regaignant sous son authorité les ames lesquelles y estoyent perdues par l'heresie, l'ennemi sousleve des secrettes embusches aux desseins qui furent si saintement faitz a Thonon. Vostre Altesse, qui jugea bien que pour restablir la foy catholique en ce balliage un college de Jesuites en devoit estre l'un des fondemens, avoyt commandé aux scindiques de Thonon de vuider leurs mains du prieuré qui est en ladite ville, et le remettre aux Peres Jesuites pour le commencement dudit college, avec intention neanmoins de rembourser ladite ville de l'argent qu'elle avoit delivré a l'achapt de ce benefice, par de bonnes assignations qu'elle leur avoyt accordees. A quoy personne n'avoit apporté de la difficulté pendant que les scindiques y ont esté catholiques ; [426] mais des l'annee passee, que la guerre ouvrit la porte a ceste poignee d'heretiques qui y est pour faire entrer ceux de leur secte au scindicat et maniement de la ville, les ditz Peres Jesuites y ont receu plusieurs empechemens, et sur tout n'agueres que lesditz scindiques se sont opposés a leur jouissance, sous prætexte que les assignations n'ont pas eu effect ; ce que la guerre a causé. Si que, par ces menees, le dessein du college est presque aneanti ; dont les Peres Jesuites se fussent retirés, silz n'eussent esté retenuz par les offices que ceux ausquelz ilz ont de l'amitié y ont apporté.

            C'est cela, Monseigneur, qui me fait importuner Vostre Altesse pour la supplier humblement, comme je fais, d'apporter a ce des-ordre le remede qu'elle connoistra bien y estre propre ; et je prieray tous-jours Dieu pour sa longue et heureuse santé, demeurant,

            Monseigneur,…

            De Ville en Sala, pres de Geneve, le 30 julliet 1601.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [427]

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CCLIX. Au Roi de France Henri IV (Inédite). Espoir que la conversion du pays de Gex sera facilitée par la réunion de ce territoire à la France. — Recours à la protection de Sa Majesté

 

Ville-en-Sallaz, 5 août 1601.

 

            Sire,

 

            Je loüe Dieu de la reception que Vostre Majesté a faitte de son païs de Gex, qui est dependant de mon diocese, par la fidelité que les habitans d'iceluy luy ont juree, croyant que leur reduction a son obeissance serviroit de porte a la reduction de leurs ames en l'Eglise Catholique. Dequoy, bien que je ne doute nullement, si est ce que sur ce poinct je me sens redevable de supplier tres humblement Vostre Majesté qu'en suite de l'Interim publié par tout le royaume, il luy plaise donner libre et favorable acces a l'exercice catholique en ce petit coin de Gex, lequel meshuy depend de ce grand theatre auquel Vostre Majesté fait si heureusement les actions royales, et, qu'en execution, les biens ecclesiastiques jadis destinés a ce service, soyent restablis a ceux qui le feront et ausquelz ilz appartiennent, avec les temples et eglises.

            La bonté et justice de ceste requeste m'en promet un favorable appoinctement, comme la grandeur du courage de Vostre Majesté m'asseure d'une pleine et soudaine jouissance du bien que j'en pretens, qui n'est principalement que la gloire de nostre bon Dieu, l'establissement de laquelle est l'unique gloire de la tres chrestienne couronne qu'il a donnee a Vostre Majesté, et laquelle je le supplie luy vouloir tres longuement conserver en toute felicité et pour son service, desirant vivre tous-jours en l'honneur d'estre,

            Sire, de Vostre Majesté,

            Tres humble et tres obeyssant serviteur.

            De Ville en Sallaz, pres de Geneve, ce 5 aoust 1601.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [428]

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CCLX. A Monseigneur Gaspard Silingardo, Évêque de Modène, Nonce Apostolique en France. Sollicitations pour obtenir l'intervention du Nonce dans les affaires du pays de Gex.

 

Ville-en-Sallaz, 10 août 1601.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore mio osservandissimo,

 

            Essendo il paese di Gex, vicino a Geneva, di questa mia diocæsi, ridutto nuovamente alla ubedienza del Re Christianissimo coll'aver gl'habitatori di esso fatti li giuramenti, hommagi et fedeltà da farsi in simil caso, ho mandato espresso al signore Barone di Lux, luoghotenente di Sua Maestà in detto paese, alla quale ancora ho scritto, acciochè ivi si restituisca l'essercitio della santa fede catholica, et che le chiese siano applicate, insieme colle loro entrate, alli pastori et altri che appartengono canonicamente, sì come si è fatto per tutta la Francia [429] col mezzo dello editto de l' Interim. Et perchè questa è opra santissima et molto desiderata da Sua Beatitudine, supplico V. S. Illma et Rma che si degni fare viva instantia appresso di quella corona, sapendo certo che coll'authorità sua potrà far riuscir questo negotio efficacemente et subito, essendo io præparato [a] far quanto mi toccarà. Et di questo ricorso che hò a V. S. Illma et Rma ne dò pur adesso raguaglio alla Santità di Nostro Signore, laquale so certo che haverà gratissimi et charissimi il zelo et sollecitudine quali in questa occasione si spenderanno da V. S. Illma et Rma, alla quale bascio humilmente le mani, preghando il Signore Iddio che gli dia ogni vero contento.

Di V. S. Ilima et Rma,

Humil servitor.

            De Villa in Salla, apresso Geneva, allix d'Agosto 1601.

            All' Illmo et Rmo Sigr mio osservandissimo,

            Monsigr il Vescovo di Modena,

            Nuntio Apostolico apresso Sua Maestà Christianissima. — In Parigi.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Milan, Archives Trivulzio. [430]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Le pays de Gex, qui avoisine Genève et fait partie de mon diocèse, a été soumis de nouveau à la domination du roi très chrétien : les serments, hommages et protestations de fidélité usités en pareil cas ont été rendus par les habitants. En conséquence j'ai recouru à M. le baron de Lux, lieutenant de Sa Majesté en ce pays, et j'ai aussi écrit au roi afin d'obtenir le rétablissement du culte catholique et la restitution des églises, avec leurs revenus, aux pasteurs et autres qui en sont les possesseurs canoniques, ainsi que cela s'est fait dans toute la [429] France conformément à l'édit de l'Interim. Et parce qu'il s'agit d'une œuvre très sainte et fort désirée de Sa Béatitude, je supplie Votre Seigneurie de daigner présenter à cette couronne de vives instances ; car je suis certain qu'Elle pourra, grâce à sa haute influence, conclure cette négociation avec autant de bonheur que de promptitude ; de mon côté je suis prêt à faire tout ce qui dépendra de moi. Je préviens aussi maintenant Sa Sainteté de mon recours à Votre Seigneurie, et je suis sûr que le zèle et la sollicitude que vous emploierez en cette occasion lui seront très agréables et précieux. Je vous baise humblement les mains, priant Dieu notre Seigneur de vous accorder tout vrai contentement.

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

L'humble serviteur.

            De Ville-en-Sallaz, près de Genève, le 10 août 1601.

            A mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

            Mgr l'Evêque de Modène,

            Nonce Apostolique auprès de Sa Majesté très Chrétienne. — A Paris. [430]

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CCLXI. Au Cardinal César Baronius (Inédite). L'Evêque de Genève a choisi le Prévôt de son église cathédrale pour coadjuteur avec future succession. — Difficultés qui entravent la poursuite de l'affaire. — Le Cardinal Baronius prié d'obtenir une réduction des frais exigés par la Chambre Apostolique

 

Ville-en-Sallaz, 10 août 1601.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Supplicai alla Santità di Nostro Signore, sonno circa duoi anni, che si degnasse conferire la coadiutoria di questo mio vescovato, cum futura successione, nella persona del signor Prævosto della mia Chiesa ; et col favor di V. S. Illma et Rma, Sua Beatitudine si contentò di gratificarmi, sì che, procedendosi a l'essame, fu ritrovato capace et approbato. Nientedimeno, parte per l'ingiuria della guerra che sopragiunse, parte anco perchè detto Prævosto non ha le commodità necessarie a tal impresa, l'essecutione di quella gratia si è ritardata sin adesso, che non dubitando punto che quello che una volta piacque a Sua Santità glie sia anco sempre grato, et vedendo ogni hora aggravarsi l' età mia et moltiplicarsi [431] le occasioni di faticare in questa vigna, ricorro l'altra volta alla bontà di V. S. Illma et Rma, acciò si degni adoprar il suo santo zelo nell' aiuto mio per vincere la difficoltà del mancamento della commodità di detto Prævosto, la qual sola ci resta. Et certo, se le fatighe da lui fatte da molti anni in qua nella conversione de gl' hæretici et quelle che egli è per fare in questo faticoso campo saranno poste in consideratione, credo che la Santa Sede glie moltiplicarà le gratie et sminuirà le spese che altrimente sarebbono da farsi et che egli non può fare.

            Dal canto mio, è chiaro che alla elettione di tal coadiutore non son mosso da alcun rispetto humano di sangue o parentela, nè da preghiere che me ne siano state fatte ; ma solo da puro desiderio della maggior gloria d'Iddio et servitio della santa Chiesa. Onde spero anco nella providentia divina et della Sede Apostolica che da nessuna humana difficoltà potrà esser impedito questo mio intento, massime si (sic) V. S. Illma et Rma vi concorre col favor della sua solita carità et benignità, laquai sola mi fa animo di supplicamela. [432]

            Et basciandoli humilmente le mani, glie priegho da nostro Signor Iddio ogni vero contento.

Di V. S. Illma et Rma,

Humil servitor.

            De Villa in Sala, appresso Geneva, alli X di Agosto 1601.

            All' Illmo et Rmo Sigr mio osservandissimo,

            Monsigr il Cardinal Baronio. Roma.

 

Revu sur l'Autographe conserve à la Visitation de Turin.

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Reverendissime Seigneur,

 

            Il y a environ deux ans j'ai supplié Sa Sainteté de daigner accorder la coadjutorerie de mon évêché, avec future succession, à M. le Prévôt de mon église cathédrale, et, grâce à la protection de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, Sa Béatitude voulut bien me l'accorder ; aussi le candidat, ayant été soumis à l'examen, fut jugé capable et agréé. Néanmoins, soit par le malheur de la guerre qui survint alors, soit encore parce que le Prévôt manque des ressources nécessaires, la concession de cette faveur est restée jusqu'ici sans effet. Je ne doute point, cependant, que ce qui a été une fois trouvé bon par Sa Sainteté ne lui soit toujours agréable ; c'est pourquoi, me voyant accablé sous le poids des années, et les occasions [431] de travailler en cette vigne se multipliant de plus en plus, je recours de nouveau à la bonté de Votre Seigneurie, afin qu'Elle daigne employer son saint zèle pour m'aider à triompher de la difficulté que crée la situation gênée dudit Prévôt ; c'est la seule qui nous reste à surmonter. Assurément, si les travaux qu'il a, pendant plusieurs années, soutenus pour la conversion des hérétiques, et ceux qu'il est sur le point d'entreprendre en ce champ laborieux sont pris en considération, je crois que Sa Sainteté lui multipliera ses faveurs et réduira les frais qu'il devrait faire et que, sans cette réduction, il n'est pas en mesure de soutenir.

            De mon côté, il est évident que, dans le choix d'un tel coadjuteur, je ne suis poussé par aucune vue personnelle, par aucune considération du sang ou de la parenté, ni par aucune sollicitation étrangère ; mon seul et unique mobile, c'est le désir de la plus grande gloire de Dieu et du service de la sainte Eglise. C'est pourquoi j'espère aussi de la providence divine et de celle du Siège Apostolique qu'aucune difficulté humaine ne pourra entraver l'exécution de mon projet, surtout si Votre Seigneurie veut bien l'appuyer par un effet de sa charité et de sa débonnaireté accoutumées, qui seules m'encouragent à l'en supplier. [432]            En vous baisant humblement les mains, je vous souhaite de Dieu notre Seigneur tout vrai contentement.

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

L'humble serviteur.

De Ville-en-Sallaz, près de Genève, le 10 août 1601.

A mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

Mgr le Cardinal Baronius. Rome.

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CCLXII. Au Cardinal Pierre Aldobrandino (Inédite). Nouvelles sollicitations pour le rétablissement du culte catholique dans le pays de Gex

 

Ville-en-Sallaz, 11 août 1601.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor et Padron mio colendissimo,

 

            Havendo adesso il Re Christianissimo pigliato il possesso et ricevute le fedeltà del paese di Gex, che è di [433] questa diocæsi et sin adesso era occupato da Genevrini, ho subito scritto a Sua Maestà Christianissima et al signor Barone di Lux, suo luogotenente in detto paese, domandando che l'essercitio catholico vi fosse stabilito, con restitutione delle chiese et beni ecclesiastici ad uso della santa religione catholica, sì come si è fatto in tutto il regno di Francia. Et per haver questo mio intento con più prontezza et efficacia, ho pregato Monsignor Nuntio Apostolico apresso quella corona che vi volesse concorrere colla sua sollecitatione.

            Et perchè so che la Santità di Nostro Signore haverà a caro questo negotio, et che V. S. Illma et Rma si adopra sempre con gran zelo in simili disegni, io la supplico humilmente che si degni dar ordine a detto Signor Nuntio acciò che faccia quest'officio caldamente et con fervore ; [434] poichè il signor Barone di Lux mi fa dire che non solamente questa sollecitatone sarà molto fruttuosa, ma che sarà gratissima ad esso signor Ré, il quale ha dichiarato di volerlo fare in ogni modo, se ben per certi rispetti soprasede a l'essecutione sin tanto che glie ne sia fatta instantia.

            Spero adunque nella Providentia divina et nella bontà et grandessa d'animo di V. S. Illma et Rma di veder presto questo segnalato effetto, a magior gloria di sua divina Maestà, laquale io pregho che la conservi molti anni a beneficio della santa Chiesa. Et le bascio humilmente le mani.

Di V. S. Illma et Rma,

Humilissimo servitore.

            De Villa in Sala, alli XI d'Agosto 1601.

            All' Illmo et Rmo Padron et Signor mio osservandissimo,

            Il Sigr Cardinale Aldobrandino.

            In Roma.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [435]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Le roi très chrétien vient de prendre possession du pays de Gex, et il a reçu le serment de fidélité des habitants. Ce pays, qui fait partie [433] de mon diocèse, a été jusqu'à présent occupé par les Genevois. J'ai aussitôt écrit à Sa Majesté très Chrétienne et à M. le baron de Lux, son lieutenant dans le susdit pays, pour solliciter le rétablissement du culte catholique, et la réapplication au service religieux des églises et des biens ecclésiastiques, comme il a été fait dans tout le royaume de France. Et pour réussir plus promptement et plus efficacement dans ce dessein, j'ai prié Mgr le Nonce Apostolique auprès de cette couronne de vouloir bien joindre ses sollicitations aux nôtres.

            Comme je sais que Sa Sainteté agrée fort cette négociation, et que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime intervient toujours avec beaucoup de zèle en semblables rencontres, je la supplie très humblement de donner ordre audit M. le Nonce de presser vivement et chaleureusement cette poursuite ; car M. le baron de Lux me fait dire [434] que non seulement elle sera très fructueuse, mais encore très agréable au roi. Sa Majesté a déclaré être absolument résolue à entériner notre requête, bien que, pour certaines considérations, elle sursoie à l'exécution jusqu'à ce qu'on ait présenté des instances.

            J'espère donc de la divine Providence et de la bonté et magnanimité de Votre Seigneurie, que je verrai bientôt aboutir cette négociation à la plus grande gloire de sa divine Majesté. Je la prie vous conserver de longues années pour le bien de la sainte Eglise, et je vous baise humblement les mains.

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble serviteur.

            De Ville-en-Sallaz, le 11 août 1601.

            A mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

            M. le Cardinal Aldobrandino.

            A Rome. [435]

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CCLXIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Combien il serait nécessaire d'établir à Thonon un collège de Jésuites. — On pourrait en attendant confier à ces Religieux celui d'Annecy. — Intervention de Son Altesse sollicitée à cet effet

 

Thonon, 14 septembre 1601.

 

            Monseigneur,

 

            La multiplication des peuples lesquelz se vont d'heure a autre reduysans au giron de l'Eglise, sous l'heureuse authorité de Vostre Altesse, fait de plus en plus croistre la necessité d'ouvriers et pasteurs ecclesiastiques ; a laquelle il me sera des ores impossible de bien prouvoir s'il ne se fait quelque college de Peres Jesuites en ce mien diocæse, duquel, comme d'un Seminaire, je puisse retirer gens capables a cest effect. C'est pour cela, Monseigneur, que j'ay ci devant supplié Vostre Altesse pour l'erection d'un bon college en ceste ville de Thonon, a quoy Vostre Altesse avoit liberalement entendu.

            Mays voyant maintenant que sa bonne volonté ne pourra pas si tost estre mise en son entier effect pour les difficultés que le tems y a despuis fait naistre, j'ay estimé qu'en attendant de voir sur pied le college de ceste ville, il seroit fort a propos que lesdits Peres Jesuites entrassent au college d'Annessi, pour disposer les escoliers qui y sont a ce dessein, et donner advancement a ceux qui se commencent a former en la petite escole [436] quilz ont icy, laquelle il seroit sur tout requis de continuer. Et pour ce que tout cecy doit dependre du bon playsir de Vostre Altesse, je la supplie tres humblement d'en escrire au R. P. General de l'Ordre, a ce qu'il commande au Provincial de ceste Province de faire entrer quelques Peres audit college d'Annessi, ou par ce moyen ilz pourront suppleer au besoin que la retardation du college de ceste ville peut apporter, auquel, par apres, ilz pourront estre transferés lhors qu'il sera dressé.

            La mesme bonté de Vostre Altesse qui me fait oser l'importuner si souvent pour ces bonnes causes, m'en fait encor esperer favorable issue, laquelle attendant, je continueray mes prieres a Dieu tout puissant, quil luy playse donner a Vostre Altesse, Monseigneur, parfaitte et longue prosperité pour le bien et conservation de son peuple et accroissement de la sainte religion.

De Vostre Altesse,

Tres humble serviteur et orateur.

            De Thonon, le 14 septembre 1601.

            A Son Altesse.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy. [437]

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CCLXIV. A M. Charles d'Albigny. Ordres à donner pour la restitution des revenus ecclésiastiques du bailliage de Gaillard

 

Thonon, 15 septembre 1601.

 

            Monsieur,

 

            Je voy qu'il est requis de faire la distribution des diesmes ecclesiastiques qui ont esté saysis au balliage de Galliard par vostre authorité, aux pasteurs qui y sont en charge ; et par ce que monsieur de Rovinoz, juge du lieu, qui les a saysiz, desireroit avoir vostre commandement pour les lascher, je vous supplie de luy ordonner quil ayt a les delivrer ou faire delivrer entre les mains du sieur chanoyne Gottri, lequel j'y ay deputé œconome, comme de mesme la rente de Colonge sur l'abbaye de Bellerive et autres revenuz ecclesiastiques, affin que, comme je puys prouvoir de pasteurs aux peuples, je puysse aussy prouvoir d'entretenement aux pasteurs, l'un estant necessaire a l'autre.

            Ce que me promettant de vostre zele et prudence, je prieray Dieu qu'il accroisse en vous ses saintes graces, et demeureray,

            Monsieur,

Vostre bien humble et affectionné serviteur.

            A Thonon, le 15 septembre 1601.

            A Monsieur

            Monsieur d'Albigni,

            Lieutenant general deça les montz pour S. A.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [438]

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CCLXV. Au Baron de Lux (Inédite). Désir de « voir sous la faucille de la parole de Dieu » la moisson du pays de Gex. — Chanoine mandé pour apprendre ce que l'on peut se promettre à cet égard. — Le Pape « attend de jour a autre les premieres nouvelles » de cette évangélisation

 

Ville-en-Sallaz, 8 octobre 1601.

 

            Monsieur,

 

            Aiant donné le dernier ordre a l'establissement des eglises et pasteurs des balliages de Chablaix et Ternier, et jetté des bons commencemens de semblables effectz au balliage de Galliard, je vay m'entretenant en ce voysinage pour attendre le tems d'en pouvoir faire de mesme au balliage de Gex, selon le bon playsir de Sa Majesté tres Chrestienne. A ceste intention, j'ay retenu quelques bons hommes d'Eglise, de mes chanoynes et autres, que je n'ay voulu employer ailleurs, pour les reserver a ceste moisson, laquelle je desire extremement voir sous la faucille de la parole de Dieu et instruction catholique. Et par ce que je n'en puis esperer sinon ce que le Roy en ordonnera, je vous envoye ce chanoyne de mon Eglise pour apprendre de vous ce que je m'en dois promettre ; dequoy je vous prie luy vouloir donner les advis pour me les apporter, et de trouver bonne l'ardeur de mon desir en un affaire qui me doit estre si recommandable, et au succes duquel j'auray l'un de mes plus chers contentemens, et Sa Sainteté encores, laquelle en attend de jour a autre les premieres nouvelles.

            Je ne vous prieray pas de prester l'ayde de vostre faveur a un si saint souhait, car je sçai que vostre pieté vous y tient tout entierement dedié ; mays je prieray bien Dieu quil luy plaise vous maintenir et accroistre en [439] ceste chrestienne et sainte affection, et de me donner le bon heur de pouvoir tesmoigner combien je desire estre,

            Monsieur,

Vostre bien humble serviteur.

            De Ville en Salaz, pres Geneve, ce 8 octobre 1601.

            A Monsieur

            Monsieur le Baron de Lux, Chevalier des deux Ordres,

            Lieutenant pour Sa Majesté au duché de Bourgoigne et pays de Bresse, Byeugey, Varromey, etc., etc.

 

Revu sur l'Autographe conservé à l'évêché de Fribourg.

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CCLXVI. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Inédite). Manque de ressources pour assurer le service religieux dans trois paroisses récemment converties, celle de Thonon entre autres. — On pourrait y pourvoir au moyen des revenus de l'abbaye de Filly

 

Ville-en-Sallaz, 9 octobre 1601.

 

            Monseigneur,

 

            Je me suis essayé d'establir les eglises de Chablaix et Ternier et l'ay presque fait, Dieu merci, en la façon [440] de laquelle je donnay n'a guere advis a Vostre Altesse ; n'en demeurant que trois pour l'establissement desquelles je n'ay encor peu treuver les moyens necessaires, et entre autres pour celle de Thonon, en laquelle Sa Sainteté m'avoit ordonné par son Brief que j'establisse huit præstres avec un curé, outre trois prædicateurs qui devoyent estre communs pour les deux balliages. Et neanmoins, a cause du manquement de moyens, j'avois reduit les neuf præstres a cinq, y comprenant le curé, sans y mettre aucun autre prædicateur.

            Mays voyant qu'apres avoir tant retranché du premier dessein, que je ne pouvois plus restraindre le nombre sans faire grand præjudice au service divin, et que non obstant tout cela il ne se trouvoit pas asses de moyens pour assortir ladite eglise de Thonon, je suis contraint de laisser en arriere cest article particulier au proces verbal que j'envoÿe au Saint Siege Apostolique pour le regard de tout le reste ; et cependant recourir a la bonté de Vostre Altesse, la suppliant tres humblement de ne vouloir pas abandonner ce bon œuvre en ceste derniere necessité, a laquelle je ne pense pas qu'on puysse donner remede que prenant encor le reste de l'abbaÿe [441] de Filly  pour l'y appliquer. Attendu mesme qu'aussi bien sera-il requis de procurer vers Sa Sainteté quelque recompense pour la Milice de Saint Maurice, en contrechange des biens qui ont estés appliqués aux autres cures des balliages ; si que, par mesme moyen et avec mesme facilité, on la pourroit obtenir pour ce reste de Filly.

            Ce que je represente fort volontier a Vostre Altesse, dautant que comme ça esté par son soin et pieté que la reduction de ces peuples a receu son commencement et progres, aussi en doit elle recevoir son compliment et perfection. Dequoy je supplie Dieu luy faire la grace, et de la nous conserver longuement en tres heureuse santé et prosperité, comm'ayant ce bien d'estre,         Monseigneur,

De Vostre Altesse,

Tres humble serviteur et orateur.

            De Ville en Sala, pres Geneve, le g octobre 1601.

            A Son Altesse.

 

Revu sur l'Autographe conservé à l'évêché de Fribourg. [442]

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CCLXVII. Au même (Inédite). Rien ne s'est fait pour l'emploi des revenus ecclésiastiques du Chablais sans avoir entendu les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare. — Force a été de passer outre à leurs protestations, tout en sauvegardant leurs intérêts. — Il est urgent de pourvoir de pasteurs Thonon et deux autres localités

 

Gex, 50 novembre 1601.

 

            Monseigneur,

 

            J'avois des-ja amplement donné advis a Vostre Altesse de tout ce que j'avois fait en Chablais et Ternier pour l'establissement des cures, quandj'ay receu la lettre quil luy a pleu m'escrire, du ... octobre, par voye du seigneur chevallier Bergeraz, par laquelle j'ay conneu que mon action avoit esté bien mal representee a Vostre Altesse, en ce qu'on luy a dit que j'avois procedé sans ouÿr les seigneurs de la Milice de Saint Maurice ; car j'ay trop de bons et irreprochables tesmoins au contraire, qui m'ont veu ouïr fort au long toutes les raysons et allegations que ledit sieur Bergeraz a voulu advancer, comme procureur general de ladite Milice, et, avec luy encores, le sieur juge de Prez, conseil ordinaire d'icelle. Il est vray que, n'ayant pas jugé lesdites raysons considerables pour empescher ledit establissement des curés, sans lequel des lhors toutes les eglises demeuroyent despourvëues, puysque les pasteurs, entretenuz jusques a l'heure avec tous les artifices possibles, estoyent resoluz d'abandonner silz ne se voyoyent en asseurance de leurs [443] provisions, ayant sur ce prins l'advis de gens tres zeléz au service de Vostre Altesse et qui sont capables de semblables conseilz, sans la presence desquelz je n'ay rien voulu faire, je passay outre a l'execution du Brief ; en telle sorte neanmoins, que je retranchay de beaucoup son estendue, laquelle si j'eusse voulu suyvre, j'eusse esté contraint de lever tout le bien d'Eglise que ladite Milice tient es balliages : encor ni eut il pas esté suffisant. Mays le respect que je porte aux intentions de Vostre Altesse m'a fait tenir le plus court quil m'a esté possible, et en telle sorte que, n'ayant du tout rien touché a Ripaille, je n'ay prins de Filly et Doveynoz sinon justement ce qui estoit requis pour les curés des parroisses riere lesquelles ces deux benefices prenoyent les diesmes ; et ce, pour autant quil estoyt impossible de faire autrement.

            Et avec tout cela, le demeurant de ces deux benefices est si bon que, quant a Filly, le revenu de messieurs les Chevalliers y est aussi grand, ou peu s'en faut, quil estoit au paravant (ce que j'ay assigné aux curés n'estant de plus grande valeur que ce qui estoit ci devant assigné aux ministres huguenotz sur laditte Abbaye) ; si que lesdits seigneurs Chevalliers ne sont que peu ou point interessés pour cest esgard. Et quant a Doveynoz, bien que Vostre Altesse l'avoit entierement layssé pour estre employé a l'entretenement des pasteurs, si est ce que j'ay laissé au prieuré une bonne piece de revenu de laquelle je n'ay encor aucunement disposé, attendant la resolution que Vostre Altesse me donneroit pour la dotation de la cure de Thonon et de deux autres qui sont aux chams, lesquelles ne sont pas appointees de ce qui leur est necessaire. Sur quoy j'ay, par une mienne lettre, demandé tres humblement la bonté de Vostre Altesse a secours, affin quil luy pleut me permettre de prendre encor d'avantage sur lesdits benefices que j'ay espargnés, ou bien me donner les moyens d'y appliquer quelqu'autre revenu, ne treuvant aucun autre expedient pour eviter le scandale, [444] qui sera extremement grand si Thonon et les autres deux lieux demeurent destitués de curés.

            J'ay bien voulu ainsy particulariser a Vostre Altesse ce que j'ay fait pour, par apres, la supplier en toute humilité, comme je fay, quil luy plaise ne point croire ceux qui luy parleront de moy au contraire de ce que je luy en escris. Aussi n'en sçauroient ilz jamais rien prouver, puysque la verité est que j'ay tous-jours eu en singuliere recommandation l'honneur que je dois aux volontés de Vostre Altesse en tout le progres de cest'œuvre, de laquelle ell'a esté le principal instrument sous la main de Dieu, lequel je prie tous-jours quil luy playse multiplier ses saintes benedictions sur la personne et les catholiques desseins d'icelle, a laquelle faysant humble reverence je demeure a jamais,

            Monseigneur,

Tres humble serviteur et orateur.

            De Gex, ce XXX de novembre 1601.

            A Son Altesse.

            A Turin.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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CCLXVIII. Au Roi de France Henri IV. Trois curés établis dans le pays de Gex. — « La bonté du commencement » fait « desirer le progres » de la conversion de ce bailliage. — Ce qu'à cet effet l'on attend de la protection du roi de France

 

Annecy, décembre 1601.

 

            Sire,

 

            Sur le bon playsir de Vostre Majesté, qu'elle me delaira par sa lettre, j'ay esté en son balliage de Gex, [445] et y ay establi des ecclesiastiques pour l'exercice de la sainte religion catholique es lieux que M. le baron de Lux m'a assigné, qui ne sont que trois en nombre ; beaucoup moins, a la verité, que je n'avois conceu en mon esperance, laquelle, portee de la grandeur de la pieté qui reluit en la couronne de Vostre Majesté, n'aspiroit a rien moins qu'au tout. J'espere neanmoins encor ; et, par la bonté du commencement que je vois, je suis tousjours tant plus invité d'en desirer le progres et compliment, lequel aussi nostre Saint Pere me commande d'attendre de la justice, equité et zele de Vostre Majesté, comme je fay, plein d'asseurance que ceste main royale, qui ne sçait laisser aucun de ses ouvrages imparfait, ayant donné commencement au restablissement de la sainte religion en ce petit coin de mon diocese, qui a l'honneur d'estre une piece de vostre grand royaume, ne tardera point d'y apporter la perfection que le Saint Siege en attend, que son edit promet, et que je luy demande tres humblement, avec la faveur de sa grace ; suppliant nostre Sauveur, pour la gloire duquel je presente ceste requeste, qu'il comble de benedictions le sceptre tres chrestien qu'il a mis en la main de Vostre Majesté, et, qu'apres le luy avoir maintenu longuement, il le fasse heureusement passer en celle de Monseigneur le Dauphin, pour l'appuy de l'Eglise et religion catholique, qui est tout le bien qu'apres l'eternelle felicite peut souhaitter pour Vostre Majesté,

            Sire,

Le tres humble et tres obeissant serviteur et orateur de Vostre Majesté.

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Suppliques

 

 

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CCLXIX. A Sa Sainteté Clément VIII (Minute inédite). L'Evêque de Genève sollicite l'autorisation de communiquer la faculté d'absoudre les hérétiques et de lire leurs ouvrages. — Il serait nécessaire de subvenir à la gène des nouveaux convertis par la fondation d'un établissement approprié à leurs besoins. — Contributions généreuses, mais insuffisantes, faites dans ce but par le duc de Savoie et d'autres personnes

 

Rome, commencement de janvier 1599.

 

            Beatissimo Padre,

 

            Restando ancora nella diocesi di Geneva molti heretici et alcuni rilapsi, quali sforzati dalli soldati nelle guerre passate fecero professione della fede catholica et dipoi, per authorità [di] contraria forza, sonno ricaduti, delli quali tutti mediante la gratia divina, per mezzo di predicatori, si spera una santa conversione ; per tanto si supplica humilissimamente, per parte del Vescovo di Geneva, che sì come è carigo et debito suo di richiamare dette pecorelle smarrite alla Chiesa del Signore, così [447] habbia ancora piena facoltà di aprirli (sic) la porta di essa ogni volta che con vero pentimento ritornaranno, absolvendoli di ogni heresia nella quale saranno caduti et etiandio ricaduti. Et perchè vi sonno molti tali li quali non hanno ardimento di comparire o vero venire inanzi del Vescovo, comme sonno per lo più gli huomini vecchi et le donne, massime gravide, per tanto si supplica che havendoli (sic) compassione, detto Vescovo possa ancora communicare detta facoltà di assolvere li heretici ad alquanti giudicarà da lui degni, in diversi luoghi della sua diocesi.

            Di più, perchè a predicatori che a questo effetto della conversione degli heretici sonno adoprati è necessario di leggere libri prohibiti, massime quelli che ogni giorno si mandano fuori dalli Genevrini et altri vicini, per rifutarli più commodamente, però si supplica humilissimamente che possa detto Vescovo dare licentia a quelli che giudicarà espediente, di leggere et havere detti libri, mentre in questo si adoperano, come al Preposito della Cathedrale di Geneva. Et queste gratie si domandano ad quinquennium, ad Dei gloriam et honorem. [448]

            Fra le molte migliaia di persone che per bontà del Signore Iddio si sonno ridotte et convertite alla santa Chiesa questo ultimo anno passato nelli confini et luoghi vicini a Geneva, se ne trovano molti quali, o per esser usciti dalla città istessa di Geneva come da altra, o per haver nelli traffichi con Genevrini la miglior parte delle commodità necessarie a questa misera vita mortale, vengono per questa sua (sic) santa conversione privi et falliti affatto di tutti li loro beni et commodità humane ; onde crescendo tuttavia, per somma misericordia divina, il numero di questi tali, nè sapendosi come provederli, è parso bene et espediente, anzi necessario, al Vescovo di detta diocesi et alli predicatori et altre persone zelanti che in quella opera s'affatigano, di tentare [di] fondar una qualche casa di misericordia o albergo di virtù, nella quale questi, horamai banniti per Christo, et massime li putti et ragazzi maschi et femmine, potessero esser ricevuti, insegnati et ammaestrati christianamente, ciascheduno secondo la sua capacità, in qualche arte o scientia col mezzo della quale si possano poi guadagnare il pane. [449]

            Ma tale dissegno et espediente, suggerito et inspirato dalla carità, non può senza gran carità riuscire in effetto, essendo impossibile di fondar detto albergo se non per mezzo di limosine o vero di applicatione di qualche intrate ecclesiastiche. Per tanto il signor Duca di Savoya vedendo quanto pia sia questa opra, havendo già speso parecchie migliaia di scudi per le cose sacre in quelle bande, ha di più dato per questo particolare dieci millia scudi di limosina ; et uno delli nuovamente convertiti, gentilhuomo honorato, spinto dalla vera compassione verso quelli che, tocchi dal Spirito Santo, abbracciano la santa fede, ha dato otto miglia scudi di limosina, et alcuni altri certe piccole somme secondo la loro capacità ; tutte le quali somme non arrivano a quello che si richiede per dar un saldo fondamento a questa piissima impresa. Il che fa…

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [450]

 

 

 

            Très Saint Père,

 

            Il reste encore dans le diocèse de Genève beaucoup d'hérétiques et quelques relaps ; ceux-ci, subissant la pression de la force armée au cours des dernières guerres, ont fait profession de la foi catholique, et ensuite, violentés par une pression contraire, sont retombés dans l'hérésie. On espère la conversion de tous, moyennant la grâce divine, par le ministère des prédicateurs. C'est pourquoi Votre Sainteté est très humblement suppliée de la part de l'Evêque de Genève, qui a la mission et le devoir de rappeler à l'Eglise du Seigneur les brebis [447] égarées, de lui accorder plein pouvoir de leur en ouvrir la porte toutes les fois qu'elles reviendront avec un vrai repentir, en les absolvant de toute hérésie, lapses ou relapses. Plusieurs n'osent comparaître devant l'Evêque, comme sont pour la plupart les hommes âgés et les femmes, surtout quand elles sont enceintes ; en conséquence, Votre Sainteté est suppliée de les prendre en pitié, et d'autoriser encore ledit Evêque à communiquer le pouvoir d'absoudre les hérétiques, en différents lieux de son diocèse, à ceux qu'il en estimera dignes.

            En outre, comme il est nécessaire aux prédicateurs qui travaillent à la conversion des hérétiques de lire les livres prohibés, afin de les réfuter plus commodément, ceux surtout que les Genevois et autres gens du voisinage font paraître chaque jour, l'Evêque demande très humblement le pouvoir d'autoriser ceux qu'il jugera convenable, tel le Prévôt de la cathédrale de Genève, à lire et garder les livres susdits pendant qu'ils travaillent à cette mission. Et ces permissions sont demandées pour cinq ans, à la gloire et honneur de Dieu. [448]

            Parmi les milliers de personnes qui, par la bonté de Dieu notre Seigneur, se sont converties et soumises à la sainte Eglise cette année dernière aux environs ou sur les confins du territoire de Genève, bon nombre ont été, par suite de leur conversion, dépouillées de tous leurs biens : les unes, parce qu'elles sont sorties de Genève ou de quelque autre ville ; et d'autres, parce qu'elles trouvaient dans leur commerce avec les Genevois la majeure partie des ressources nécessaires à cette misérable vie temporelle. Or, comme par la divine miséricorde, le nombre de ces personnes augmente, on ne sait comment pourvoir à leur entretien. Il a donc semblé bon, expédient et même nécessaire à l'Evêque de ce diocèse, ainsi qu'aux prédicateurs et autres personnes zélées qui s'adonnent à cette œuvre, d'essayer de fonder une maison de miséricorde ou hospice de vertu. Là, ces bannis pour le Christ, surtout les enfants et les jeunes gens des deux sexes, pourraient être accueillis, élevés et instruits chrétiennement. On enseignerait à chacun selon sa capacité, ou les sciences ou quelque métier qui lui permettrait ensuite de gagner sa vie. [449]

            Mais un tel projet, suggéré et inspiré par la charité, ne peut aboutir sans une grande charité ; car il est impossible d'établir cet hospice autrement que par des aumônes ou par l'application de quelques revenus ecclésiastiques. En conséquence le duc de Savoie voyant combien cette fondation serait une œuvre d'excellente piété, après avoir déjà dépensé plusieurs milliers d'écus en ces contrées pour le culte divin, a voulu encore donner dix mille écus pour cette œuvre particulière. L'un des nouveaux convertis, gentilhomme distingué, poussé par une véritable compassion envers ceux qui, touchés de l'Esprit-Saint, embrassent la sainte foi, a donné huit mille écus d'aumône ; quelques autres personnes ont fait de petites offrandes proportionnées à leurs ressources. Tout cela néanmoins n'atteint pas la somme qui serait nécessaire pour établir sur un fondement solide cette très pieuse entreprise. Ce qui fait que… [450]

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CCLXX. Au Cardinal Aldobrandino (Minute inédite). Prière de plaider auprès de Sa Sainteté divers intérêts du diocèse de Genève : entretien des curés, création de prébendes théologales, requête des chanoines de la cathédrale, décimes de l'Evêque

 

Rome, 12 janvier 1599 .

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor,

 

            Si supplica humilissimamente a V. S. Illma et Rma si degni mettere in consideratione appresso Sua Santità circa le difficoltà che occorrono nelli articoli proposti per parte del Vescovo di Geneva :

            Quanto all' applicatione delli beneficii per sustentatione de'pastori necessarii alle parrochie ridotte alla fede : Che li beni delle cure son in parte alienati con authorità Apostolica, et in parte rovinati et deserti [451] per la poca cura che li possessori ne han havuta ; per tanto non bastariano in modo nessuno per stabilir detti pastori. Che de jure si deve dar portion congrua sopra li altri beneficii, et fu l'intentione della Bolla di unione, laquale vuole che si debbano dare almeno cinquanta ducati per chiascheduno pastore supra detti beneficii indistintamente. Et che in summa, quelli popoli petunt panem, dandi sunt qui frangant eis ; et non è modo più conveniente che applicandovi le decime et primitie che essi a questo effetto pagano : Et quos non pavisti occidisti.

            Quanto alle præbende theologali : Che se bene il Concilio non obliga che si stabiliscano altrove che nei luoghi insigni, obligando al meno, però non esclude il più, anzi lo desidera et lauda. Che li luoghi dove si metteriano sonno insigni nel paese. Che li monasterii le pr0bende delli quali se domandano sonno, da uno in poi, in luoghi deserti et lontani dalla moltitudine ; sì che li theologi [452] loro, se pur ne havessero, sariano poco giovevoli alla diocæse ; onde, applicando quelle præbende alla sustentatione de' theologi, sariano infinitamente più utili al ben publico.

            Quanto alla dispensatione colli canonici di Geneva per haver una parrochiale : Che potranno a vicende servire in dette chiese ; che questa gratia si è usata con loro da altri Pontefici in simile occasione ; et questo non succedendo, bisognarà dispensar con loro sopra il statuto loro confirmato et stabilito da Martino Papa, di non dover esser ricevuto per canonico chi non è nobile ex utroque parente, o dottore, o provedergli con altro modo di decente sustentatione sin tanto che si restituiscano li beni occupati dalli hæretici. [453]

            Quanto alle decime del Vescovo : Che per haver lui solo, senza altro, ottenuto dal signor Duca di Savoya che li dodeci millia scudi d' oro che si danno dal clero di Savoya a detto signor Duca si riducessero in scudi di moneta, non ha devuto premerlo più per suo bisogno particolare ; et che detto clero godendosi del favore ottenuto da lui, non sentirà molto incommodo di sgravarlo della sua parte del pagamento, il quale non eccede cento scudi.

            Et in generale si supplica a Sua Signoria Illma et Rma di mettere in consideratione quale et quante siano le necessità di quella diocæsi, chè extremis malis extrema sunt adhibenda remedia, et salus populi suprema lex

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme A. Morrison, à Londres. [454]

 

 

 

            Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Au sujet des difficultés qui se rencontrent dans les articles proposés de la part de l'Evêque de Genève, Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime est très humblement suppliée de soumettre ce qui suit à la considération de Sa Sainteté :

            Quant à l'application des bénéfices à l'entretien des pasteurs des paroisses revenues à la vraie foi : Que les biens des cures sont en partie aliénés de par l'autorité apostolique, et en partie ruinés et [451] abandonnés par suite du peu de soin qu'en ont eu les possesseurs ; partant ils ne suffiraient en aucune manière à l'entretien des susdits pasteurs. Qu'en droit il faut prélever la portion congrue sur les autres bénéfices, d'après la teneur de la Bulle d'union qui exige que cinquante ducats au moins soient donnés à chaque pasteur sur lesdits bénéfices indistinctement. Qu'on doit enfin donner à ces peuples qui demandent du pain des prêtres pour le leur rompre. Or, il n'est pas de moyen plus convenable que d'appliquer à cette œuvre les dîmes et les prémices que les fidèles payent à cet effet. « Et vous avez tué ceux que vous n'avez pas nourris. »

            Quant aux prébendes théologales : Bien que le Concile n'oblige à les établir que dans les localités considérables, en exigeant le moins il n'exclut pas le plus ; au contraire, il le désire et le loue. Que les localités où s'établiraient telles prébendes sont considérables dans le pays. Que les monastères desquels on demande les prébendes sont, à une exception près, situés en des lieux inhabités et éloignés des [452] centres ; de sorte que leurs théologaux, si toutefois ils en avaient, seraient peu utiles au diocèse, tandis qu'en appliquant ces prébendes à l'entretien de chanoines théologaux, elles seraient infiniment plus utiles au bien public.

            Quant à la dispense sollicitée par les chanoines de Genève pour avoir une église paroissiale : Qu'ils pourront desservir ces églises de temps en temps ; que ce privilège leur a été concédé par d'autres Pontifes en semblable occasion ; que si on le leur refuse il faudra les dispenser du statut établi et confirmé par le Pape Martin (à la teneur de ce statut, ils ne peuvent admettre dans leur Chapitre personne qui ne soit noble ex utroque parente, ou docteur) ; ou bien il faudra pourvoir convenablement à leur entretien d'une autre manière, jusqu'à ce que l'on recouvre les revenus usurpés par les hérétiques. [453]

            Quant aux décimes de l'Evêque : Que lui seul, sans le concours d'aucun autre, ayant obtenu du duc de Savoie que les douze mille écus d'or que le clergé de Savoie donne à ce prince fussent payés en écus de monnaie, il n'a pas cru devoir faire instance pour ses intérêts personnels, et le clergé, jouissant de la faveur qu'il lui a obtenue, ne sera pas grevé beaucoup de décharger l'Evêque de la contribution qui lui incomberait, laquelle n'excède pas cent écus.

            Et en somme, Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime est suppliée de considérer combien graves et combien nombreux sont les besoins de ce diocèse, car « aux maux extrêmes il faut appliquer des remèdes extrêmes, et le salut du peuple est la suprême loi. »…[454]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Appendice [455]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les notes marginales indiquent la corrélation des pièces de l'Appendice

avec le texte des Lettres de saint François de Sales. [456]

 

Lettres adressées a Saint François de Sales par quelques correspondants

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A. Lettres de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie

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I

 

            A Reverend, cher, bien amé et feal, le Prevost de Geneve, Le Duc de Savoye.

            Reverend, cher, bien amé et feal,

 

            Ceux de la Religion de Sainct Maurice et Lazare nous ont faict entendre le prejudice que leur appourteroit l'union du prieuré de Sainct Jean hors les murs de Geneve a la Collegiale de Viry, si elle s'en ensuivoit, ainsy qu'au Baron de Viry en avons accordé le placet ; ce qu'avons faict, ne Nous resouvenant que ledict prieuré fust approprié a ladicte Religion. Qui Nous faict a present vous dire que n'avez a en faire plus aulcune poursuitte, ains vous en despartir, n'estant nostre intention de en rien prejudicier a ladicte Religion.

            A tant prions Dieu qu'il vous ait en sa garde.

            D'Ast, ce 11 janvier 1599.

CHARLES EMANUEL.

            BOURSIER.

Au Prevost de Sales.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [457]

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II

 

            A nostre tres cher, bien amé et feal, le Prevost de Sales, Le Duc de Savoye.

            Tres cher, bien amé et feal,

 

            Nous avons veu par vostre lettre du septiesme du present, la devotion que ce peuple a monstré en ce qui est de sa nouvelle conversion ; ce qui Nous a appourté un singulier contentement, comme aussy l'esperance que vous avez que le reste en fera de mesme, en quoy Nous nous asseurons que vous vous employerez avec la mesme affection et pieté qu'avez faict par cy devant, avec tant de louange et satisfaction nostre. Et pour ne faillir en rien d'y appourter de nostre cousté tout ce qui sera en nostre pouvoir, Nous avons ordonné au President Rochette que tout aussy tost que Nous serons partis, il s'achemine en ces quartiers la pour establir ce qui est necessaire pour l'entretenement des curez, a celle fin que chascun d'eux y puisse faire sa residence pour y exercer religieusement ce qui est de leur charge ; a quoy vous tiendrez main et l'y assisterez de tout vostre pouvoir, ainsy que de mesme escripvons a l'Evesque de Geneve.

            Quant a l'establissement de la Maison de vertu ou Refuge de Thonon, mise en avant par le Pere Cherubin a Romme, vous en traicterez avec ledict President, et par ensemble avec ledict Evesque, vous adviserez de ce qui est necessaire que faisions pour icelle ; et Nous en envoyerez les memoires pour, sur icelles, y faire les dheues considerations et y prendre la resolution que verrons estre convenable.

            Et touchant le sieur d'Avully, de Vallon et Dame du Four, Nous treuvons tres raisonnable ce que vous en escripvez, et ne leur sera rien innové qu'au preallable ilz n'ayent leur recompense.

            A tant prions Dieu qu'il vous ait en sa garde.

            De Chambery, ce 28 apvril 1600.

CHARLES EMANUEL.

            BOURSIER.

Au Prevost de Sales.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [458]

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III

 

            Tres Reverend, tres cher, bien amé et feal Conseiller et devost Orateur,

            Parce que les bonnes œuvres sont tousjours contrepesees par sinistres relations, et que bien souvent les publiques mesmes ont besoin d'appui particulier pour les soustenir et deffendre, aussy est il necessaire que, pour les balancer au poix de la raison, l'on y prenne les expedientz plus necessaires. Cecy je dis a l'occasion de quelques mauvaises relations qu'ont esté faictes a Sa Sainteté, qu'ont besoin de vostre soustien par le moyen d'une bien ample attestation qu'il faut que vous Nous envoyez de l'estat auquel vous avez veu vostre diocese auparavant les guerres en ce que concerne le spirituel ; mais particullierement en combien d'endroictz l'on y frequentoit l'exercice de la religion pretendue reformee, et par combien de ministres elle y estoit divulguee et maintenue, et si des le commencement des guerres, l'on y a remis les cures et planté heureusement la religion Catholique et Apostolique, Romaine, et abolly ledict exercice de pretendue religion jusques sur les portes de Geneve ou, par tous les lieux, l'on celebre la sainte Messe. Et d'aultant qu'il faut faire le boclier de ladit'attestation contre ce que l'on a donné a entendre a Sa Sainteté, il est necessaire que non seullement elle soit signee de vous, mais de vos chanoines qui en peuvent avoir eu notice, et de quelques autres notables ecclesiastiques qui pourront servir a la foy indubitable de ladicte attestation, comme aussi pour son ampliation, a laquelle Nous nous asseurons que n'oblierez rien ; non plus que du bon ordre que l'on tint, moy present, pour appeller ceux qui estoyent esgarez a la vraye foy, et combien d'ames l'on y gagna pour lhors et jusques a present, et si l'on y continue l'œuvre et quel fruit s'en ensuit, et plus amplement, comme trop mieux vous sçavez convenir, pour me l'envoyer au plus tost a l'effait que dessus.

            Ce qu'attendant, prions Dieu quil vous ait en sa sainte et digne garde.

            De Thurin, ce 25e d'octobre 1603.

Le Duc de Savoye,

C. EMANUEL.

            BOURSIER.

A l'Evesque de Geneve.

 

Revu sur le texte inséré dans le IId Procès de Canonisation. [459]

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IV

 

            Tres Reverend, tres cher, bien amé et feal Conseiller et devost Orateur,

 

            Il y a quelques sepmaines que Nous vous escripvismes sur quelque mauvays rapport qu'a esté faict a Sa Sainteté de la conversion des heretiques des baillages, luy ayant este donné a entendre que tout estoit en son premier estat, et que les curez n'ont point esté retablis en leurs eglises. Ce que desirant de reprouver, il est necessaire que vous Nous en envoyez une bien autentique attestation comme il ny a en point de lieu que la sainte Messe n'aye esté retablie, et qu'elle se celebre jusques sur les portes de Geneve, et les cures pourveues de bons curez, la plus part desquelz y annoncent la parolle de Dieu, et que ceulx qui se sont reunis a la sainte foy y continuent avec un grand zele. Ce quil est necessaire qu'attestiez bien amplement et comme celluy qui en est mieux informé que les aultres, et Nous l'envoyez au plus tost, sans touttesfoys en icelle faire aulcune mention que Nous vous en ayons escript, mais requis du peuple pour desabuser Sa Sainteté de ce que l'on a dict d'eulx. Et fault qu'elle soit en bonne forme.

            A tant prions Dieu quil vous ait en sa garde.

            De Thurin, ce 22 novembre 1603.

Le Duc de Savoye,

C. EMANUEL.

            BOURSIER.

            A tres Reverend, tres cher, bien amé et feal Conseiller et devost Orateur,

L'Evesque de Geneve.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy. [460]

(La signature est autographe.)

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B. Lettres de Mgr Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin

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I

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            Fui avvisato dal Serenissimo signor Duca che V. S. doveva partir per Roma per procurar la restitutione delle cure et beneficii di Ciables et l'espeditione d'altri negotii attinenti alla religione cattolica in quelle parti, et per lettere poi di Monsignor di San Paolo intesi ch'Ella era già partita. Et se V. S. mi havesse dato avviso in tempo di questa sua risolutione, non haverei mancato d'accompagnarla con lettere alli signori Cardinali di Santa Severina et Aldobrandino, se ben per diverse mie relationi sia notissimo a Sua Santità et alli suddetti Signori il merito della persona sua.

            Mentre io stavo aspettando con gran desiderio di haver nova della giunta di V. S. a Roma, mi è capitata la sua di 18 di Decembre che mi ha data gran consolatione, havendo inteso il suo arrivo con salute, insieme col signor Vicario di Geneva. Io spero che V. S. a quest' hora haverà riportato qualche buona risolutione delli negotii delli quali mi scrive ; ma con tutto ciò io non ho voluto lasciare, conforme alla sua dimanda, di raccommandarlo vivamente al signor Cardinal Aldobrandino et Santa Severina con alligate mie lettere, le quali V. S., secondo il suo bisogno, potrà presentare.

            Credo che Ella haverà già inteso l'infortunio del nostro Padre Fra Cherubino, il quale, al principio di Decembre, cominciò a patir delirio nell' intelletto et è andato sempre crescendo, si come mi ha avvisato il Padre Guardiano di Annessi et il Padre Provinciale, con lettere di 12 di Gennaro. Onde, per ricordo (sic) di Monsignor di Geneva, io ho risposto a quelli Padri che lo levino quanto prima di Tonone et lo riducano in qualche loco delicioso dove, lontano da occupationi, forse potrebbe, con la gratia di Dio, ricuperar l'uso della [461] ragione. Questo accidente mi è doluto in estremo ; ma finalmente bisogna conformarsi in quello che dispone la divina Providentia. Io ne diedi conto, con l'ordinario passato, al signor Cardinale di Santa Severina, et con quella occasione supplicai Sua Signoria Illma a voler procurar da Nostro Signore che V. S., con favorevole speditione, fosse quanto prima rimandata a Tonone, poichè senza la sua presentia io vedevo intorbidato il negotio della conversione.

            Sua Altezza sarà qui in Saluzzo fra tre o quattro giorni, dove io le parlarò a lungo ; et si va discorrendo che venendo il Re di Francia a Lione a primavera, forse potrebbe tornare in Savoia. Haverebbe Sua Altezza desiderio che Nostro Signore mi commandasse che io andassi, fatto Pasqua, a visitare li cleri di Savoia, et massime li regolari ; ma stante il contagio et la desolatione del paese, io non so che frutto si potrebbe fare, se ben dal canto mio io sarò sempre pronto di esseguir quello che mi sarà commandato. Et [se] questo carico mi venisse commesso, V. S. haverebbe da essere mio compagno individuo.

            Con che fo fine, et me le raccommando di cuore, insieme con lo signor Vicario.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Saluzzo, a 28 di Gennaro, 1599.

            Al Molto Rdo

            Sigre Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

            A Roma.

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II

 

            Molto Reverendo Signore,

            Tengo l'ultima di V. S. delli 17 di Gennaro, ricevuta a 4 di Febraro, con la quale mi sono rallegrato sommamente di havere inteso che Ella habbia havuta grata audientia da Nostro Signore et riportata speranza di essere ben spedita. Io vorrei che gli ordini di Sua Santità venissero precisi et precettivi, perchè venendo commessi a me Ella sa le difficoltà che si passano con li ministri di Sua Altezza, laquale se ben sia zelantissimo Principe, nondimeno, per opera di ministri, molte volte l'essecutione non è conforme alla intentione. Con tutto ciò, se il negotio verrà commesso a me, io non mancarò di darle tutto quell'aiuto che humanamente per me sarà possibile. [462]

            Fra Cherubino continua tuttavia nel suo delirio, et tanto più è necessario il presto ritorno di V. S., senza laquale, in cambio di far maggior progresso, dubito che si perderebbe l'acquistato. Et in questo proposito io ho scritto a Sua Santità tutto che ho giudicato a proposito per ottenere quanto prima favorevole espeditione di tutti li negotii per li quali V. S. è andata a Roma, et per la coadiutoria che desidera in persona sua Monsignor di Geneva.

            Ho scritto vivamente al signor Abbate dell' Abundantia che in ogni modo mi faccia piacere di deputare giudice di quel loco il signor Pietro Ducrest, et spero senza fallo che mi gratificarà, et V. S. ne sarà avvisata ; laquale se potesse vedere l'infinito amore che le porto, si avvarrebbe di me con più libertà et confidentia. Io, per dar qualche stabilimento alla riforma di questo clero, credo che sarò astretto di fermarmi a Saluzzo per tutta Quaresima, et venendo V. S. qua, l'abbracciarò et goderò con infinito mio contento.

            Et in tanto, la saluto di cuore, col signor Vicario di Geneva.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Saluzzo, a XI di Febraro 1599.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigre Prevosto di Geneva.

A Roma.

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III

 

            Molto Reverendo Signore,

            Son restato maravigliato che dopo la partita di V. S. da Piemonte io non habbia havute più lettere sue, le quali desideravo principalmente per intendere la sua salute et di Monsignor Rmo di Geneva, et per sapere qualche progresso delle cose di Tonone, et che risolutione Ella habbia riportata dal Parlamento di Ciamberi circa l'entrate che si dovevano applicare alli curati dalla Religione di San Lazaro.

            Nostro Signore, per dar principio ad aiutar l' opera di Tonone, si è risoluto di mantenerci sei Gesuiti a spese sue, et me ha ordinato che, giunti che saranno, io li rimetta trentasei scudi d'oro il mese, a ragione di sei scudi d'oro il mese per ciascuno, delli spogli di Piemonte. Il P. Generale, conforme alla volontà di Nostro Signore, ha dato ordine al P. Provinciale di Lione di mandar detti Padri quanto [463] prima a Tonone, et V. S. ne potrà anco far instanza al medesimo Provinciale per affrettar la loro venuta ; li quali arrivati che saranno, V. S. me ne potrà dar avviso, col modo che haverò da tenere a far la rimessa delli suddetti dinari.

            Circa il memoriale che V. S. mi lasciò sopra diversi capi che concernevano il servitio della Chiesa di Geneva, io ne ho fatto più volte instanza a Sua Santità, laquale, pochi giorni sono, mi fece scrivere dal signor Cardinale Aldobrandino che haverebbe spedito un Breve in persona mia, dandomi facoltà di provedere a tutto ; et bisognerebbe che qualcuno lo sollecitasse a Roma a nome di Monsignor Vescovo. Tra li suddetti capi ce n'è uno, del quale mando a V. S. copia, che patisce difficoltà per essere assai oscuro, et sopra il quale io non ho potuta dare altra informatione. Per intelligentia di esso si desidera di sapere da V. S. se le prebende monacali che si hanno da applicare per la sustentatione de'canonici theologali siano vacanti, oppure [se] si ha da fare l'applicatione per quando vacaranno. Di più, quanti priorati o monasterii si trovino nella diocesi di Geneva per poter fare la soppressione di una prebenda monacale per priorato o monasterio, et di più, se ci sia stato mai essempio che dette prebende monacali siano state applicate a canonici secolari, et in che maniera li monaci accettarebbono questa soppressione. Di più, perchè V. S. dice che questi canonici theologali sono necessariissimi in molti luoghi, si desidera sapere in quanti luoghi sono erette queste chiese collegiate ; perchè altre volte si dice che la diocesi di Geneva è copiosa di cure, ma non di chiese collegiate dove ci siano canonici theologali, non potendone essere più di uno per chiesa con l'assegnamento della prebenda theologale.

            Però V. S. sarà contenta di darmi quanto prima distinta informatione sopra tutti questi particolari che sono necessarii di sapere prima che si faccia la soppressione delle prebende monacali ; et me le offero et raccommando di cuore.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Dal Mondovì, al primo di Settembre 1599.

Al Molto Revdo Sigr

Il Sigr Prevosto di Geneva.

A Tonone.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation d'Annecy. [464]

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IV

 

            Molto Reverendo Signore,

            Mi è stata di gran consolatione l' ultima di V. S. di 23 di Settembre, per haver inteso il donativo fatto da Sua Altezza di dodici mila scudi per la fundatione del collegio ; et se saranno riscossi effettivamente si potrà sperare che habbia da passare innanzi. In tanto, in essecutione dell'ordine che ho da Sua Santità, mando al Padre Stefano Bartolone, Rettore del collegio di Gamberi, cento et otto scudi d'oro, a fiorini tredici et grossi tre di Piemonte per scudo, per pagare alli sei Padri Gesuiti che hanno da stare a Tonone, a ragione di [sei] scudi d'oro il mese per uno ; et V. S. mi darà avviso del giorno che arrivano et quando comminci a correre il tempo, acciò si possa notare al libro de'conti della Camera Apostolica, et di mano in mano io mandarò anticipatamente ogni tre mesi il loro stipendio.

            Ho mandato a Nostro Signore la relatione di Monsignor di Vienna sopra le cose di Tonone, laquale è tanto favorevole che io spero che Sua Santità allargarà tanto più la mano in promoverle ; et dal canto mio io ho fatto tutti gli officii possibili. Starò aspettando l'informatione di V. S. sopra le prebende monacali che vorrebbe che Sua Santità supprimesse per erigere delle prebende theologali canonicali, et V. S., di gratia, rilegga ben la mia lettera del primo di Settembre, acciò l'informatione sia distinta et chiara come Sua Santità desidera.

            Aspetto con le prime lettere la facoltà di poter dispensare a quelli poveri huomini che contrassero matrimonio non sapendo che fussero parenti, et ne darò subito avviso a V. S., alla quale ricordando secondo il solito l'infinita affettione che le porto, me le offero et raccommando di cuore.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Mondovì, a XIIII di Ottobre 1599.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigr Prevosto di Genova.

A Tonone. [465]

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V

 

            Molto Reverendo Signore,

            Il Padre Fra Cherubino mi ha scritta l'alligata lettera di Roma, laquai ho voluto mandare a V. S. acciò riceva quella medesima consolatione che ho sentita io delle gratie che Nostro Signore ha concedute alla Casa di Tonone, per le quali essendosi già segnata la supplica, si trovarà tanto più innanzi la speditione quanto che sarà giunta l'informatione di Monsignor Arcivescovo di Vienna che si aspettava. Io me ne rallegro con V. S. di cuore, et l'assicuro che mentre mi fermarò qui non lasciarò di far appresso Sua Santità tutti gli officii possibili, come ho fatto per lo passato.

            Et con questo fine, me le raccommando di cuore, et bascio le mani alli Revmi Monsignori           Di Vienna et di Geneva. Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Mondovì, a 20 di Ottobre 1599.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigr Prevosto di Geneva.

Ciamberi.

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VI

 

            Molto Reverendo Signore,

            Nostro Signore mi ha conceduto facultà di potere assolvere et dispensare quelli poveri huomini che havendo contratto et consumato il matrimonio, si trovarono parenti in terzo et quarto, et qui alligata mando l'assolutione et dispensa commessa al signor Vicario di Geneva. Sto aspettando risposta da V. S. delle prebende monacali da erigersi in prebende theologali canonicali, acciò di tutte le cose attenenti alla diocesi di Geneva si possa fare insieme una espeditione.

            A Sua Santità è stata gratissima la relatione di Monsignor Arcivescovo di Vienna intorno alle cose di Tonone, et hora spero che infallibilmente si spediranno le Bolle dell' unione delli tre priorati che ha fatto a quella Casa, et insieme, di cinque cento scudi di pensione, per venticinque anni, sopra la Chiesa di Bizansone, con gli altri privilegi che già haverà veduti con la lettera del Padre Fra Cherubino che le mandai. Onde spero in Dio che il frutto crescerà sempre [466] più col mezzo della diligentia di V. S. che è stata principal strumento di quest'opera.

            Con che fo fine, et me le offero et raccommando di cuore.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Dal Mondovì, a 2 di Novembre 1599.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigr Prevosto di Geneva.

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VII

 

            Molto Reverendo Signore,

            A 5 del presente di Decembre ho ricevuta la lettera di V. S. di 15 del passato, con due alligate di Monsignor Arcivescovo di Vienna, et mi è stato gratissimo d'intendere la sua venuta a Gamberi et che in Sua Altezza habbia trovata la solita buona dispositione, et miglior hora del solito nelli ministri. Mi è stato anco caro che la presenza di Monsignor di Vienna porti giovamento alle cose di Tonone et che habbia ricuperato da Geneva un suo nepote.

            Ho anco veduto, con mio dispiacere, che un altro mio piego di 20 di Ottobre, con una lettera di Fra Cherubino scritta a me, non le sia capitato, nel quale si contenevano le gratie concedute da Nostro Signore, quali io scrissi in compendio con la mia di 2 di Novembre. Et acciò Ella l'intenda meglio, le mando copia di quella lettera che il Padre Cherubino scrisse a me, non ostante che io veda che le potrà esser capitato appresso l'originale.

            Circa quel punto che V. S. mi ha communicato confidentemente, che a Sua Altezza sia parso strano di non essere stata avvisata prima di ogni altro di quello che si è risoluto in Roma circa le cose di Tonone, io rispondo che il Padre Fra Cherubino non ha mossa parola senza partecipatione del Ambasciador di Sua Altezza, al qual toccava di darne conto al suo Principe ; perchè io, in questo particolare, non havendo ricevute altre lettere che quelle del Padre Cherubino, stavo aspettando l'avviso più sicuro per lettere del signor Cardinale Aldobrandino, senza le quali non mi soglio movere a dar avviso, nè spendere il nome di Nostro Signore, et senza espressa commissione. Et quando quelle gratie mi fussero state scritte dal suddetto Cardinale, io non haverei mancato di darne avviso a Sua Altezza, come soglio [467] fare in tutte le occorrenze ; laquale, in cinque anni che io son qua, ha potuto conoscere la mia osservanza.

            Ho veduto l'informatione che V. S. mi ha mandata circa le prebende theologali che Monsignor di Geneva desidererebbe di erigere nella sua diocesi, laquale ho mandata a Nostro Signore, havendone ritenuta copia appresso di me per tutto quello che mi si potesse replicare. Io non ho mancato di supplicare instantemente Nostro Signore così di questo come di tutti li altri capi che Ella mi lasciò nel suo memoriale per servitio di Monsignore di Geneva ; et se qualche uno sollecitasse appresso il signor Cardinale Aldobrandino, che si trova oppresso di occupationi, si haverebbono più presto le speditioni per le quali V. S. sia certa che io fo caldissimo officio.

            Il Padre Bartolone mi ha scritto di haver mandato un predicatore in Tonone et sollecitato il Padre Provinciale, che sta in Avignone, a mandar li altri cinque ; ma perchè mostra che non poteranno venire così presto, bisogna che V. S. lo tenga sollecitato et si sappia servire a tempo della gratia di Nostro Signore. Dico di più a V. S. che bisogna tenermi avvisato più spesso delle cose di là, perchè non è mezzo più efficace di tener scaldato Nostro Signore che andarlo raguagliando del frutto che si fa alla giornata.

            Spero clic Sua Altezza partirà senza fallo per Francia et che Dio benedetto lo favorirà di farlo tornar ben espedito. Et con questo fine, a V. S. mi offero et raccommando di cuore, et bascio le mani a Monsignor di Geneva.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            In Mondovì, a 7 di Decembre 1599.

Al Molto Revdo Sigr

Il Sigr Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

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VIII

 

            Molto Reverendo Signore,

            L'ultima di V. S. di 9 Decembre, scrittami da Gamberi, mi capitò alli 29 di Gennaro, et intesi con la solita mia consolatione la sua salute et che fusse di ritorno per Annessi in Tonone ; dove [468] aspettarò continue nove delle cose di quelle parti per poter tener raguagliata Sua Santità et scaldarla con questo mezzo a favorir tanto più la Casa del refugio di Tonone.

            Circa il dubbio mosso dal Padre Rettore di Gesuiti, se la facoltà conceduta da Sua Santità a V. S. et al Signor Vescovo di Geneva di poter assolvere li heretici cessi o habbia a continuare nell' Anno Santo, io probabilmente credo che l'intentione di Sua Beatitudine sia di farla usare ; ma con tuttociò ne ho scritto a Sua Santità medesima, et sapremo meglio la sua intentione.

            Mi è dispiaciuta la sentenza del Senato di Gamberi con laquale ha confermato il possesso all' avversario di V. S., et son di parere che Ella proseguisca le sue ragioni in Roma, dove io non mancarò di aiutarla con tutte le mie forze, come son obligato. È venuto avviso qua che Beza sia stato cacciato da Geneva, ma non havendomene scritto V. S. altro con questa sua, credo che non sia vero. Et perchè Sua Santità desidera di esser raguagliata minutamente di tutte le mutationi et accidenti di quella città, V. S. non mancarà di tenermene avvisato et scrivermi distintamente, perchè io mandarò le medesime lettere sue in mano di Sua Santità.

            Ha havuta Sua Beatitudine l'informatione che Ella mi mandò circa l'erettione delle prebende da farsi nella diocesi di Geneva, et il signor Cardinal Aldobrandino mi risponde che bisogna che vi sia a Roma un sollecitatore per ricorrere da Sua Signoria Illma per poter espedire quel negotio et quelli altri capi lasciati già nel suo memoriale, attinenti alla medesima diocesi di Geneva. Io diedi conto a Sua Santità del bisogno che si haveva di dar per habitatione alli Padri Gesuiti il monasterio di Frati di Sant'Agostino di Tonone, et mandai a Sua Santità la lettera che Monsignor Vescovo di Geneva mi scrisse in questo proposito ; laquale mi ordina ch'io faccia intendere al suddetto Monsignore che la sua volontà è che quella casa o monasterio si dia ad tempus alli Padri Gesuiti senza prejudiciare alle ragioni de' Frati, perchè con lo tempo si potrà forse trovar modo di dar satisfattione all'una et all'altra parte. Et mando a V. S. copia di duoi capitoli di lettere del Signor Cardinal Aldobrandino in questi propositi, acciò intenda meglio la volontà di Sua Santità et la sua ; onde V. S. mi potrà avvisare del nome del sollecitatore o procuratore che haverà da ricorrere al signor Cardinal Aldobrandino per l'espeditione delle prebende et altri capi, perchè io li mandarò una mia lettera che li darà introduttione a Sua Signoria Illma.

            Io mi trovo in estrema afflittione essendo piaciuto al Signore Iddio di privarmi del signor Cardinal Caietano, mio padrone, con il quale restano estinte tutte le mie consolationi humane. Prego V. S. ad [469] baver memoria nelli suoi sacrificii di quell' anima benedetta, et con basciar le mani a Monsignor Arcivescovo di Vienna, a lei mi offero et raccommando di cuore. Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Dal Mondovì, a dì 4 di Gennaro 1600.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigr Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

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IX

 

            Molto Reverendo Signore,

            Più presto del solito m'è venuta l ultima di V. S. di 17 di Gennaro scritta d'Annessi, l' havendo io ricevuta a 30 ; et all'istesso tempo essendomi occorso di scrivere a Roma, mandai l'alligato plico di V. S. al signor Presidente Fabro, diretto al mio agente che haverà cura di recapitarlo subito. Mi sono rallegrato di haver inteso prima [della malattia] la convalescenza di V. S., et spero che con la consolatione spirituale che goderà a Tonone ripigliarà anco le forze del corpo.

            Io ho un dolore intensissimo d'intendere che il signor Novelletto et altre persone ecclesiastiche di valore non si possino trattenere costì per mancamento di commodità, et se bene la volontà di Nostro Signore sia ottima, nondimeno si vada dilatando per puro difetto di persone che sollecitino a Roma. Io non manco di prendere qual si voglia occasione per sollecitare et importunare ; ma finalmente le lettere non operano come fa la viva voce et come farei con la presenza se mi trovassi in Savoia. Il Padre Fra Cherubino era buono instrumento per scaldare et sollecitare, ma li suoi Superiori con lo tenendo lontano da Roma mi fanno dubitare che non lo tengano del tutto risanato del suo humore malinconico ; onde, in absentia sua, sarebbe manco male di darne carico al signor Presidente Fabro, che tirasse inanti l'unione delli priorati conceduti da Nostro Signore alla Casa di Tonone : che havuta questa gratia, si potrebbe appresso tentare qualche altro aiuto da Sua Beatitudine.

            Quanto alla visita di Savoia, io, se ben sia stracchissimo et poco atto, non son per ricusar mai nissuna fatica in servitio di Dio benedetto et della religione cattolica ; ma non conviene che io sia quello che lo propona o lo ricordi. Quando la Sua Santità lo me commandi, [470] io sarò prontissimo a obedire ; et in quel caso, li Cavallieri di San Lazaro credo che si risolverebbono di rendere più facilmente le loro commende, perchè io [non] vorrei se non una facoltà assai ampia da Sua Santità, et se non la sapessi mettere in essecutione sarebbe mia colpa.

            Io scrissi a V. S. a lungo a 4 di Gennaro et aspetto risposta di quelle lettere, et in particolare che il Signor Vescovo di Geneva dia conto a qualche sollecitatore in Roma appresso il signor Cardinale Aldobrandino per haver la speditione delle prebende theologali et altri capi concernenti alla sua diocesi, sopra li quali mi ha scritto ultimamente Sua Signoria che ne farà spedire Breve speciale quando vi sia persona che lo solleciti.

            Et con questo fine, a V. S. mi offero con tutto l'animo et bascio le mani al Signor Arcivescovo di Vienna et a monsieur d'Avully.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Mondovì, al 1º di Febraro 1600.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigre Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

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X

 

            Molto Reverendo Signore,

            A 4 di Gennaro io scrissi a lungo a V. S. et medesimamente al primo di Febraro, et starò aspettando ch' Ella me accusi la ricevuta di esse, con la data delle giornate, per poter far li duplicati in caso che qualcuna di esse fusse smarrita ; et V. S. si ricordi di tener sempre quest' ordine nel darmi risposta.

            Ho ricevuta l' ultima sua di 24 di Gennaro et me son tanto rallegrato del suo ritorno a Tonone quanto mi son contristato della morte inaspettata del signor Prior di Tarentasa, havendo io perduto un grand'amico et una persona molto honorata, et la quale poteva essere molto utile al Signor Arcivescovo et alla Chiesa di Tarentasa. Però questo è il fine della conditione humana, et ci resta di pregar Dio benedetto a darli requie, et a noi gratia di servirlo finchè giunga l' hora nostra. [471]

            Io ho ricevuto due lettere del Padre Bonaldo che non contengono altro se non che si fa frutto ; ma perchè Nostro Signore non si contenta delle cose universali, et V. S. è anco informata della diligentia esquisita del signor Cardinale di Santa Severina, io essorto il Padre a scrivermi più spesso et più minutamente di tutto quello che passa così circa le scole come circa la conversione degli heretici et devotione delli Cattolici. Mando al Padre Rettore di Gamberi un' altra polizza di cento et otto scudi d'oro per l'altro trimestre, et mi contento che l'altro sia comminciato al primo di Novembre, se ben loro non giunsero se non verso la fine di Decembre ; et questi 108 scudi serviranno per Febraro, Marzo et Aprile.

            Et perchè presuppongo che in questo tempo V. S. si trovi molto occupata nelle solite sue fatiche delle prediche non aggiungerò altro, se non assicurarla ch' io la tengo sempre scolpita nel cuore, sì come merita la singolare sua virtù et bontà. Et me le offero et raccommando con tutto l' animo.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Dal Mondovì, a 24 di Febraro 1600.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigr Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

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XI

 

            Molto Reverendo Signore,

            Per via di Gamberi ho ricevuta una lettera di V. S. di 12 di Marzo, et poi dal signor Barone di Civrone me ne è stata mandata un'altra di 24, nella quale mi ha accusate le mie di 14 di Gennaro et del primo et vintiquattro di Febraro. Quella di 12 io ho mandata in mano di Nostro Signore acciò gli serva per ricordo et stimolo di effettuar qualche cosa circa le gratie di Tononc ; et presto haveremo risposta circa li capi di convalidare li matrimonii contratti in grado prohibito senza dispensa, et di ottener l'altra per quella figliola che si vuol maritare con quello suo parente in quarto, et la risolutione circa l'assolvere gli usurarii.

            Intanto ho sentito molto piacere che li Padri della missione facciano [472] frutto et che il numero degli heretici di Tonone sia ridotto a poco, et che nell' abbadia dell' Abundantia V. S. habbia trovato minor scandalo di quel che si supponeva ; et poichè l'Abbate della Novalesa ci tiene manco monaci di quel che doverebbe, io dò facultà a V. S., in caso che esso se li habbia appropriati a sé, di sequestrar in questa ricolta prossima li frutti della sua badia, per impiegar a beneficio d'essa Chiesa tutta quella portione che esso indebitamente si ha tolta : et così l'esseguisca in mio nome.

            Ho sentito dispiacere infinito che il Signor Arcivescovo di Vienna resti tanto gravato del mal dell'occhio destro, et spero in Dio che col caldo et con un cauterio se ne potrà liberare. V. S. gli basci caramente le mani da mia parte, chè io non gli scrivo per non darli gravezza di leggere la lettera et di rispondere. Et a V. S. mi offero et raccommando di cuore.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Dal Mondovì, a 20 di Aprile 1600.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigr Prevosto di Geneva.

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XII

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            Dal signor Barone di Civrone mi fu mandata pochi giorni sono una lettera di V. S. di 20 di Aprile, con un'altra inclusa di Sua Altezza per il signor Abbate della Novalesa, nella quale si ricercava a voler dar tre prebende della sua badia dell'Abondanza al signor dottor Novelletto ; et conforme a l'instantia di V. S., non mancai anchor io di scriverli efficacissimamente, se ben non era necessario che io m'interponessi dove concorreva l'authorità di Sua Altezza. Il suddetto signor Abbate mi ha risposto quello che V. S. vederà dall'alligata sua lettera, offerendo di darli una prebenda che solo dice esser vacante et che, per servire Sua Altezza, l'haverebbe tolta ad un suo parente al quale l' haveva promessa. Io haverei desiderato di ottener più per il suddetto signor dottor Novelletto, il quale V. S. potrà render sicuro che mi trovarà prontissimo a farli sempre servitio. [473]

            Mandai a Nostro Signore la lettera che V. S. mi scrisse in materia delle usure et delle convalidationi de' matrimonii, et supplicai anco Sua Santità a volermi dar facoltà di poter dispensar gratis quella figliola che voleva contrarre matrimonio con un suo parente in quarto grado. Sua Beatitudine si è contentata di darmela benignamente, et qui alligata V. S. haverà la speditione. Quanto poi alla convalidatione de' matrimonii et la remissione delle usure, il modo che V. S. propose piacque a Sua Santità et se ne è contentata, dandomi tutta la facultà necessaria, come V. S. vederà dalle alligate copie di tre lettere del signor Cardinale Aldobrandino. Questa medesima facultà la subdelego a V. S. acciò faccia tutto quello che potessi far io se fussi presente ; et sapendo io la sua prudentia et circonspettione, mi assicuro anco che l'usarà in quello modo et a quel tempo che giudicarà espediente per beneficio di quelle anime.

            Et con questo fine, me le offero et raccommando di cuore.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            In Mondovì, a 16 di Maggio 1600.

Al Molto Rdo Sigre,

Il Sigr Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

In Tonone.

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XIII

 

            Molto Reverendo Signore,

            Nel mese di Luglio hebbi una lunga lettera di V. S. nella qual mi dava particolare avviso del frutto che havevano fatto li Padri Gesuiti nel balliaggio di Galiart ; ma da tre mesi in qua mi son trovato sempre in letto, tanto gravemente indisposto che non è stato possibile di farli risposta. Mandai bene l'istessa lettera di V. S. a Sua Santità, laquai la lesse con molto gusto et mi ordinò di dar animo a quelli Padri et a V. S. di continuar nella conversione di quelle parti, perchè dal canto suo rilaverebbe sempre favorita et protetta vivamente. Et perchè in quella lettera V. S. proponeva il caso di quella damigella [474] che haveva fatto voto di castità et non li bastava l'animo di osservarlo, Sua Santità mi ha commesso di dar facultà a V. S. in nome suo che, parendoli espediente, col parer dei Padri Gesuiti, di dispensarla o commutarla, faccia quello che giudicarà più a proposito.

            Ho poi ricevuta l'altra di V. S. di 20 di Agosto scrittami da Ciamberi, et non mancarò di mandar subito le lettere di Monsignor Vescovo di Geneva a Nostro Signore et al Cardinal Aldobrandino ; et aggiungerò io per lettere quelli officii che sono obligato per la ricuperatione delli beni ecclesiastici nel balliaggio di Gex, et giunto a Roma ne farò tanto più viva instantia con Sua Santità in voce.

            Io sto aspettando il mio successore per la settimana seguente, al quale non lasciarò di raccommandare con ogni caldezza possibile la missione di Tonone et raguagliarlo particolarmente della qualità di Monsignor Vescovo et di molti meriti di V. S. ; et se le forze me lo permetteranno, io partirò subito di qua per dar fine a questa nuntiatura, laquale ha durato sette anni, con infiniti miei travagli. In ogni loco portarò scolpita V. S. nel cuore, con desiderio ardentissimo di farle servitio ; et me le raccommando con tutto l'animo.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            In Torino, a v di Settembre 1601.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigr Francesco di Sales, Prevosto di Geneva.

A Ciamberi.

C. Lettres de Mgr Antoine de Revol, Évêque de Dol

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I

 

            Monsieur,

            Je suis honteux d'avoir esté si long temps a vous respondre ; je desirois satisfaire a vostre memoire affin de vous en donner advis par mesme moien. J'y ay apporté tout le soing et invention quy m'a esté possible, quy est d'ou a procedé cette longueur. En fin, apres m'estre informé exactement en cette ville, je me suis aidé de Monsieur Favier pour y emploier un sien amy sur le lieu, quy est un honneste gentilhomme, chanoine en l'Eglise de Poictiers, duquel vous verrez, sil vous plaist, la responce que je vous envoie. Que si vous estimez que par cette voie il se puisse quelque chose davantage, commandez moy librement, comme vous pouvez, faisant estat, Monsieur, que je confesse de ne devoir point tant a homme du monde qu'a vous, l'obligation que je vous ay estant infinie par les bons offices que vous me rendez d'un bien quy n'a point de fin. Que pleust a Dieu que pour resentiment de tant de faveur je peusse vous rendre aultant de service comme je vous en presente de remercimentz ; vous verriez de quel courage je recognoistroy le plain pouvoir que vous avez sur moy, dont attendant qu'il s'offre quelque occasion, je vous supplie, Monsieur, de prendre toute creance de ma disposition a l'obeissance que je vous doibz.

            Du reste, je praticquerey voz bonnes instructions au plus pres de la lettre qu'il me sera possible, et premierement pour ce quy est de l'eslection de Monsieur du Val, tant pour prendre de la conduitte de luy en la vie que vous m'avez proposee, que pour me servir de la Lettre Apostolique que vous m'avez envoiée, de laquelle j'ay differé d'user attendant que j'eusse asseurance de l'expedition de mes Bulles, pour laquelle ces jours passez nous avons fourny a la composition qu'on nous a faict de deux mil escus pour tout. Aussy que j'ay doubté si j'en avois bien grand besoing, d'autant que despuis, les parties ont revocqué toutes promesses suspectes, et : quod consensu et pacto contractuel est, contrario consensu et pacto dissolvitur, et obligatio inde nata (quy est icy ex delicto per pactum illicitum contracta) ipso jure tollitur. De faict, ma partie m'a promis et juré de se contenter de ce quy luy sera legitimement permis, et de reparer avec moy ce que nous aurons mal faict. Pour tesmoignage, il m'a desja relasché un [476] prieuré qu'il avoit faict mettre quelque temps au paravant en mon nom et qu'il m'avoit faict promettre de luy rendre, protestant de ne se vouloir jamais mesler de beneffice plus qu'il ne luy sera permis. Cela estant, et les susdites maximes veritables jure Poli, comme elles le sont jure fori, il y a que doubter s'il est besoing d'aultre remede. Toutesfois, je ne m'en croirey pas ; saint Hyerosme disoit de soy : Ea etiam de quibus me scire arbitrabar interrogare me solitum, quanto magis de iis super quibus anceps eram ! J'en enquerrey ceux que vous m'avez nommé, ou, si vous me faictes ce bien de m'adjouster vostre advis, j'en serey encor plus asseuré, n'ayant point tant de creance a nul aultre qu'a vous.

            J'ay faict provision des livres que vous m'avez marqué, principalement de tous ceux du premier temps, selon vostre division ; entre lesquelz, apres Grenade que j'ay tout en sa langue, au moins ce quy s'en trouve, je trouve admirables les epistres d'Avila ; mais il les fauldroit avoir aussy en la langue de l'auteur, car la traduction en françois est tres mal faicte. Je les lirey soigneusement et comme par vostre advis, vous suppliant neantmoins, Monsieur, me departir tousjours de voz bons discours et instructions par les vostres, que je prise et cheris par dessus tout, et ou je trouve plus d'ediffication qu'en livre quelconque, comme venant de personne que je tiens pour un digne exemple a tous ceux quy ont charge en cet estat.

            Je vous baise tres humblement les mains, et suis a jamais,

            Monsieur,

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,

REVOL, nommé Ev. de Dol.

            A Paris, ce 1er d'aoust 1603.

A Monsieur

Monsieur l'Evesque de Geneve.

A Annessy.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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II

 

            Monsieur,

            Je n'ay pas oublié le devoir que je vous ay, encor qu'il y ait long temps que je ne vous en aye rendu des effectz. J'attendoy de sçavoir si l'on vous auroit rendu celles que je vous escrivis sur la reception de la lettre de Rome quil vous pleust m'envoier, desirant en avoir des nouvelles advant que de vous importuner d'aultres lettres. En fin, n'en ayant sceu rien apprendre, j'ay creu qu'en tout cas vous n'auriez point desagreable ce tesmoignage de l'affection que je vous doy, [477] vous suppliant de prendre en bonne part que je vous rende conte de moy despuis le temps que vous n'avez eu des miennes, et que je vous donne advis jusques ou je suis advancé en la profession dont vous m'avez faict l'honneur de me donner les premieres instructions.

            Je vous direy donc, Monsieur, qu'en fin j'ay eu mes expeditions de Rome avec la grace de nostre Sainct Pere telle que je la pouvoy esperer, sinon que j'eusse eu le gratis entier. Je les receuz quelques jours advant les festes de Noel passé, et me disposoy apres au sacre, que je receuz le jour de la feste des Roys de la main de Monsieur l'Archevesque d'Aix, assisté de Messieurs de Bologne et de Mascon, aiant auparavant usé de la preparation dont vous me fistes ce bien de m'advertir, le mieux qu'il m'a esté possible ; non pas toutes fois si bien que j'eusse desiré.

            Il ne reste maintenant que de m'aller rendre au lieu ou je suis envoié ; ce que je suis prest de faire dans quelques jours, avec l'aide de Dieu, et de commencer a mettre la main a l'œuvre ; ou, si je ne craignoy de vous estre importun, je vous supplieroy volontiers, continuant ce que vous avez commencé en moy, de me vouloir assister de voz bons advis et conseilz, que je mettrey peine d'ensuivre au plus pres quil me sera possible, sil vous plaist de m'en favoriser. Je ne vous direy pas combien je m'en tiendrey vostre obligé, quy vous suis desja tout acquis, et suis entierement a vous par tant d'occasions que je desespere de vous en pouvoir jamais assez donner de recognoissance ; vous suppliant neantmoins de croire qu'il ne se descouvrira aulcun endroict de le pouvoir faire que vous ne me voiez efforcer en mon debvoir.

            Et sur cette asseurance de mon service, je vous supplie de m'aimer et me conserver l'honneur de voz bonnes graces, priant Dieu, Monsieur, qu'il vous donne, en tres parfaicte santé, tres longue et tres heureuse vie.

Vostre tres humble serviteur et confrere indigne,

ANTOINE REVOL, EV. de Dol.

            A Paris, ce XXe janvier 1604.

            Si vous me faictes l'honneur, Monsieur, de me donner de voz nouvelles, vous pourrez addresser a M. de Soulfour pour les bailler a M. Favier, quy me les fera asseurément tenir en vostre maison de Dol.

A Monsieur

Monsieur l'Evesque de Geneve.

A Annessy.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [478]

 

D. Lettre de Mgr André Frémyot, Archevêque de Bourges

 

            Monsieur,

            Je ne vous escris pas pour me ramentevoir en vostre memoire ; je sçay l'honneur que vous me faictes de m'aymer, et le rang que vous tenez en la mienne me promet que j'ay quelque place en la vostre. Nous jugeons des intentions d'autruy par les nostres ; ainsi, cherissant voz merites d'une si particuliere inclination, je dois croire que si le sujet manque de mon costé pour vous convier a ce mesme desir, ne pouvant m'aymer pour l'amour de moy, du moins vous m'aymerez par ce que je vous honore et que je vous ayme. Et a la verité, Monsieur, il faudroit n'avoir ni jugement ni recognoissance si, apres avoir heu lhonneur de vostre frequentation, l'on pouvoit vivre sans vous cherir et sans avoir du regret de vostre absence. Pour moy, je la supporte avec tant d'impatience, que, n'estoit la creance que j'ay que ce n'est pas estre tout a faict separé de vous que d'estre en vostre esprit, je blasmerois le jour que je vis reluire tant de rares vertus en vous, puis qu'il failloit en estre si tost et si long temps privé. Mais je me trompe ; il m'en est resté une image si vive et si bien representee, que bien souvent je prends la figure pour le vray naturel, tant les sainctes impressions ont de force en nos ames que ce qu'elles ont une fois gravé y demeure perpetuellement. Les vostres, qui sont de cette qualité, auront le mesme effect et me rendront constant en la resolution d'estre toute ma vie,

            Monsieur,

Vostre tres humble frere et serviteur,

ANDRÉ, Ar. de Bourges.

            A Dijon, ce 7 juin [1604].

A Monsieur

Monsieur le Reverendissime

Evesque et Prince de Geneve.

A Nicy.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte de Roussy de Sales,

au chateau de Thorens-Sales. [479]

 

E. Lettre du Maire et des Échevins de Dijon

 

            Monsieur,

 

            La reputation qu'aves acquise par tout, et mesme en ces quartiers, du zele et affection qu'aves a l'honneur et service de Dieu et a procurer de tout vostre pouvoir l'advancement de son Eglise Catholicque, Nous a faict prandre la hardiesse de vous faire une priere aultant pleine d'affection que d'assurance que l'on nous a donné de la pouvoir obtenir et de n'en estre esconduictz. C'est quil vous plaise, Monsieur, nous faire cest honneur qu'en l'Advent et Caresme prochain nous soyons instruictz par vos sainctes et doctes predications. Ce vous sera beaucoup d'incommodité, voires aultant qu'a nous de bon heur de vous avoir ; touteffois, tascherons par tous les moiens a nous possibles de vous en reverer.

            Nous n'heussions manqué a ce debvoir de vous envoyer l'ung des nostres pour vous en supplier de nostre part ; mais le peril et danger des chemins nous en ont retenu, avec la faveur que nous a faict Monsieur Brunet de prandre a sa charge de vous donner cestes, avec nostre supplication, et mesme vous la presenter sil est possible, avec la semblable affection de laquelle, recepvant ung sy grand bien de vous, nous desirons demeurer a jamais,

            Voz bien humbles et plus affectionnés amys et serviteurs,

LES VICONTE MAJEUR ET ESCHEVINS DE LA VILLE DE DIJON.

            Par ordre :

            MARTIN.

A Monsieur

Monsieur de Salles,

Evesque et Prince de Genefve, estant de present a Nicy.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conservé à la Visitation d'Annecy. [480]

 

F. Lettre de M. Charles d'Orlié

 

            Monsieur,

            Je me resjoüys infiniment avec vous de l'advenement de Vostre Reverendissime Seigneurie en l'Evesché titulaire de Nicopoli, et beaucoup plus en l'ample et grande evesché de Geneve, comme serviteur tres humble et tres ancien que je lui suis, mesme des nos estudes de Paris, et, pour mieux dire, des le berceau ; me resjouyssant d'ailleurs du bien et bon heur que, par ce moyen, arrive a voz diocezes. lit encores que l'honneur qui vous accompagne en ceste charge pastorale meritoirement soit accompagné de beaucoup de peines et travaux, neantmoins je sçay que Vostre Reverendissime Seigneurie, bruslant du zele de l'honneur de Dieu et advancement de sa gloire, portera ce fardeau joyeusement, qu'est le bien et salut de vos diocesains. Tesmoingt en est ce peuple Chablasien, pour laisser vos autres merites a part, lequel, comme fidele Apostre d'iceluy, avez engendré en Nostre Seigneur et Redempteur Jesus Christ.

            Ce n'est pour user d'aucune flatterie, ains seulement pour vous tesmoigner par ces presentes, continuation du tres humble service et obeissance que j'ay voué a Vostre Reverendissime Seigneurie, comme aussy pour ne me perdre et esgarer en l'haute mer de vos louanges. Attendant doncques l'honneur de voz commandementz, je supplie tres humblement Vostre Reverendissime Seigneurie qu'il luy plaise s'acheminer bien tost par deça pour donner ordre aux affaires de ceste Saincte Maison erigee en ce lieu, et notamment pour l'ouverture de l'Université, qu'il convient faire ce mois en ceste ville et ensuivant le tres expres commandement que j'en ay de Son Altesse. De quoy il m'a semblé estre expedient en advertir Vostre Reverendissime Seigneurie, a ce qu'il luy plaise favoriser ceste œuvre, et ce faisant permettre a Monsieur Grandis, a Monsieur Theodore, a Monsieur Chevallier et autres qu'il vous plaira (nommement le Reverend Pere Fourrier), qui sont de bonne volonté, moyennant vostre licence [481] ayants a ces fins esté assemblez pour pouvoir resider du moins la plus part de la sepmaine icy, et vacquer pour ce commencement aux lectures qui leur seront ordonneez ; vous asseurant que, ce faisant, outre le merite que Vostre Reverendissime Seigneurie acquiert, et le bien qui en arrivera a ce pays et a tout l'estat de Monseigneur et a la voisinance, principalement pour la conversion des heretiques que Son Altesse aura tres aggreable, ainsy que je peux remarquer par les lettres qu'elle me faict, et comme j'estime, aydant Dieu, vous dire lors que j'auray ceste faveur recevoir vostre sainte benediction, comme aussy plusieurs autres choses sur ce subjet.

            Attendant donc vostre arrivee en ce pays, et sur tout vostre prompte et favorable response, avec vostre permission je baise tres humblement les mains a Vostre Reverendissime Seigneurie, comme celuy qui a esté, est et sera, aydant Dieu,

            Monsieur,

De Vostre Reverendissime Seigneurie,

Tres humble et tres obeissant serviteur,

CHARLES D'ORLIÉ.

            A Tonon, maison vostre, ce 5 decembre 1602.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le IId Procès de Canonisation. [482]




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